Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 18 janvier 2007

Constitution européenne (1)

Synergies Européennes – Bruxelles/Charleroi – Décembre 2006

 

 

 

Robert STEUCKERS :

 

Réflexions sur la Constitution et la construction européennes

 

 

 

Résumé du discours tenu à Charleroi, le 19 novembre 2005, par Robert Steuckers à la Tribune de « Terre & Peuple / Wallonie » et de « Renaissance sociale »

 

 

 

Pour aborder la problématique qui nous occupe aujourd’hui, posons d’emblée deux questions : est-il nécessaire d’avoir une constitution ? Quelle attitude prendre face au double « non » français et néerlandais ? Répondre à ces deux questions nous permet de formuler plus aisément notre propre point de vue dans cette problématique, de rappeler quelques-unes de nos options philosophiques et politiques fondamentales.

 

 

 

Nous le disons sans ambages : oui, il est nécessaire d’avoir une constitution européenne, ou du moins un ensemble de directives clairement énoncées, car nous refusons le point de vue anglais, défendu depuis le « règne » de Margaret Thatcher, point de vue qui entend pérenniser une confédération lâche, à géométrie variable, qui ne serait qu’un simple espace de libre-échange économique, dans lequel on entrerait et duquel on sortirait comme si ce n’était qu’un bête supermarché. Contrairement à cette position thatchérienne, nous voulons, nous, une Europe structurée, solidement charpentée, capable de pallier les lacunes des Etats nationaux résiduaires. Or l’Europe que l’on nous propose, aujourd’hui, par le biais d’un modèle constitutionnel insuffisant, reposant sur des idéologèmes boiteux ou sur des bricolages de type administratif, n’est ni l’Europe à la Thatcher ni une Europe structurée, tout simplement parce qu’elle est une Europe libérale et que le libéralisme est rétif à toute structuration de nos existences politiques, du fait de son « impolitisme » intrinsèque.

 

 

 

Insuffisance de la protestation française et néerlandaise

 

 

 

Quant aux deux « non » français et néerlandais, ils ne rencontrent ni notre franche hostilité ni notre franche approbation. Nous sommes également conscients des insuffisances de cette protestation et du danger que recèle le souverainisme français pour le salut de notre aire civilisationnelle. La volonté de ce souverainisme de faire systématiquement bande à part, de se mettre en marge des affaires du continent, de réchauffer le vieux plat insipide de la germanophobie maurrassienne, sape la nécessité impérieuse d’unir toutes les forces européennes autour d’un Axe, comme celui que préconisait naguère Henri de Grossouvre dans son fameux ouvrage « L’Axe Paris-Berlin-Moscou ». Quant à un certain isolationnisme néerlandais, il pourrait s’avérer tout aussi dangereux, dans la mesure où il est l’héritier de ce sécessionnisme calviniste qui a porté des coups très durs à la seule institution européenne légitime : le Saint Empire. Christoph Steding, dès les années 30, avait démontré la nocivité de l’anti-impérialité néerlandaise et helvétique, née aux 16ième et 17ième siècles, dans la mesure où elle générait un désintérêt égoïste pour le sort général du continent et de sa civilisation.

 

 

 

Mais si nous sommes conscients des insuffisances des protestations française et néerlandaise, nous ne cachons pas notre sympathie pour d’autres sentiments qui ont poussé les Français et les Néerlandais à voter « non » lors des référendums sur la Constitution européenne. En effet, les sentiments que recouvrent ces deux « non » sont multiples et variés et ne sont nullement assimilables au souverainisme ou à l’anti-impérialité, que nous dénonçons avec vigueur. Parmi les sentiments positifs qui se profilent derrière ces « non », il y a le rejet de la classe politique actuelle, jugée de plus en plus incompétente et de plus en plus arrogante ; ensuite, il y a le refus d’une Europe à l’enseigne d’un libéralisme économique sans freins réels.

