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lundi, 02 septembre 2024

Après cinq siècles, la Suisse est de moins en moins neutre

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Après cinq siècles, la Suisse est de moins en moins neutre

Giuseppe Gagliano

Source: https://it.insideover.com/politica/dopo-cinque-secoli-si-cambia-la-svizzera-e-sempre-meno-neutrale.html

D'un point de vue géopolitique, le changement de la politique de neutralité de la Suisse, tel que suggéré dans le rapport de la commission d'étude, reflète une réorientation stratégique significative en réponse à l'environnement sécuritaire mondial de plus en plus instable. La recommandation de travailler sur une « capacité de défense commune » avec l'UE et l'OTAN représente une rupture significative avec la position historique de neutralité de la Suisse, établie depuis 1515. Bien que la Suisse n'abandonne pas « formellement » la neutralité, l'approfondissement de la coopération défensive avec des entités militaires telles que l'OTAN signale un changement de paradigme.

Ce changement peut être considéré comme une réponse à la perception croissante des menaces mondiales et régionales, en particulier dans une Europe caractérisée par des tensions géopolitiques exacerbées par la guerre en Ukraine. La renonciation au secret bancaire, qui était autrefois l'un des outils de soft power les plus efficaces de la Suisse, a sans doute réduit sa capacité à rester totalement neutre. La signature d'accords tels que le FATCA et la Convention sur l'échange automatique d'informations bancaires (AEOI) a érodé la réputation de la Suisse en tant que havre de paix pour la richesse mondiale, diminuant ainsi son pouvoir de négociation au niveau international. Cette vulnérabilité a incité la Suisse à chercher à se protéger par le biais d'alliances stratégiques, telles que des liens plus étroits avec l'OTAN et l'UE.

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L'adhésion aux sanctions anti-russes et l'alignement sur les positions de l'UE reflètent le désir de la Suisse d'être perçue comme faisant partie de la communauté occidentale et de participer à ses valeurs, notamment celles liées à la démocratie et aux droits de l'homme. Cet alignement peut améliorer ses relations diplomatiques et renforcer sa position internationale, mais au prix d'une perception réduite de la neutralité. Le monde d'aujourd'hui est caractérisé par des menaces hybrides, y compris les cyber-attaques, la désinformation et les guerres économiques, qui nécessitent une réponse collective. La Suisse semble reconnaître que la sécurité nationale ne peut être garantie de manière isolée et que l'interdépendance en matière de sécurité peut offrir une meilleure protection contre les menaces non conventionnelles. Les pressions exercées par les États-Unis, l'Union européenne et d'autres acteurs mondiaux sur la Suisse pour qu'elle accroisse la transparence bancaire ont montré que même un pays historiquement neutre peut être affecté par la dynamique géopolitique mondiale.

En réduisant sa position traditionnelle de secret, la Suisse pourrait percevoir le besoin de construire des alliances plus fortes pour protéger ses intérêts. Ce changement stratégique s'est heurté à une certaine résistance, les critiques portant sur l'influence exercée par les partisans de l'OTAN et de l'UE au sein de la commission d'étude. Le sentiment que la neutralité suisse est compromise pourrait alimenter un débat interne sur l'orientation future du pays et la préservation de son identité politique.

En résumé, le changement de la politique de neutralité de la Suisse apparaît comme une réponse pragmatique aux défis sécuritaires contemporains. Bien que la Suisse tente de maintenir un équilibre entre sa neutralité traditionnelle et le besoin de sécurité collective, sa nouvelle orientation pourrait réduire la perception de sa neutralité au niveau international, affectant ainsi son rôle géopolitique et la façon dont elle est perçue par les autres acteurs mondiaux.

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Légende: Aujourd'hui, le Parti socialiste, les Verts, le GLP, le Centre et le FDP ont enterré la neutralité suisse.

Accordez-nous encore une minute de votre temps !

Si vous avez aimé l'article que vous venez de lire, posez-vous la question suivante : si je ne l'avais pas lu ici, l'aurais-je lu ailleurs ? S'il n'y avait pas InsideOver, combien de guerres oubliées par les médias le resteraient ? Combien de réflexions sur le monde qui vous entoure ne pourriez-vous pas faire ? Nous travaillons tous les jours pour vous offrir des reportages de qualité et des articles de fond totalement gratuits. Mais le journalisme que nous pratiquons est loin d'être « bon marché ». Si vous pensez que cela vaut la peine de nous encourager et de nous soutenir, faites-le maintenant.

mercredi, 12 juin 2024

Conférence sur la paix : l'UDC estime que la neutralité de la Suisse est menacée

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Conférence sur la paix : l'UDC estime que la neutralité de la Suisse est menacée

Source: https://opposition24.com/politik/friedenskonferenz-svp-sieht-neutralitaet-der-schweiz-bedroht/

Le groupe UDC est préoccupé par ce qui se passe autour de la conférence du Bürgenstock des 15 et 16 juin 2024. Les efforts de paix doivent être salués dans leur principe. Il apparaît toutefois que la neutralité suisse n'est plus reconnue par toutes les parties au conflit : la Russie a déjà clairement fait savoir qu'elle ne souhaitait pas participer à la conférence du Bürgenstock.

Ce refus est une conséquence de la prise de position précipitée du Conseil fédéral après le début de la guerre en Ukraine et de l'acceptation sans réserve par la Suisse des sanctions de l'UE. En cédant à la pression internationale, le Conseil fédéral a malheureusement renoncé aux principes éprouvés de la neutralité suisse.

Le groupe UDC demande :

    - Si le processus de paix doit avoir une chance, la conférence du Bürgenstock ne doit pas se transformer en une conférence unilatérale de propagande en faveur de l'armement. Le Conseil fédéral a la responsabilité de veiller à ce que la conférence du Bürgenstock ne conduise pas à une nouvelle escalade et ne détruise pas définitivement la neutralité suisse.

    - Que toutes les parties au conflit soient impliquées et que l'on ne donne pas l'impression que la Suisse organise une conférence pour les parties adverses de la Russie. Cela serait désastreux et impliquerait encore plus la Suisse dans ce conflit. Le Conseil fédéral doit donc tout mettre en œuvre pour que la partie russe participe également à la conférence du Bürgenstock. Cela implique une invitation écrite officielle de la Russie par la Confédération.

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Par ailleurs, le groupe UDC a réaffirmé à l'unanimité que le Conseil fédéral devait revenir immédiatement aux principes éprouvés de la neutralité suisse:

    - La neutralité suisse doit être permanente et sans exception.

    - La neutralité suisse doit être armée: avec une armée capable de défendre et de protéger le pays et sa population de manière autonome en cas d'attaque.

    - La Suisse ne doit pas adhérer à des alliances militaires ou de défense.

    - La Suisse ne doit pas participer à des conflits militaires entre pays tiers.

    - La Suisse renonce à des mesures de coercition non militaires, c'est-à-dire à des « sanctions », à l'encontre d'Etats en guerre.

    - La Suisse continue à respecter ses obligations envers l'ONU.

    - La Suisse empêche les autres Etats de contourner les mesures de coercition non militaires via la Suisse.

    - La Suisse utilise sa neutralité perpétuelle pour les « bons offices » afin de prévenir et de résoudre les conflits.

    - La Suisse veut être respectée par tous les pays du monde comme un pays neutre ferme et fiable. 

Source : Déclaration du groupe UDC sur la conférence du Bürgenstock.

mardi, 14 mai 2024

Neutralité perdue

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Neutralité perdue

Andrea Marcigliano

Source: https://electomagazine.it/la-neutralita-perduta/

Il était une fois... le pays neutre. Celui qui, par sa constitution, ses lois et ses traditions, ne faisait pas partie de blocs armés, d'alliances ou de pactes militaires. Et qui déclarait explicitement qu'il n'avait pas l'intention de participer à des conflits de quelque nature que ce soit.

Neutre. Mais non désarmé. Ce sont deux choses très différentes. La Suisse a toujours eu une forte organisation défensive. De manière à garantir la neutralité et la sécurité. Favorisée d'ailleurs, aussi et surtout, par sa position géographique.

Et la Suède, autre pays historiquement neutre, a une longue et glorieuse tradition militaire.

La neutralité de certains États a toujours représenté, au cours du siècle dernier, un point fondamental dans les équilibres géopolitiques. En particulier les équilibres européens. En effet, les États neutres représentent des points névralgiques qui permettent de décanter les tensions entre blocs et puissances. Ce sont des chambres de compensation et, en même temps, des zones franches où les adversaires peuvent se rencontrer. Discuter et trouver des accords pour mettre fin au conflit.

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Bref, les Neutres représentent une pièce fondamentale de la mosaïque géopolitique. En apparence seulement. Parce qu'elle fait partie de ces éléments qui, s'ils manquent, rendent l'ensemble de l'architecture plus incertaine. Plus exposée à un effondrement désastreux.

Je n'aurais cependant pas dû utiliser le présent pour parler des États neutres. Plutôt un passé proche. Car aujourd'hui, la neutralité a littéralement fondu comme neige au soleil.

La Suède n'est plus neutre. Depuis un certain temps déjà, elle donnait des signes de rapprochement avec l'OTAN. Elle en est devenue membre à part entière.

La Finlande n'est plus neutre. Et c'est encore plus sensationnel. Et plus grave. Car la neutralité d'Helsinki était garantie par un traité entre puissances - Washington et Moscou pour l'essentiel - signé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et il avait précisément pour fonction de garantir un État tampon entre les deux rivaux de la guerre froide, dans une zone cruciale de l'échiquier européen.

Un traité qui a été déchiré. De manière unilatérale. Et la Finlande est maintenant non seulement dans l'OTAN, mais elle se prépare à accueillir ses bases et ses quartiers généraux opérationnels.

Un choix qui nous fait apprécier la sagesse différente des hommes qui ont pris les décisions en 45, par rapport à certains aventurismes inconsidérés qui s'affichent de nos jours.

Quant à la neutralité suisse, elle n'est plus qu'une feuille de vigne. Qui couvre à peine la dépendance de plus en plus étroite de Berne à l'égard de l'Occident collectif. Dans les décisions financières, en premier lieu.

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Bien sûr... en Europe, il reste l'Autriche. Qui parvient, malgré son appartenance à l'UE, à maintenir une certaine neutralité. Avec difficulté. Et seulement parce qu'elle est trop petite, et essentiellement désarmée, pour vraiment compter.

La stratégie globale de Washington ne permet plus ni n'admet l'existence de pays neutres. Les zones grises de la décantation des tensions deviennent les carreaux d'un nouveau domino. Destiné à encercler l'ennemi, la Russie, comme les anneaux d'un boa constrictor.

Pour l'étouffer lentement.

On l'a vu, et on le voit clairement en Ukraine. Si un accord avait été trouvé à temps pour garantir la neutralité absolue de Kiev, un massacre aurait été évité. Et, peut-être plus important encore, un équilibre dans les relations entre la Russie et l'UE aurait été garanti.

Cela n'a pas été le cas. Et surtout, ce n'était pas censé être le cas. Les Ukrainiens en paient lourdement les conséquences. Et bientôt, nous, Européens, les paierons tous.

dimanche, 14 avril 2024

La Suisse organise un référendum sur les sanctions à l'encontre de la Russie et inscrit la neutralité dans sa constitution

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La Suisse organise un référendum sur les sanctions à l'encontre de la Russie et inscrit la neutralité dans sa constitution

Source: https://www.sott.net/article/490590-Switzerland-to-hold-referendum-on-Russia-sanctions-enshrine-neutrality-in-constitution

Les activistes cherchent à restaurer la neutralité historique du pays.

Des militants suisses soutenus par le principal parti politique du pays ont déposé une pétition ayant recueilli suffisamment de signatures pour déclencher un référendum qui pourrait inscrire la neutralité de Berne dans la constitution et potentiellement rétablir les liens économiques du pays avec Moscou.

L'initiative dite "pour la neutralité", signée par plus de 130.000 habitants, a été officiellement déposée jeudi, selon Swissinfo. La proposition définirait la neutralité de la Suisse comme "perpétuelle et armée" et interdirait explicitement au pays d'adhérer à "toute alliance militaire ou de défense", à moins d'être directement attaqué.

L'amendement constitutionnel proposé empêcherait également le gouvernement d'imposer ou d'adhérer à toute forme de "mesures coercitives non militaires" et de sanctions, à moins d'être mandaté par le Conseil de sécurité de l'ONU. Toutefois, Berne se réserverait l'obligation d'empêcher le contournement des sanctions imposées par d'autres États.

La Suisse maintient une politique de neutralité depuis 1815 et n'a pris parti dans aucune des deux guerres mondiales. Bien qu'elle ne soit officiellement membre d'aucun bloc international, tel que l'UE ou l'OTAN, la Suisse s'est néanmoins associée à la quasi-totalité des sanctions occidentales imposées à Moscou, a gelé des milliards de dollars de ses avoirs et a activement soutenu Kiev après le lancement de l'offensive russe en Ukraine en 2022.

Selon le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le gouvernement suisse a abandonné sa neutralité en adoptant une stratégie de sécurité nationale qui vise à développer la sécurité européenne "non pas avec la Russie, mais contre elle".

Depuis le début du conflit en Ukraine, Berne a envoyé une aide économique à Kiev, mais a refusé de fournir des armes ou de permettre à d'autres pays d'envoyer des armes ou des munitions via la Suisse. Certains membres du gouvernement suisse ont appelé à un assouplissement de cette politique, mais l'Union démocratique du centre (UDC) et les sociaux-démocrates (SP) se sont montrés critiques à l'égard de ces suggestions.

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L'UDC, qui a fait campagne sur un programme pro-neutralité et anti-immigration, est sorti vainqueur des élections générales d'octobre, avec 28,6% des voix. Le PS social, qui soutient une neutralité moins stricte mais s'oppose fermement à l'entrée dans les blocs militaires, est arrivé derrière avec 18% des voix.

Commentaire: Le soutien à la neutralité de la Suisse s'élève donc à environ 46,6%, avec probablement une bonne part de soutien silencieux au sein de la population.

L'UDC a déclaré jeudi que les sanctions contre la Russie "mettent en danger la paix intérieure et la stabilité de notre pays", se félicitant de l'annonce du référendum. "Si tous les États se comportaient comme la Suisse, il n'y aurait pas de guerre", a déclaré le parti.

L'initiative sur la neutralité appelle également la Suisse à agir en tant que médiateur et à utiliser sa "neutralité perpétuelle pour prévenir et résoudre les conflits". Berne souhaite accueillir une grande conférence de paix sur le conflit ukrainien dans le courant de l'année, et aurait invité jusqu'à 100 nations, principalement du Sud, à y participer.

Cependant, Moscou a qualifié la conférence proposée par Berne d'"inutile" et a indiqué qu'elle n'avait pas l'intention d'y participer, même si elle y était officiellement invitée. La Russie a déclaré que le forum envisagé serait consacré à la promotion de l'ultimatum du président ukrainien Vladimir Zelensky, que Moscou a qualifié d'irréaliste. Le Kremlin a souligné à plusieurs reprises qu'il restait ouvert aux discussions, mais seulement si Kiev reconnaissait la "réalité sur le terrain".

Suisse: référendum indirect sur les sanctions contre la Russie

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Suisse: référendum indirect sur les sanctions contre la Russie

L'initiative populaire pour l'inscription de la neutralité dans la Constitution a déposé les signatures requises

Bernhard Tomaschitz

Source: https://zurzeit.at/index.php/schweiz-indirekte-volksabsti...

La neutralité est de plus en plus érodée, non seulement en Autriche, mais aussi en Suisse. Mais cela doit cesser, du moins si l'on en croit le comité interpartis Pro Suisse. Les militants ont déposé 132.780 signatures authentifiées auprès de la Chancellerie fédérale et ont ainsi obtenu que l'initiative populaire pour le "maintien de la neutralité suisse" soit soumise à un référendum.

Concrètement, les militants demandent que la neutralité soit inscrite dans la Constitution fédérale suisse, comme l'a fait l'Autriche en 1955 avec la loi sur la neutralité, qui a valeur constitutionnelle. Selon cette proposition, la Constitution fédérale suisse devrait non seulement stipuler explicitement que la Confédération n'adhère à aucune alliance militaire et ne participe pas à des conflits armés entre pays tiers, mais aussi que la Suisse "ne prend aucune mesure de coercition non militaire", sauf si une telle mesure est décidée par les Nations unies.

Les initiateurs critiquent le fait que "récemment", la Suisse a abandonné à la légère sa neutralité globale en participant à des mesures coercitives non militaires. Ceci notamment en participant aux sanctions occidentales contre la Russie, ce qui aurait fait de la Suisse un belligérant dans la guerre en Ukraine. Concrètement, il est reproché à la majorité du Conseil fédéral (gouvernement) d'avoir "adopté sans réfléchir et en violation de la neutralité les sanctions de l'UE contre la Russie peu après le début de l'attaque russe contre l'Ukraine". Il règne toujours à Berne un chaos en matière de politique étrangère et la neutralité suisse est devenue "le jouet de jeux de profilage politique partisan".

L'Union démocratique du centre (UDC), parti national-conservateur, se félicite du dépôt de l'initiative sur la neutralité. En effet, pour cette dernière, la dissolution rampante de la neutralité constitue un danger pour la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse.

mercredi, 03 janvier 2024

La Maison Europe et la nostalgie de Gonzague de Reynold pour l'avenir

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La Maison Europe et la nostalgie de Gonzague de Reynold pour l'avenir

Gennaro Malgieri

Source: https://electomagazine.it/la-casa-europa-e-la-nostalgia-dellavvenire-di-gonzague-de-reynold/

Gonzague de Reynold (1880-1970) est l'un des plus grands écrivains politiques du 20ème siècle à avoir traité de l'identité et de la formation de l'Europe. Comme c'est souvent le cas pour ceux qui ont des idées très claires, son œuvre, non conforme à "l'esprit du temps", a longtemps été reléguée dans l'oubli. Pourtant, en la relisant aujourd'hui, on se rend compte de l'extraordinaire vision analytique du penseur suisse, fondée sur une culture hors du commun, qui fut l'un des intellectuels européens les plus connus et les plus discutés au tournant du siècle. Vers la fin de sa longue vie, il disait de lui-même : "On m'a longtemps pris pour un homme du passé, un réactionnaire". Il n'a jamais imaginé un seul instant que l'appel au passé pouvait être une nostalgie de l'avenir. Il n'y a pas de meilleur autoportrait.

58138.jpgL'avenir auquel il se référait n'était autre que celui du destin continental, qu'il imaginait, même dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale, projeté dans une dimension unitaire qui ne signifiait pas "totalitaire" au sens d'un enchevêtrement d'États dominés par une nation hégémonique ou une bureaucratie sans État et sans visage. Ses nombreux écrits sur ce sujet ont été étudiés avec une constance minutieuse par le regretté Giovanni Cantoni (1938-2020), le plus lucide et le plus passionné des spécialistes de la pensée de Reynold en Italie, qui en a tiré, il y a des années, une composition exhaustive et étendue que nous pouvons considérer comme la synthèse d'une vaste œuvre : La Casa Europa, précédée d'un essai approfondi de sa part, publié par l'éditeur D'Ettoris.

La lecture de l'ouvrage volumineux, mais très lisible (grâce à l'élégance et à la simplicité de l'écriture), confirme ce que l'historien français Daniel Halévy (biographe inégalé de Nietzsche) a dit de Gonzague de Reynold : "S'il y a en Europe un Européen, c'est bien lui. Et qu'il ait été européen, par vocation, par conviction et par élection surtout, cela ne fait aucun doute".

En effet, il est né à Fribourg dans une famille catholique et aristocratique, a étudié à la Sorbonne à Paris, et est devenu très jeune une figure de proue du monde culturel suisse riche en penseurs qui, pour rappel, venus principalement d'Allemagne, de France et d'Italie, ont animé les plus illustres universités suisses, à commencer par Bâle, entre la seconde moitié du 19ème siècle et les premières décennies du 20ème siècle. Chargé de cours à Genève et à Berne, Gonzague de Reynold est contraint de démissionner en 1931 après la publication de son essai controversé La Démocratie et la Suisse et s'installe à Fribourg, sa ville natale, où il reprend son enseignement universitaire.

31576531034.jpgPendant ses études, il subit l'influence de son oncle Arthur de Techtermann et, avec Adrien Bovy, Charles Ferdinand Ramuz et les frères Alexandre et Charles-Albert Cingria, il lance en 1904 la revue La Voile latine, qui donne des impulsions novatrices à la littérature de la Suisse romande. Avec son Histoire littéraire de la Suisse au XVIIIe siècle (1909-12), il devient le principal représentant de l'helvétisme. En 1914, il fonde l'association culturelle "Nouvelle Société Helvétique".

À partir de cette date, il commence à publier des ouvrages dans lesquels il manifeste une vision dite "conservatrice" de la Suisse, fondée sur l'histoire et la géographie : Contes et légendes de la Suisse héroïque (1914), Villes suisses (1914-20, seul ouvrage traduit intégralement en italien), La Suisse une et diverse (1923). Comme nous l'avons déjà mentionné, en 1929, l'essai La démocratie et la Suisse déclenche une vive polémique en raison des attaques de Reynold contre la conception politique libérale-radicale, soulignant les faiblesses de la démocratie et la nécessité de créer un État autoritaire et fédéraliste, placé sous le commandement d'un Landaman, c'est-à-dire d'un président doté de pouvoirs importants, une figure encore présente dans de nombreux cantons suisses.

De retour à Fribourg, il se consacre à la rédaction de son livre le plus important: La formation de l'Europe (1944-57), un vaste ouvrage allant de la morphologie à la théologie de l'histoire, en passant par les traditions européennes et l'énonciation d'un esprit commun fondé sur les racines gréco-latines et surtout sur le catholicisme, qui devrait être traduit dans toutes les grandes langues européennes.

617JRXvUpRL._AC_UF1000,1000_QL80_.jpgGonzague de Reynold a écrit de nombreux articles et développé un engagement considérable en tant que conférencier, qui ont servi à faire prendre conscience de l'identité européenne, tout en se distançant des mouvements en faveur de l'unification continentale telle qu'il la voyait progresser: un patchwork d'intérêts qui aurait supprimé la "patrie commune" à laquelle il aspirait et qui est le fil conducteur de La Casa Europa. En 1957, il fonde l'Institut de Fribourg, qui rédige la Charte des langues (1968), et se consacre à partir de 1958 à la rédaction de ses Mémoires. Pour l'ensemble de son œuvre, il reçoit en 1955 le Grand Prix Schiller, l'un des plus prestigieux et des plus convoités du monde germanique.

Excellent humaniste, adversaire, comme la meilleure intelligentsia de l'époque peu attirée par le socialisme et le libéralisme, d'une conception utilitariste de la vie, Gonzague de Reynold a toujours été considéré comme un maître à penser conservateur, gardant toujours, de l'aveu de tous, ses distances avec le fascisme et le nazisme, bien qu'il ait connu Mussolini et qu'il soit devenu un admirateur d'Antonio Oliveira Salazar.

