jeudi, 18 janvier 2007
Constitution européenne (2)
Constitution européenne (2)
Une nomocratie totalitaire
La partie troisième, ce colossal fatras de directives et de normes, ces 322 articles abscons, indique, comme nous l’avons déjà déploré bien fort, que l’Europe est sur la voie, non d’une démocratie parfaite, mais d’une nomocratie, plus exactement d’une dictature nomocratique impersonnelle, contre laquelle aucun processus démocratique réel ne pourra rien. La nomocratie veut que les normes soient intangibles et le demeurent jusqu’à la consommation des siècles, en dépit des besoins des hommes, besoins qui sont évidemment divers et variables à l’infini sous la pression des circonstances spatio-temporelles, historiques, culturelles, climatologiques, etc. La vision de l’homme que sous-tend la nomocratie que l’on nous impose est une vision figée, achevée, définie une fois pour toutes. Si l’homme doit s’adapter aux circonstances, s’il doit varier et donc dévier de la définition qu’on a posé de lui, s’il est contraint par la pression des faits de modifier la norme ou de dépérir, il devient ipso facto, pour les gardiens de l’ordre nomocratique, un pervers, démoniaque, réactionnaire, nazi, phallocrate, fasciste, conservateur, fondamentaliste, méchant, skinheadoïde, lepéniste, national-communiste, haideriste, populiste, génocidaire, poujadiste, pitbulliste, élitiste, machiste, homophobe, raciste, saddamiste, baathiste, xénophobe, pinochetiste, obscurantiste, paléo-communiste, misogyne, intégriste, passéiste, régressiste, etc. On a le choix des adjectifs. La machine médiatique se met immédiatement en route, dès qu’il y a la moindre velléité de contestation : l’homme réel doit s’aligner, surtout se taire car tout ce qu’il dit, pense ou suggère relève d’un crime de lèse-norme, puisque celle-ci, une fois posée, n’autorise plus ni la parole, puisque tout est enfin dit, ni la pensée (prospective), puisqu’il n’y a plus rien à prospecter, ni la suggestion ironique, puisque l’ironie est sacrilège.
On le voit très clairement : la nomocratie, qui transparaît dans toute sa nature rébarbative au beau milieu de ce fatras de 322 articles, est d’une rigidité telle, qu’elle ne laisse aux hommes de chair et de sang aucune marge de manœuvre, ce qui est la quintessence même du déni de participation et de démocratie. Cette rigidité, cette absence de plasticité, sont le propre de l’idéologie des Lumières, du moins dans ses traductions politiques qui s’échelonnent de 1789/1793 au bolchevisme puis au libéralisme totalitaire actuel. C’est là que les critiques d’ATTAC, comme nous l’avons vu, sont inadéquates, parce que trop tributaires de l’idéologie étatiste française qui se défend bec et ongles, avec une rage méchante, contre ceux qui osent la critiquer, notamment avec des arguments de bon sens comme le fit Nicolas Baverez (qui parfois s’illusionne en vantant certains travers des pratiques libérales anglo-saxonnes).
Plaidoyer pour la diversité
L’idéologie de la Constitution, et aussi celle d’ATTAC, sont impropres à saisir la diversité du monde en général et de l’Europe en particulier. Pire : elles ne veulent pas voir cette diversité, elles ne l’acceptent pas, elles veulent l’éradiquer. Et les refus de cette Constitution sont autant de réactions contre cette volonté d’éradication. Dans les colonnes de la pourtant très conformiste « Revue Générale » (n°6/7, juin-juillet 2005), Frédéric Kiesel (4), fait le même constat : il plaide, sotto voce parce que les temps de dérèglement que nous vivons ne lui autorisent pas d’autre langage, pour une Europe à vitesses multiples, tout simplement parce qu’on ne gouverne pas les Finlandais comme on gouverne les Siciliens et parce que les mêmes denrées ne poussent pas aux mêmes rythmes dans le Grand Nord des lacs, au large du Golfe de Botnie, et dans les montagnes arides de la Sicile méditerranéenne. La nomocratie veut que les tomates finlandaises soient rigoureusement identiques aux tomates calabraises, que les raisins de Carélie soient identiques à ceux de l’Algarve, que les rennes puissent paître à côté des chèvres du Péloponnèse et vice-versa. Le réel, ces quelques exemples plaisants le démontrent, est tout naturellement rétif à la norme, à toute norme, et tout fabricateur de norme est par conséquent un dangereux dément.