 

 

 

L’impasse du souverainisme : ne pas s’y égarer

 

 

 

En résumé, l’hostilité du souverainisme, qui s’insinue même dans les discours des formations identitaires (toutes étiquettes confondues) en francophonie, est une hostilité fondamentalement idiote et nous ne nous appesantirons pas sur la question ; nous n’allons pas retourner aux sources perverses et criminelles de ce souverainisme, qui a ruiné l’œuvre de notre Empereur Charles-Quint, a pactisé avec l’ennemi ottoman, a mis bon nombre de nos provinces au pillage et aux déprédations les plus abominables (comme l’incendie de Bruxelles en 1695). Bon nombre d’auteurs, dont le Carolorégien Drion du Chapois, ont déjà démontré l’intrinsèque perversité du séparatisme gaulois au sein de la civilisation européenne. Aucun souverainiste français n’est pour nous un interlocuteur valable et nous ne pouvons que rire et applaudir à l’acte polisson de notre compatriote Noël Godin, alias Le Gloupier, ou l’Entarteur, qui a écrasé une belle tarte à la crème, bien mousseuse, sur la figure de Chevènement, l’un des plus écoeurants exposants de cette lèpre souverainiste, qui avait osé venir ici, en Wallonie, pour prêcher le rattachement de nos provinces impériales à son machin républicain, qui prend l’eau de partout et dont les « nouveaux citoyens », venus de partout et de nulle part, sont en train de faire tourner en bourrique, à coups de cocktails Molotov, en ce mois de novembre 2005. C’est cette « République », soi-disant « souveraine », battue en brèche par ses immigrés chéris, que l’on nous obligerait donc à aduler ? Au revoir et merci ! Gardez bien votre cadeau empoisonné ! Timeo Gallos et dona ferentes !

 

 

 

En revanche, l’hostilité au libéralisme, que dégage ce double refus français et néerlandais, est intéressante à plus d’un titre ; elle annonce une véritable alternative, car c’est justement l’essence libérale de l’Union Européenne, de la constitution qu’on nous propose, qui fait que, dans de telles conditions, nous n’aurons jamais une Europe structurée, telle que nous la souhaitons. La brèche ouverte dans les certitudes eurocratiques par les refus français et néerlandais permet d’envisager de nombreuses solutions alternatives, solidaristes, euro-révolutionnaires, néo-socialistes. Ce refus doit être analysé en parallèle avec les propositions de la nouvelle gauche la plus dynamique actuellement, celle des altermondialistes d’ATTAC, qui suggèrent tout à la fois des pistes intéressantes et des poncifs profondément imbéciles. Il faut cependant l’avouer, les positions d’ATTAC sont bien présentées, ont le mérite de fournir un cadre de référence, qu’il nous suffira de reprendre, de modifier et d’étoffer, sur bases d’idéologèmes moins niais. Car tous les éléments de niaiserie que nous trouvons dans ce discours d’ATTAC sont voulus par ceux qui téléguident cette contestation pour l’enliser irrémédiablement dans les sables mouvants de l’irréalisme impolitique. Le système génère aujourd’hui sa contestation à la carte, que l’on « spectacularise » sur les petits écrans, comme l’avait bien vu Guy Debord, en exhibant par exemple le mort de Gênes ou les bris de vitrines de Nice, pour montrer fallacieusement qu’elle est une vraie contestation, une vraie de vraie, et qu’il n’y en a pas d’autres, et donc qu’il est inutile de militer pour en fabriquer une. Qui serait évidemment incontrôlable. Du moins dans un premier temps…

 

 

 

Multiples ambiguïtés d’ATTAC

 

 

 

En vrac, ATTAC dénonce, à juste titre, le caractère anti-social de la constitution ultra-libérale que viennent de refuser les citoyens français et néerlandais. Cette constitution néglige les volets sociaux, nécessaires à une Europe stable, néglige la nécessité d’une juste redistribution, néglige les secteurs non marchands, dont la solidité et la durée sont les meilleurs indices du niveau de civilisation, néglige toutes les questions d’environnement. ATTAC réclame dont une Europe de la solidarité, vœu que nous partageons. Mais, notre question critique fuse immédiatement : cette solidarité peut-elle advenir si, comme ATTAC, on continue à véhiculer les poncifs les plus éculés de l’idéologie dominante (dont le libéralisme), des idéologues fanés du soixante-huitardisme tardif ou de cette idéologie festive, que dénonce le plus pertinent des philosophes français contemporains, Philippe Muray ?