En présentant Gonzague de Reynold aux lecteurs italiens, Giovanni Cantoni explicite les idées du penseur suisse d'une manière trompeuse. Il souligne : "Qu'est-ce que l'Europe ? Est-ce un continent ? Apparemment non, puisqu'il s'agit plutôt d'une péninsule asiatique. Est-elle caractérisée par l'unité ethnique ? Certainement pas, aujourd'hui plus que jamais. Elle est plutôt fondée sur l'unité culturelle, à tel point que, par exemple, Isocrate affirmait que nous devrions nous appeler "[...] Hellènes ceux qui ont en commun avec nous la culture plutôt que l'origine". Saint Jean-Paul II s'inscrivait également dans cette lignée lorsque, au seuil du troisième millénaire, il parlait de l'Europe comme "[...] un concept essentiellement culturel et historique, qui caractérise une réalité née en tant que continent grâce également à la force unificatrice du christianisme, qui a su intégrer des peuples et des cultures différents". Par conséquent, dire "Europe", c'est se référer avant tout à une construction culturelle, à une "maison commune européenne" à plusieurs pièces, qui transcende les bases géographiques et ethniques conventionnelles.

s-l1200.jpgCeci explique la raison d'être du recueil d'essais et d'éléments épars de Cantoni qui représentent la substance de l'essai "jamais écrit" (dans le sens où il ne l'a pas conçu tel qu'il apparaît dans ce syllogue italien) de Gonzague de Reynold. Ce dernier aurait certainement apprécié le cadrage de l'identité européenne qui émerge des pages de La Casa Europa.

Le livre est construit sur les considérations éparses de Reynold qui orientent le chemin de la recherche d'une communauté en construction. Il s'avère que le temps s'est étendu et que les objectifs se sont refroidis. De péninsule asiatique qu'elle était, l'Europe est devenue une terre de conflits et a perdu les idéaux communs qui, à une époque, se trouvaient principalement sur les rives de la Méditerranée. L'évolution entre le Moyen Âge, où une certaine idée de l'Europe commençait à prendre forme, et aujourd'hui a été négative à bien des égards. Principalement parce que le sens de l'harmonie entre les peuples d'Europe a été perdu et que l'ancien principe romain de sauvegarde de la diversité dans l'unité n'a pas été appliqué. Nous voyons aujourd'hui les résultats d'une telle tragédie culturelle et anthropologique, à laquelle on a tenté de remédier en inventant une région de libre-échange appelée Europe, mais dépourvue d'âme. Que faut-il faire ?

De Reynold offre des perspectives très intéressantes et n'enferme pas sa réflexion dans des considérations techniques économiques et politiques. Il se réfère plutôt à la culture européenne qu'il convient de retrouver, une culture inclusive et fondée sur la tradition. Il écrit : "Penser notre temps, c'est le replacer dans la continuité historique, sur les grandes lignes de force ; c'est l'expliquer par le passé ; c'est se demander d'où il vient pour mieux distinguer où il va. Penser notre temps, c'est remonter dans le passé avec les préoccupations et les angoisses contemporaines, puis redescendre dans le présent avec toute l'expérience historique du passé".

Existe-t-il quelqu'un capable d'une telle tâche, suffisamment titanesque pour que nous nous sentions encore plus à la merci du néant que nous ne le sommes en réalité ? Ceux qui ont imaginé l'Europe telle qu'elle s'est construite n'ont pas tenu compte de ses racines et de son identité. C'est pourquoi l'Europe s'est perdue dans le labyrinthe d'une maison branlante, aux murs déconnectés et aux incompréhensions culturelles.

13:15 Publié dans Hommages | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, hommage, gonzague de reynold, suisse, idée européenne | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

lundi, 30 octobre 2023

Suisse : victoire de la droite conservatrice en faveur de la neutralité

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Suisse : victoire de la droite conservatrice en faveur de la neutralité

par Giulio Chinappi

Source: https://www.cese-m.eu/cesem/2023/10/svizzera-vittoria-della-destra-conservatrice-che-spinge-per-la-neutralita/

Outre les questions d'immigration, les conservateurs du parti SVP / UDC ont également déclaré que la Suisse devrait respecter sa neutralité et éviter de s'aligner sur l'UE en matière de politique étrangère, comme dans le cas des sanctions contre la Russie.

Le 22 octobre, des élections fédérales ont eu lieu en Suisse, qui ont vu la victoire du parti de droite SVP / UDC (Schweizerische Volkspartei / Union démocratique du centre), considéré comme conservateur et eurosceptique, qui a fait de la lutte contre l'immigration l'une des pierres angulaires de sa campagne électorale. Selon les données, la formation dirigée par Marco Chiesa a obtenu 27,93% des préférences, remportant 62 des 200 sièges qui composent le Conseil national. En outre, il convient de noter qu'au sein des listes SVP / UDC, il existe également des petits partis d'extrême droite, qui expriment des positions encore plus radicales que le parti principal, qualifiées sans hésitation de "xénophobes" par les représentants d'autres formations politiques.

Selon les analystes, la victoire du parti de M. Chiesa montre que l'électorat suisse a choisi principalement sur la base de questions de politique intérieure, telles que l'immigration, la sécurité et l'augmentation du coût de la vie, en négligeant la politique étrangère et, dans une certaine mesure, la question de l'écologie. Bien qu'elle soit également arrivée en tête lors des élections de 2019, l'UDC / SVP a en fait progressé de plus de deux points de pourcentage, remportant neuf sièges de plus que lors de la précédente législature, réalisant ainsi son deuxième meilleur résultat de tous les temps après les 65 députés élus en 2015.

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Cependant, il convient également de mentionner que le parti UDC / SVP a également pris des positions importantes en matière de politique étrangère, déclarant que la Confédération suisse devrait renforcer son engagement en faveur de la neutralité, qui a été récemment ignorée lorsque Berne s'est aligné sur les décisions de l'Union européenne contre la Russie, y compris les sanctions, après le début de l'opération militaire spéciale en Ukraine. À cet égard, Thomas Aeschi, chef du groupe parlementaire de la première force politique de Suisse, a déclaré que le gouvernement devait entretenir de bonnes relations avec l'UE, mais que cela ne signifiait pas que Berne devait suivre servilement les politiques de Bruxelles.

La deuxième force politique de Suisse, le SP / PS (Sozialdemokratische Partei der Schweiz / Parti socialiste suisse) est arrivée à ces élections après une série de résultats dans lesquels elle avait montré un déclin lent mais apparemment inarrêtable. En effet, depuis 2003, le nombre de députés sociaux-démocrates n'a fait que diminuer au fil des législatures, atteignant en 2019 le niveau le plus bas pour le PS depuis 1917, où seuls 189 sièges étaient disponibles. Sous la houlette de Mattea Meyer et Cédric Wermuth, les sociaux-démocrates ont montré une légère reprise, puisque le parti a gagné deux sièges, passant à 41 représentants, avec 18,27% des voix.

Parmi les autres grands partis, la FDP (Die Liberalen / FDP - Les Libéraux-Radicaux) a perdu un siège, élisant 28 représentants, dépassé en nombre de sièges par les centristes de Die Mitte / Le Centre, qui ont pu en obtenir 29 grâce à la répartition des circonscriptions, bien qu'avec un peu moins de voix. A noter que Le Centre, dirigé par Gerhard Pfister, représente une nouvelle formation qui n'est née qu'en 2021 de la fusion entre le CVP / PDC (Christlichdemokratische Volkspartei der Schweiz / Parti démocrate-chrétien) et le BDP / PBD (Bürgerlich-Demokratische Partei Schweiz / Parti bourgeois démocratique suisse), et participait donc pour la première fois à des élections fédérales sous ce nom. D'autre part, les forces écologiques ont connu un net recul, GRÜNE Schweiz / Les VERT-E-S suisses passant de 28 à 23 représentants, tandis que GLP / PVL (Grünliberale Partei der Schweiz / Parti vert'libéral) passait de 16 à seulement 10 députés.

Les analystes politiques suisses ont souligné que Marco Chiesa devra trouver le soutien des forces centristes afin d'obtenir une majorité avant le 13 décembre, date à laquelle le parlement doit voter sur le nouvel exécutif. Selon la tradition de la Confédération helvétique, depuis 1959, les quatre principaux partis sont représentés au sein du gouvernement de sept membres, le Conseil fédéral, élu, comme indiqué, par les membres du Parlement. Cela signifie que les conservateurs, tout en ayant obtenu une majorité relative, devront certainement faire des concessions aux autres forces en présence, mais devraient avoir suffisamment de force pour faire entendre leur voix.

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"Le vote pourrait indiquer comment un autre segment de l'électorat européen réfléchit à la politique populiste de droite et à la nécessité de dépenser de l'argent et des ressources pour lutter contre le réchauffement climatique à un moment où l'inflation croissante a amoindri de nombreux portefeuilles, même dans la Suisse aisée", peut-on lire dans un article publié par France 24. "Les sondages suggèrent que les Suisses ont trois préoccupations principales à l'esprit : l'augmentation des taxes pour le système d'assurance maladie obligatoire basé sur le marché libre ; le changement climatique, qui a érodé les nombreux glaciers de la Suisse ; et les préoccupations concernant les migrants et l'immigration". Il y a quatre ans, les gens étaient un peu plus idéalistes et progressistes, ce qui explique le succès des Verts, mais aujourd'hui, les gens sont plus préoccupés par la sécurité et sont à nouveau plus conservateurs", a déclaré l'analyste politique Michael Hermann à Reuters.

jeudi, 22 juin 2023

Par respect de la neutralité helvétique: l'Union démocratique du centre boycotte le discours de Zelenski

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Par respect de la neutralité helvétique: l'Union démocratique du centre boycotte le discours de Zelenski

Source: https://zuerst.de/2023/06/21/aus-gruenden-der-neutralitaet-schweizerische-volkspartei-boykottiert-selenskyj-rede/

Berne. Il n'y a pas qu'en Autriche que l'on s'oppose à la cour faite au président ukrainien Zelenski, célébrée dans la plupart des pays occidentaux, mais aussi en Suisse - Etat également neutre. Comme au Conseil national de Vienne, de nombreux députés du Parlement de Berne n'ont pas assisté au discours de Zelenski, retransmis par vidéo. L'Union démocratique du centre (UDC) - le plus grand parti - a boycotté l'intervention.

Comme en Autriche, le débat sur la neutralité, qui a fait ses preuves au fil des siècles, agite les esprits en Suisse depuis des mois. Ainsi, Berne interdit jusqu'à présent à l'Allemagne et à d'autres pays de transmettre à l'Ukraine des armements achetés en Suisse il y a des années. Ce sont surtout les députés verts et socialistes qui s'opposent à cette politique. Ils plaident pour une limitation de la neutralité.

Pour le parti national-conservateur UDC, cette attitude est totalement inacceptable. C'est pourquoi l'intervention de Zelenski au Parlement suisse a été controversée. Presque tous les députés de l'UDC se sont abstenus, car ils y voyaient une ingérence dans la politique suisse. Zelenski n'a pas répondu à cette question, du moins pas directement. Il a remercié pour tous les trains de sanctions contre la Russie, toutes les livraisons d'armes et le gel des avoirs des oligarques russes. "Ceux qui nous soutiennent protègent le monde de la guerre", a-t-il déclaré (mü).

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lundi, 13 février 2023

La Suisse prépare un référendum sur le maintien de l'argent liquide

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La Suisse prépare un référendum sur le maintien de l'argent liquide

Auteur : U.K.

Source: https://zurzeit.at/index.php/schweiz-bereitet-referendum-fuer-bargeld-erhalt-vor/

La protection de l'argent liquide doit avoir valeur constitutionnelle

Les Suisses tiennent à leur "Fränkli". Rien d'étonnant à cela, puisque le franc suisse est considéré depuis plus d'un siècle comme une valeur refuge pour le monde de la finance et l'une des monnaies les plus fortes du monde, comparable à l'or physique. C'est ce qui a permis à la Suisse d'échapper aux conséquences de l'inflation qui, sinon, s'envolerait comme dans toute l'UE. Actuellement, le taux d'inflation est de 2,8%, ce qui est considéré comme une catastrophe moyenne pour la Suisse et a incité la Banque nationale suisse (BNS) à prendre des mesures décisives.

De plus, les Suisses sont traditionnellement attachés à la liberté et refusent toute ingérence de l'État dans leur vie privée et économique qui irait au-delà du strict nécessaire. Il est donc logique, compte tenu des efforts internationaux visant à abolir l'argent liquide, que les citoyens suisses demandent un référendum sur ce sujet. Dans notre pays voisin, cela est obligatoirement possible si, pour les questions constitutionnelles, au moins 100.000 des quelque 5,5 millions d'électeurs actuels au niveau fédéral sont favorables à un tel référendum.

Et c'est ainsi que l'initiative populaire 'Oui à une monnaie suisse indépendante et libre, avec des pièces ou des billets (l'argent liquide, c'est la liberté)' a recueilli le nombre de signatures nécessaires ce week-end. En fait, plus de 50.000 de plus que nécessaire, et ce 10 jours avant la fin du délai de collecte. C'est ce qu'a annoncé le fondateur de l'initiative, le Mouvement suisse de la liberté (MLS/FBS) <Lien externe https://fbschweiz.ch/de/bargeld-de >, dans un communiqué de presse.

Concrètement, le MLS/FBS demande que l'article 99 de la Constitution fédérale soit complété par deux phrases afin de garantir le maintien de l'argent liquide comme moyen de paiement et de n'autoriser l'introduction d'une monnaie nationale autre que le franc suisse qu'après un nouveau vote populaire. "La Confédération veille à ce que les pièces de monnaie ou les billets de banque soient toujours disponibles en quantité suffisante" et "Le remplacement du franc suisse par une autre monnaie doit être soumis au vote du peuple et des cantons", peut-on lire en résumé dans la proposition soumise au vote, qui ne compte en tout et pour tout que quatre petites lignes.

Les arguments du MLS/FBS sont les mêmes que ceux utilisés par les personnes de bon sens dans notre pays: protection contre la surveillance étatique et l'espionnage par les banques et le commerce, fonction de paiement à tout moment et même en cas d'urgence, protection contre la dévalorisation forcée de l'avoir monétaire par des taux d'intérêt négatifs ou des taxes sur les "crédits sociaux", et finalement aussi la préservation de la liberté personnelle.

Maintenant que l'initiative populaire a été acceptée, le Conseil fédéral à Berne (= gouvernement fédéral en Autriche) doit annoncer une date pour le référendum proprement dit dans un délai de 4 mois. En règle générale, il y a ici un délai d'environ six mois pour que tous les partis impliqués aient suffisamment de temps pour préparer une éventuelle campagne électorale. Et contrairement à l'Autriche et à l'Allemagne, le résultat du référendum en Suisse est obligatoirement contraignant pour le gouvernement et le parlement. Si la demande d'argent liquide est acceptée, la Constitution doit (!) être modifiée en conséquence, sans "si" ni "mais". Car en Suisse, c'est le peuple qui est souverain.

mardi, 24 janvier 2023

De Daudet à Davos : comment le capitalisme fait disparaître la Suisse

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De Daudet à Davos: comment le capitalisme fait disparaître la Suisse

Nicolas Bonnal

Les étasuniens aiment rayer de la carte les pays hostiles, mais il y a d'autres méthodes qu'Hiroshima pour faire disparaître l'humanité (étudiez d'un autre œil la guerre du Pacifique) : c'est le sujet de ce papier inspiré par un de nos maîtres les moins compris, Alphonse Daudet.

Les milliards de touristes dont je fais partie ont surconsommé ce monde et la terre depuis cent ans et quelques. L'addition est d'autant plus lourde que nous ne créons plus de civilisations, nous assassinons celles qui resteraient tout en profanant celles qui ont disparu.

Evoquons le deuxième Tartarin, celui qui se passe dans les Alpes, quand la révolution industrielle, les voyages organisés Cook et la première massification eurent déjà réifié la haute montagne. Gautier a parlé savamment de cette unification du monde dans le chapitre grenadin de son voyage en Espagne :

« Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c’est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. À quoi bon aller voir loin, à raison de dix lieues à l’heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables ? Nous croyons que tels n’ont pas été les desseins de Dieu, qui a modelé chaque pays d’une façon différente, lui a donné des végétaux particuliers, et l’a peuplé de races spéciales dissemblables de conformation, de teint et de langage. C’est mal comprendre le sens de la création que de vouloir imposer la même livrée aux hommes de tous les climats, et c’est une des mille erreurs de la civilisation européenne… »

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Mais voici Daudet qui annonce avec Rimbaud illuminé tous nos Euro Disney, tous nos Disneyworld et toute la guerre du faux qui fit le bonheur d'Umberto Eco. Il faut penser à Davos et à son culte du transhumanisme en relisant ces lignes ; car tout est falsifié dès notre entrée dans l’ère industrielle occidentale :

« La Suisse, à l’heure qu’il est, vé ! monsieur Tartarin, n’est plus qu’un vaste Kursaal, ouvert de juin en septembre, un casino panoramique, où l’on vient se distraire des quatre parties du monde et qu’exploite une compagnie richissime à centaines de millions de milliasses, qui a son siège à Genève et à Londres. Il en fallait de l’argent, figurez-vous bien, pour affermer, peigner et pomponner tout ce territoire, lacs, forêts, montagnes et cascades, entretenir un peuple d’employés, de comparses, et sur les plus hautes cimes installer des hôtels mirobolants, avec gaz, télégraphes, téléphones !…

– C’est pourtant vrai, songe tout haut Tartarin qui se rappelle le Rigi.

– Si c’est vrai !… Mais vous n’avez rien vu… Avancez un peu dans le pays, vous ne trouverez pas un coin qui ne soit truqué, machin comme les dessous de l’Opéra ; des cascades éclairées à giorno, des tourniquets à l’entrée des glaciers, et, pour les ascensions, des tas de chemins de fer hydrauliques ou funiculaires. Toutefois, la Compagnie, songeant à sa clientèle d’Anglais et d’Américains grimpeurs, garde à quelques Alpes fameuses, la Jungfrau, le Moine, le Finsteraarhorn, leur apparence dangereuse et farouche, bien qu’en réalité, il n’y ait pas plus de risques là qu’ailleurs. »

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Alphonse Daudet ajoute avec sa verve coutumière (comme on dit) qu'il faut créer du risque pour le touriste qui paie (pensez au film The Game inspiré par Chesterton). C'est comme pour le réchauffement, le Brexit, Trump, la menace populiste ou bien Poutine : faire croire que quelque chose se produit dans un monde où tout est mort sauf l’argent, et ce tourisme qui le fait tant bouger.

– Mais, l’année dernière encore, l’accident du Wetterhorn, ces deux guides ensevelis avec leurs voyageurs !…

– Il faut bien, té, pardi !… pour amorcer les alpinistes… Une montagne où l’on ne s’est pas un peu cassé la tête, les Anglais n’y viennent plus… Le Wetterhorn périclitait depuis quelque temps ; avec ce petit fait-divers, les recettes ont remonté tout de suite.

– Alors, les deux guides ? …

- Ils se portent aussi bien que les voyageurs ; on les a seulement fait disparaître, entretenus à l’étranger pendant six mois… Une réclame qui coûte cher, mais la Compagnie est assez riche pour s’offrir cela. »

C'est ainsi que le tourisme a remonté la pente sur la côte d'usure après un bref accident de camion !

Daudet dénonce ensuite le décor de théâtre. A l'Alhambra où je passe souvent, tout a été remplacé, préfabriqué ou falsifié, c'est comme pour la réplique de la grotte de Lascaux où j'entendis jadis parler espéranto...

Puisque tout se ressemble, on déguise, on maquille et c'est le folklore de l’époque qui se met en branle. D’abord en Provence, en Italie, ensuite à Hawaii ou aux Canaries (je vous dis pas le folklore là-bas !).

« Bé ! Oui. Quand vous voyagez dans la Suisse allemande, des fois vous apercevez à des hauteurs vertigineuses un pasteur prêchant en plein air, debout sur une roche ou dans une chaire rustique en tronc d’arbre. Quelques bergers, fromagers, à la main leurs bonnets de cuir, des femmes coiffées et costumées selon le canton, se groupent autour avec des poses pittoresques ; et le paysage est joli, des pâturages verts ou frais moissonnés, des cascades jusqu’à la route et des troupeaux aux lourdes cloches sonnant à tous les degrés de la montagne. Tout ça, vé ! C’est du décor, de la figuration.

« Seulement, il n’y a que les employés de la Compagnie, guides, pasteurs, courriers, hôteliers qui soient dans le secret, et leur intérêt est de ne pas l’ébruiter de peur d’effaroucher la clientèle. »

C'est comme dans notre Mort à Venise où l'on ne dit rien du choléra !

Je vous laisse savourer ce livre qui vous amusera avec les espions russes, comme si Tartarin préfigurait leur James Bond sur un mode inspecteur Clouseau - qui doit d'ailleurs beaucoup à Marcel Achard. Et n'oubliez pas de relire Maître Cornille qui décrit sur un ton moins badin le passage du moulin (ou de l'abbaye ou du château) de l'ère réelle à l'ère virtuelle, touristique.

Et pour finir citons Rimbaud et les « horreurs économiques » :

« La même magie bourgeoise à tous les points où la malle nous déposera  (Illuminations) ! »

Car Louis Vuitton incarne son époque. Bernard A. première fortune mondiale…

Sources :

https://beq.ebooksgratuits.com/vents/Daudet-Alpes.pdf

https://www.amazon.fr/DANS-GUEULE-BETE-LAPOCALYPSE-MONDIA...

 

 

mercredi, 24 août 2022

En Suisse aussi: la peur des "soulèvements populaires" grandit

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En Suisse aussi: la peur des "soulèvements populaires" grandit

Source: https://zuerst.de/2022/08/24/auch-in-der-schweiz-die-angst-vor-volksaufstaenden-waechst/

Berne . La ministre allemande des Affaires étrangères Baerbock n'est pas seule à s'inquiéter de "soulèvements populaires" possible à l'automne. C'est justement en Suisse, pays solide, que l'on s'inquiète de la même manière. La perspective d'un hiver froid et plein de privations rend les organes de sécurité suisses nerveux.

Jan Flückiger, secrétaire général de la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, prévient que "la sécurité intérieure deviendra alors un problème", car le gouvernement fédéral bernois n'a pas encore reconnu l'urgence de la situation. Fredy Fässler (photo), homme politique du canton de Saint-Gall, est d'accord avec cet avertissement.

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Dans le Blick, le chef de la police prévient sans ambages que des émeutes et des pillages pourraient avoir lieu si la Suisse était frappée par une grave crise énergétique en hiver. "Imaginez que vous ne puissiez plus retirer d'argent au distributeur, que vous ne puissiez plus payer par carte dans un magasin ou faire le plein à la station-service. Le chauffage ne fonctionne plus. Il fait froid. Les rues deviennent sombres. On peut imaginer que la population se rebelle ou qu'il y ait des pillages", explique M. Fässler, qui recommande vivement aux autorités du pays de prendre des mesures pour se préparer à de tels scénarios extrêmes.

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Fait explosif : lors d'exercices organisés en 2014 pour se préparer à un scénario de black-out, des lacunes importantes avaient été constatées, notamment l'absence de générateurs de secours pour la police, les hôpitaux et d'autres infrastructures et services essentiels, rappelle Fässler. Ces lacunes ont été comblées ces dernières années - les forces de sécurité sont désormais armées, a-t-il ajouté. Il y a de bonnes raisons à cette mesure de précaution : "Je ne veux pas peindre le diable sur la muraille, mais il est également apparu lors de catastrophes environnementales que certaines personnes ont abusé de la situation pour piller des objets non protégés. Cela pourrait également être le cas lorsque le réseau est coupé, par exemple dans les magasins où l'on peut acheter quelque chose". (mü)

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mercredi, 18 mai 2022

Neutralité en échange d'un parapluie de l'OTAN

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Neutralité en échange d'un parapluie de l'OTAN

Yana Zubchuk

Source: https://www.geopolitika.ru/article/neytralitet-v-obmen-na-zontik-nato

L'opération militaire spéciale en Ukraine a entraîné un effet de peur en Europe. Les anciens neutres - Finlande, Suède, Autriche et Suisse - évaluent la pertinence de leur politique traditionnelle de non-alignement.