Notre point de vue, bien qu’européiste et unioniste sur le plan de la défense de la civilisation et de la culture européennes, privilégie néanmoins la diversité sur le plan de la gestion et de la gouvernance au quotidien. Notre point de vue donne ensuite priorité à l’homme (aux hommes) tel(s) qu’il(s) est/sont plutôt qu’à une vision abstraite de l’homme décrite et définie une fois pour toute, l’homme réel, ce petit polisson, échappant toujours, d’une manière ou d’une autre à la norme, notamment, le cas échéant, en attrapant une maladie inconnue, ou en important une idée exotique, ou en développant une folie bien idiosyncratique. « L’homme conceptuel est une apostasie sans nom du réel », pérorait une dame qui se piquait de nous apprendre la philosophie à Bruxelles quand nous avions dix-huit ans. Pour une fois, la bougresse avait raison.
Outre ce pari pour les hommes tels qu’ils sont, et dont les diversités sont les garantes d’une pluralité de possibles à projeter dans l’avenir et de libertés bien concrètes à exercer hic et nunc, une Constitution véritable, à condition qu’elle laisse place en tous ses paragraphes et aliénas à la nouveauté qui peut fuser à tout moment, doit biffer toutes les dimensions qui privilégient le marché car ce n’est pas l’état, bon ou mauvais, du marché, qui indique le niveau élevé de civilisation, mais la santé et la vigueur des secteurs non marchands : universités et établissements d’enseignement, secteur hospitalier, musées, académies, chambres de rhétorique, etc. Je préfère vivre dans une société qui multiplie les hautes écoles et les bibliothèques que dans une société qui répand sans cesse l’hideuse laideur, horriblement visible, obscène, des supermarchés, avec leurs néons, leurs tarmacs où l’on parque des automobiles, leurs enseignes tapageuses, leurs musiques d’ambiance d’une confondante médiocrité. Et il est normal que l’employé d’un supermarché ou d’une banque, d’une compagnie d’assurance ou d’une mutuelle, qu’il soit cadre ou subalterne, soit écrasé d’impôts pour faire fonctionner universités et hôpitaux, petits ateliers d’artisan et petites exploitations agricoles, plutôt que l’université ou l’hôpital périclite, que l’atelier disparaisse, que la petite ferme soit étranglée, et que la banque ou le supermarché, structures parasitaires, prospèrent. Question de goût. Et de bon sens. Et d’humanisme au sens renaissanciste, pic-de-la-mirandolien du terme.
Grand Espace Economique Européen et « choc des civilisations »
La partie quatrième mérite nos critiques justement parce qu’elle se contente, laconiquement, d’abroger les traités de la CECA de 1951 et de Rome de 1957 et de préconiser le mode de fonctionnement « unanimiste », sans dire jusqu’où peut s’étendre l’Europe, sans dire ce qui fait son essence, ce qui est sa mission dans ce que les disciples de Samuel Huntington ont appelé, à tort ou à raison, le « choc des civilisations ». Nous nous souvenons tout de même de ce que Jacques Attali disait, un jour de rare lucidité, quand il évoquait le projet de l’Europe, de l’Espace Economique Européen (EEE), qui devait être celui d’un grand, et même d’un très grand, EEE, Russie-Sibérie comprise. Attali a sans doute changé d’avis depuis. Ce n’est pas notre cas. Et nous déplorons que le projet européen des petits eurocrates étriqués n’évoque rien du parachèvement civilisationnel potentiel que serait cette synergie géopolitique et géo-économique des forces à l’œuvre de l’Irlande au Détroit de Bering. L’Europe eurocratique n’a donc pas de vision pour le long terme. Parce que les nomocrates qui l’ont fabriquée sont des pense-petit.