 

 

 

Quelques exemples : les petits manifestes d’ATTAC, parus dans la série « Mille et une Nuits », que l’on trouve jusque dans les rayons de nos supermarchés, ne nous disent pas un mot sur la défense (même si ATTAC veut se débarrasser de l’OTAN), alors qu’un espace qui veut garantir la solidarité entre ses citoyens doit, quelque part, garantir ses frontières, les protéger et protéger les institutions et les pratiques de la solidarité. Pour avoir la solidarité, il faut la paix, il faut que rien ne trouble cette solidarité ; pour avoir la paix, il faut préparer la guerre, selon le bon vieil adage latin « Si vis pacem, para bellum ». Pour que l’Europe vive en paix, pour qu’elle soit justement cet espace de la norme et de la diplomatie, il faut qu’elle détienne la puissance, face à un nouveau yankeeïsme qui rejette les normes au profit de l’arbitraire guerrier et qui jette la diplomatie aux orties sous prétexte qu’eux, les Américains, sont les « fils de Mars » (par procuration : ce sont les Mexicains illégaux qu’on envoie en Irak), et que nous, lâches, sommes les « fils de Vénus ». Si ATTAC ne veut pas la puissance, alors ATTAC ment en réclamant une solidarité illusoire, parce qu’aucune puissance ne pourra jamais la garantir.

 

 

 

Le fétichisme du « contrôle démocratique »

 

 

 

De même, suite logique de ce silence sur la défense et sur la puissance, ATTAC ne formule pas une critique suffisamment serrée de l’impérialisme américain (et pour cause : car qui pourrait bien téléguider le mouvement, en vertu des expériences longuement acquises des « special psyops »…). Ensuite, autre tare de ce discours altermondialiste : on y repère à longueur de pages un fétichisme du « contrôle démocratique » ; dans cette optique, ATTAC se plaint qu’aucune décision n’est possible à vingt-cinq à la Commission. Remarque pertinente. Nous n’en disconvenons pas. Mais pour échapper au caractère hétéroclite du processus de décision boiteux de la Commission, ATTAC suggère un renforcement du poids du Parlement Européen. Mais ce parlementarisme ne conduira-t-il pas à de pires enlisements sinon à la paralysie totale ? Si la décision est jugée impossible dans une Commission aux effectifs finalement limités, par quel coup de baguette magique pourrait-elle devenir possible dans un Parlement encore plus bigarré ?

 

 

 

Autre fétichisme pénible dans la littérature d’ATTAC : celui du « laïcisme ». ATTAC, du moins ses antennes françaises, estime que c’est tout naturel de transposer le bric-à-brac idéologique, le sous-voltairianisme, de l’idéologie laïque républicaine, à l’échelle de l’Europe entière, alors que ce laïcisme n’existe pas, n’a jamais existé, dans les pays catholiques et protestants ni a fortiori dans la Grèce orthodoxe. Ni dans la zone baroque de l’Europe qui englobe la péninsule ibérique, les anciens Pays-Bas espagnols puis autrichiens, la Bavière, l’Autriche, la Croatie. Aucune pratique ne peut s’articuler autour de ce laïcisme abscons dans des pays autres que la France.

 

 

 

Avant-dernière incongruité dans le discours d’ATTAC, mais elle participe du même oubli de la défense et du même refus de la puissance : les auteurs de ses nombreux manifestes réitèrent sans cesse leur hostilité à toute militarisation. Par conséquent, ils veulent une Europe impuissante, et donc ipso facto vassale (du plus fort et du mieux armé), et, par suite, une Europe qui ne bénéficie ni d’une indépendance énergétique ni d’une indépendance alimentaire.