Le fait que la Finlande et la Suède parlent d'adhérer à l'OTAN, en particulier, a littéralement détruit des années de tradition et de conviction qu'elles favorisaient en assurant au mieux la paix en Europe et en ne rejoignant pas ouvertement l'alliance occidentale.  Les deux pays, s'ils étaient unis, pourraient apporter une puissance de feu considérable pour défendre l'Europe du Nord contre toute invasion - la Finlande avec son infanterie légendaire et la Suède avec son importante marine en mer Baltique.

Avec les membres fondateurs de l'OTAN, la Norvège et le Danemark, et les partenaires relativement récents que sont la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie (2004), ces pays forment, selon les analystes occidentaux, un pilier solide et fiable de l'Europe du Nord. Il n'est pas surprenant que les trois États baltes fassent activement pression pour l'annexion à l'OTAN la plus rapide possible de leurs deux voisins scandinaves, car la peur de la Russie parmi les trois États ne fait que croître de manière exponentielle année après année.

Qualifier l'Autriche et la Suisse de neutres était, du moins depuis la fin de la guerre froide, quelque peu trompeur. Les deux pays sont de solides démocraties occidentales, comme leurs voisins, et comptent sur la protection de l'OTAN ainsi que sur leurs propres forces armées pour leur politique de sécurité.

Les forces armées suisses sont certes plus fortes que celles de l'Autriche, qui a supprimé le militarisme, comme l'Allemagne, après les expériences désastreuses des deux guerres mondiales.  Cependant, l'exemple de l'Ukraine a conduit à la prise de conscience, ou même au coup de pouce, pour croire que les deux républiques alpines avaient des lacunes dans leur force militaire et que si elles espéraient être protégées par l'OTAN, elles devaient jouer du côté occidental des barricades plutôt que d'attendre leur heure dans la politique de neutralité. L'Occident attend désormais de ces républiques qu'elles contribuent davantage à la sécurité européenne.

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L'Autriche, bien sûr, est un État membre de l'UE et devrait participer pleinement aux futurs arrangements en matière de politique de sécurité.  Cependant, dans cette situation, beaucoup ont été surpris par la position de la Suisse, traditionnellement neutre, et son acceptation totale des sanctions de l'UE contre la Fédération de Russie. Le véritable test de la conformité suisse sera le fait que tous les flux de combustibles fossiles de la Russie vers l'Europe feront l'objet de sanctions, étant donné que la majeure partie des négociants concernés résident en Suisse.

C'est ce qu'a déclaré récemment Stefan Holenstein, président de l'une des plus grandes associations de soldats de Suisse, à propos de la relation de la Suisse avec l'OTAN.  Cela peut sembler frivole, mais M. Holenstein était sérieux : son avis, motivé par l'Opération de la Russie en Ukraine, était que la Suisse devait coopérer plus étroitement avec le bloc de l'OTAN, sans pour autant en faire partie.

Il s'agit d'une proposition innovante pour un pays situé au cœur de l'Europe, qui n'est pas membre de l'OTAN ou de l'Union européenne, qui n'a rejoint les Nations unies qu'en 2002 et qui, à part l'envoi de quelques officiers, n'a jamais participé à des exercices militaires complets impliquant les pays de l'OTAN environnants, estimant que la politique stricte de neutralité militaire inscrite dans la constitution suisse l'interdit.  En raison de l'opération militaire spéciale en Ukraine, M. Holenstein souhaite que la Suisse fasse enfin partie de la structure sécuritaire et militaire européenne et qu'elle en assume une certaine responsabilité.

 Soudain, les politiciens et les médias suisses s'enflamment sur la question de la neutralité.  La semaine dernière, Damien Cottier, membre libéral du Parlement suisse, a déclaré que les Suisses ont trop longtemps pensé que le fait d'être entouré de pays de l'OTAN signifie automatiquement qu'ils seront eux aussi protégés.  Ceci, a-t-il écrit dans Le Temps, est "une dangereuse chimère".  Notre pays ne peut pas être un passager clandestin lorsqu'il s'agit de la sécurité européenne".

Le monde a déjà vu la Finlande et la Suède - deux pays de l'UE qui, comme la Suisse, ont une longue tradition de neutralité militaire - commencer à envisager sérieusement de demander leur adhésion à l'OTAN, et pourraient en vérité l'accepter d'un jour à l'autre.  Un changement notable s'opère également au Danemark, un allié de l'OTAN dont le gouvernement espère désormais inverser la politique actuelle du pays qui consiste à rejeter les projets de défense de l'Union européenne dès le référendum de juin prochain.

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Ces pays scandinaves sont soudainement arrivés à la conclusion que "deux polices d'assurance-vie valent mieux qu'une", a déclaré un expert en sécurité sous couvert d'anonymat. La Suisse est géographiquement plus éloignée de la Russie que les pays nordiques. Mais elle aussi ressent le besoin de s'engager plus fermement dans un système occidental de garanties mutuelles de sécurité.

Il s'agit d'un autre exemple de la façon dont l'équilibre stratégique du pouvoir en Europe est en train de changer.  La neutralité militaire héritée de l'Europe du 20ème siècle semble devenir rapidement une chose du passé. Bien que lorsque des guerres ont été menées, par exemple en Afghanistan, ces pays ont été les premiers à crier leur neutralité, alors qu'est-ce qui a changé ?

L'adhésion à l'OTAN reste profondément impopulaire parmi les Suisses ; seuls 33 % d'entre eux approuvent l'adhésion de l'État au bloc militaro-politique.  Mais le soutien de l'opinion publique en faveur d'une coopération plus étroite avec l'Alliance atlantique a augmenté ces dernières semaines, et certains Suisses veulent se rapprocher de l'OTAN autant que la constitution de leur pays le permet.  "La guerre en Ukraine est une onde de choc pour nous", a déclaré Jean-Marc Rickli, responsable des risques mondiaux et émergents au Centre de politique de sécurité de Genève, qui a rédigé sa thèse de doctorat sur les États européens neutres après la guerre froide.

La Suisse n'est pas disposée à aller aussi loin que la Suède et la Finlande, non seulement parce que la neutralité est inscrite dans la constitution suisse, mais aussi parce que la neutralité est un élément important de la perception que la Suisse a d'elle-même, qui ne lui permet pas de conclure une quelconque alliance militaire, mais bien sûr avec une clause de protection mutuelle "au cas où".

Dans des pays comme la France et l'Allemagne, la langue, la religion et une histoire commune ont façonné l'identité nationale. Mais la Suisse compte quatre langues nationales, plusieurs religions et une structure de gouvernance très décentralisée (Ses cantons ont des jours fériés, des forces de l'ordre, des politiques de santé et d'éducation publique différents). Là-bas, l'identité nationale est façonnée par le fédéralisme, la neutralité et la démocratie directe.  "En d'autres termes," dit Rickli, "l'identité suisse est une identité politique. Rejoindre une organisation internationale détruirait cela."

Le plus grand parti du pays, l'Union démocratique du centre (UDC), parti nationaliste qualifié d'extrême droite, a déjà fait connaître sa position selon laquelle toute flexibilité sur le principe de neutralité mettrait en danger la souveraineté nationale. Pour l'UDC, la Suisse a franchi cette ligne lorsqu'elle a décidé de se joindre aux autres pays occidentaux dans les sanctions contre la Russie.

Cependant, plusieurs politiciens de centre-gauche et de centre-droit ont défendu les sanctions, arguant que puisque la Russie avait violé le droit international, en partie énoncé à Genève, la Suisse devait condamner la Russie.  Certains ont également déclaré que la Suisse pourrait et devrait faire beaucoup plus avec l'OTAN qu'elle ne le fait actuellement.

La Suisse a rejoint le programme de Partenariat pour la paix de l'OTAN pour les non-membres en 1996, après la fin de la guerre froide.  Le pays a fourni des formations et même plusieurs hélicoptères pour les missions internationales de maintien de la paix. Elle échange également des données sur la circulation aérienne avec les alliés de l'OTAN afin de prévenir les attaques terroristes depuis les airs et participe au Centre de cyberdéfense de l'OTAN en Estonie.  Mais c'est à peu près tout.  "Jusqu'à présent, l'interopérabilité à ce niveau tactique était la limite de ce que la Suisse pouvait faire", a déclaré Rickli.  "Mais rendre possible l'interopérabilité d'unités entières avec les troupes de l'OTAN n'a jamais été à l'ordre du jour.  Maintenant, on en discute soudainement."

Cette discussion a été lancée par le leader libéral de centre-droit Thierry Burckart dans un article publié dans le Neue Zürcher Zeitung le 7 avril. Selon M. Burckart, l'invasion de l'Ukraine par la Russie prouve que la politique de sécurité de la Suisse est "dans une impasse".  Après tout, la Russie a classé tout l'Occident comme un ennemi ; la Suisse a été la cible de cyberattaques russes, tout comme des pays européens non neutres ; et les missiles russes pourraient facilement toucher la Suisse.

Le budget de la défense de la Suisse, qui représente actuellement un peu moins de 1 % du PIB du pays, sera augmenté, comme ailleurs en Europe.  Berne vient également de commander des avions de combat F-35 de fabrication américaine.  M. Burckart souhaite lier davantage d'achats à des équipements de l'OTAN afin que la Suisse puisse plus facilement effectuer des exercices militaires avec les alliés de l'OTAN et même venir en aide aux pays voisins.  C'est cette incompatibilité opérationnelle que Burckart veut éliminer.  Dans la région alpine, comme l'a déclaré un diplomate au magazine Foreign Policy, "vous ne pouvez pas créer un vide".

À la mi-avril, un sondage complet a montré qu'une majorité de Suisses soutient le plan de rapprochement de Burckart avec l'OTAN, y compris les exercices militaires conjoints : 56 % des Suisses souhaitent collaborer plus étroitement avec l'OTAN sous diverses formes, comme l'ont fait la Suède et la Finlande. 

 "Les relations entre la Suisse et l'OTAN ont oscillé entre convergence et divergence au cours des dernières décennies", a déclaré Henrik Larsen, chercheur principal au Centre d'études de sécurité de l'École polytechnique fédérale de Zurich.  Dans un document de recherche, il a écrit que dans un monde sûr et pacifique - surtout dans les années 1990 - les deux avaient tendance à converger.  Toutefois, lorsque le monde devient de plus en plus complexe, la Suisse et l'OTAN ont moins de raisons de coopérer, comme lorsque l'OTAN s'est recentrée sur la défense collective après la réunification de la Crimée avec la Russie en 2014.

Aujourd'hui, avec l'OTAN qui renforce sa défense territoriale sur son flanc oriental, la Suisse n'a pas grand-chose à offrir, et la divergence en matière de défense et de sécurité ne fait donc que s'accroître.

Dans le passé, lorsque les Suisses pensaient à leur sécurité, ils avaient à l'esprit la sécurité de leur petit pays.  Aujourd'hui, ils la voient de plus en plus dans un contexte européen plus large. Jusqu'à présent, on n'en parle que dans les cercles politiques, diplomatiques et militaires.  La question de savoir si la Suisse commencera effectivement à coopérer avec l'OTAN sur le plan opérationnel sera probablement tranchée par un référendum.  Si elle est approuvée, le processus pourrait prendre deux ans. Néanmoins, le fait que cette discussion ait lieu est déjà révolutionnaire selon les normes suisses.  

Andorre a également oublié sa position de neutralité. Andorre a déjà réussi à imposer des sanctions économiques à des individus et des entreprises de Russie et de Biélorussie. Ces sanctions sont conformes aux mesures de l'Union européenne.

Comme l'a expliqué le ministre des Finances d'Andorre, Eric Jauver, les restrictions viseront à empêcher l'afflux massif de capitaux russes et biélorusses dans le but de contourner l'interdiction de l'UE "de ne pas utiliser Andorre comme plate-forme financière pour le mouvement de leurs actifs ou investissements".

Ainsi, le statut de "neutralité" des pays est depuis longtemps remis en question ; ils maintiennent la neutralité quand cela les arrange, et pourtant ils continuent à coopérer avec l'OTAN, même s'il s'agit d'un bloc militaire. La question se pose alors de savoir comment il est possible d'adhérer à la politique de neutralité et, en même temps, de s'engager de plus en plus dans la coopération avec l'Alliance de l'Atlantique Nord. Il convient de se rappeler que l'on doit examiner les actions et la situation non seulement de jure, mais aussi de facto, et l'on peut alors considérer que tous les pays ne sont pas aussi neutres qu'ils le disent habituellement.

vendredi, 03 décembre 2021

Vers un renouveau du conservatisme ? (Armin Mohler)

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Vers un renouveau du conservatisme ? (Armin Mohler)

 
Dans cette vidéo, nous nous pencherons sur une figure intellectuelle majeure de la « Neue Rechte », la nouvelle droite allemande, à savoir Armin Mohler. Ancien secrétaire de Ernst Jünger et auteur de la première étude sur la « Révolution conservatrice » allemande, Armin Mohler a réfléchi, dès le début de son parcours intellectuel, sur la notion de conservatisme et sur l’usage qu’on peut encore en faire ou non, dans le but d’aider la droite allemande à se renouveler. A partir d’une critique honnête et radicale de la situation des conservateurs modernes, Mohler a ainsi ouvert de nombreuses pistes fécondes à la pensée européenne de droite pour se montrer à la hauteur de son temps.
 
 
Pour en savoir plus sur Armin Mohler : http://www.archiveseroe.eu/mohler-a48...
Numéro 33 (Nominalisme) de Nouvelle École : https://www.revue-elements.com/produi...
Numéro 42 (Archéologie) de Nouvelle École : https://www.revue-elements.com/produi...
 
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dimanche, 14 mars 2021

La dorsale des Alpes et le populisme alpin

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La dorsale des Alpes et le populisme alpin

Chorosophie des Alpes

Écrit en 1982, La république du Mont Blanc (réédition Auda Isarn, 2020) s’inscrit à la fois dans les cycles des patries charnelles et de la montagne. Dans ce roman d’anticipation politique, Saint Loup raconte la fuite d’Européens, las d’un monde massifié et métissé, se réfugient au sommet du toit de l’Europe. L’extrême froideur, la vie en haute-altitude et la rareté de l’oxygène déclenchent chez leurs descendants d’incroyables mutations physiologiques.

MtBlancc.pngEn situant cette fiction sur les dernières pentes du Mont Blanc (qui risque bientôt d’être renommé « Mont Arc-en-Ciel »), Saint Loup sait que le nom « Alpes » provient d’une antique racine celtique proche du mot d’origine indo-européenne « albos » qu’on peut traduire aussi bien par « monde blanc », « monde lumineux » et « monde d’en-haut ».

Conséquence récente à l’échelle géologique d’une collusion entre différentes plaques tectoniques, les Alpes s’étend d’Orient en Occident sur huit États actuels (Allemagne, Autriche, France, Monaco, Suisse, Liechtenstein, Italie et Slovénie). Mais la chaîne de montagnes appartient à un ensemble orographique bien plus vaste avec des prolongements montagneux tels que les Alpes dinariques, les Balkans et les Carpates. Très tôt, les géographes ont compris la centralité des Alpes au point de désigner par analogie les chaînes de montagnes en Scandinavie et en Nouvelle-Zélande « Alpes scandinaves » et « Alpes néo-zélandaises ».

Le massif alpin abrite trois bassins hydrographiques majeurs du continent européen. Y prennent en effet naissance le Rhin qui s’écoule du Sud vers le Nord-Ouest et la Mer du Nord, le Danube qui se jette dans la Mer Noire après un parcours d’Ouest en Est, et le Rhône du Nord vers le Sud jusqu’en Méditerranée. Si le Danube fut longtemps l’artère principale des Habsbourg (ne parle-t-on de « double monarchie danubienne » ?), le Rhône matérialise aux premiers âges médiévaux la frontière entre le Royaume de France et le Saint-Empire (Lyon étant ville d’Empire). Quant au Rhin, il structure depuis la fin de l’Empire romain d’Occident les échanges permanents entre la Manche, la Mer du Nord et la Baltique d’une part, et la Méditerranée d’autre part. Au XIIIe siècle, les communes de Champagne accueille de nombreuses foires commerciales à mi-chemin des deux pôles économiques du moment, à savoir la Flandre et l’Italie du Nord.

Aujourd’hui, économistes et géographes mentionnent la persistance d’un espace dynamique urbanisé polarisé par l’axe rhénan et les Alpes qui commence à Londres et se termine en Lombardie. Cette « Dorsale européenne » s’étend au Sud de l’Angleterre, au Bénélux, aux Länder de l’Ouest, à la Suisse, à l’Autriche, et aux régions françaises d’Alsace, du Jura et de Savoie, et à la Haute-Italie.

0000000324L-250x355.jpgLe complexe orographique qui associe les Alpes, les Montagnes dinariques, les Balkans et les Carpates sert en outre de conservatoire ethnique et confessionnel. Les vaudois, les adeptes d’une hérésie médiévale du Lyonnais Pierre Valdo (1140 – 1217) qui annonce la Réforme protestante, s’implantent par exemple dans la vallée alpine de l’Ubaye. On s’exprime toujours en romanche dans le canton suisse des Grisons. Dans le Val d’Aoste de langue française perdure le peuple walser et dans le Trentin – Haut-Adige – Tyrol du Sud germanophone vivent les Ladins. Aux confins des Carpates demeurent encore les Sicules de langue magyare et les Saxons (les lointains enfants des colons allemands du Moyen Âge). Dans les Alpes dinariques et dans les Balkans se rencontrent enfin les Pomaks musulmans, les Valaques (ou Aroumains) ou les Goranci eux-aussi mahométans.

À la fin du XXe siècle, le succès électoral parallèle et quasi-simultané de l’UDC (Union démocratique du Centre) du Suisse Cristoph Blocher, du FPÖ (Parti national-libéral d’Autriche) de Jörg Haider, de la CSU (Union chrétienne-sociale) du Bavarois Edmund Stoiber et de la Ligue du Nord dans la plaine du Pô incitent des politologues à parler d’un « populisme alpin ». La déclinaison française de ce phénomène ne concerne pas le Front national de Jean-Marie Le Pen, mais plutôt l’activisme restreint aux départements de Savoie et de Haute-Savoie de la Ligue savoisienne. En 1998, ce mouvement indépendantiste remporte un siège au conseil régional Rhône-Alpes.

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Le concept médiatique de « populisme alpin » présente la redoutable facilité d’associer sous une acception commune des mouvements fort dissemblables. Cette affirmation politologique douteux met néanmoins en valeur la spécificité des Alpes dans la pensée politique européenne. N’est-ce pas au bord d’un lac montagnard que les représentants de trois cantons se jurent fidélité et assistance mutuelle en 1291, inaugurant ainsi l’actuelle Confédération helvétique ? À l’instar du relief compartimenté de la Grèce qui favorisa l’avènement antique de la polis et de la démocratie, les Alpes contribuent à faire du paysan suisse un citoyen – combattant prêt à mourir pour sa petite patrie. On retrouve ce patriotisme instinctif, civique et charnel lors des réunions des Landsgemeinde (assemblées du pays) dans les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures et de Glaris où les citoyens prennent à main levé, l’épée à la ceinture, les principales décisions cantonales.

Colonne vertébrale de l’Europe, les Alpes forment un espace (khoros) essentiel dont la configuration géographique ne peut qu’influencer la sagesse (sophia) collective de ses communautés populaires enracinées. Ce cœur continental symbolique incarne, ô combien !, un socle rocheux fondamental pour le maintien de la civilisation albo-européenne au XXIe siècle.

vendredi, 12 mars 2021

À l'écoute du "Grand Secret" - Hommage au poète Philippe Jaccottet

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À l'écoute du "Grand Secret"

Hommage au poète Philippe Jaccottet

par Frédéric Andreu-Véricel

La dramaturgie cosmique qui nous entoure a de quoi surprendre et je me suis étonné moi-même à penser que les constellations qui tournent tout là-haut dans la nuit obscure, le font moins par gravité que par "tradition". 

Cette vision des choses en étonnera plus d'un et l'idée que cette tradition "cosmique" fut un jour transmise aux hommes en étonnera d'autres encore. Transmise par qui, par quoi et à quel dessein ? Je l'ignore et cette idée n'est d'ailleurs qu'une simple intuition, rien de plus. Prière de n'en tirer aucun principe, aucune loi ! Sans plus une de ces émotions aurorales qui précèdent le jour d'un poème...

Néanmoins, avouons tout de même que le spectacle de la rotation de la terre autour du soleil replace l'homme à sa juste dimension ou - pour reprendre l'expression de Saint Exupéry - elle rétablit les "hiérarchies vraies". Et si l'on y adjoint la rotation du système solaire autour de je ne sais quel autre système et de cette autre chose, autour d'autre chose encore, cette pensée se double d'une ivresse quasi poétique.

Cette théorie d'une "tradition poétique" à l'origine du mouvement cosmique a dut être émise bien avant moi pour la seule raison qu'il serait étonnant qu'elle ne fut point. Du moins, en ai-je l'intime conviction. Il me plait d''appeler cette tradition "Le Grand Secret" une formule à oxymore puisque "secret" et "grandeur" ne font en général pas bon ménage. En attendant mieux, gardons ce terme sous la langue.

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Je me dis aussi que le modèle explicatif que propose l'astronomie moderne n'est pas toujours plus rationnel que le mien, simplement les mots diffèrent et les budgets alloués à la recherche, diffèrent encore davantage.

Je dirais même que pour l'homme traditionnel, la la science et la prétention de l'homme moderne a tout expliquer sans jamais se référer aux cinq sens et à la texture du monde, fascinent autant qu'elles exaspèrent. En lisant les grimoires de nos chères têtes savantes, il m'est arrivé de me prendre les pieds dans leurs "théories des cordes" et de recevoir un quasar dans le coin de l'oeil. Face au Grand Secret qu'est la terre et le ciel et le soleil, l'Homme de tradition sacrifie aux dieux du cosmos tandis que le Moderne, sacrifie à l'équation du monde dont il cherche à résoudre obstinément les inconnues. Peu importe les avancées fulgurantes de la Science - lesquelles ne font que suivre de loin les intuitions fécondes de la tradition - l'esprit de saisi scientifique reste le même à travers les siècles, de Lucrèce à Einstein, tant cet homme de la planification donne l'impression de courir au devant d'une réalité qui ne cesse de se dévoiler sous ses yeux.

"La fascination pour la qualité, le calculable, a pour origine et pour complice cette inattention qui, dans son ignorance du monde des qualités, sépare l'âme humaine de l'âme du monde, si bien que l'une s'étiole et se durcit et que l'autre devient lointaine et indiscutable". Voilà qui est bien dit. Tel est donc le crime de l'homme moderne : la séparation. Jésus appelait ces hommes des "conducteurs aveugles". Ce sont eux qui l'ont cloué sur la croix. Et ce sont les mêmes types d'hommes (la virilité en moins) qui dirigent aujourd'hui la plupart des Églises et des Gouvernements de notre temps. Les techniques modernes de communication et de managerias leur permet de remporter les élections. Une fois élus, ils gouvernent mais ne règnent pas.

imagespj.jpgBref, si je vous dis tout cela, c'est que pour ma part, je me sens "traditionaliste" depuis ma prime enfance, au point où je finis par voir des traditions un peu partout, y compris dans les mouvements célestes !