Reste aussi cet inquiétant mutisme de l’eurocratie face au « choc des civilisations », qui prend forme, même dans nos villes et nos cités, en dépit des discours minimalisants, farcis d’euphémismes. Pour nous, rappelons-le, le « choc des civilisations » n’est pas un principe en soi ; c’est d’abord une réalité constante, mise en sommeil pendant la vingtaine de décennies qu’a duré le triomphe planétaire des puissances européennes, mais réactivée récemment par les Etats-Unis pour diviser la grande masse continentale qu’est l’ensemble du Vieux Monde. Pour nous, le « choc des civilisations » est donc tout à la fois une réalité constante et une manipulation américaine depuis la Guerre du Golfe de 1990-91. Par suite, la vérité de ce « choc » est médiane. Elle n’est ni à 100% retour à la confrontation séculaire entre l’Europe et l’Islam ni à 100% une invention récente des services américains. Raison pour laquelle nous ne disons pas « oui » à la Croisade de Bush en Irak (d’autant plus que le régime baathiste de Saddam Hussein était laïque). Mais nous n’acceptons pas davantage le refus idiot de prendre la réalité de ce « choc » en compte, de tirer les leçons des multiples vicissitudes passées de ce « choc », refus idiot que nous repérons d’abord dans le vieux gauchisme historique, qui véhicule inlassablement ses rengaines et s’est insinué dans tous les cerveaux par un processus lent et sournois de capillarité métapolitico-médiatique, et ensuite dans la « Nouvelle Droite », canal historique, laquelle prétend, mordicus et à rebours de ce qu’elle a pu affirmer antérieurement, que les conflits de civilisation n’existent pas, pour des raisons jusqu’ici inavouées (5). Position particulièrement ridicule pour ce cénacle qui avait tenté de réhabiliter Oswald Spengler…
Rigueur budgétaire et limitations aux capacités d’emprunt
Dans ses projets, l’Europe devrait également se rappeler le Plan Delors, lui rendre justice, et dire, à sa suite, et pour le compléter, qu’il n’y a pas de projet continental possible sans de grands travaux publics, sans une organisation renforcée et optimale des communications. Dans ces domaines, l’Europe, et souvent chacun des Etats membres, possède des acquis, qu’il convient désormais de « continentaliser », a fortiori depuis que le Rideau de fer est tombé et que d’anciennes voies de communications terrestres et fluviales pouvaient être rétablies. Une politique de travaux publics à grande échelle est de toutes façons une politique plus intelligente que d’organiser systématiquement la déconstruction de nos outils industriels par le double effet des délocalisations et de l’économie spéculative (qui précipite également toutes les anciennes économies industrielles patrimoniales dans le déclin et le marasme). Car toute politique de grands travaux est non libérale par essence, sinon anti-libérale, car elle implique des principes de rigueur budgétaire et oblige à limiter les capacités d’emprunt. L’absence de rigueur budgétaire et de limitations aux capacités d’emprunt disloque la cohésion des Etats et à fortiori des Unions à échelle continentale comme l’UE ou le Mercosur, et les empêche d’atteindre ce que j’appellerais ici, par commodité et pour limiter mon propos faute de temps, les quatre indépendances indispensables, à savoir l’indépendance alimentaire, l’indépendance énergétique, l’indépendance en matières de télécommunications et l’indépendance culturelle. Quatre indépendances qu’un bon appareil militaire défensif doit protéger et garantir.
Les quatre indépendances indispensables
L’indépendance alimentaire n’est pas atteinte à 100% en Europe, en dépit des efforts pharamineux de la PAC (« Politique Agricole Commune »).
L’indépendance énergétique implique de se dégager d’une dépendance pétrolière trop forte, de faire redémarrer partiellement le programme nucléaire, de diversifier les sources d’énergie ménagère, en recourant à des énergies douces (éoliennes, panneaux solaires, colza comme pour les bus en Flandre et à Bruxelles) ou en créant, comme sous De Gaulle, des usines marémotrices. L’imagination technologique doit prendre le pouvoir !
L’indépendance en matières de télécommunications est sans nul doute le combat à gagner rapidement en développant trois stratégies : 1) se dégager de l’emprise d’ECHELON, 2) développer avec l’appui de la Chine, de l’Inde et de la Russie le programme GALILEO (en évitant toute participation d’Israël vu les liens trop étroits entre ce pays et les Etats-Unis), 3) poursuivre le programme ARIANE, pour lancer les satellites européens.