 

 

 

Le fétichisme des « flux migratoires »

 

 

 

Dernière incongruité : le fétichisme récurrent à l’endroit des « flux migratoires », qu’ATTAC considère, bien évidemment, à l’instar de toutes les idéologies et de tous les médias dominants, comme un bienfait des dieux, comme l’instrument de la parousie finale, une parousie aussi naïve que celle des témoins de Jéhovah qui croquent, avec des dessins niais, une fin du monde, où l’on voit des petits moutons gambader entre les pattes de lionnes somnolentes, tandis que des hommes de toutes les races vaquent à des occupations idylliques, pique-niquent en famille ou lisent les écritures saintes (il y a bien des similitudes entre la stupidité des gauchismes rousseauistes et les pires élucubrations sectaires des protestantismes dissidents anglo-saxons). Par définition, pour ATTAC, les « flux migratoires » sont positifs. Or bon nombre de cénacles, y compris et surtout à gauche, à l’ONU et à l’UNESCO, font le constat que ces « flux migratoires » font essaimer des diasporas, qui se ghettoïsent, puis génèrent des réseaux mafieux et des économies parallèles incontrôlées (et incontrôlables), qui se meuvent en nos sociétés comme poissons dans l’eau justement parce que l’Europe qu’on nous fabrique ou veut nous imposer est libérale, néo-libérale, ultra-libérale. Les flux migratoires, quand ils accouchent de phénomènes mafieux, accentuent le poids du néo-libéralisme, tant sur les travailleurs précarisés dans leur emploi que sur les PME, fragilisées devant les grands consortiums et la concurrence des entreprises non déclarées. ATTAC nage en pleine contradiction, d’une part, en fustigeant à tous crins le néo-libéralisme et, d’autre part, en applaudissant bruyamment à des phénomènes migratoires qui accentuent toujours davantage les maux de ce néo-libéralisme.

 

 

 

ATTAC : une vision du temps totalement erronée et aberrante

 

 

 

Par conséquent, la critique que formule ATTAC contre le néo-libéralisme, la société marchande, est certes légitime et utile,   -et nous en partageons les postulats-  mais elle est lacunaire, contradictoire et incomplète, et doit, par conséquent, être étoffée par des options populistes, traditionalistes, futuristes (archéofuturistes), qui puisent dans les archétypes (sociétaux, mythiques, juridiques) la force de se projeter énergiquement vers un avenir solide, parce que reposant sur des bases d’une grande profondeur temporelle. Dans une perspective qui serait réellement alternative, l’histoire, le temps qui passe, ne serait pas une ligne vectorielle qui s’élancerait d’un lointain et obscur point de moindre valeur, en amont dans le temps, vers un point d’excellence indépassable et parousique, en aval dans le temps, en accumulant sans cesse, dans cette course, de la plus-value, sans jamais subir aucun ressac ni aucune contrariété, mais, bien au contraire, pour nous et contre les opinions frelatées de cette armée de pitres et de jocrisses, l’histoire serait un jeu de systole et de diastole sur un plan non plane mais sphérique (et donc perpétuellement rotatoire), qui implique l’éternel présent, en acte, en jachère ou en puissance, de forces dynamisantes ou figeantes, à proportions égales, qui ont agi dans le passé, demeurent peut-être tapies et silencieuses, en jachère, dans le présent et réagiront un jour dans le futur, retournant subitement de la puissance, première ou secondaire, à l’acte ; ou opérant un retour en force au départ d’une situation préalable, volontaire ou forcée, de retrait (« withdrawal-and-return », disait Toynbee) ou ré-émergeant sous des oripeaux en apparence nouveaux dans une société apparemment transformée par un bouleversement quelconque (la « pseudo-morphose » de Spengler).

 

 

 

Voilà pourquoi il est impératif de maintenir les différences entre les hommes, les diversités, la pluralité, car chaque élément original peut contribuer à créer ou recréer un futur également original. Une humanité homologuée n’a plus de réponse alternative possible. Elle répéterait ce qui a été « normé » auparavant, comme un mouvement mécanique perpétuel, comme un interminable tic-tac d’horloge, sans autre musique. Voilà pour une petite précision philosophique.