Que les modernistes qui occupent le siège de Rome dans le but de créer une sous religion mondiale judéo-compatible m'excusent de ma franchise : quant aux réactionnaires patentés qui s'y opposent, merci de bien vouloir m'excuser de cette recherche d'équilibre: pour moi, la "tradition" n'est pas un bibelot poussiéreux de musée mais bien la source vivifiante qui - n'ayant pas d'origine humaine - est tout autre chose que cette religion de "deuxième main" fabriquée par les clergés privatifs.

Un ami chrétien dont j'aime la compagnie me disait l'autre jour que la mort de Saint Louis fut ressentie à travers l'Occident comme un électrochoc, le sentiment que "les choses ne seraient jamais plus comme avant". J'ignore ce qu'il voulait dire exactement par là mais il semble que cette époque marqua en effet une sorte de rupture, une étape décisive dans l'oubli de la tradition. Dès le début de l'Église romaine, le clergé, épris de privilèges de caste, avait mis au point un dispositif théologique visant la privatisation du sacré. Ce sont d'ailleurs eux qui ont désigné de profanum (hors de leur temple) tout ce qui pouvait être dit ou fait. Du coup, tout ce qui ne dépendait pas de leur sacré devenait profane tandis que leur "dispositif", totalement indépendant des individus qui le compose, allait finir par échapper à ses créateurs. Toutes les finesses de la tradition des débuts, allait passer à la trappe, du fond d'or des icônes à la charité véritable. Une époque nouvelle, celle des cathédrales, allait naître, remplaçant l'ancienne religion chtonienne des chapelles de la lumière tamisée. Je parlais d'un "dispositif" car le terme "logiciel" paraît anachronique et un peu trop technicien, mais la réalité que ces mots désignent reste à mon avis valable : il fallait insérer dans la tête des gens une religion de deuxième main et pour se faire, placer à la marge cette vérité de tout temps : "le monde qui nous entoure est fait pour correspondre aux formes questionneuses de l'observateur" de sorte que ce dernier, en ouvrant les yeux et le coeur, se retrouve devant ce que Jean Haudry a appelé : le monde comme "image de la vérité".

9782070466580-475x500-1.jpgSans rentrer dans les détails d'une savante démonstration étayée par Jean Haudry dans la "Religion cosmique des Indo-Européens", disons simplement que cette conception macrocosmique comme "image de la vérité" implique un microcosme tout comme une serrure implique l'existence d'une clé. Cette conception, de très haute antiquité, remonterait à un peuple ancestrale soumis à la longue nuit cosmique. Cette nuit cosmique telle qu'elle s'observe encore aujourd'hui dans la zone circumpolaire, prédispose les habitants de ces régions à valoriser tout ce qui s'oppose à la nuit obscure du grand nord : le jour, la lumière, le soleil, identifiés à la vérité et au bien. La lumière, surtout qui comme l'écrit Philippe Jaccottet est "le lait des dieux" et "la couronne invisible".

Quel besoin cet observateur "souverain" aurait-il d'un clergé intercesseur ? Aucun. Mais la religion des théologiens allait peu à peu recouvrir celle des aèdes. Le dispositif enclenché par les théologiens allait engendré un processus qui d'étapes en étapes, allait aboutir aux "droits de l'homme". Ces derniers peuvent être en.effet interprétés comme la dernière étape d'un long processus de sécularisation du christianisme, ces "vérités chrétiennes devenues folles", aidant de surcroit au grand remplacement de nos peuples européens. Le processus devenu "fou" allait engendrer bien des arrière-mondes dont la techno-science planétarisée d'aujourd'hui apparaît comme l'aboutissement final.

Si je formalise cette tentative de démonstration, je dirais que les temps que nous avons la disgrâce de vivre sont "doublement" oublieux de ce qui est. La technoscience reine marque l'oubli de l'être philosophique qui est lui-même l'oubli de l'être poétique. L'Homme actuel, aveugle et sourd au Grand Secret, est la créature de cet "oubli au carré" qui donne puissance et relais à toutes les idéologies contre natures et dévastatrices de notre temps. Le déchaînement de la technoscience est la manifestation la plus irréversible de ce processus.

L'immigration sans limite voulue par les élites mondialistes, et favorisée par les droits de l'homme, amorce le cycle de guerres civiles de demain. Il n'est pas sûr que l'homme blanc la remporte sur son propre terrain. Mais le déchaînement de la technoscience peut conduire à une guerre encore plus décisive : celle qui oppose le genre technique au genre humain et comme le premier n'est pas anti-humain mais a-humain, il n'a aucune raison de la perdre.

Le Grand Secret, pourtant, continue d'émettre sur une "fréquence" que quelques uns d'entre nous perçoivent. Ces êtres, ce peut être vous ou moi et ce sont les poètes qui les perçoivent dans leurs entre-visions.

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L'un de ces écoutants du Grand Secret vient de nous quitter. Il s'appelait Philippe Jaccottet. Né à Vaud, petit canton paisible de sa Suisse natale, il s'installe à Grignan, village de Basse Drôme dans lequel il passa la plus grande partie de sa vie.

J'ai entendu la voix de ce poète il y a quelques années dans un vieux reportage datant de 1975 (disponible sur You Tube : https://youtu.be/uOog79nH8qs ). Je dois dire que cette voix, à la fois discrète et posée, est peu à peu devenue une "voie" au sens de chemin ou de passage. Comme celle que l'on se fraie entre les hautes herbes perlées de rosée hors des routes asphaltées et des cartes touristiques. Vous savez, ces voies d'herbes pliées par le passage d'une biche et d'un sanglier.

Si vous regardez attentivement ce reportage de bonne facture, vous verrez combien la silhouette du poète frêle et longiligne nous ouvre à un ciel qui nous manque ; vous verrez une main qui ouvre le volet grinçant d'une maison de village et que l'on aimerait serrer. Vous verrez une femme en train de peindre une aquarelle et qui manque son épreuve.

En d'autres termes, je dirais que ces images expriment le mystère de ces choses simples qui comme tout mystère, se cache autant qu'il se dévoile. 

Et c'est tout ce que je trouve à dire en ce moment de deuil où j'apprends la mort du poète avec au fond du coeur le poids d'un or qui prendra du temps à se muter en mots de justesse et de poésie.

Philippe est parti sans doute moins loin qu'on ne le pense. Juste un peu ici et un peu là, dans les recoins du village gagnés par le lierre et peut-être aussi dans la tradition qui fait tourner les pages de l'univers.

Dans sa vie, il a délivré tant de beaux poèmes célébrés de part le monde, qui sont autant de robes invisibles offertes aux dieux.

Le 24 février 2021, Philippe est allé les rejoindre sur la pointe des pieds.

LE GRAND SECRET 

Là-haut,

le faux silence des pluies

miroitants de nuages ;

ici, la main qui passe dans le blé des mots

reflétée sur la page,

sans heurter autre chose que le vieil outil

des moissons.

Au passage des oiseaux,

j'ai mis le blé à la bouche,

et le soleil et la terre,

dans le poème attendu

et toutes les allées du ciel

alors, s'entrouvrent ;

le premier mot qui me vient à l'esprit

c'est ton nom : Phillippe Jaccottet.

 

Frédéric Andreu-Véricel.

fredericandreu@yahoo.fr

 

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mercredi, 09 septembre 2020

En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans ! Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

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En avril dernier, Armin Mohler aurait eu 100 ans !

Ses idées ont toujours un impact aujourd’hui

Par Karlheinz Weißmann

A Rottingdean, un petit port sur la côte du Sussex, il n’est guère aisé de trouver une place de parking. Finalement, nous avons pu garer la voiture à proximité de l’église Sainte-Marguerite où l’on peut admirer quelques magnifiques vitraux du pré-raphaëlite Edward Burne-Jones.

Quelques secondes avant que je ne franchisse le portail d’entrée, j’ai saisi mon portable dans le fond de ma poche pour l’éteindre. Mais mon regard tomba sur un bref indice annonçant une nouvelle « Vision de l’ennemi chez Mohler dans le dernier Die Zeit ». Je n’ai pu résister : Burne-Jones pouvait attendre ; je voulais d’abord savoir ce que ce message et sa pièce jointe contenaient.

Il s’agit d’un texte de l’hebdomadaire Die Zeit (édition du 7 juillet 2016), écrit par un journaliste connu, Volker Weiss, sur Armin Mohler, « père fondateur » de la « nouvelle droite ». Ce concept, dans cet article, recouvrait tout : de Pegida à Junge Freiheit, des hommes vêtus dans le style Oxford-Karo aux identitaires, de l’AfD à une « boite à penser » de la Saxe-Anhalt.

indexamges.jpgCe n’était pas une crise, ce n’était pas un problème concret, ce n’était pas davantage une analyse de la situation qui avait généré ces phénomènes politiques. Ils ne devaient leur émergence et leur succès qu’au seul effet de la pensée du défunt Armin Mohler. Or celui, ajoutait le rédacteur de Die Zeit, n’avait rien d’un penseur original. Car Mohler n’avait fait que recycler le « nationalisme folciste » du temps de la République de Weimar. Bien sûr, les protagonistes actuels de la « nouvelle droite » n’atteignaient plus le niveau des Moeller van den Bruck, Oswald Spengler, Carl Schmitt ou Ernst Jünger. Mais, voilà, elles avaient mûri les graines que Mohler, avec son livre Die konservative Revolution in Deutschland, avait semées.

Beaucoup de noms ont été oubliés, sauf le sien…

Si Mohler avait encore vécu, il aurait été transporté d’enthousiasme et plus encore par l’illustration du texte que par le texte lui-même. Cette illustration montrait un Mohler relativement jeune, le mégaphone à la main, qui, apparemment, agitait les masses qui envahissaient les rues en brandissant des drapeaux bleus de l’AfD, des bannières noir-rouge-or, des drapeaux de Wirmer (celui que Stauffenberg avait fait sien, ndt) et des bannières de guerre de l’ancien Empire, pour refuser l’islamisation et pour envoyer Merkel au diable.  Mohler se serait jeté sur la page du journal, muni d’une paire de ciseaux et d’un bâton de colle, pour en tailler des versions photocopiables au format DINA4, pour les compléter de quelques remarques, à l’encre ou au marqueur et les envoyer par voie postale à ses amis, ses connaissances et ses sympathisants.

Cela n’a pas pu se passer : Armin Mohler, né il y a plus de cent ans à Bâle, le 12 avril 1920, est mort le 4 juillet 2003 à Munich. Mais les idées qu’il a lancées ont effectivement de l’effet encore et toujours. Non pas exactement à la façon dont se l’imaginent ce monsieur Weiss, les antifas, les libéraux trouillards et les théoriciens bien installés qui glosent à qui mieux-mieux sur la démocratie mais elles ont de l’effet, de l’influence, bien davantage que ne le croient ceux qui ne raisonnent qu’en termes de gros tirages et de maisons d’éditions bien situées.

C’est certain : dans l’après-guerre, il y a eu d’autres intellectuels de droite ou des conservateurs plus fins que Mohler, plus éprouvés, qui écrivaient encore des best-sellers ou qui, d’une manière ou d’une autre, parvenaient à réussir une carrière universitaire. Hélas, ces conservateurs chevronnés, plus personne ne les connait. Leurs noms sont oubliés, leurs livres n’ont été que des succès momentanés, leurs idées sont devenues anachroniques, n’ont pas eu vraiment de l’importance, n’ont eu aucune influence sur les mouvements intellectuels.

1cff9242069970646420f65ae437f75b.jpgOn devra toutefois constater que Mohler n’a laissé qu’un petit nombre d’écrits réellement personnels : on citera, outre son œuvre principale consacrée à la révolution conservatrice, Was die Deutschen fürchten et Die Vergangenheitbewältigung ; mais il ne faut pas oublier, qu’à côté de ces livres-là, il y a eu toute une série d’essais qui ont sans nul doute laissé, chez leurs lecteurs, des impressions bien plus fortes comme, par exemple, Der faschistischen Stil ou Liberalenbeschimpfung.

Il avait une tendance à collectionner les papiers…

Au cours des dernières décennies de son existence, Mohler n’a pas vraiment écrit d’épais volumes. Cela ne s’explique pas seulement par le fait que la « petite forme » lui plaisait davantage ou parce qu’il avait une propension frénétique à rechercher et à collectionner vieux papiers et grimoires, activités qui ont exigé leur tribut sous forme de « temps de vie ». On peut aussi l’expliquer par le fait qu’il ne pouvait plus rien publier dans un cadre qu’il jugeait adéquat.

Pour comprendre cela, il faut se rappeler dans quelle mesure, en tant que très jeune homme puis en tant qu’homme un peu plus âgé, il plaçait un grande confiance en la protection. C’était vrai dès sa rupture avec les gauches, après l’échec de sa tentative aventureuse de s’engager comme volontaire dans la Waffen-SS pour participer au combat planétaire de la « nouvelle Europe » contre le bolchevisme.

Mais ce fut d’autant plus vrai au début de sa carrière en Allemagne, quand il fut le secrétaire d’Ernst Jünger ou quand il devint dans les années 50 le correspondant de plusieurs journaux en France, dont Die Zeit. Bien entendu, cela valait aussi quand il reprit la tâche de diriger la Fondation Siemens après son retour en Allemagne.

Le recul prudent de bon nombre de ses disciples l’a beaucoup déçu

Très tôt, Mohler acquit la réputation d’être un « enfant terrible ». C’est justement cette réputation qui a éveillé l’intérêt d’un certain public, après l’effondrement d’un « Etat commissarial » et la poursuite de l’existence menaçante d’un autre, a acquis une conscience bien claire de ce que signifient la liberté d’expression et la pluralité des opinions.

Les débats, au cours des décennies de l’après-guerre, étaient encore ouverts, d’une ouverture que l’on imagine à peine aujourd’hui. Des hommes et des femmes de vues différentes s’y exprimaient ; des conservateurs et des libéraux, des « Carolingiens » et des nationaux, des croyants et des athées, des catholiques et des existentialistes. Dans des questions comme l’armement atomique ou les liens transatlantiques, lorsque quelqu’un comme Mohler intervenait et prenait une position originale, on considérait que c’était un enrichissement du débat et non pas un danger pour le consensus ou le départ d’un processus menaçant la cohésion de la société.

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Mohler a compris petit à petit que cette situation changeait fondamentalement. La révolte étudiante des années 60, il l’a décrite avec suffisance, au départ, bien qu’avec une certaine bienveillance pour la révolte de la jeune génération. D’après lui, le problème n’était pas de voir la gauche sur les barricades mais la masse des bourgeois lâches qui préféraient se retirer de tout plutôt que d’engager la lutte.

Mohler refusait de croire que les « Secondes Lumières », telles qu’elles se proclamaient, allaient tenir le haut du pavé pendant longtemps. Il ne croyait pas davantage que les portes, qui étaient fermées pour lui, resteraient verrouillées à jamais. Le projet de la revue Criticon, qu’il lance en 1970 avec son ami Caspar von Schrenck-Notzing, s’est constitué par les deux hommes imaginaient que le roll back n’allait pas durer.

L’influence de ses textes demeure

Cet espoir s’est avéré faux. Par voie de conséquence, Mohler a dû se contenter de Criticon et des petites maisons d’édition de la mouvance droitière. Ce fut une ombre qui assombrit ses vieilles années. A cela se sont ajoutés la déception quant à l’échec d’une carrière universitaire et l’abandon de ses disciples qui se cherchaient une niche ou qui abjuraient leurs convictions. Sur le plan personnel, ce fut bien amer, surtout que cela entraînait, lui semblait-il, une rupture dans la continuité.

Mais Mohler ne s’est pas résigné. A sa façon particulière, à sa manière inhabituelle, il tenté de définir ce qu’était « être de droite ». Ce qui unit cette mouvance de droite, c’est le sentiment tragique de la vie, lequel induit une dialectique particulière : « La différence la plus fondamentale entre un homme de gauche et un homme de droite réside en ceci : l’homme de droite a toujours conscience de sa finitude. C’est ce qui le retient de formuler de grands projets irréalisables et d’esquisser des utopies à l’infini comme le fait allègrement l’homme de gauche. Cependant, conscient de sa finitude, il veut expérimenter la naissance nouvelle, la création nouvelle, il s’engage sans arrière-pensées à façonner des visions synthétiques, bien centrées sur elles-mêmes, qu’il oppose au chaos. La différence entre gauche et droite n’est donc pas la différence entre pessimisme et optimisme ».

unnamedamej.jpgSi l’on cherche à expliquer ce qu’il reste de la pensée de Mohler, alors il faut laisser tomber ce qu’il a souvent lui-même (et aussi ses adversaires) mis au centre de ses préoccupations. Son « nominalisme » n’avait guère de consistence tout comme sa critique du christianisme, sa vision « technocratique » n’a nullement été une solution pour la mouvance conservatrice, son orientation « gaullienne » n’a quasi convaincu personne. En revanche, ce qui est incontournable dans sa manière de saisir le monde, c’est son analyse de « la période axiale du conservatisme ».  

Comme jadis, il vaut toujours la peine de lire ses analyses de la Vergangenheitsbewältigung en Allemagne, soit le processus de dégager par une propagande et une métapolitique systématique les Allemands de leur passé. De même il faut toujours lire sa définition réalitaire  du politique à la manière de Carl Schmitt. Poser ce constat revient à souligner que l’influence de penseurs comme Mohler ne peut être mesurée par le simple fait que quelqu’un se penche sur les éditions de ses livres. L’influence d’un homme comme Mohler est une influence qui découle de la lecture de ses travaux, ce que Mohler, lui-même un lecteur insatiable, a toujours souligné.

Voilà pourquoi il faut s’attendre, aujourd’hui, à trouver dans un restaurant de Berlin, un jeune homme bien entraîné physiquement, portant une barbe fournie et bien soignée, du genre hipster qui se présente dans la conversation : il a servi dans les unités du  KSK, a ensuite travaillé quelques années dans le domaine de la sécurité ; puis, quand on lui pose la question de savoir ce qui l’amène dans un cercle néo-conservateur comme le nôtre, il nous répond avec un petit sourire : « Ah, je vais vous le dire, quand j’avais seize ans, un livre d’Armin Mohler m’est tombé entre les mains ».

Armin Mohler / Karlheinz Weißmann: Die Konservative Revolution in Deutschland 1918–1932. Ein Handbuch. Ares-Verlag, 2005, gebunden, 643 Seiten, 49,90 Euro

 

dimanche, 30 août 2020

Un ex-agent des services secrets fracasse les fake news utilisées par l’Occident dans ses guerres

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Un ex-agent des services secrets fracasse les fake news utilisées par l’Occident dans ses guerres

Comment les fausses nouvelles contribuent-elles à justifier les conflits internationaux? Dans un ouvrage décapant, «Gouverner par les fake news», Jacques Baud, un ex-agent secret suisse, dénonce l’emploi des infox par les pays occidentaux. Entretien.

( Note ExoPortail : De mon point de vue l’analyse pourrait aller plus loin mais la dénonciation d’un ex-agent des services secrets étant tellement rare, qui plus est dans l’espace francophone, que cela mérite d’être diffusé ! )

C’était il y a plus de trois ans, quelques mois avant l’élection d’Emmanuel Macron. Richard Ferrand, alors secrétaire général de En Marche, publiait une tribune dans Le Monde intitulée «Ne laissons pas la Russie déstabiliser la présidentielle en France!». Un texte grandiloquent où il affirmait notamment que «deux grands médias, Russia Today et Sputnik, qui appartiennent à l’État russe» font «au quotidien de la diffusion, de la propagation de fausses nouvelles».

Tandis que François Fillon était empêtré dans le Penelopegate, l’argument de l’ingérence russe –déjà massivement utilisé aux États-Unis– avait permis d’affermir la candidature Macron, estime Jacques Baud, ancien agent des services de renseignement suisses, ayant travaillé à l’Onu puis à l’Otan. Construction d’un ennemi ou coup de com’ électoral?

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Les spéculations sur le péril russe continueront d’être alimentées par les médias mainstream, chercheurs et politiques lors de la crise des Gilets jaunes et les élections européennes. La menace russe pèse-t-elle sur l’Occident? Celui qui a travaillé longtemps «à l’étude de la menace soviétique» répond: «Non, absolument pas». Le colonel Jacques Baud, auteur du livre Gouverner par les fake news, (Éd. Max Milo), qualifie ainsi la manœuvre de «distorsion des faits».

Véritable pamphlet contre les services de renseignement, diplomates, politiques et médias, Gouverner par les fake news déconstruit en règle les infox produites par les pays occidentaux depuis quelques dizaines d’années. L’internaute n’y dénichera pas d’informations sensibles sur la mort de Kennedy, mais il y trouvera une grille de lecture afin d’appréhender les réalités stratégiques internationales. Jacques Baud accumule une compilation de dossiers accablants afin d’«inspirer un doute raisonnable sur la manière dont nous sommes informés

Les mensonges, boucliers de la démocratie ?

Héritage de la campagne présidentielle américaine de 2016, le terme de fake news a régulièrement été accolé à Donald Trump et ses saillies provocatrices. Proposant une hiérarchie de ces bobards, Jacques Baud estime que les plus dangereux sont ceux qui «manipulent les faits de sorte à créer une cohérence factice autour d’une apparence de vérité, afin de fausser la perception d’un auditoire et de le pousser à adhérer à une politique.»

81cWLT8bC5L.__BG0,0,0,0_FMpng_AC_UL600_SR387,600_.pngDe nombreux États tels que la Syrie, l’Iran, la Russie, le Venezuela ont tour à tour subi et continuent à être la cible de récits tronqués, d’infox de la part des Européens et Américains. Pour quel effet final recherché? «La fake news vient en appui d’une politique», soit la fabrication d’un ennemi, le lancement d’une intervention ou encore un changement de régime. L’intervention américaine en Irak en 2003, justifiée par le somptueux bobard de Colin Powell, Secrétaire d’État américain, brandissant une soi-disant fiole d’anthrax à la tribune des Nations unies n’en est qu’un exemple parmi d’autres.

«De nombreux conflits ont été déclenchés dans le monde par de fausses nouvelles. Les fausses nouvelles servent à acquérir en fait l’opinion publique en faveur d’un gouvernement. Le vrai problème des fake news, c’est qu’elles faussent notre vision des problèmes et elles tendent à anesthésier un peu la volonté populaire. On a des guerres qui sont faites sans volonté populaire.»

C’est le cas également de l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani par des frappes américaines le 3 janvier 2020. Le prétexte officiel? Celui-ci préparait des opérations contre quatre ambassades américaines au Moyen-Orient, une «menace imminente» selon Donald Trump. Quelques jours plus tard, la version du Président américain a changé, l’«horrible passé» de Soleimani justifierait tout simplement cette «opération homo» (assassinat ciblé).

Médias et services secrets, les relations troubles :

Régulièrement, les responsabilités d’interventions sont attribuées aux seuls politiques, notamment l’aventure de Nicolas Sarkozy et de Bernard Henri-Lévy en Libye en 2011. Sont-ils les seuls à mettre en cause? Quel rôle peut-on imputer à la DGSE, au MI6 ou encore à la CIA? L’ancien agent secret considère que le service de renseignement doit représenter un «mètre étalon de l’information pour un décideur stratégique. C’est ça sa fonction. C’est de lui dire, la situation elle est comme ça. Après, vous décidez ce que vous voulez». Et selon lui, les services occidentaux pèchent «à analyser objectivement et factuellement» les situations.