L’indépendance culturelle, en termes contemporains, implique de faire feu de nombreux bois. Claude Autant-Lara avait tiré la sonnette d’alarme, lors de son discours inaugural en tant que doyen du Parlement Européen, en appelant à la création d’un cinéma européen dégagé de l’étau idéologique hollywoodien. Mais le combat pour l’indépendance culturelle de l’Europe ne se situe pas qu’au seul niveau du cinéma, comme ce fut effectivement le cas après chacune des deux guerres mondiales, ainsi que l’a bien vécu de près Autant-Lara. Depuis l’ère reaganienne, le combat du soft power américain contre l’Europe s’agence autour de l’action de grandes agences de presse internationales basées pour l’essentiel aux Etats-Unis. L’objectif est de noyer toute interprétation européenne ou autre des événements internationaux sous un flot d’informations allant dans le seul sens de la politique de Washington. Les langages justificateurs varient de l’apocalyptique (Armageddon, lutte contre « l’Empire » ou « l’Axe » du Mal) aux discours sur les droits de l’homme (6). Une contre-offensive européenne serait la bienvenue contre les nouvelles formules mises en œuvre par le soft power américain, à savoir l’organisation de « révolutions colorées », en lisière des territoires russes et européens, visant à reconstituer peu ou prou le fameux « cordon sanitaire » de Lord Curzon, entre le territoire de la République de Weimar et celui de la nouvelle URSS. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel, dans un numéro d’automne 2005, de même que l’an dernier, au moment de la « révolution orange » en Ukraine, le quotidien Le Temps de Genève, démontraient quels étaient les modi operandi d’organismes privés américains, comme la Fondation Soros, qui orchestrent et gèrent les « révolutions colorées ».
Si l’Europe ne se dote pas d’instruments équivalents d’agitation et de propagande, ne s’arme pas de leviers de changements potentiels qui vont dans le sens de ses intérêts, elle restera assujettie, elle restera objet de manipulations médiatiques et politiques. Les exemples abondent : Chirac teste de nouvelles armes nucléaires à Mururoa en 1995, contre l’avis de Washington : des grèves bloquent la France, l’étranglent. Chirac refuse de participer à la curée contre Saddam Hussein, son interlocuteur de longue date : on lui envoie dans les gencives les récentes émeutes des banlieues. Seul Jirinovski a tenu récemment un discours vrai : c’est pour briser la cohésion de l’Axe potentiel entre Paris, Berlin et Moscou que ces émeutes ont lieu, orchestrées par les alliés wahhabites et salafistes des Américains. Cet Axe, seul espoir, bat de l’aile ; en Allemagne, Merkel, qui n’est ni chair ni poisson, prend le relais de Schröder, plus cohérent, notamment sur le plan de la politique énergétique germano-russe (les gazoducs et oléoducs sous la Baltique, pour contourner la Pologne, nouvel allié de Washington). La dislocation de la société française au départ de ses banlieues ensauvagées, soustraites au contrôle de l’Etat, assure la promotion de Sarkozy, plus atlantiste que Chirac. L’Amérique élimine ainsi le spectre d’un gaullisme rétif à l’atlantisme, un gaullisme pourtant bien résiduaire, mité, réduit à l’ombre de lui-même. Après l’Allemagne et la France, la bataille contre Poutine peut commencer.
Notre conclusion : la Constitution, que l’on nous a mijotée, ne répond à aucun de ces défis. Une vraie constitution devrait se donner un projet cohérent, qui fait face à tous ces problèmes réels, pour qu’une politique continentale à long, à très long terme, soit possible. Une vraie constitution devrait être politique : elle devrait donc désigner l’ennemi. Une constitution qui ne le fait pas n’est qu’un chiffon de papier. Une aberration.
Robert STEUCKERS,
Forest-Flotzenberg/Charleroi, novembre 2005.