 

 

 

En conclusion : ATTAC reste collé à une vision bêtement vectorielle du temps et de l’histoire et se condamne dès lors à ne rien comprendre aux conflits contemporains, qui sont souvent les tributaires ou les rééditions de conflits antérieurs, d’ordre religieux comme ceux qui opposent chiites et wahhabites ou hindouistes et musulmans, qui ont ré-émergé sur la scène internationale récemment, alors que les « vectorialistes » les avaient trop vite considérés comme morts parce qu’ils relevaient tout simplement d’une antériorité temporelle, et parce que, pour eux, toute antériorité est nécessairement morte, non de fait (comme les événements le prouvent) mais selon l’erreur récurrente, naïve et méchante de cette vision vectorialiste du temps et de l’histoire. Vision méchante parce que la contrariété qu’elle suscite, face aux faits, débouche sur des colères d’impuissance, des redoublements de rage, sur des appels hystériques à la « judiciarisation » de toute contestation de son modèle vectorialiste infécond, et sur des volontés de poursuivre le projet, d’avance avorté, en en maximisant l’intensité. Nous risquerions bien vite de devenir tous victimes de cette rage. La nomocratie débouche immanquablement sur un univers sinistre, tel celui que nous a croqué Orwell dans son fameux roman contre-utopique, 1984.

 

 

 

Les 448 articles de la Constitution

 

 

 

Revenons à la question de la constitution. Au total, la Constitution que l’on nous propose et qu’ont refusée les Français et les Néerlandais, compte 448 articles.

 

 

 

La partie première, comptant 60 articles, traite des critères d’appartenance (nous y reviendrons). La partie deuxième, traite des droits fondamentaux et compte 54 articles. ATTAC s’en satisfait, se borne à dire qu’il n’y a pas de droits nouveaux inclus dans ces 54 articles. Notre critique commencerait par déplorer le silence, tout libéral, de cette constitution quant aux droits « ontologiques », de l’homme, c’est-à-dire des droits reposant sur sa constitution intime d’être vivant, produit biologique de générations précédentes, appelé à produire des générations futures. Toutes les constitutions vantées par les idéologies dominantes avancent des droits abstraits plutôt qu’ontologiques, noient le sens du droit sous un fatras de « droits » tombés du ciel, fabriqués par l’imagination de philosophes pétitionnaires plutôt qu’observateurs du réel. Nous entendons rétablir des droits, tels qu’il en a toujours existé en Europe, car la démocratie réelle ne date pas d’hier ni des philosophes pétitionnaires du 18ième siècle (la Vieille France de l’ancien régime n’était pas un désert juridique). La démocratie grecque, romaine-républicaine, germanique, islandaise ou autre (dont la pratique de la « ruggespraak » dans nos comtés et duchés thiois) est plus ancienne et plus concrète que celle qui procède de l’idéologie de 1789, qui a biffé tout caractère organique de son projet et de sa pratique. Au bout du compte, nous avons, déguisées en démocratie, de lourdes batteries de normes contraignantes, sous des dehors qui se veulent « bons » ou « bonistes », comme disent nos amis italiens.

 

 

 

1789 : une gifle à la classe ouvrière

 

 

 

Quand des agités parisiens proclament en 1789 les droits de l’homme, ils imaginent inaugurer une ère de démocratie et d’égalité. Deux ans plus tard, avec la fameuse Loi Le Chapelier, les structures corporatives de représentation de la classe ouvrière, de défense de leur droit, de garanties diverses, sont rayées d’un trait de plume. C’était les seules structures de représentation des compagnons, apprentis et petites gens. Elles ne sont remplacées par rien. L’ouvrier reçoit un carnet, véritable fiche de police prouvant son statut inférieur, en dépit des délires verbeux sur l’égalité. Il faudra le long combat ouvrier et syndical du 19ième aux « Trente Glorieuses » pour restaurer des structures équivalentes, rapidement battues en brèche par le néo-libéralisme, dès le début des années 80, pour déboucher sur la précarité actuelle, à laquelle sont directement confrontés ceux d’entre vous qui militent à « Renaissance sociale ». De 1789 au Code Napoléon, période où émerge et s’impose par la terreur et la force le droit libéral, tous les droits hérités des collectivités concrètes, des communautés charnelles, des communautés monacales, des structures claniques, gentilices ou familiales sont éliminés au profit de droits attribués au seul individu abstrait, isolé, égoïste, non participant (et par conséquent formaté, homogénéisé, homologué, bref, une individu sans tripes, écervelé, éviscéré).