C’est pourquoi il dénonce cette «rigidité intellectuelle» dont font preuve diplomates et militaires à pratiquer d’une autre façon la guerre, à ne «concevoir que la tactique au détriment de la stratégie globale». En 2019, un article paru dans la Revue Défense Nationale du colonel Legrier critiquait dans ce sens la stratégie militaire de la coalition en Irak, faite de bombardements meurtriers en donnant «à la population une détestable image de ce que peut être une libération à l’occidentale

Jacques Baud pourfend les renseignements, les politiques, mais aussi le milieu de la presse tout entier, qui serait coupable de suivisme à l’égard des chancelleries occidentales. Les médias centraux français en prennent notamment pour leur grade. Celui-ci leur reproche ainsi de «masquer une partie de la réalité», en soutenant, dans le cas du Venezuela, des «entreprises qui contreviennent au droit international et à l’État de droit». Plus en amont, Jacques Baud insiste sur la sélection des sources d’information.

«Je n’ai rien contre le fait qu’on s’adresse à l’opposition pour avoir de l’information, mais cette information, on se rend bien compte qu’elle ne peut pas être prise au sens strict. Elles doivent être mises en relation avec des sources venant de l’autre côté. Typiquement pour la Syrie, on a une information qui semble venir pratiquement exclusivement de l’opposition. L’opposition c’est quoi? C’est des djihadistes. Donc en réalité, la presse fait la propagande djihadiste d’une certaine manière.»

Source : https://fr.sputniknews.com/interviews/202008281044330378-...

A regarder également (vidéo de 2016):

Jacques Baud : le terrorisme comme stratégie militaire

 
Le colonel Jacques Baud est un expert suisse en sécurité. Il donne ici un entretien à TV5 Monde à l'occasion de la sortie de son livre "Terrorisme, mensonges politiques et stratègies fatales de l'Occident". Issu d'un Etat neutre, il s'autorise à dire la vérité, malgré la doxa atlantiste.
 

mardi, 07 avril 2020

Déconfinement par étapes : l’opposition politique au Système doit définir ses priorités et imposer son agenda

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Déconfinement par étapes : l’opposition politique au Système doit définir ses priorités et imposer son agenda

par le Dr. Dominique Baettig

Ex: http://www.lesobservateurs.ch

Plus la pandémie se développe et plus le questionnement légitime des citoyens se justifie. Si l’origine du virus, sa spécificité et sa dangerosité restent encore incertaines, l’instrumentalisation dans une tentative globaliste d’activer le passage à un stade supérieur de gestion et de contrôle de la population est nettement perceptible.

Soyons clair, le principe de précaution l’emporte dans de telles situations. Et seul l’Etat souverain national est encore en position de parer au plus pressé : fermeture des frontières, directives globales de précaution pour ne pas contaminer les groupes à risque, développement de structures médicales supplémentaires d’urgence, recours à l’armée, redéfinition des priorités hospitalières, mobilisation de ressources bénévoles. Il semble évident aujourd’hui que nos autorités fédérales, malgré le degré d’urgence, ont tergiversé par idéologie (le libre-échange et la libre circulation des biens et des personnes sont des valeurs saintes et intouchables) et aussi par peur des réactions internationales. Il n’est pas normal, dans ces conditions, que les citoyens soient punis après coup par de l’emprisonnement volontaire et l’arrêt d’activités économiques vitales. Sur une période limitée, dans le doute oui, mais pas dans l’incertitude, la prolongation sans limite des mesures liée aux décisions arbitraires, à la lecture de statistiques peu nuancées par les augures de l’OFSP qui n’oseront jamais desserrer le nœud coulant sans se coordonner avec nos voisins de l’Union européenne. Confinement avec exceptions, recommandations contradictoires et culpabilisantes, port de masques par la population recommandé mais sans moyens suffisants, découverte de la dépendance de l’acheminement de médicaments, masques, réactifs nécessaires au diagnostic qui viennent de Chine. Retour au chacun pour soi avec les pays voisins, culpabilisation de la population vecteur du virus qui aggraverait la vitesse de propagation si elle n’obéit pas aux injonctions (rester chez soi sauve des vies) mais il faut quand même soigner les malades, assurer la vente de denrées alimentaires, assurer la sécurité, produire des biens de première nécessité. C’est la porte ouverte à toutes sortes de revendications plus ou moins légitimes puisque les bobos disent que la santé vaut mieux que le profit…Mais l’économie doit continuer à fonctionner, pour garantir les prestations sociales, payer les salaires, dédommager ceux qui se trouvent privés de revenus. La vie associative est annulée, les parents contraints de s’occuper des devoirs scolaires de leurs enfants, on fait miroiter des prêts, des suspensions douteuses de loyers, un report des échéances, une suspension de la vie parlementaire.

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Il est très important que l’opposition antiglobaliste se mobilise et puisse imposer un agenda souverainiste au déconfinement :

a) Priorité à l’économie de proximité : maraîchers, paysans, travailleurs indépendants qui doivent reprendre leur activité, avec des précautions (masques, distance de protection)

b) Laisser faire la débrouille et auto-organisation citoyenne pour éviter le blocage complet de l’économie

c) Favoriser l’accès aux soins efficaces (hydroxycholoroquine et analogues) pour éviter le chantage à la priorité des soins aigus, avec le risque de saturation, pour les victimes majoritairement très âgées et vulnérables à l’épidémie.

d) Ne pas permettre aux problèmes induits par un confinement arbitraire et culpabilisant de s’accumuler : blocage de l’économie autonome, stress relationnel et violences induites du confinement, mise en attente d’interventions médicales qui exploseront dans un second temps.

e) Rapatrier les industries vitales pour l’économie : respirateurs, réactifs pour tests, masques recommandés pour tous, ouverture aux thérapies alternatives et locales (contre le diktat du pharmacologiquement correct et les exigences inappropriées de documentation de l’efficacité par des procédures bureaucratiques irréalistes dans un état d’urgence et de guerre).

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f) Ne pas laisser miroiter des solutions durables par la création de nouvelles dettes par les banques. La monnaie cash doit impérativement être sauvegardée

g) La fermeture des frontières et son contrôle peut durer, il n’est pas prioritaire d’y surseoir…

h) Favoriser les énergies non fossiles existantes, y compris le nucléaire, l’énergie hydraulique et géotherminque non profonde.

i) Ne pas laisser le contrôle social (par Internet, 5G, etc.) s’installer. Y préférer les solutions alternatives, les opinions critiques.

j) Reprendre le contrôle civique par les citoyens plutôt que la bureaucratie administrative médicale pilotée par l’OMS et les institutions centralisatrices globalistes. Le législatif doit impérativement fonctionner

k) Faire confiance au bon sens et à l’auto-organisation citoyenne. Non à l’isolement, non au gavage totalitaire d’informations catastrophistes qui empêchent toute critique et toute contestation.

l) La pandémie est la résultante d’un système dysfonctionnel (agriculture industrielle, médecine industrielle, libre circulation comme idéal, immigration systématique de remplacement ou de mélange imposé, dépendance de la distribution globale). Il ne faut pas continuer comme si de rien n’était mais organiser la souveraineté politique, économique, agricole. Revenir au local de manière prioritaire. Redimensionnement à échelon humain.

m) La décroissance qui s’annonce implique la fin de l’immigration sans limites et la préparation de la remigration indispensable, vu la surpopulation problématique sur les plans écologique, économique, social.

Le travail  le plus important arrive. Ne laissons pas ceux qui sont responsables de cette situation, par idéologie ou cynisme, ou instrumentalisation par propagande, profiter d’imposer leurs solutions.

Dominique Baettig, 05.04.2020

dimanche, 05 avril 2020

RIP, Référendum d’Initiative Populaire

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RIP, Référendum d’Initiative Populaire

Quand l’idée de cet article m’est venue, la révolte des gilets jaunes n’avait pas encore commencé. J’essayais de trouver des arguments pour convaincre que la démocratie directe à la Suisse était la meilleure voie pour gouverner un pays en lui assurant justice, calme et stabilité.

La démocratie représentative fut un grand pas en avant, en tous cas pour nombre de pays qui vivaient, auparavant, sous des régimes totalitaires. Si l’on considère que la politique est la façon non-violente de résoudre les conflits, on ne peut que se féliciter de voir s’opposer des gens raisonnables dans des débats d’idées, avec fougue, et même avec rage, mais toujours en-deçà de toute violence physique.

Mais aujourd’hui, la démocratie représentative arrive à bout de souffle : elle a été dévoyée et dans beaucoup de pays, des dysfonctions graves empêchent l’exercice serein de cette forme de politique. Qu’est-il donc arrivé pour que ces systèmes de démocratie en arrivent là ? Certains leaders, sans aucune expérience, sans aucun sens pratique, sans aucune considération pour les aspirations du peuple, sans aucune vision ni aucun sens de l’anticipation, sont parvenus au pouvoir et gouvernent uniquement selon l’idéologie dont ils sont pétris.

La désinvolture avec laquelle un Chef d’Etat se croit autorisé à prendre toutes sortes de décisions sans consultation du peuple ne peut que pousser les gens à désirer un système dans lequel ils ont leur mot à dire, c’est-à-dire un système de démocratie directe à travers le référendum, pas le référendum déclenché depuis le haut par la seule volonté du président, mais par le référendum d’initiative populaire déclenché par le bas.

Ceux qui s’opposent au référendum sont pour leur part favorables à une dictature de minorités, partis, groupes, clans, cliques, syndicats, qui cherchent à pérenniser leurs intérêts. Or le référendum est la piqûre de rappel nécessaire à celui qui a tendance à oublier qu’il n’est où il est que pour servir les autres. Car le Chef d’Etat n’est là que pour le bien être de son peuple et ce dernier a le droit de le lui rappeler et doit avoir le moyen de le lui imposer.

Pour que le peuple garde constamment à l’esprit ce qui doit être sa priorité, il lui faut adopter un moyen visible dans toutes les manifestations : un signe comme un badge, un emblème, une cocarde, un écusson, un ruban, en tout cas une marque bien reconnaissable avec, en son centre, sur fond clair, se détachant en sombre les trois lettres suivantes : RIP (pour Référendum d’Initiative Populaire) ou RIC (pour Référendum d’Initiative Citoyenne).

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Partout où des rassemblements importants ont lieu (dans les stades, dans les manifestations sur la voie publique quelles qu’elles soient, dans les déplacements du chef de l’Etat ou des ses ministres, dans les apparitions publiques des représentants de l’état et des députés, dans les marches, manifestations, grèves, etc.), que partout on voit s’agiter une forêt des signes estampillés RIP ! Si nous voulons une société où règne la vraie justice, il faut instaurer le RIP.

Mais diront certains : la majorité n’a pas toujours raison. A cet argument qui ne peut être contredit complètement, j’en opposerai deux autres : d’une part, la minorité n’a pas toujours raison non plus. D’autre part, si l’on analyse l’état des rares pays qui pratiquent le RIP aujourd’hui, leur situation est en général plus qu’enviable. La Suisse en est le symbole éclatant. Quand le référendum a parlé, les tensions baissent car le résultat est accepté et les polémiques se taisent jusqu’au prochain référendum. La Suisse est le cas d’école à étudier. Pourquoi l’Europe ne tirerait-t-elle pas profit de l’expérience helvétique ? La Suisse pourrait devenir un phare pour le continent tout entier.

Et pas question de faire une sarkozerie en faisant annuler le résultat d’un référendum par un tour de passe-passe (en 2007, Sarkozy utilise la voie parlementaire pour ratifier le Traité de Lisbonne, annulant du même coup le non massif du peuple français à la Constitution européenne en 2005). Il faut cadenasser le système contre de tels coups de force en instaurant une clause qui stipule qu’un résultat de référendum ne peut être annulé ou amendé que par un autre référendum. Qu’un Sarkozy décide unilatéralement contre 55 % des Français est un exemple flagrant d’une minorité qui n’écoute pas ce que veut le peuple.

Un Chef d’Etat est élu pour défendre son pays et protéger son peuple. Toutes les grandes questions concernant le pays doivent être soumises à référendum : immigration, sécurité, réforme des retraites, réforme du chômage, réforme de l’impôt, questions sociétales, pouvoir d’achat, etc. Tant que l’exécutif n’aura pas accepté cela, il gouvernera à contre-courant et fera montre d’autoritarisme le rapprochant des régimes totalitaires. A moins que les Gilets jaunes …

Sur le revers de la veste,

sur mes cahiers d’école,

sur les portes des mairies,

sur le sable et sur la neige,

sur les murs des Préfectures,

sur la pluie épaisse et fade,

sur les murs des Conseils régionaux,

sur chaque main qui se tend,

sur les tableaux de classe,

sur la vérité physique,

sur les marches de l’Assemblée nationale,

sur chaque bouffée d’aurore,

sur l’avenue des Champs-Elysées,

sur les marches de la mort,

sur les grilles de l’Elysée,

J’écris ton nom,

 

Référendum

Bertrand Hourcade, avril 2020

vendredi, 03 avril 2020

Eric Werner: La liberté, malgré les urgences !...

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La liberté, malgré les urgences !...

par Eric Werner

Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Eric Werner, cueilli sur le site d'Antipresse et consacré au recul progressif de la liberté en Europe, et en particulier en France.

Penseur important et trop peu connu, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais marquants comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015), De l'extermination (Xénia, 2013), ou Un air de guerre (Xénia, 2017), et de recueils de courtes chroniques comme Ne vous approchez pas des fenêtres (Xénia, 2008) et Le début de la fin et autres causeries crépusculaires (Xénia, 2012). Il vient de publier dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019).

La liberté, malgré les urgences !

Les sociétés européennes se trouvent aujourd’hui confrontées à de tels défis qu’il peut apparaître étrange, pour ne pas dire inactuel, de s’interroger sur ce que devient aujourd’hui la liberté en Europe. Ce n’est à coup sûr pas une priorité. Et pourtant c’est ce qu’on va essayer ici de faire malgré le couvre-feu matériel et mental imposé par la lutte contre le Coronavirus.

Il est beaucoup aujourd’hui question de «dérive autoritaire» en Europe. C’est évidemment un euphémisme. La vraie question, en fait, qui se pose (au-delà même de celle consistant à se demander si nous sommes encore en démocratie) est celle de l’État de droit. Que subsiste-t-il aujourd’hui encore dans nos pays de l’État de droit?

Je dis «nos pays», car la question ne se pose pas seulement dans certains d’entre eux à l’exclusion d’autres hypothétiquement mieux favorisés, mais peu ou prou partout. Un pays comme la France est évidemment en première ligne. Il serait fastidieux de dresser la liste de toutes les atteintes à l’État de droit survenues en France au cours de la période récente, en lien ou non avec l’épisode des Gilets jaunes. Ces atteintes sont graves et n’ont pas leur équivalent ailleurs. Mais il ne faut pas se faire d’illusions. On est certainement légitimé à insister sur la singularité française. Mais, d’une part, cette singularité n’est que relative, et d’autre part la France ne fait que précéder les autres pays dans une évolution d’ensemble n’épargnant, en fait, aucun pays. Elle a simplement une longueur d’avance.

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Le problème doit donc être abordé à l’échelle du continent dans son ensemble. On admettra sans peine par exemple que les violences policières constatées ces derniers mois en France n’ont pas leur équivalent en Suisse. Mais divers scandales survenus récemment à Genève, ville frontalière, montrent que la Suisse n’est pas a priori à l’abri de tels débordements (1). D’autres exemples pourraient être cités, notamment un, il y a deux ans, dans le canton de Berne. L’affaire avait débouché dans une interpellation au Grand Conseil bernois. Les violences policières sont encore en Suisse l’exception. Mais il ne faut pas dire qu’elles n’existent pas.

Par ailleurs, les violences policières n’épuisent pas le problème. Ainsi, toujours en Suisse, le Parlement s’apprête à adopter un projet de loi sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme, projet de loi entérinant le principe selon lequel de telles mesures pourraient être prises en dehors de tout contrôle judiciaire. Il ne faut pas idéaliser la justice, ni bien sûr non plus surestimer son aptitude à protéger les libertés fondamentales (la violence judiciaire n’est pas un vain mot, elle n’a souvent rien à envier à la violence policière proprement dite), mais le contrôle judiciaire n’en est pas moins préférable à pas de contrôle du tout. Un tel contrôle ne garantit assurément pas en lui-même la survie des libertés fondamentales, mais peut en revanche, dans une certaine mesure au moins, la favoriser. Alors qu’avec sa suppression une telle survie devient hautement improbable, pour ne pas dire désespérée.

Le modèle français

La Suisse se borne ici à suivre l’exemple français, puisqu’en 2017 déjà le Parlement français avait décidé de transférer dans le droit ordinaire certaines dispositions de l’état d’urgence, au nombre desquelles, justement, l’abolition du contrôle judiciaire sur les actes des autorités en lien avec la lutte contre le «terrorisme». On met ici le mot «terrorisme» entre guillemets, car les autorités françaises ont tendance à user et abuser de cette notion en en donnant une interprétation très extensive. On est très vite aujourd’hui en France traité de «terroriste».

On pourrait aussi parler des atteintes croissantes à la liberté de parole et de critique, qui font qu’il devient de plus en plus risqué aujourd’hui d’aborder certains sujets jugés sensibles. Il n’y a pas encore à l’heure actuelle en Suisse de loi Avia, mais il est évident qu’un jour ou l’autre il y en aura une, car on voit mal la Suisse ne pas s’aligner sur ce qui se fait ailleurs en ce domaine. Ce ne sera au reste pas très compliqué. Il suffira de compléter l’article 261 bis du Code pénal, par simple adjonction d’un ou deux alinéas, comme cela vient de se faire pour la pénalisation de l’homophobie. Il faut en tenir compte quand on dit que la liberté d’expression est aujourd’hui mieux garantie en Suisse qu’en France. C’est certainement vrai en soi, mais encore une fois, c’est le mouvement d’ensemble qui compte.

Et ainsi de suite. En France toujours, un décret du 20 février dernier légalise le fichage généralisé des individus, au travers d’une nouvelle application numérique dénommée GendNotes. Les gendarmes sont encouragés désormais à collecter des données à caractère personnel (y compris celles relatives aux opinions philosophiques et politiques). Ils l’ont naturellement toujours fait dans le passé, mais c’est maintenant légalisé. On peut bien, si l’on y tient, parler ici de «dérive autoritaire», mais chacun admettra qu’il s’agit de tout autre chose. On assiste en fait à la mise en place d’un régime de type orwellien inaugurant une nouvelle espèce de totalitarisme. La généralisation à tous les coins de rue de la reconnaissance faciale s’inscrit également dans ce contexte.

Insistons au passage sur le fait qu’avec l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), les choses se font en quelque sorte toutes seules. C’est une opportunité qui s’offre à l’État, et celui-ci, tout naturellement, en profite.

L’humain rapetissé

On est dès lors amené à se poser cette question: comment se fait-il que personne ne réagisse? En fait, ne se révolte? Car, effectivement, les gens ne révoltent pas. On pourrait dire que la non-révolte est chose normale: plus normale, en tout cas, que la révolte. On ne se révolte qu’exceptionnellement. Les gens ne se rendent pas non plus toujours compte à quels risques ils s’exposent en ne se révoltant pas. Ou quand ils s’en rendent compte, il est déjà trop tard. Ils cèdent également volontiers à la peur. Etc. Tout cela étant admis, on n’en reste pas moins surpris de la passivité et de l’absence de réaction des citoyens. Ils donnent l’impression d’être comme tétanisés. Il y a certes eu l’épisode des Gilets jaunes. Mais leurs revendications étaient d’ordre surtout économique.

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C’est un sujet complexe, on ne va bien sûr pas ici en faire le tour, juste développer une ou deux remarques. On s’inspirera ici du dernier livre d’Emmanuel Todd, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle (2), qui aborde le problème sous l’angle anthropologique. Prenant le contre-pied d’une thématique aujourd’hui ressassée, celle de «l’homme augmenté», Todd dit que l’homme contemporain est au contraire extrêmement «diminué». L’individu n’est pas devenu aujourd’hui «plus grand», comme on le prétend parfois, mais au contraire «plus petit». Todd se réfère à certains travaux récents sur la dépression et la fatigue mentale des individus à notre époque. Il insiste également sur le fait que les dernières décennies ont été marquées par un double effondrement religieux et moral, double effondrement qui n’est évidemment pas resté sans effet sur la psyché individuelle. L’ancienne religion s’est effondrée, et avec elle l’ensemble des croyances et points de repère qui contribuaient jusqu’à une date encore récente à «encadrer» l’individu et par là même à le renforcer, à lui donner confiance en lui-même: on pense en particulier au cadre national. L’individu est aujourd’hui très largement abandonné à lui-même. Et donc, tout naturellement, tend à «s’affaisser», à se rapetisser.

C’est un début de réponse. La fatigue, en elle-même, n’est pas nécessairement incompatible avec la révolte, il y a des gens fatigués qui pourtant se révoltent. Mais ce n’est pas le cas le plus fréquent. Ce que la fatigue nourrit plutôt, c’est le renoncement, la passivité. Mais on pourrait dire autre chose encore. Qu’ils soient ou non fatigués, les gens, en règle générale, se révoltent quand ils ont faim. Encore une fois, il faut citer les Gilets jaunes. Or être privé de liberté, ce n’est pas exactement mourir de faim. La liberté n’est pas un bien matériel, mais immatériel. On croise ici Dostoïevski et sa légende du Grand Inquisiteur. Le Christ dit au Grand inquisiteur: l’homme ne vit pas seulement de pain. Soit, mais la plupart de nos contemporains sont aujourd’hui sincèrement convaincus du contraire: l’homme ne vit que de pain. Pourquoi dès lors le fait d’être privé de liberté les conduiraient-il à se révolter?

On retrouve ici l’effondrement religieux. Avec raison, Emmanuel Todd, met la fatigue en lien avec l’effondrement religieux. L’effondrement religieux conduit à la fatigue, qui elle-même conduit à la non-révolte. Sauf que ce passage par la fatigue n’est que facultatif. La non-révolte se laisse aussi penser comme un produit direct de l’effondrement religieux.

Eric Werner (Antipresse n°226, 29 mars 2020)

Notes :
  1. 1) Voir Slobodan Despot: « L’affaire Simon Brandt, un “signal faible” — mais assourdissant! », Antipresse 219 | 09/02/2020.

  2. 2) Seuil, 2020. Cf. en particulier le chapitre V (pp. 127-153).

mardi, 12 novembre 2019

Etude des systèmes nationaux subsidiaires

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Etude des systèmes nationaux subsidiaires: le cas de la Russie

par Eugène Guyenne

Ex: http://thomasferrier.hautetfort.com

Concentrons-nous sur le cas de la Russie.

Cas intéressant comme nous l’avons dit puisque tant sur le plan ethnique qu’institutionnel et historique, la Russie ou « Fédération de Russie » est le plus vaste espace territorial au monde.

La Russie post-soviétique, celle qui existe depuis bientôt près de trente ans, a dû composer pour son équilibre avec un système fédéral.

Avec des « Etats », entités gouvernementales (républiques autonomes), qui représentent leur propre peuple. Des ethno-états donc, unis dans un État.

D’autres parts, des États qui tiennent une légitimité historique et politique en Russie, dénommés oblasts.