Notes :
(1) Le témoignage d’un stagiaire nous a fait rire, à gorges déployées, un jour, lorsqu’il nous a conté ses mésaventures dans les coulisses du Parlement européen. Une commission s’était réunie quelques jours auparavant, pour réfléchir à la formulation exacte que devaient prendre les directives réglementant la forme des pièges à rats dans l’UE. Composée essentiellement d’écologistes danois, allemands et néerlandais, cette commission s’est livrée à des arguties interminables pour déterminer, avec le plus d’exactitude possible, le vocabulaire du texte de la directive. Dans les formulations proposées, il y avait le terme anglais « human traps » ou, en allemand, « humane Tierfälle ». Tollé dans la petite assemblée : ces pièges ne sauraient être « humains » puisqu’ils tuent l’animal et que l’humanisme s’insurge contre l’acte de trucider un animal, fût-il considéré comme nuisible. Un quidam a alors proposé de remplacer « human traps » et « humane Tierfälle » par « animal friendly traps » et « tierfreundliche Tierfälle », soit, traduits littéralement, des « pièges à animaux amicaux à l’égard de l’animal ». Nouveau tollé dans le petit caucus : ces pièges ne saurait être amicaux à l’égard de l’animal, car occire la bête n’est pas, à son égard, faire preuve d’amitié. Et ainsi de suite, pendant un long après-midi… Voilà à quoi sert l’argent de nos impôts…
(2) Cette sévérité de notre part pourrait être jugée excessive : il convient toutefois de lire, attentivement, comme nous l’avons fait, le livre de Nicole Aubert, intitulé Le culte de l’urgence. La société malade du temps, publié chez Flammarion en 2003 (ISBN 2-08-068409-4). Dans cet ouvrage, à nos yeux capital, Nicole Aubert montre que le stress et l’urgence, exigés désormais des hommes dans leur vie professionnelle, provoquent quantité de nouvelles pathologies qui épuisent à terme la société, la vide de son tonus. Dans son chapitre 10, elle déplore la fin de la famille, écrasée par l’urgence, qui oblige à prester sans arrêt, sans pause, pour une machine économique démesurée. Si aux exigences de l’économie, s’ajoutent des exigences administratives, de surcroît non productrices de biens réels, l’homme craque ou craquera, et définitivement. On ne peut donc exiger la disparition de l’économie et de certaines urgences qu’elle pourrait exiger, à titre ponctuel, mais on doit impérativement réduire l’urgence, en éliminant les urgences non productrices de biens réels (et vitaux). Par conséquent, les pathologies générées par un surcroît d’urgence ont une cause, des auteurs : ceux-ci doivent en être tenus responsables, au même titre que s’ils avaient infligés des coups et blessures physiques. Le livre de Nicole Aubert devra être lu par les juges qui statueront, dans l’avenir et dans des tribunaux d’un nouveau genre, contre ceux qui auront infligé, à des citoyens, des pathologies dues à l’urgence.
(3) Nous songeons à la « nouvelle caste de prêtres », dont Raymond Abellio souhaitait l’avènement dans son fameux ouvrage intitulé L’Assomption de l’Europe.
(4) Dans son article intitulé « Quelle Europe après les « non » et « nee » référendaires ? », pp. 81-84.
(5) Ce refus du « choc des civilisations », notion qui aurait pourtant été bien accueillie par la « ND » au temps de sa période ascensionnelle, s’explique par les voyages de son animateur principal, Alain de Benoist, en Iran. Envoyé par le « Figaro Magazine » pour un reportage sur le front de la guerre Iran-Irak vers le milieu des années 80, il s’y retrouve avec les animateurs de la librairie « Ogmios » de Paris et le correspondant de la RTBF, Claude Van Engeland. Un article sur cette guerre et sur l’atmosphère qui régnait alors dans la capitale iranienne paraîtra d’ailleurs dans l’hebdomadaire fondé en 1978 par Louis Pauwels, où le chef de file de la « Nouvelle Droite » avait surtout retenu les « bas résille » qui se dévoilaient subrepticement sous les tchadors et djellabas des passantes de Téhéran. On a les fantasmes qu’on peut. A Téhéran, il avait profité de son séjour pour nouer des contacts qui lui permettront très rapidement de devenir, jusqu’à ce jour, le correspondant en France du « Teheran Times » et de la Radio Iranienne (il suffit de consulter son site internet pour s’en apercevoir, car le bonhomme n’a pratiquement plus que ces références-là pour se livrer à son sport favori : faire de l’esbroufe). Cette position de correspondant, qu’il entend conserver à tout prix, l’empêche de prendre en compte le « choc des civilisations » et de critiquer, même modérément, les dérives de l’islamisme, alors que ses positions initiales correspondaient davantage à la vue de l’histoire, eurocentrée et « gobinienne », que cultivait le Shah d’Iran (cf. ses mémoires), renversé par les mollahs à la suite des manigances américaines, qui visaient, selon l’aveu même de Kennedy et de Kissinger, l’élimination de son armée et surtout de sa marine et de son aviation. Cette petite fonction de correspondant du « Teheran Times » a contraint de Benoist à renier sa vision européenne de l’histoire, à refuser de constater que le régime des mollahs avait été soutenu au départ par les Etats-Unis, que l’islamisme a longtemps été l’allié de Washington (cf. la campagne acharnée qu’il a menée contre le jeune journaliste Alexandre Del Valle, auteur d’une étude serrée sur les liens entre Washington et l’islamisme, et contre son ancien collaborateur Guillaume Faye, interprète radical de la théorie huntingtonienne du « choc des civilisations »). Cette campagne de dénonciation et de dénigrement, menée avec une obstination enragée, a dû sans nul doute se faire pour le compte de certaines agences iraniennes, qui avaient intérêt à étouffer les thèses de Del Valle, qui s’inspirait des mémoires de l’ancien ministre iranien de l’éducation, du temps du Shah, exilé depuis à Bruxelles, Houchang Nahavandi (ces mémoires sont parues chez l’éditeur suisse « L’Age d’Homme »). Alain de Benoist erre comme un fantôme hagard dans cette zone de porte-à-faux depuis une vingtaine d’années au moins, exercice de déambulation quasi somnambulique qui le rend inapte désormais à énoncer une théorie cohérente sur l’Europe ou à articuler une pratique de la libération de l’Europe, alors que c’était l’objectif principal de son mouvement « GRECE » (« Groupe de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne »). Ce porte-à-faux a conduit, pendant deux décennies, à une suite ininterrompue de ruptures, de reniements, de querelles qui ont isolé complètement le correspondant du « Teheran Times » à Paris. En revanche, il semble toujours en relation étroite avec l’un des anciens animateurs d’ « Ogmios », qui, après avoir profané le nom de son illustre père, commis quelques piètres escroqueries, organisé des voyages bidon chez Léon Degrelle en Espagne en empochant le pognon des naïfs et laissé un paquet considérable de dettes impayées derrière lui, dirige aujourd’hui une revue d’histoire au format A5, évidemment sous pseudonyme, pour ne pas attirer l’œil myope des vigilants anti-fascistes de « Ras-le-front » ou autre bouffonnerie du même acabit ; bien évidemment, les cerveaux mous de « Ras-le-front » ne sont pas de très fins limiers... Pourtant, un simple examen du style et des thématiques abordées dans la revue d’histoire, dont question, dévoilent immédiatement la « patte » de certaines figures bien connues de ce milieu qui ne croient en rien, même pas aux théories qu’elles ont elles-mêmes énoncées. La constante de l’histoire récente de la ND ne semble plus être axée autour des principes premiers de l’association GRECE, mais n’est rien d’autre que la conjonction étonnante et dûment camouflée de l’ « Iranian Connection » et de l’ « Ogmios Connection ». Mais, pour terminer, abordons tout de même cette pénible affaire avec le regard de l’humoriste : le théoricien d’un paganisme druidico-odinique de Prisunic sur la place de Paris, le vendeur de « Tours de Yule » qui effrayait le pauvre anti-fasciste naïf René Monzat, est devenu l’homoncule des mollahs à Lutèce ; le théoricien du polythéisme absolu est devenu un petit mercenaire obscur du monothéisme le plus sourcilleux ; le grand amateur de grappa italienne et de Valpolicella en dame-jeanne, s’est métamorphosé en employé besogneux du régime qui arrachait naguère les ceps du vin de Chiraz, fait toujours fouetter les oenologues et trahit ainsi la mémoire d’Omar Khayyam . Rigolo, non ? Ceci dit, pour nous, l’Iran doit redevenir une puissance régionale, indépendante sur le plan énergétique, porteuse d’une diplomatie originale dans l’Océan Indien (cf. les travaux du géopolitologue Djalili en France), comme le voulait le Shah ; l’Iran actuel doit rester l’allié à l’Europe et facturer en euro et non plus en dollars : tels sont les axes politiques concrets à suivre désormais, avec ou sans Ahmadinedjad, et certainement contre la nouvelle clique iranophobe que constituent les habituels intellectuels parisiens, serbophobes hier, russophobes de toujours. Mais pour cela, la parenthèse entre la chute du Shah et la guerre larvée entre Washington et Téhéran, n’aurait pas dû être. Européens, Iraniens et Russes auraient gagné du temps. Autre réflexion : notre scepticisme à l’égard du régime des mollahs, notre ironie à l’égard des louvoiements grotesques d’Alain de Benoist ne participent nullement d’une islamophobie : la politique culturelle