 

 

 

Dans la partie troisième, constituant 72% du traité constitutionnel, avec 332 articles, sont décrits une masse impressionnante de mécanismes froids et monstrueux, qui ne pourront jamais être soumis à aucun suffrage, tout en étant bel et bien imposés par des technocrates. ATTAC s’insurge, et ici à juste titre, contre ce technocratisme, cette froideur procédurière. Mais c’est, une fois de plus, une protestation qui ne mène à rien parce qu’elle repose sur une contradiction de taille. Comme toute gauche qui se respecte en France, ATTAC se réclame évidemment des grrrrrands principes de 1789, qui ont conduit très vite à l’exclusion des classes ouvrières de toute représentation. Or ces principes veulent l’avènement d’un citoyen nouveau, débarrassé de tous les reliquats du passé, éduqué selon des principes radicalement rénovateurs. Or ATTAC, tout en se pâmant devant ses principes, s’insurge simultanément contre les 72% ou les 332 articles de cette Constitution européenne car ils induisent des mécanismes froids, mécanismes froids qui veulent changer l’homme, comme les principes de 1789 voulaient le changer. Les mécanismes de ces 332 articles de la partie troisième ne sont finalement qu’un avatar démesuré, gigantomaniaque, de ces principes et ces derniers sont à la base de tous ces projets fumeux de « changer » l’homme, comme s’il relevait d’une panoplie de meccano, donc on change les agencements au gré des modes et des vents. Pourquoi le mouvement ATTAC applaudit-il donc aux principes et s’insurge-t-il contre les avatars mêmes de ces principes ? Mystère et boule de gomme ! Mais assurément : contradiction de taille ! Et de la taille d’un diplodocus double mètre !

 

 

 

De nouvelles féodalités basées sur des procédures et des administrations

 

 

 

Les 332 articles incriminés veulent effectivement changer l’homme européen, le réduire à un numéro, le rendre docile, conforme, le normaliser. Cette nature purement abstraite, cette volonté d’éradiquer l’ontologique hors de l’homme (lors même qu’il revient toujours à l’avant-plan), explique le rejet dont cette constitution fait l’objet. La nature purement administrative de ces 332 articles débecte les peuples, qui se lassent du procédurier. Un procédurier qui prend souvent des allures franchement comiques, comme quand des antennes de la Commission se mettent en tête de réglementer les dimensions et les modes de fonctionnement des pièges à rats dans l’UE (1).

 

 

 

Mais l’administratif et le procédurier n’ont pas que des effets bouffons : ils sont le plus souvent cruels, implacables, kafkaïens, qu’ils relèvent de la machine Etat ou d’institutions privées pachydermiques (l’adjectif est de Toffler), comme, chez nous, les banques, les compagnies d’assurance, les mutuelles devenues tentaculaires, Electrabel, Sibelgaz ou Belgacom, intouchables de par leurs dimensions démesurées.

 

 

 

L’administratif et le procédurier sont les produits pervers et dangereux d’un long processus de pétrification des sociétés européennes, commencé par les philosophades des Lumières, qui fustigeaient l’incomplétude des traditions pour mieux pouvoir les éliminer ; elles ont ensuite été relayées par leur traduction politique, la sinistre révolution française, qui multipliait déjà les obligations de détenir des certificats, des attestations, d’être encarté de toutes les manières possibles et imaginables, tandis que le modèle carcéral de ce 18ième siècle finissant était déjà la prison panoptique, où tout et tous étaient vus depuis le sommet de la tour de contrôle. Michel Foucault nous avait dit que cette prison panoptique était devenue le modèle social dominant aujourd’hui. Il n’avait pas tort, avant de sombrer dans ses bouffonneries gauchisantes. De la prison panoptique au Château ou au Procès de Kafka, il n’y a qu’un pas.