Et d’autres, plus récents, russes sur le plan ethnoculturel, dénommés kraïs.

Tout d’abord, pour les États historico-culturels, nous avons outre la Moscovie (qui servit de base comme siège du pouvoir central unitaire russe, de Ivan IV à aujourd’hui), le Novgorod, autrefois célèbre république aristocratique médiévale (1136/1478) qu'a construit le célèbre prince (862/879) païen Riourik, fondateur de la dynastie des Riourikides.

Notons aussi les principautés de Riazan (1097/1521), Vladimir-Souzdal (1168/1389), Iaroslavl (1218/1463), Tver (1247/1485) ou encore la République aristocratique de Pskov (XIIIe/XVIe), où chacune d’entre elles ont retrouvé leur entité dans la Russie contemporaine, sous forme d’oblasts, depuis 1935 (pour Tver), 1936 (pour Novgorod et Iaroslavl), 1937 (pour Riazan) et 1944 (pour Pskov et Vladimir).

Donc les États historiques sont nommés aujourd’hui « oblasts ».

Pour leur accorder un statut particulier, les « ethno-états », on utilise le concept de république autonome.

Comme il serait long d’énumérer tous les ethno-Etats autochtones de Russie, il en sera énuméré une petite partie seulement pour en faire comprendre l’idée générale.

Parmi les ethno-états mongols, il y a la Bouriatie (république autonome depuis 1932), qui représente les Bouriates et la Kalmoukie (république autonome depuis 1957), représentant les Kalmouks.

Parmi les ethno-états turciques, il y a le Tatarstan (république autonome depuis 1920), représentant les Tatars, le Daghestan (depuis 1921), qui représente les Daghestanais et la Bachkirie (depuis 1919, 100 ans donc), pour les Bachkirs.

Parmi les ethno-états caucasiens, il y a l’Ingouchie (république autonome depuis 1992) pour les Ingouches et l’Adyguée (ou Tcherkessie, république autonome depuis 1922) qui représente les Tcherkesses.

Pour la particularité ouralienne, il y a l’Oudmourtie (depuis 1920) représentant les Oudmourtes.

Pour aller plus loin, la Nénétsie par exemple n’est pas une république autonome mais un « district autonome » (depuis 1929), représentant les Nénets, peuple autochtone ouralien, rattachée à l’oblast d’Arkhangelsk.

Deux autres régions frontalières historiquement ont été divisées et rattachées directement à la Russie, comme l’Ossétie du Nord (depuis 1924 et qui ne doit pas être confondue avec l’autre partie où l’Ossétie du Sud avait fait sécession de la Géorgie en 1992), qui représente les Ossètes, peuple indo-iranien (donc indo-européen), ainsi que la Carélie, a cheval avec la Finlande où la partie orientale est russe (depuis 1956) et qui représente les Caréliens, peuple ouralien (finno-ougrien).

Mais également il y a des États qui sont la fusion (superficielle) de deux entités différentes présentes dans le Caucase.

Comme la Kabardino-Balkarie (république autonome depuis 1936), regroupant les Kabardes (caucasiens) et les Balkars (turciques).

Et comme la Karatchaïévo-Tcherkessie (république autonome depuis 1957), regroupant les Karatchaïs (turciques) et Tcherkesses/Adyguéens (caucasiens).

Malgré cette disparité pluriethnique, ces « États dans l’État » sont affiliés à l’État russe, où outre la langue subsidiaire, la langue unitaire et officielle, le russe donc, est imposée, et d’autre part au « président fédéral », affilié au parti gouvernemental « Russie Unie » depuis 2000.

Eugène Guyenne (Le Parti des Européens)

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Etude des systèmes nationaux subsidiaires: le cas de la Suisse

Passons maintenant au cas de l’équilibre subsidiarité/unité qu'a trouvé un autre État européen, modèle aux yeux de beaucoup, la Suisse.

La Suisse est l’Etat européen idéal tant sur le plan démocratique qu’institutionnel (subsidiaire).

Et il y a une part de vérité tant la « diversité » indo-européenne existe à travers ses régions historiques (Romandie, Alémanie, Suisse italienne) qui ont déterminé la place de ses langues officielles sur l’ensemble du territoire et par l’histoire commune, où les différentes expressions de celle-ci dans les cantons n'ont pas été un facteur de division et où chacun, à partir de 1291, a pu rejoindre librement la Confédération, souvent suite aux « guerres d’indépendance » que la Suisse a menées, et aussi à travers les évènements du XIXe siècle (révolutions de 1789, 1848) et ce malgré le différent religieux et culturel.

L’Histoire de la Suisse est intimement liée à l’histoire de ses cantons.

L’Histoire « nationale » jacobine est alors quasi inexistante si ce n’est lors de la période napoléonienne, ce qui était contextuel, propre aux peuples européens tentant de ne faire qu'un, avec l’influence de la Révolution française de 1789, mêlant aspirations nationales et libérales (démocratiques) inspirant le courant du romantisme.

Pour le côté historique, il est quelque peu anachronique de parler de « Suisse » avant 1291 (date de l’unification de 3 cantons qui avaient fait sécession de l’Alémanie, dont on peut considérer en ce sens sur le même plan que la Suisse est à l’Alémanie ce que l’Autriche est à la Bavière) puisque vivaient divers peuples, que ce soit soit les Rhètes (habitant la région romaine de Rhétie dont une partie se situait dans l’actuel canton des Grisons), les Burgondes et les Alamans (qui étaient venus au Ve siècle).

Et après la mort de Charlemagne, le Traité de Verdun (843) a divisé l’Europe occidentale en trois parties dont la Suisse faisait partie de la Francie médiane (Lotharingie), propriété de Lothaire Ier.

En 1291, les cantons de Schwyz, Uri et Unterwald font sécession de l’Alémanie pour s’unir et créer une confédération et réitèrent ensuite leur unité (en 1315) par le Pacte de Brunnen après la bataille gagnée à Morgarten (contre le duché autrichien).

En 1332, la Confédération connait son premier élargissement, à cinq cantons de plus dont quatre germaniques (Lucerne, Zurich, Glaris, Zoug) et un « latin » (Berne).

En parallèle, la Confédération (de 1450 à 1799) vit l’existence d’un État à part, composé de trois ligues (Ligue Grise, Ligue des Dix-Juridictions, Ligue de la Maison-Dieu).

La bataille gagnée à Grandson (1476) contre le duché bourguignon permit d’autres élargissements et les cantons de Fribourg et Soleure (1481) et Schaffhouse (1501) se joindront eux aussi à la Confédération.

La première division, « guerre civile » intervenait lors des Guerres de Kappel (1529/1531) entre les cantons catholiques et les cantons protestants.

La deuxième division arrivera au moment de l’époque napoléonienne, avec une éphémère « république nationale » helvétique (1798/1803) où d’autres cantons se joindront pour reformer la Confédération après l’Acte de Méditation, avec des territoires germaniques (Argovie, Saint-Gall, Thurgovie), romanche (Vaud), italophone (le Tessin) et un diversifié (le canton des Grisons).

A la veille du Congrès de Vienne, d’autres territoires francophones se joindront come Genève, Neuchâtel et le Valais.

Puis à la veille de la « contagion révolutionnaire », contre les volontés jacobines de la Confédération, les cantons catholiques conservateurs (Lucerne, Fribourg, Valais, Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug) vont créer la ligue (sécessionniste) du Sonderbund (1845/1847), allant même engager une guerre qu’ils perdront.

Politiquement, dans les plus hautes instances institutionnelles, la Suisse, dispose :

De conseillers fédéraux (de l’ordre de 7), d’un président de la Confédération (élu par l’Assemblée fédérale, composée du Conseil national et du Conseil des États, mandaté pour 1 an), d’un vice-président et d’un chancelier.

Eugène GUYENNE (Le Parti des Européens)

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Etude des systèmes nationaux subsidiaires: le cas de la Belgique

Si durant l’Antiquité, la notion de « belge » renvoyait à une partie des gaulois, il aura fallu attendre l’époque contemporaine seulement (1830) pour disposer d'une entité subsidiaire (et indépendante) belge, reflet de son identité (or qu’est-ce que l’identité belge ? », la question se pose éternellement).

Face à ce genre de problématique, elle a depuis 1980 adopté un modèle subsidiaire « fédéral », en institutionnalisant 3 régions : la région de Bruxelles-Capitale, la région wallonne et la région flamande.

Si les principales questions sont réglées à Bruxelles, chacun possède son lot de pouvoir.

Avec un « gouvernement régional » (gouvernement wallon, gouvernement flamand) qui est le siège du pouvoir exécutif de leur région, composé de 8 ministres (sauf à Bruxelles-Capitale : 4 ministres dont 2 francophones et 2 néerlandophones) et d’un « ministre-président » pour chacun, avec un Parlement unicaméral, où Liesbeth Homans (N-VA, Flandre), Jean-Claude Marcourt (PS, Wallonie) et Rachid Madrane (PS, Bruxelles-Capitale) en sont respectivement les présidents.

Étant donné qu’il existe aussi une communauté germanophone, elle possède aussi une existence politique là où elle est, en Wallonie, avec un « Gouvernement de la Communauté germanophone de Belgique », élu par le « Parlement de la Communauté germanophone de Belgique », présidé actuellement par le socialiste Karl-Heinz Lambertz.

Et grâce à la Constitution belge (article 139) il est possible à cette dernière d’exercer politiquement certaines compétences régionales en Wallonie (comme dans le patrimoine, l’emploi et la tutelle sur les communes, fonds des communes, mais pas pour l’emploi des langues dans l’administration).

Ce qu’elle a pu mettre en œuvre déjà à trois reprises.

Cette approche institutionnelle de la subsidiarité correspond beaucoup plus à la réalité historico-politique et humaine de la Belgique, tant les identités (culturelles, linguistiques, religieuses) y sont fortes.

Eugène GUYENNE (Le Parti des Européens)

mardi, 20 août 2019

Le citoyen-soldat, le seul système d'arme apte à restaurer la cité...

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Le citoyen-soldat, le seul système d'arme apte à restaurer la cité...
 
Entretien avec Bernard Wicht
Ex: http://metapoinfos.hautetfort.com

Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Bernard Wicht à l'Académie de géopolitique de Paris dans lequel il évoque l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique et le rôle du citoyen-soldat. Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013), L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015), Citoyen-soldat 2.0 (Astrée, 2017) et Les loups et l'agneau-citoyen - Gangs militarisés, État policier et citoyens désarmés (Astrée, 2019).

L’entretien de Géostratégiques : Bernard Wicht

citsollivre3.jpgQuestion : Pourriez-vous nous expliquer pourquoi votre démarche de stratégie prospective se place le plus souvent au niveau des problématiques fondamentales de l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique, et la question récurrente dans vos analyses du citoyen-soldat ?

Bernard Wicht : Au plus tard avec les travaux de Clausewitz, la stratégie moderne a opéré une distinction stricte entre armée / gouvernement / population. Cette dernière est alors complètement passive ; elle n’est plus un sujet mais seulement objet de protection. Cette distinction trinitaire fonctionne tant que l’Etat-nation demeure la forme d’organisation politique la plus appropriée pour faire la guerre, c’est-à-dire pour combattre un autre Etat, un ennemi extérieur commun au moyen d’armées régulières. Cette réalité est codifiée par la formule clausewitzienne, « la guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens ». En d’autres termes, la guerre est alors un acte politique à la disposition exclusive de l’Etat. Ce dernier est désormais pacifié à l’intérieur, toute forme de justice privée est bannie et le crime est poursuivi par la police et la justice – l’ennemi est à l’extérieur et le criminel à l’intérieur.  Mais une telle situation est aujourd’hui caduque : avec l’effondrement des nations européennes au cours de la tragédie Verdun-Auschwitz-Hiroshima et, ensuite à partir de 1945, avec le développement exponentiel de la guérilla, des guerres révolutionnaires et des mouvements de libération populaire, le peuple maoïste ou marxiste-léniniste fait son grand retour comme acteur central de la stratégie. Il importe dorénavant de l’encadrer, de lui montrer la voie de sa libération, de lui expliquer les raisons de son combat et de lui fournir le récit idéologique correspondant. Il serait faux de croire que la chute du Mur de Berlin, puis l’implosion du bloc soviétique ont mis fin à ce tournant « populaire » de la stratégie et que celle-ci peut revenir « tranquillement » au modèle clausewitzien de la guerre comme acte étatique au moyen d’armées professionnelles, voire de mercenaires (contractors, sociétés militaires privées). Daech et ses épigones, les gangs latino-américains et les milices ethniques de tout poil en ont fait malheureusement la « brillante » démonstration aux yeux du monde entier : les techniques maoïstes ou marxistes-léninistes de prises en main des populations se sont franchisées (au sens du franchising commercial), elles se sont dégagées du message révolutionnaire, elles sont au service du djihad ou tout simplement d’un contrôle des populations (des favelas, des bidons-villes, des banlieues) par la terreur. On a pu penser un temps que tout ceci ne concernait que le « Sud », que les sociétés n’ayant pas le niveau de modernisation des pays occidentaux. Avec les attentats, les fusillades et les tueries en France, au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne et ailleurs, il a fallu déchanter. Cette réalité a désormais franchi la Méditerranée ; elle est désormais présente chez nous en Europe occidentale, dans les banlieues des grandes métropoles et c’est la principale menace qui pèse aujourd’hui sur nous …. et sur nos enfants – l’ennemi est à l’intérieur !

Après cette longue entrée en matière, je peux répondre assez simplement à votre question en disant que le paradigme clausewitzien n’est absolument plus pertinent et qu’il est impératif d’en trouver un autre remettant au centre de la réflexion stratégique l’interface armée/cité. C’est pourquoi j’insiste tant sur l’articulation entre puissance militaire et légitimité politique et, surtout, sur ce système d’arme qu’est le citoyen-soldat parce qu’il est un acteur politique et militaire incontournable, le seul et unique apte à restaurer la cité. On le retrouve chez des auteurs aussi différents que Machiavel, Locke, Rousseau, Mirabeau ou Jean Jaurès. En ce qui me concerne, je suis plutôt machiavélien : la res publica, la liberté comme droit de participer à la gestion des affaires de la cité et le peuple en armes. Je suis convaincu que le paradigme machiavélien peut nous apporter des outils de raisonnement décisifs dans le contexte actuel. N’oublions pas que le Chancelier florentin vit une période assez semblable à la nôtre avec la lutte entre factions rivales au sein de la cité, l’importance des intérêts privés au détriment du bien commun et une importante fracture sociale entre citadins riches et paysans pauvres.

Question : Comment expliquez-vous la difficulté pour les Etats européens de canaliser par la motivation et la mobilisation, le capital guerrier des jeunes générations ?

Bernard Wicht : L’Etat-nation est en panne de cause. Le récit national est clôt ; il n’est plus en mesure de fournir les repères nécessaires pour se projeter « en avant » et, surtout, il n’est plus adapté pour opérer la distinction ami/ennemi. L’Etat ne parvient donc plus à mobiliser les énergies autour d’un projet commun. Par ailleurs, l’économiste italien Giovanni Arrighi le dit clairement : « L’Etat moderne est prisonnier des recettes qui ont fait son succès », c’est-à-dire l’Etat-providence. Mais, il ne s’agit plus de l’Etat providence au sens bismarckien, garantissant à chacun sa place dans la pyramide sociale sur le modèle des armées nationales. La révolution de 1968, les crises économiques des années 1970, la disparition de l’ennemi soviétique et la globalisation financière ont complètement ébranlé cette pyramide. Aujourd’hui, l’Etat-providence ne parvient plus à garantir « à chacun sa place » ; il n’est plus qu’un distributeur d’aides et de subventions cherchant à maintenir un semblant de stabilité sociale. Tout ceci explique que le capital guerrier des jeunes générations ne s’investit plus dans les institutions étatiques (l’armée notamment). L’historien britannique John Keegan en faisait le constat dès le début des années 1980. De nos jours, le capital guerrier des jeunes a plutôt tendance à migrer vers des activités et des groupes marginaux, là où ils retrouvent un code de valeurs, une forte discipline, la fidélité à un chef et d’autres éléments similaires de socialisation. Le phénomène de radicalisation et de départ pour le djihad en est une illustration particulièrement frappante.

Question : Pourquoi l’organisation militaire actuelle des Etats est de moins en moins adaptée à la nouvelle donne stratégique ? Et pourquoi affirmez-vous que l’émergence de nouvelles forces sociales est une rupture civilisationnelle ?

Bernard Wicht : Les différents groupes armés qui s’affirment depuis la fin du XXème siècle, représentent un modèle d’organisation politico-militaire en adéquation parfaite avec la mondialisation parce qu’ils savent 1) se brancher sur la finance globale (en particulier le trafic de drogue), 2) s’adapter à la révolution de l’information en diffusant un récit et une mobilisation des énergies via internet et les médias sociaux, 3) se déplacer furtivement en se fondant dans les flux migratoires. Face à cela, les armées régulières apparaissent comme des dinosaures d’un autre temps : elles sont incapables de fonctionner sans infrastructures lourdes (bases, aéroports, etc.), leurs chaînes de commandement sont à la fois lourdes et excessivement centralisées. Elles n’ont aucune liberté d’action au niveau stratégique. En revanche, les groupes armés bénéficient d’une flexibilité remarquable leur permettant d’agir aussi bien de manière criminelle que politique : c’est ce qu’on appelle l’hybridation de la guerre. Ainsi, un groupe armé subissant des revers sur le champ de bataille conventionnel est capable de basculer très rapidement dans la clandestinité pour entreprendre des actions terroristes. Il ne s’agit pas là d’un simple avantage tactique ou technique, mais d’une mutation en termes structurels. En effet, la formation de ces nouvelles formes d’organisation politico-militaire que sont les groupes armés, relève d’une dynamique d’ensemble à contre-pied de la mondialisation libérale : c’est la réponse-réaction des sociétés non-occidentales qui n’ont pas réussi à accrocher le train de la mondialisation – là où les structures étatiques se sont affaissées (les Etats faillis) – et qui, par réflexe darwinien de conservation, se sont retournées vers des modes d’organisation politique simplifiés et pré-étatiques aussi rustiques que la chefferie et l’appartenance à une forme de « clan » assurant protection. Cette dynamique n’est donc ni irrationnelle, ni passagère ; elle révèle une mutation de l’ordre mondial, une vague de fond. Forgés ainsi à l’aune de la survie, ces groupes armés sont les nouvelles machines de guerre à l’ère de la mondialisation, au même titre que la chevalerie a façonné le Moyen Age et que les armées révolutionnaires françaises ont façonné l’écitsollivre2.jpgpoque moderne. C’est pourquoi il est possible de parler de rupture civilisationnelle. En outre, ces nouvelles machines de guerre ne représentent pas qu’une adaptation réussie de l’outil militaire aux conditions de la mondialisation. Elles s’inscrivent dans une dialectique empire/barbares traduisant la résistance à l’ordre global.

Question : Pourquoi pensez-vous que la nouvelle forme de conflit n’est plus celle du choc classique de puissance mais bien une longue suite de conflits de basse intensité conduisant à l’effondrement progressif des sociétés européennes ?

Bernard Wicht : Selon les théories du système-monde proposées par Immanuel Wallerstein et d’autres auteurs à sa suite, les successions hégémoniques d’une grande puissance à une autre sont généralement le fruit de ce qu’ils appellent « une grande guerre systémique ». Typiquement, les guerres de la Révolution et les guerres napoléoniennes accouchent de l’hégémonie anglaise qui se maintiendra jusqu’en 1914. De même, la Première- et la Deuxième Guerre mondiale accouchent de l’hégémonie étatsunienne. Ceci présuppose cependant que le système international soit dominé par plusieurs grandes puissances en concurrence les unes avec les autres. Une telle situation disparaît au plus tard avec la désintégration du bloc soviétique. Et, si aujourd’hui la super-puissance américaine est en déclin, il n’y a aucun challenger digne de ce nom capable de disputer l’hégémonie mondiale et, par conséquent, susceptible de déclencher une guerre systémique de succession hégémonique comme l’Allemagne l’a fait en 1914. De nos jours en effet, la Chine est économiquement très dynamique, mais elle reste un nain en termes financiers et son outil militaire n’est en rien comparable à celui des Etats-Unis. C’est pourquoi, dans ces circonstances, certains historiens de la longue durée émettent l’hypothèse que la prochaine grande guerre systémique pourrait être, en fait, une longue suite de conflits de basse intensité (guérilla, terrorisme épidémique, guerres hybrides, etc.). Or cette hypothèse me paraît particulièrement plausible compte tenu de la réalité actuelle de la guerre. A titre d’exemple, depuis la guerre civile libanaise (1975-1990) le Proche- et Moyen-Orient s’est peu à peu complètement reconfiguré sous l’effet de ce type de conflits : d’anciennes puissances militaires (Syrie, Irak, Lybie) sont en pleine déconstruction tandis que de nouveaux acteurs locaux-globaux (Hezbollah, Hamas) s’affirment avec succès dans la durée ; longtemps acteur stratégique central de cette région, Israël est aujourd’hui totalement sur la défensive. A moyen terme, l’Europe risque fort de subir le même sort. Car j’interprète les actes terroristes intervenus à partir de 2015 comme des signes avant-coureur d’un phénomène semblable ; la dynamique enclenchée au sud de la Méditerranée a atteint dorénavant sa masse critique. Pour reprendre une comparaison tirée de la médecine, la tumeur cancéreuse moyen-orientale commence à diffuser ses métastases. C’est la vague de fond, la mutation à laquelle je faisais référence précédemment.

Question : Qu’est-ce que la « guerre civile moléculaire » ?

Bernard Wicht : Pour tenter de conceptualiser la menace susmentionnée à l’échelle de l’Europe, nous avons utilisé la notion de « guerre civile moléculaire » empruntée à l’essayiste allemand Hans-Magnus Enzensberger. Il me semble qu’elle est bien adaptée pour décrire la forme de violence qui touche nos sociétés, à savoir au niveau de la vie quotidienne (sur les terrasses, dans des salles de spectacle, dans des trains), en plein cœur de la foule, employée par des individus seuls ou par de très petits groupes (des fratries dans plusieurs cas) à la fois complètement atomisés dans- et en complète rupture avec le corps social : d’où la pertinence de cette notion mettant en évidence, d’une part, la dimension civile de cette nouvelle forme de guerre et, d’autre part, l’échelle moléculaire à laquelle elle se déroule. Ceci permet également de re-positionner l’équilibre de la terreur. Ce dernier se place désormais non plus au niveau étatique (équilibre militaro-nucléaire), mais à celui immédiat du citoyen qui est devenu tant la cible que l’acteur de cet affrontement. Autrement dit, le couteau, la hache ou le pistolet remplacent l’arme atomique comme outil de dissuasion : d’où l’urgence de repenser le citoyen-soldat dans ce contexte, non plus comme conscrit, mais comme système d’arme à part entière, comme la nouvelle unité militaire de la société. En ce sens, la diffusion du port d’armes et l’échelle du citoyen armé ayant une existence politique et étant acteur stratégique, redeviennent pertinentes face à la nouvelle menace C’est ce que nous nous sommes efforcés d’expliquer dans ce petit ouvrage.

Question : Du constat terrible que vous faites de la situation des sociétés européennes, ne devrions-nous pas en tirer la conclusion de la nécessité du « tout sécuritaire » ?

