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vendredi, 09 janvier 2009

La Suisse renvoie Carla del Ponte en Argentine

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LA SUISSE RENVOIE CARLA DEL PONTE EN ARGENTINE

Par Andreï FEDIACHINE

RIA Novosti, 10 avril 2008 (Un article ancien, que nous avions omis de publier, mais qui mérite lecture et esbaudissement)

L'ancienne procureure du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) Carla del Ponte a tout de même été réprimandée. Elle a été tellement habituée à faire tout ce qu'elle voulait qu'elle a même réussi à mettre en colère le toujours pondéré département fédéral des Affaires étrangères (diplomatie suisse), pour lequel elle travaille à présent. Un télégramme spécial adressé à Carla del Ponte lui prescrit de retourner immédiatement à Buenos Aires, où elle assume le poste d'ambassadrice de la Confédération helvétique en Argentine, et lui interdit de participer à la présentation de son nouveau livre “La Caccia. Io e i criminali di guerra” (La Chasse. Moi et les criminels de guerre), qui devait avoir lieu début avril à Milan. Le porte-parole du DFAE Jean-Philippe Jeannerat a fait savoir le 8 avril dans une déclaration spéciale à la presse que la présentation publique de cet ouvrage était incompatible avec le poste d'ambassadrice, car “il comporte des déclarations inadmissibles pour un représentant de la Suisse”.

Cette réprimande publique aurait mis pour longtemps sur la touche n'importe quel autre diplomate. Mais, puisque la “Suissesse de fer” en a vu d'autres, elle a tranquillement quitté l'Italie pour regagner son lieu de travail. En effet, cette petite piqûre du DFAE n'est rien par rapport à la fierté étrange qu'elle tire de l'énumération des nombreux sobriquets, pas toujours flatteurs, que lui ont attribués ceux qui ont eu affaire à l'ancienne procureure générale de Suisse et ancienne procureure du TPIY (entre 1999 et 2007). Ce dernier poste lui a valu le surnom de “nouvelle Gestapo”. La Cosa Nostra italienne, quant à elle, l'appelle “La Puttana” (un mot qu'il est superflu de traduire), alors que les banquiers helvètes ont affublé cette femme originaire de la Suisse italienne du doux sobriquet de “missile non guidé”.

Carla affirme que ces étiquettes ne la troublent nullement, car elles ne font que témoigner du bon travail qu'elle a accompli. Même le fait que feu son ancien collègue, le juge Falcone, l'ait qualifiée “d'obstination incarnée” la laisse impassible. Cette approche des appréciations qui sont portées sur elle est certainement étrange, mais il suffit de voir Carla del Ponte, ne serait-ce qu'une seule fois en chair et en os, pour que ces nombreuses interrogations tombent d'elles-mêmes.

Son ouvrage de 416 pages édité par la maison italienne Feltrinelli relate son travail au poste de procureure du Tribunal de la Haye. Pour l'instant, il a paru en italien, mais des versions anglaise et française sont déjà prêtes. Pour 20 euros, on peut plonger dans l'univers de la procureure. Le livre est ennuyeux et il l'aurait été encore plus si Carla n'avait pas recouru aux services de Chuck Sudetic, reporter du New York Times, coauteur de l'ouvrage, pour l'aider à s'écarter un tant soit peu du style procédurier.

En fait, Carla del Ponte n'a dévoilé aucun secret. Ce qu'elle écrit, y compris ses “confidences” à propos des prélèvements d'organes sur des Serbes prisonniers des Albanais du Kosovo, organes par la suite envoyés en Occident, était déjà plus ou moins connu. Des réfugiés serbes en avaient parlé. Seulement, dans les années 90, il ne “fallait” pas croire les Serbes, alors que cette révélation faite par une ex-procureure de la Confédération helvétique est bien plus crédible. Cependant, on ne peut s'empêcher de se poser la question suivante : pourquoi Carla del Ponte n'a-t-elle alors rien fait pour retrouver les coupables et les traduire en justice ?

Elle affirme qu'elle ne pouvait rien faire, car il était très difficile de recueillir des preuves au Kosovo, littéralement truffé “de bandits et de criminels”, où les témoins avaient été intimidés et parce que même les juges de La Haye avaient peur des Albanais kosovars. Elle écrit : “J'estime que certains juges du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie avaient peur que les Albanais viennent eux-mêmes s'occuper d'eux”. Cela semble aujourd'hui beaucoup affliger Carla del Ponte.

Elena Gouskova, experte spécialisée dans les Balkans, chef du Centre d'étude de la crise balkanique contemporaine de l'Institut d'études slaves de l'Académie russe des sciences, n'est pas la seule à estimer que le TPIY est un établissement très étrange. Elle y a travaillé en qualité d'expert scientifique en 2003, au cours du procès du général serbe Stanislav Galic. “Le tribunal a été spécialement créé pour justifier les actions de l'OTAN en Yougoslavie, estime Elena Gouskova. Les chefs du tribunal n'examinent pas l'essence du procès, ils ne font que manipuler les faits en les adaptant au schéma de la culpabilité d'une des parties. En général, j'avais l'impression que l'accusation avait une mauvaise connaissance des dossiers. Certains juges n'avaient aucune notion des Balkans avant d'arriver à La Haye. Au Tribunal de La Haye, le résultat est connu d'avance, du moins concernant les Serbes: ils seront tous reconnus coupables.”

Le fait que Carla del Ponte ait été choisie pour le dossier yougoslave en vue de compromettre définitivement la réputation des Serbes n'a rien d'étonnant. En Suisse, à la fin des années 90, le “missile non guidé” se sentait déjà à l'étroit. En fait, malgré sa petite taille, ses ambitions et son énergie sont comparables aux Alpes. Elle a toujours atteint ses objectifs en agissant implacablement, et a tellement porté jusqu'à l'absurde son application de la loi que même ses collègues, étonnés, se demandaient: comment peut-on parvenir à faire en sorte qu'il ne reste pas de place pour le bon sens et la justice entre la loi et la réalité ?

Sa carrière abonde en affaires retentissantes, entre autres, des affaires politiques à scandale. Les mauvaises langues disent que Carla del Ponte les acceptait avec un plaisir non dissimulé, car elle savait qu'elles lui donneraient un nom. D'autres n'hésitent pas même à affirmer que toutes ces affaires avaient été commandées (il fallait justifier la démonisation des Serbes), ou bien qu'elles étaient fondées sur des jugements préconçus (Carla del Ponte ne cache pas son hostilité pour la Serbie et la Russie), alors que les affaires vraiment importantes ont été véritablement jugées par d'autres, et non pas par Carla.

Carla del Ponte voulait également juger dans les années 90 l'affaire Mabetex, dans le cadre de laquelle ont été accusés Boris Eltsine et ses filles, dont les importantes dépenses auraient été couvertes par cette société. Elle avait aussi “gelé” les comptes en Suisse de l'ex-première ministre du Pakistan, feue Benazir Bhutto. Il serait intéressant de se pencher à nouveau sur ces deux histoires, mais personne ne veut s'en occuper.