du Shah aurait ruiné toutes les dérives islamophobes car elle nous induisait à aimer les plus beaux fleurons de la civilisation islamique, justement avec le poète Ferdowsi, le philosophe Sohrawardi (dont le Français Henry Corbin explorera l’œuvre dans toutes ses facettes) et l’inoubliable poète Omar Khayyam. L’islamophobie est un produit dérivé de l’islamisme fondamentaliste chiite ou sunnite, mais toujours oublieux des synthèses lumineuses entre enthousiasme islamique et racines grecques, égyptiennes ou persanes. C’est là une erreur magistrale d’Alain de Benoist, sinon une faute cardinale : il a embrayé sur le discours islamophile fallacieux, téléguidé depuis Washington pour le compte de Riad, pour abattre le Shah, pour lancer la Djihad contre la Russie en Afghanistan, pour faire des voyous des banlieues une armée de réserve pour déstabiliser les pays européens qui, comme la France, branlent de temps en temps dans le manche atlantiste. A ce discours, il fallait répondre par une réhabilitation des plus belles figures de la civilisation islamique, comme le firent les deux Shahs Pahlavi, en les réinscrivant et en les réinsérant dans la tradition impériale iranienne, première manifestation d’impérialité d’un peuple-souche indo-européen et cela, dès la proto-histoire. L’Iran possède là un droit d’aînesse sur l’Europe occidentale et centrale. L’islamophilie obligatoire d’aujourd’hui, sous peine d’exclusion du débat et de poursuites judiciaires, empêche toute islamophilie constructive et laisse le champs libre aux fondamentalismes régressistes, surtout dans leurs versions wahhabites ou salafistes, que l’on n’ose plus critiquer et que de Benoist, coincé et empêtré dans ses petits complots ogmioso-iraniens minables, n’a jamais osé critiquer. Fondamentalismes régressistes qui sont aussi responsables de la mort et de la défaite des courageux nationalismes arabes d’inspiration personnaliste (Michel Aflaq), nassérienne ou gaullienne, idéologiquement proches de l’Europe, alors que le fondamentalisme wahhabite accuse une nette parenté idéologico-théologique avec le fondamentalisme puritain de l’idéologie américaine.
(6) La critique des discours sur les droits de l’homme, tels qu’ils nous sont venus d’Amérique au lendemain du deuxième conflit mondial, et avaient été fabriqués pour faire vaciller les volontés d’émancipation européenne, doit être replacée dans le contexte général de l’évolution de la pensée occidentale après 1945. Dans les années 50 et 60, l’idéologie gauchiste dominante, de même qu’une philosophie moins politisée, critiquaient les droits de l’homme comme « bourgeois » et « subjectivistes », sans pour autant prendre les mêmes accents qu’Edmund Burke ou Joseph de Maistre au lendemain de la révolution française. Avec l’émergence subite de la « nouvelle philosophie » dans le « paysage intellectuel français », à la veille du reaganisme, les droits de l’homme sont réhabilités à grands renforts de coups médiatiques et mobilisés contre l’Union Soviétique. Du coup, tous les travaux intéressants, philosophiquement fondés, sur l’origine de cette philosophie sont jetés aux orties voire voués aux gémonies, mais le gauchisme fait comme Clovis : il adore ce qu’il a brûlé et brûle ce qu’il a adoré ; son attitude change en deux coups de cuiller à pot. Il s’aligne sur les « nouveaux philosophes », les doigts sur la couture du pantalon, comme au coup de sifflet d’un caporal-chef, et la critique des droits de l’homme passe, plutôt mal gré, à une extrême droite incapable de faire référence aux solides corpus philosophiques délaissés des années 50 et 60, qu’elle perçoit forcément comme étrangers à elle, ce qui nous donne in fine un espace critique mité, ingérable, effiloché, où se cumulent maladresses et lourdeurs. Celles-ci ne parviennent pas à contrer l’action néfaste du « droit-de-l’hommisme », issu non pas tant des textes fondateurs de 1776, 1789 ou 1948, ou de la Charte de l’Atlantique de 1941, mais des officines de la CIA et de la NSA qui entendaient fabriquer de toutes pièces une idéologie de combat contre le soviétisme et, derrière cette façade vendable, contre toutes les formes de souveraineté nationale ou continentale. Dès l’émergence des philosophades droit-de-l’hommesques, les droits concrets de l’homme ont reculé et subi plus d’entorses que jamais : on a eu Pol Pot pour damer le pion aux méchants Nord-Vietnamiens pro-soviétiques, on a eu des escadrons de la mort pour faire reculer le sandinisme en Amérique centrale, on a eu les mudjahhidins et les talibans en Afghanistan, on a eu les purges en Iran soi-disant contre les sbires de la SAVAM, etc.
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