Bernard Wicht : Selon la doctrine classique de l’Antiquité grecque, seul l’hoplite peut restaurer la cité, c’est-à-dire dans notre cas le citoyen-soldat. Comme je l’ai dit plus haut, c’est lui le système d’arme, c’est lui le dépositaire des valeurs civiques de la communauté politique. Aujourd’hui malheureusement, l’Europe prend exactement le chemin inverse ; on assiste à une dérive pénal-carcéral de l’Etat moderne dont la principale préoccupation est précisément le désarmement de ses propres citoyens (voir la nouvelle Directive européenne à ce sujet, élaborée rappelons-le à la demande expresse de la France suite aux attentats de 2015). C’est une réaction typique, mais aussi une grossière erreur que l’on retrouve presque systématiquement lorsque l’Etat se sent menacé de l’intérieur. Plutôt que de chercher l’appui de ses concitoyens, celui-ci se centralise au point de devenir un Etat policier qui finit par s’aliéner toute la population précipitant ainsi, à terme, son propre effondrement. Le spécialiste australien de la contre-guérilla et du contre-terrorisme David Kilcullen qui a fait ses classes sur le terrain au Timor oriental puis en Irak, souligne dans un de ses derniers livres que l’Etat voulant absolument éradiquer le terrorisme, va obligatoirement détruire l’essence même de sa substance, à savoir la société civile et la démocratie. C’est aussi l’analyse que fait le politologue israélien Gil Merom dans son ouvrage, How Democracies Lose Small Wars. Signalons que l’historien français Emmanuel Todd n’est pas très éloigné de telles considérations dans son étude intitulée, Après la démocratie.

Question : Votre ouvrage ne réduit-il pas exagérément le rôle de la relation politique dans la Cité ?

Bernard Wicht : Permettez-moi une réponse que vous jugerez sans doute iconoclaste. Hormis les utopies pacifistes du type flower power considérant chaque individu comme un « petit flocon unique et merveilleux », toute forme d’organisation politique viable est généralement basée sur la relation protection contre rémunération. Hobbes est probablement le philosophe qui a le mieux décrit cette équation dans le cas de l’Etat moderne. Dans le Léviathan, il poursuit sa réflexion en rappelant toutefois que le droit à la légitime défense est un droit naturel de la personne humaine que celle-ci récupère immédiatement si l’Etat ne remplit plus son obligation de protection. Or c’est précisément la situation qui se met en place à l’heure actuelle. Le problème, à mon avis, est que le discours politique contemporain brouille complètement les cartes à ce propos : le citoyen n’est plus présenté que comme un contribuable, le peuple qui vote contre l’avis de sa classe politique est victime des sirènes du populisme, toute solution durable ne peut venir que du niveau supra-national et, last but not least, le défi sécuritaire posé par le terrorisme nécessite une limitation drastique des libertés. Répétées en boucle, ces affirmations créent un brouillard suffisamment dense pour laisser croire que la relation politique dans la cité est devenue si complexe, si délicate à gérer, que le citoyen n’est plus en mesure de la saisir et doit, par conséquent, se contenter de payer ses impôts.

Bernard Wicht (Académie de Géopolitique de Paris, 10 juillet 2018)

 

lundi, 03 juin 2019

L’illusion référendaire

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L’illusion référendaire

par Georges FELTIN-TRACOL

Ex: http://www.europemaxima.com

Depuis plus de six mois de contestation chaque samedi dans les rues et souvent sur les ronds-points, les « Gilets jaunes », par-delà leur sympathique spontanéité et leur hétérogénéité socio-politique, se retrouvent sur une même (et seule ?) revendication : le référendum d’initiative populaire ou « citoyenne ». Cette proposition serait bienvenue si elle s’appliquait en priorité aux problèmes communaux et départementaux, voire à la rigueur régionaux. L’usage de ce droit d’initiative implique en effet au préalable une réelle implication pour la chose publique ainsi qu’une véritable connaissance des enjeux grâce à une information impartiale. Ces conditions ne sont pas valables pour l’heure en France en raison de la psychologie collective statolâtrique des Français. Les « Gilets jaunes » considèrent néanmoins l’initiative référendaire comme la panacée alors qu’elle peut se révéler périlleuse. La votation suisse du 19 mai dernier le confirme amplement.

Avec une estimation de 2,3 millions d’armes, la Confédération helvétique se place au seizième rang mondial pour le nombre d’armes par habitant. Signataire des accords de Schengen et de Dublin, la Suisse a dû intégrer dans son droit fédéral une directive de l’Union dite européenne de lutte contre le terrorisme, d’interdiction des armes semi-automatique et pour le traçage des armes et de leurs composants. Principale formation hostile à l’UE, l’UDC – PPS (Union démocratique du Centre – Parti populaire suisse) et le groupe d’influence favorable aux armes ProTell ont jugé cette transposition liberticide, d’où la votation (ou référendum fédéral d’initiative populaire).

La participation est moins élevée que prévue (43,3 %). Le oui à la directive l’emporte largement à 63,73 %. Seul le Tessin la rejette à 54,5 %. Il s’agit d’une grande victoire pour le gouvernement fédéral, les partis de gauche et les pharisiens du désarmement civique. Certes, le citoyen suisse conservera le droit de détenir son arme de combat pour le service militaire. Il ne pourra plus en revanche la transmettre à son héritier ou la vendre. Les possesseurs d’armes seront en outre mieux identifiés et donc fichés. Un permis d’acquisition d’une arme semi-automatique (soit un chargeur de dix cartouches pour un pistolet ou de vingt pour un fusil) sera obligatoire. Le texte approuvé renforce enfin l’étroite collaboration des autorités helvétiques avec l’Union pseudo-européenne.

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Si ce projet de durcissement de la loi actuelle avait été rejeté, la Suisse aurait été contrainte de sortir des accords de Schengen et de Dublin bien que ces textes prévoient des exceptions que Berne aurait pu faire valoir. Par ailleurs liée en matière de défense à l’OTAN malgré la neutralité revendiquée, la Suisse appartient désormais de facto à une Union supposée européenne.

Il faut corréler la victoire du oui aux récentes déconvenues arrivées aux candidats de l’UDC – PPS dans plusieurs communes et cantons. Les nouveaux électeurs suisses semblent prêts à rejoindre à plus ou moins longue échéance l’UE et, pourquoi pas ?, l’Alliance Atlantique. Comment ? En usant à leur tour de l’initiative populaire référendaire ! Qu’elle soit représentative ou semi-directe, la démocratie moderne est en soi un mal majeur pour notre civilisation boréenne.

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 127, mise en ligne sur TV Libertés, le 27 mai 2019.

samedi, 16 mars 2019

Colloque de RESISTANCE HELVETIQUE Discours de Robert Steuckers

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Genève, 9 mars 2019 – Colloque de RESISTANCE HELVETIQUE

Discours de Robert Steuckers

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers amis et camarades,

L’Europe, le réveil ou la mort, tel est l’intitulé du colloque d’aujourd’hui. L’Europe est, politiquement parlant, en dormition. Et en dormition profonde, alors que de multiples dangers et menaces se développent et s’amplifient, dangers et menaces qui sont autant de défis.

Il y a le danger démographique, avec une chute vertigineuse des natalités et un remplacement de population à une échelle inouïe. Sur ce sujet, je ne vous apprends rien. Ce danger démographique est assorti d’un basculement dans la multiculturalité qui fait de toutes les sociétés ouest-européennes des sociétés composites donc fragiles et déstabilisées en permanence, ruinant le principe antique, et toujours valable, de la politique selon Aristote : une Cité est d’autant plus harmonieuse et efficace qu’elle est homogène, qu’elle est gérée comme une famille biologique, comme un vaste réseau ethnique, tissé par d’innombrables liens de cousinage. Voilà pour l’idéal aristotélicien. Dans la pratique, en revanche, nous assistons à l’installation de réseaux mafieux diasporiques, favorisés par les regroupements familiaux et par la dissémination subséquente de communautés bien soudées dans quelques grands pôles urbains répartis dans plusieurs pays européens : le monde politique belge est tombé des nues, au cours de ces dernières semaines, en découvrant les ramifications complexes d’un clan araméen-chaldéen de double nationalité, turque au départ, belge à l’arrivée. Ces ramifications partaient du trafic de cocaïne à la constitution d’agences immobilières et de l’implantation de réseaux de bistrots à la vente de passeports, à la location d’automobiles de luxe et à la corruption concussionnaire au sein de la politique politicienne, le tout avec la bénédiction du prêtre de la communauté qui, dans son presbytère, faisait dans le recel de marchandises illicites ou de papiers compromettants.

Ce n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres et, paradoxe de plus sur la place de Bruxelles, c’est la maison d’édition du parti néo-communiste qui dresse, dans un ouvrage copieux, le bilan historique complet des communautés qui se sont installées dans la capitale belge et européenne ; l’auteur clôture chaque chapitre en décrivant les types de criminalité qu’elles pratiquent chacune. Ce ne sont donc pas les populistes qui le disent mais ceux qui se proclament « antifa ». Nous sommes bel et bien face à l’imposture du vivre-ensemble car tout vivre-ensemble conduit inexorablement à juxtaposer, en une même agglomération urbaine de bonnes dimensions, des réseaux diasporiques d’économies parallèles, des formes nouvelles de criminalité, des trafics illicites et non pas à rassembler, toutes ethnies confondues, les amoureux de Victor Hugo dans les villes françaises ou de Goethe dans les villes allemandes.

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Il y a ensuite le danger du « figement politique », tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Sur le plan théorique, on nous prie, depuis plusieurs décennies, de vénérer un « patriotisme constitutionnel » qui fait fi de toutes les appartenances concrètes dont relevaient, dans les sociétés encore normales, les ressortissants d’un peuple, quel qu’il soit. Tout doit être gommé, effacé des mémoires, chez les autochtones comme chez les allochtones : les traditions, la culture, l’inné ethnique, l’acquis historique, les institutions nées des combats politiques pour ne laisser que des normes abstraites, posées comme immuables, et que l’on ne pourra enfreindre sans risquer les foudres des nouvelles inquisitions. En Allemagne, le politologue Hans Herbert von Arnim vient d’établir un bilan précis de la partitocratie allemande, soit le système qui a éloigné la sphère politicienne (car on ne peut plus parler de sphère politique !) des citoyens, créant une bulle parasitaire qui échappe à toutes les responsabilités réelles, combat tout challengeur potentiel, ruinant ainsi la mobilité démocratique inscrite dans les principes mêmes de toute bonne gouvernance, selon leur propre vulgate, s’entend. Le remède proposé par von Arnim est celui du référendum, que vous connaissez en Suisse pour le pratiquer à intervalles réguliers, et que réclament les Gilets Jaunes en France aujourd’hui. Nous voyons là se dessiner une convergence entre contestataires des désordres établis.

Le référendum a pour vertu politique principale de briser les routines que perpétuent les majorités ou les grandes coalitions qui, généralement, ne résolvent rien et laissent pourrir les problèmes. Le référendum permet de sauter au-delà des clivages gauche/droite ou majorité/opposition, au-delà des projets de lois concoctés par les tenants de diverses idéologies politiciennes, projets généralement loufoques et indécis que la « vox populi » peut alors jeter aux orties en toute légalité. Le résultat d’un référendum équivaut à une décision, à trancher sans tergiversations aucunes. Et, ainsi, à faire avancer la Cité dans un sens bien précis, dépourvu de toute ambigüité.

La partitocratie sans référendum conduit à l’absence de décisions claires en tous domaines. Les régimes qui s’y complaisent ne sont pas politiques mais impolitiques. Leur présence persistante dans la durée indique que la souveraineté n’est pas entre leurs mains mais entre celles d’un hegemon extérieur qui cherche, par ses propres décisions, à leur confisquer tout pouvoir réel sur la marche du monde ou à les plonger durablement dans le marasme.

Jurgen_Habermas.jpgLe danger du « patriotisme constitutionnel », théorisé par le grand gourou du système en Allemagne, Jürgen Habermas, est celui d’un état d’esprit qui vénère la norme, et rien que la norme, et évacue la force, et même et surtout la simple force des choses, écrit le politologue français d’origine libanaise Zaki Laïdi. En évacuant toute force et toute simple force des choses, le patriotisme constitutionnel, cher à Habermas et défendu avec jactance par Daniel Cohn-Bendit et Guy Verhofstadt, est un pur déni du réel, qui place l’Europe dans un état de faiblesse très inquiétant, tout en interdisant les remèdes, d’avance condamnés comme étant les expressions morbides du populisme, nouveau croquemitaine des intellocrates et des médiacrates, au service de la superclasse.

Il y a ensuite le danger américain, danger principal, qui est très divers dans ses manifestations mais dont je ne retiendrai que deux aspects particulièrement pernicieux aujourd’hui : 1) l’espionnage par satellites, patronné par la NSA, dénoncé naguère par Edward Snowden, et 2) l’usage offensif du droit pour torpiller l’élan de firmes étrangères, principalement européennes, à coups d’amendes pharamineuses et de sanctions vexatoires.

A la fin des années 1990, les révélations d’un journaliste écossais, Duncan Campbell, sur le système d’écoute ECHELON ont suscité quelques remous bien vite oubliés, alors que le rapport rédigé par les autorités de l’UE précisait bien que plusieurs entreprises de haute technologie en Europe, principalement en France et en Allemagne, avaient littéralement été pompées et que tout le fruit de leur R&D avait été exploité aux Etats-Unis puis largement commercialisé à un coût très bas puisqu’il n’y avait pas eu d’investissement. En 2013, les révélations du hacker Snowden, tout comme les fuites de Wikileaks diffusées par Assange, ont fait le buzz pendant quelques semaines avant que la pause estivale ne vienne recouvrir d’un pudique silence les rares voix qui s’étaient insurgées contre ces pratiques indignes d’un allié. D’un allié ? Non ! Les Etats-Unis n’ont plus d’alliés depuis la doctrine Clinton, élaborée pendant l’un des mandats de ce président démocrate. Face aux Etats-Unis, selon cette doctrine, il n’y a plus que des « alien audiences » pour lesquelles on ne doit pas entretenir trop de scrupules. Dont acte. L’UE et sa clique dirigeante n’ont pas bougé, n’ont pas élaboré une politique de défense des entreprises européennes. J’espère que l’histoire retiendra cette inactivité préjudiciable comme une haute trahison.

alilaidi-droit.jpgAprès le pompage des données sensibles de nos entreprises les plus performantes, qui se poursuit allègrement, sans rencontrer ni critiques ni résistances, une nouvelle arme a été sortie de la panoplie américaine : le droit. Depuis une dizaine d’années, depuis la crise de 2008, de grandes entreprises européennes subissent les foudres des procureurs du département de la Justice américaine et l’assaut des agences de régulations financières. Elles sont accusées de violer les embargos imposés à Cuba, à la Corée du Nord et surtout à l’Iran. Les amendes qu’on leur inflige montent à des millions voire des milliards de dollars. Tour à tour, Siemens, la banque ABN Amro, Technip, la BNP, Alstom, la Société Générale, etc. ont été dans le collimateur ; ces multinationales européennes figurent au top dix des plus lourdes sanctions imposées par Washington, en attendant d’être rejointes demain par Airbus ou de passer sous pavillon américain, écrit Ali Laïdi, chercheur auprès de l’IRIS et spécialiste des guerres économiques. Cette attaque systématique et continue contre nos entreprises est le résultat de la doctrine Clinton, car, depuis qu’elle a été énoncée, les Etats-Unis n’ont plus d’alliés mais se trouvent face à des « cibles étrangères » qu’il convient de viser et de frapper quand elles risquent de dépasser en ampleur leurs équivalentes américaines ou de développer des technologies supérieures à celles créées par leurs concurrentes d’Outre-Atlantique. Les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles à New York ont servi de prétexte, sous Bush II, pour planétariser des lois qui ne s’adressaient, jusqu’alors, qu’aux entreprises et aux citoyens américains. Les terroristes wahhabites ont bon dos : l’action terroriste spectaculaire qu’on leur attribue a permis de lancer une attaque systématique contre le véritable ennemi européen, dont il faut, par la coercition juridique, vassaliser les meilleures entreprises, surtout en Allemagne et en France.

La véritable guerre est là. L’ennemi numéro un de Washington, c’est l’Europe. Une Europe qui est tétanisée. En effet, au sein de l’UE, aucune majorité ne se dessine pour contrecarrer la législation extraterritoriale américaine. Les listes noires, établies à Washington, menacent les entreprises et leurs dirigeants de geler leurs avoirs aux Etats-Unis et de leur interdire toutes activités commerciales. L’Europe ne peut toutefois se passer du client iranien, le désordre établi dans ce pays depuis la fin des années 1970, par les agissements d’officines étrangères, ayant eu pour objectif stratégique de briser tous les tandems économico-industriels que le Shah d’Iran avait promu comme la coopération nucléaire avec la France et l’Allemagne, les importations d’acier wallon en Iran, etc. La création délibérée de l’Iran khomeyniste a servi à diaboliser le pays jusqu’à nos jours : l’objectif réel n’est donc pas de lutter contre un fondamentalisme islamique et chiite, que l’on a créé et soutenu dans un premier temps, mais de ruiner toute coopération irano-européenne ; d’ailleurs, comment ne pas s’apercevoir de la supercherie de cet anti-islamisme déployé contre Téhéran quand, par ailleurs, les mêmes services ont utilisé les fondamentalistes wahhabites pour lancer leurs guerres de basse intensité en Afghanistan, en Tchétchénie, au Daghestan, en Syrie et au Yémen ?

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Les fausses élites eurocratiques savent parfaitement que la politique anti-iranienne de Washington est en réalité une politique anti-européenne. Face à la virulence de l’offensive juridique, en cours depuis une bonne dizaine d’années, l’eurocratie vient timidement de contre-attaquer. En effet, le 25 septembre 2018, Federica Mogherini, cheffe de la diplomatie européenne, annonce, en pleine assemblée générale des Nations Unies, que l’Europe a trouvé une parade pour maintenir ses relations économiques avec l’Iran (Ali Laïdi, p. 309), en pratiquant une politique de transactions par troc ! Cette solution évite d’utiliser des devises donc le dollar, permettant ainsi d’échapper aux sanctions américaines. L’Iran échange son pétrole ou son gaz contre des produits finis, selon un modèle préconisé par la « diplomatie Goering » dans les années 1930, quand l’Allemagne achetait de la viande, des céréales et des légumes frais aux pays d’Europe centrale et orientale, en les troquant contre des machines ou des locomotives. Devant ce fait quasiment accompli, Mike Pompeo a promis de se venger. Et il le fera, à coup sûr, au risque de ruiner encore la réputation des Etats-Unis car, désormais, le rôle mondial du dollar est bel et bien sapé : tous s’en éloignent. Ali Laïdi rappelle quelques paroles étonnantes de Jean-Claude Juncker, tirées de son « Discours sur l’état de l’Union » de 2018 : « Il est aberrant que l’Europe règle 80% de sa facture d’importation d’énergie en dollars américains alors que 2% seulement de nos importations d’énergie nous proviennent des Etats-Unis. Il est aberrant que les compagnies européennes achètent des avions européens en dollars et non pas en euros ». Ces timides changements d’attitude et ces paroles qui sonnent enfin vrai ne sont que l’amorce d’un combat qui est loin d’être terminé. Un combat que Juncker et les siens ne mèneront évidemment pas et que nous devons, nous, préparer dès maintenant.

Examinons toutefois les contextes dans lesquels ce combat va se dérouler : celui de la dette abyssale des Etats-Unis et celui de l’abandon progressif du dollar par des puissances comme la Russie ou la Chine. Pour y voir clair, rien de tel que les analyses de la dissidence américaine, plus lucide et clairvoyante que les dissidences européennes, dont la nôtre, dans les domaines de la politique et de l’économie internationales. Barbara Boland, sur l’excellent site « The American Conservative », constate que le Congrès américain admet que la différence négative entre la dette et le PIB américain est aujourd’hui de 22.000 milliards de dollars. En 2000, cela faisait une différence de 33% ; en 2019, ils en sont à 78% ; en 2029, ce sera vraisemblablement 93%. Le déficit du budget fédéral américain est de 900 milliards de dollars/an aujourd’hui ; à partir de 2022, il sera de 1000 milliards de dollars par an. Ce qui est alarmant, comme partout dans la sphère occidentale, à laquelle nous ne nous identifions pas, c’est qu’aucun débat sérieux sur les dettes et leurs effets pernicieux n’anime plus les hémicycles parlementaires, y compris aux Etats-Unis où l’on discute du « Medicare » pour tous (soit !), du Mur de Trump et de sa justification morale ou, cerise sur le gâteau, du « Green New Deal » d’Alexandra Ocasio-Cortez ! Or, le déficit américain est essentiellement dû à l’hypertrophie impérialiste, aux immixtions incessantes commises dans des pays étrangers, hors de l’espace continental américain, où les budgets suivants ont été alloués l’an passé : 5,3 milliards pour Israël, l’Ukraine et la Jordanie ; 3,4 milliards pour les réfugiés fuyant les zones de combat (une augmentation de 74 millions par rapport à 2017) ; 4,4 milliards pour les catastrophes au niveau international ; 8,83 milliards pour les « Global Health Programs » ; 9 milliards pour la « Security Assistance ».

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Barbara Boland note que ce ne sont pas les démocrates qui sont responsables de l’explosion de cette dette pharamineuse. Sous Bush, la dette avait atteint 10.000 milliards de dollars ; avec Obama, elle culminait à 20.000 milliards. La spirale avait été amorcée par des Républicains, notamment par Reagan.

Cette dette énorme est le talon d’Achille des Etats-Unis qui ne font rien pour la juguler sous Trump. Chris Hedges, autre dissident américain, estime, quant à lui, que l’accroissement de la dette sous Trump fait perdre toute confiance en l’Amérique et induit les autres grandes puissances à abandonner le dollar, ce qui aura pour corollaire de démanteler graduellement et tacitement les alliances, tout comme les harcèlements judiciaires américains ont fait fléchir, en septembre dernier,  Juncker et Mogherini, auparavant féaux sujets de l’hegemon, incapables d’imaginer un monde où celui-ci aurait été autre qu’hégémonique. La dette a des effets désastreux sur la politique intérieure américaine, ajoute Chris Hedges, car elle entraîne une inflation difficilement maîtrisable qui ne permet plus de financer les forces armées, dont le budget est colossal, comme on le faisait auparavant. Chris Hedges annonce ainsi la fin d’une impérialité de triple facture, athénienne, romaine et britannique, athénienne parce qu’elle tablait sur des alliés fiables et fidélisés, romaine parce qu’elle dispersait ses légions à bon escient aux endroits les plus stratégiques, britannique parce qu’elle visait un « système omni-englobant » reposant sur la culture, le commerce et les alliances.

Pour Hedges, la fracture est née en 2003 quand Bush a refusé d’écouter ses « alliés » européens. Elle sera confortée plus tard quand les Etats-Unis rejetteront justement les accords avec l’Iran, en menaçant leurs « alliés » de rétorsions s’ils persistaient à respecter ces accords ou à passer outre les injonctions américaines. La Turquie, depuis lors, a partiellement abandonné le dollar, l’Europe refuse de céder sur le gaz russe amené par le gazoduc Nord Stream 2, la Russie a échangé un stock de 100 milliards de dollars pour des yuan chinois, des yens japonais et des euro, l’Allemagne a demandé le retrait de son or de la « Federal Reserve » (300 tonnes), suivi par les Pays-Bas (100 tonnes). La dette, la défiance générale par rapport au dollar, sonne le glas du bellicisme néo-conservateur, incarné aujourd’hui par une nouvelle génération de faucons comme Mike Pompeo, John Bolton et Elliott Abrams.

Hedges base son analyse sur les travaux d’un historien anglais, Ronald Robinson, qui a étudié les mécanismes qui ont entraîné la disparition progressive de l’impérialité britannique. Celle-ci s’est effilochée quand elle n’a plus trouvé de collaborateurs indigènes et que ceux-ci, notamment sous l’impulsion de Gandhi, se sont mis à poursuivre des programmes autonomes. Pour ce qui concerne l’actuelle impérialité américaine, la perte de confiance due à la dette entraîne la perte de confiance dans les bons du trésor américain, même auprès du gouverneur de la Banque d’Angleterre Mark Carney qui a déclaré : « Nous avons désormais des devises de réserve autres que le dollar ». Cette perte de confiance s’observe très nettement depuis 2004 déjà, où les banques se sont appliquées à conserver moins de dollars dans leurs réserves. La tendance s’est accentuée jusqu’en 2015 où moins de paiements en dollars ont été effectués dans les transactions commerciales internationales. D’où la cote des Etats-Unis sur le total du commerce mondial n’est plus que de 10%, alors qu’elle dépassait les 50% dans l’immédiat après-guerre et au moment de la Guerre de Corée.

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Si rien ne change, le période de 2020 à 2030 sera catastrophique pour l’hegemon : l’augmentation des prix aux Etats-Unis ruinera encore davantage la pauvre classe moyenne, ou ce qu’il en reste, car les salaires stagneront. Pour Hedges, le dollar cessera définitivement d’être une monnaie de réserve mondiale vers 2030, obligeant le Pentagone à retirer ses troupes de partout ; le tourisme américain ne sera plus possible ni finançable pour les particuliers ; le recul de la puissance sur terre entraînera un recul dans l’espace et dans le « cyberspace », ce dont je doute et j’y reviens, provoquant sur le territoire américain lui-même des conflits internes que Hedges ne définit pas mais que les tenants de la fameuse « alt-right » qualifieront de « raciaux », ce qui est l’hypothèse effectivement la plus plausible.

Pourquoi ai-je émis un doute quant au recul des Etats-Unis dans le domaine du « cyberspace » ? Pour énoncer cette objection, je prends appui sur un document rédigé par Jean-Claude Empereur, vice-président de la « Convention pour l’Indépendance de l’Europe », un document qui a été préalablement publié dans la « Revue Politique et Parlementaire », dans son numéro d’avril-septembre 2018. Pour Empereur, nous sommes aujourd’hui, à l’échelle planétaire, face au « piège de Thucydide ». L’historien grec antique Thucydide, auteur de « La guerre du Péloponnèse », avait émis un axiome de la pensée politique qui disait que les grandes guerres se déclenchaient quand une puissance dominante était défiée par une puissance émergente et que la puissance dominante ne sortait pas nécessairement victorieuse du conflit ou en sortait en perdant des plumes.

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Aujourd’hui, le « piège de Thucydide » s’observe dans la confrontation Chine/Etats-Unis, où la Chine est une puissance tellurique et les Etats-Unis, facteur nouveau dans l’histoire, une puissance numérique. La Chine est qualifiable de puissance tellurique parce qu’elle vise à organiser territorialement le continent en créant de nouvelles voies terrestres ou des voies maritimes littorales en Eurasie, qui rappellent les antiques « routes de la soie ». Elle veut dont multiplier les infrastructures physiques sur une vaste masse continentale. Tandis que les Etats-Unis, par leur savoir-faire de pointe, veulent parfaire une puissance basée sur le virtuel, sur le « Big Data ». Le défi chinois, face à l’hégémonie réelle et actuelle des Etats-Unis, se matérialise surtout dans la tentative de se tailler un créneau dans la sphère du numérique en tablant sur la 5G. Car tel est bien le défi majeur. Je laisse aux spécialistes le soin d’expliquer en quoi consiste matériellement ce bond en avant du numérique. Je me contenterai d’en évoquer les retombées politiques. L’affaire Huawei, qui secoue aujourd’hui les relations sino-américaines, est la première manche dans cette cyber-guerre que mènent les deux protagonistes. La 5G, pour les Chinois, doit permettre de créer la ville du futur, testée en Chine à Xiongan qui recevra ses premiers habitants en 2020. La gestion numérique de cette ville, de cette smart city, devra servir de modèle aux acheteurs potentiels du système ailleurs dans le monde ; Xiongan est située à quelque 100 km de Beijing et est reliée à la capitale par un train à lévitation magnétique se déplaçant à 200 km/h. Les Chinois avaient déjà mis beaucoup de choses remarquables en œuvre pour la gestion des villes du futur et des aéroports tentaculaires des prochaines décennies. Xiongan doit être le couronnement de ces recherches, ponctuées désormais par la maîtrise de la 5G. L’exportation de ce modèle de ville, à des coûts concurrentiels, pourrait rapporter à la Chine autant que la maîtrise du numérique a rapporté aux Etats-Unis. Godfree Roberts écrit à ce propos : « Les Etats-Unis considèrent Huawei comme étant ‘dangereuse pour la sécurité’ parce que Huawei protège la confidentialité des communications des usagers », installant ainsi un barrage assez efficace contre toute intrusion des réseaux d’espionnage. La NSA a pourtant réussi à pénétrer les serveurs de la société Huawei et ne doit guère craindre ce bouclier vanté par les Chinois pour séduire les acheteurs de leurs produits, déjà très nombreux en Europe. On le voit, la guerre est ouverte et ce que craint Trump, par-dessus tout, c’est que les Etats-Unis accusent prochainement un retard de dix ans sur la Chine, sur la 5G et les technologies associées. Pire : ils se rendent compte que les Allemands, moteurs de l’Europe, ne peuvent renoncer à Huawei sans risquer le suicide économique. Un tandem sino-européen pointe à l’horizon, dont la Russie ne serait pas exclue. Une dynamique eurasienne se dessine, cauchemar des thalassocraties anglaise hier et américaine aujourd’hui.

piege-americain_0_400_642.jpgLe sort des cadres chinois de Huawei, poursuivis par la « justice » américaine, laisse préfigurer le pire aux Européens qui transgresseraient les interdits formulés par le Deep State américain. Le récit que vient de nous livrer Frédéric Pierucci dans son livre intitulé « Le piège américain » est affolant : ce cadre d’Alstom a été emprisonné pendant de longs mois aux Etats-Unis pour faire chanter les dirigeants de l’entreprise française qui ont fini par la céder à un consortium américain, avec toute la complaisance de Macron.

L’Europe, elle, est marginalisée par rapport à cet enjeu planétaire car elle n’a parié ni sur les infrastructures terrestres ni sur des voies maritimes littorales ni sur le numérique. Elle s’est voulue une « puissance de la norme » sans la force, obsédée par l’institutionnel et le normatif, qui, pour tout lecteur de Carl Schmitt, sont du vent, de la logorrhée, des vœux pieux, du « wishful thinking ». Le normativisme est une idéologie qui privilégie exclusivement les formes figées n’autorisant pas l’affrontement aux événements neufs, comme la révolution numérique en cours ou, sur le plan des relations internationales, le passage de la bipolarité de Yalta à l’unipolarité américano-centrée des années 1990, et de celle-ci à la multipolarité des BRICS. Il est proprement impossible de développer une stratégie, dans quelque domaine que ce soit, quand on adopte le normativisme car celui-ci fige tout une fois pour toutes et considère que toute action ou toute décision qui sortirait du cadre de la norme serait ipso facto une dangereuse transgression, assimilable au mal absolu et historique qui aurait secoué l’Europe il y a quatre-vingt ou septante ans. L’Europe de la norme sans force (Zaki Laïdi) donc du politiquement correct s’interdit toute audace innovante au risque de plonger toute sa population dans une régression calamiteuse. Inutile de vous préciser qu’il est minuit moins cinq !

La puissance numérique américaine repose donc sur une maîtrise ancienne des technologies informatiques et numériques, sachant que, selon la loi de Moore, la puissance des ordinateurs double tous les dix-huit à vingt-quatre mois. Les Etats-Unis ont donc bénéficié du développement exponentiel de leurs acquis en ce domaine, permettant de vastes avancées dans l’automation ou, par exemple, dans la nanotechnologie sans oublier les drones qui donnent de considérables avantages aux armées sur le terrain. Le déploiement des atouts numériques en sciences et en médecine est évidemment un acquis indispensable à tous les peuples du monde mais c’est aussi, dans le domaine de l’information et des médias, la possibilité de démultiplier l’impact du « soft power » américain, dont on connait déjà la redoutable efficacité. Le numérique, ainsi, permet des manipulations médiatiques à l’échelle planétaire comme l’atteste, par exemple, la mobilisation tous azimuts pour le climat qui jette aujourd’hui nos enfants dans les rues chaque jeudi pour des happenings saugrenus qui permettent surtout de détourner l’attention des problèmes réels. Jean-Claude Empereur écrit : « La puissance algorithmique d’un Etat devient ainsi un élément majeur de son influence géopolitique », puissance algorithmique que les Etats-Unis utilisent pour obtenir leur « full spectrum dominance ». Le colbertisme américain fait que l’armée, la défense, soutient toutes les initiatives de la Silicon Valley et des autres géants américains du numérique. Les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Youtube, etc.) réinvestissent leurs profits colossaux HORS du numérique : dans les projets spatiaux, le transport, le nucléaire, si bien qu’au soft power, décrit jadis par Joseph Nye, s’ajoute désormais un « digital power », aux potentialités quasi infinies. C’est là qu’il ne faut pas partager à 100% le pronostic de Hedges qui voit un recul des Etats-Unis dans le cyberspace.

Le dôme numérique américain surplombe donc le monde aujourd’hui, aplatissant la Terre, effaçant, au besoin par la force, toutes les différences inscrites dans le sol de la Terre au bénéfice de tout ce qui est « hors sol », dans le « cloud » comme la thalassocratie de Roosevelt avait arasé les résistances des adversaires des Etats-Unis. Cet arasement, vendu hier comme une « libération », est vendu aujourd’hui comme l’avènement sans heurts « d’un vivre-ensemble mondialisé, ignorant les rapports de force et les conflits territoriaux », soit une « géopolitique numérique du tendre » (« soft/smooth numerical geopolitics »). L’Amérique, qui avait exprimé son messianisme conquérant par un langage agressif du temps de Teddy Roosevelt, par un langage presbytérien et hypocrite avec Wilson, vient d’inventer le « messianisme bienveillant », et numérisé, un messianisme thérapeutique, mais cette bienveillance, vous en conviendrez, n’est qu’un masque. Que les cerveaux hardis de notre Europe en dormition ont pour mission d’arracher.

cloudnum.jpgFace à cette puissance numérique du tout-virtuel, du Big Data, du « hors sol » et du « cloud », la Chine –et je le dis avec amertume parce que j’aurais voulu que ce fut notre Europe qui le fasse-  formule le projet intéressant des « routes de la soie », propose ainsi une organisation continentale, celle des géomètres romains, aurait dit Carl Schmitt, renoue avec la pensée du développement chez Friedrich List, entend vertébrer le monde plutôt que le fluidifier et le sublimer dans le « cloud ». Elle parie pour le temps long. Face à cette tâche qu’elle aurait dû suggérer et entreprendre elle-même, l’Europe, dit Empereur, « a souscrit béatement au grand récit de la mondialisation heureuse et de la fin de l’histoire », annoncée au début des années 1990 par Francis Fukuyama. En souscrivant à ces fables sans consistance, elle a évité ainsi la pensée du long terme, que Chinois, sur le plan tellurique, et Américains, sur le plan numérique, ont pourtant toujours eu en tête. Le présentisme obtus des Européens est une erreur fatale. Ce « présent idéal », mais figé, correspondait peut-être à des temps désormais révolus, ceux de la coexistence pacifique qui édulcorait la guerre froide, ceux des Trente Glorieuses qui se sont muées en Trente Piteuses, ou encore ceux de la perestroïka de Gorbatchev. Or le monde est redevenu « normal », c’est-à-dire multipolaire et conflictuel, précise Empereur. Voilà pourquoi un projet de refondation est impératif pour l’UE, aujourd’hui, alors que les peuples renâclent : les Européens, en effet, ont le sentiment diffus que leurs institutions bruxelloises ne sont qu’un fatras technocratique oppressant qui s’auto-justifie par une idéologie vertuiste, tissée de repentance et de culpabilité. Les Européens, ajoute Empereur, « ne disposent ni de la puissance numérique actuellement dominée par les Américains et sans doute demain par les Chinois et sont coupés de toute profondeur stratégique non seulement par leur situation géographique de petit cap de l’Asie mais aussi par l’interdiction absolue qui leur est faite, par leurs alliés anglo-saxons, de s’entendre avec la Russie dans une perspective eurasiatique. (…). Cette stratégie d’interdiction géopolitique est totalement contraire aux intérêts européens ». Pire : ces dernières semaines, à l’occasion de la soixante-troisième conférence sur la sécurité à Munich, Mike Pence, porte-paroles du gouvernement américain, a tenté de forcer Merkel à refuser et à saborder le projet de gazoduc Nord Stream 2 et a déconseillé aux Européens de commercer avec l’Iran. Macron prendra le relais en répétant les admonestations de Pence, ruinant ainsi le binôme franco-allemand, reposant sur une volonté d’émancipation européenne. Sans le gaz russe, l’Europe germanique et bénéluxienne ne peut tout simplement pas survivre ; sans l’apport du commerce iranien, l’Europe est condamnée à la stagnation et à ne disposer que de fonds réduits pour ses « recherches et développements », alors que ceux-ci sont urgentissimes pour rattraper ses retards dans le numérique et dans d’autres domaines de pointe.

Pour échapper à l’étau que Pence, à Munich, a menacé de faire fonctionner, Empereur nous demande d’appuyer un projet de Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin qui est une extension du projet suggéré en 2003 par Henri de Grossouvre, c’est-dire non plus un Axe Paris-Berlin-Moscou mais un Axe Paris-Berlin-Moscou-Beijing qu’ils définissent tous deux comme « conforme aux exigences de la géographie ». Et Empereur conclut par ces paroles que je vous demande de méditer quand vous sortirez de cette salle : « Puisse la réflexion sur les grands espaces l’emporter sur celles de la gouvernance par les chiffres et les obsessions comptables d’une technocratie sans vision ».

Cette parole, qui conclut un article purement factuel sur l’affrontement sino-américain, a une portée philosophique profonde que j’ai retrouvée dans un long entretien que le philosophe Marcel Gauchet a accordé récemment au site français « Les Crises ». Pour Marcel Gauchet,   -qui, dans cet entretien, esquisse un bilan succinct, très didactique, visant l’essentiel-   la souveraineté, qui turlupine tant quelques nationalistes français qui imaginent échapper aux désastres qui s’annoncent en quittant l’UE, la souveraineté donc, dit Gauchet, est en baisse à tous les niveaux en Europe, tant à celui des Etats nationaux qu’à celui de l’UE. L’Europe, et chacun des Etats qui la compose, est anesthésiée : elle est devenue, pour Gauchet, une entité a-politique et a-stratégique. Le politique, au sens noble du terme, est évacué. La stratégie est absente. Or sans « politique politique », disait Julien Freund, il n’y a pas de souveraineté : rien que de la politicaille qui laisse tout aller, les héritages comme les traditions, tel un chien crevé au fil de l’eau.

RH-MG.jpgLes dépenses militaires américaines, surtout après l’aventure vietnamienne et après le projet de « guerre des étoiles » cher à Reagan, ont servi à lancer une industrie numérique qui assure la domination américaine sur la planète entière. Les Européens n’ont jamais eu le réflexe de coordonner leurs actions pour être à l’avant-garde des innovations scientifiques et technologiques.

Face à ce désastre, dont les effets se sont accumulés au fil des décennies, la riposte « néo-nationaliste », dit Gauchet, est seulement « affective ». En effet, on oppose à des faits évidents des affects incapacitants qui dédoublent le danger, dans la mesure où ils n’entament en rien la force de l’adversaire et où leurs actions risquent d’avoir un effet retardateur, justement celui qu’escompte faire advenir l’ennemi pour freiner nos élans. On ne répond pas à l’ennemi par des déclamations émotionnelles ou des affects sans pertinence. De même, on ne réplique pas, dit Gauchet, par des arguments relevant de la religion car le religieux, lui, est bel et bien mobilisé par et pour la majorité morale aux Etats-Unis, par les télé-évangélistes ou par les chrétiens sionistes. Pour Gauchet, nous sommes face à une eschatologie politique, face à une théologie politique américaine qui permet une forte mobilisation des électorats, puissance dont nous ne disposons plus en Europe. Mais, j’ajouterai à l’argument pertinent de Gauchet un élément qu’il ne cite pas : face à ce pandémonium théologico-messianique américain, l’Europe ne se pose pas non plus comme le katechon qui va arrêter le déclin, freiner la déliquescence et rétablir l’ordre traditionnel. Elle ne se donne aucun rôle valorisant sur l’échiquier global. On peut poser la question : Poutine, orthodoxe russe, est-il ce katechon ? Je laisse la question ouverte car c’est là un autre débat, celui de la théologie politique, thème extrêmement complexe.

Gauchet constate aussi la « déstabilisation identitaire » qui frappe principalement les pays d’Europe occidentale, Allemagne comprise. Les pays d’Europe centrale et orientale, notamment la Pologne et la Hongrie, en sont nettement moins affectés : les mésaventures très récentes d’Orban avec la direction du PPE l’attestent à l’évidence. Cette « déstabilisation identitaire », au cours de ces trois ou quatre dernières années, provient essentiellement du flot d’arrivants venus de tous les horizons possibles et imaginables, flot qui induit un processus de submersion démographique alarmant auquel l’UE n’apporte aucune réponse car elle est un ensemble, dit Gauchet, qui n’a aucun contrôle ni sur sa frontière sud ni sur son front intérieur, les émeutes qui ont ravagé Grenoble, tout près d’ici, tout près de Genève, au cours de la semaine écoulée en sont un exemple patent.

Cette « déstabilisation identitaire » et ces turbulences inquiétantes sur le front intérieur sont le fruit d’une absence totale de conscience politique, que constate également Gauchet. Il nous dit : « L’UE ne sait pratiquer qu’une POLITIQUE de la REGLE, alors que ce qui lui est demandé est une POLITIQUE de l’EVENEMENT ». Toute politique de l’événement postule de déployer méticuleusement une stratégie car une stratégie, explique Gauchet, « permet d’anticiper les événements et de parer à toute éventualité ». On retrouve là, en un langage plus serein et plus subtil, les visions de Carl Schmitt et de Clausewitz. Pour Schmitt, le fétichisme de la règle, ou de la norme, est un poison ankylosant qui ruine les Cités comme le venin du cobra coagule le sang de ses proies. Pour Clausewitz, la stratégie consiste à ne jamais rater une étape dans le développement des techniques civiles et militaires qui procurent la puissance économique ou guerrière.

Ce fétichisme de la règle, qui doit, selon les tenants du normativisme, s’imposer envers et contre le réel, qui est par définition fluctuant, entraîne aussi la haine de soi, l’oikophobie disent les identitaires néerlandais, qui se traduit par une critique acerbe et injustifiée des acquis de l’histoire européenne, répétée ad nauseam par les intellocrates mercenaires des médias et des officines téléguidées par la NSA. L’idéal des normativistes étant défini une fois pour toutes, tout recours à un passé différent ou tout projet de refondation, populiste ou autre, sont tabou, doivent être effacés des mémoires et des volontés, afin que l’on n’ait plus qu’une humanité de zombis amnésiques et apathiques. Gauchet critique le « refus des intellectuels de tout eurocentrisme » et ajoute : « les legs de notre histoire sont tout-à-fait avouables ». Il y a donc urgente nécessité à « nouer un rapport critique intelligent avec le passé ».

Gauchet dénonce là le dernier danger que je voulais évoquer avec vous aujourd’hui : le danger de l’amnésie, de l’amnésie volontaire dans laquelle les normativistes nous plongent parce qu’ils estiment avoir raison au-dessus du réel et parce qu’ils ne veulent pas que des exemples du passé ressurgissent dans les mémoires, ou s’y lovent, parce qu’ils seraient des reproches actifs et virulents face à leurs manigances. Ma position personnelle est de ne pas arrêter la marche de notre histoire, de ne pas étouffer le réel historique qui est notre socle irremplaçable et doit nous servir de table d’orientation en permanence (la « logique tacitiste ») ; en ce sens je suis peut-être plus continuitaire qu’identitaire. Mais c’est là une coquetterie de vocabulaire.

Il me reste à remercier les jeunes organisateurs de ce colloque genevois, qui, au nom de la mobilisation totale, ont mobilisé les sexagénaires en ce jour pour leur demander des recettes pour affronter ce que ce cher Guillaume Faye, qui vient, hélas, de nous quitter définitivement, appelait la « convergence des catastrophes ». L’impéritie des normativistes impolitiques a imposé aux Européens la négligence de leur passé mais a aussi anesthésié leurs volontés d’aller de l’avant, de chercher des alternatives à l’impasse où ils ont été enfermés. Les tâches ardues qui attendent la nouvelle génération de combattants politiques, en Suisse et, plus encore, ailleurs en Europe, seront immenses car il s’agira de restaurer une souveraineté contre les agissements de forces colossales, avec, à côté d’eux, un matériel humain, certes de notre souche, mais profondément abîmé, zombifié par la permissivité et le festivisme qui ont régné en Europe depuis un demi-siècle, où l’on a brisé sans pitié tous les instruments traditionnels de la transmission.

Malgré cela, je souhaite à tous de conserver un vibrant courage et je vous dis : « A bientôt ! ».

Robert Steuckers.

Sources:

- Hans Herbert von ARNIM, Die Hebel der Macht und wer sie bedient - Parteienherrschaft statt Volkssouveränität, Heyne, München, 2017.

- Barbara BOLAND, "Ignoring America's Abyss of Debt", https://www.theamaricanconservative.com , 15 février 2019.

- Jean-Claude EMPEREUR, "Washington, Pékin: hégémonie numérique contre hégémonie tellurique", http://euro-synergies.hautetfort.com , 9 février 2019.

- Uriel GADESSAUD & Pierre RAMOND, "Nous avons rencontré Marcel Gauchet", https://www.les-crises.fr , 11 février 2019.

- Jean-Louis GERGORIN & Léo ISAAC-DOGNIN, Cyber - la guerre permanente, Cerf, Paris, 2018.

- Chris HEDGES, "Goodbye al dollaro", https://www.ariannaeditrice.it , 11 février 2019.

- Ali LAÏDI, Le droit, nouvelle arme de guerre économique - Comment les Etats-Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, Paris, 2019.

- Zaki LAÏDI, La norme sans la force - l'énigme de la puissance européenne, Sciences Po, Paris, 2005.

- Godfree ROBERTS, "Huawei, la 5G et la quatrième révolution industrielle", http://lesakerfrancophone.fr , 29 janvier 2019.

- Leslie VARENNE, "Le piège américain", http://www.zejournal.mobi , 15 février 2019.

Articles anonymes:

"US-Vizepräsident aus der Münchner SiKo: Washington läuft weiter Sturm gegen 'Nord Stream 2'", http://zuerst.de , 18 février 2019.

 

lundi, 04 février 2019

Colloque à Genève: L'Europe, le réveil ou la mort

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