 

 

 

Le sociologue allemand Ferdinand Tönnies, pour sa part, parlait, dans la première décennie du 20ième siècle, du passage de la « communauté », charnelle, avec ses rapports interpersonnels directs et humains, à la « société » froide, indirecte et déshumanisée. Ce processus a commencé dans le sang, il se termine dans la tyrannie grise mais incontournable, exercée au nom de quelques coquins, par des centaines de milliers de médiocres à qui on a donné des prérogatives, faute de les faire œuvrer intelligemment, avec leurs mains dans des ateliers ou leur cerveau dans des établissements d’enseignement, avec leur cœur dans des institutions caritatives.

 

 

 

Responsabilisation

 

 

 

Une « féodalité » épaisse, opaque, est ainsi née qui attend, nous l’espérons, d’être un jour définitivement abattue, pour le salut des hommes et des lignées de demain : nous devons travailler à l’avènement d’une société d’où les administratifs auront disparu ou auront été réduits à des quantités très négligeables, tout simplement parce qu’on les aura « responsabilisés »,  rendus responsables de leurs travers, dépouillé de leur impunité, donc justiciables pour les pertes de temps qu’ils causent, pour les maladies nerveuses qu’ils répandent dans la société à cause de leurs exigences, pour les dénis de dialogue qu’ils répètent à satiété, pour les abus de pouvoir dont ils se rendent coupables (2). Dans une société libérée de leur présence, un médecin, par exemple, ou un philosophe, pourra incriminer, sans appel, sans le truchement de juristes professionnels, un employé administratif (de l’Etat ou du privé) qui pourra être puni et emprisonné sans autre forme de procès, l’exercice de sa fonction pouvant être aisément remplacé, par simple interchangeabilité, ou n’étant pas directement utile au bien-être et au développement qualitatif de la société.

 

 

 

L’objectif est de rendre du pouvoir à ceux qui, médecins ou philosophes/enseignants (3), sont en contact avec l’homme réel, avec ses ratés et ses fonctionnements variables, contre ceux qui lui appliquent des rythmes répétitifs sans tenir compte d’aucun aléa somatique ou psychologique ni d’aucun critère culturel ni d’aucune insertion dans un processus de longue durée, qui doit demeurer pour conserver stabilité à l’ensemble sociétal. Les peines, prononcées à la suite de ces plaintes médicales ou enseignantes, devront être effectuées dans les secteurs non marchands, de façon à pouvoir pallier aux déficits que subissent ces secteurs depuis quelques décennies. Le refus populaire (notamment en France et aux Pays-Bas) des 322 articles de la Constitution augure d’une révolution de ce type, contre les appareils, contre les monstres froids, augure d’une marche réelle vers la fraternité des hommes, vertu de fraternité dont la « République » avait promis l’avènement en 1789, ce qui n’a toutefois jamais été traduit dans la réalité. On a donné la liberté à des spéculateurs sans scrupules ; on a donné l’égalité aux médiocres en rendant la vie impossible à tous ceux qui les dépassaient ; on n’a toutefois jamais donné la fraternité à tous les hommes.

 

 

 

De la tyrannie néo-libérale

 

 

 

Cette tyrannie, à laquelle il est de plus en plus difficile de se soustraire, avance sous le masque non seulement du « progrès » (comme si c’était un progrès de sombrer dans le procédurier, dans un monde sans qualités comme le craignait Robert Musil ou dans un monde kafkaïen) mais aussi sous celui de la « liberté ». La liberté évoquée, à grands coups de trémolos, n’est évidemment pas la liberté d’expression, de recherche, bien battue en brèche ou noyée dans le conformisme médiatique, ni la liberté de se défendre contre l’arbitraire de l’Etat ou des « pachydermes » privés, mais évidemment la liberté du libéralisme et, pire, du néo-libéralisme.   

 

 

 

La Constitution couvre dès lors une Europe, qui n’est pas une civilisation ou une culture, ni une population donnée, historiquement et culturellement distincte, mais un « marché ». Un marché que l’ultra-libéralisme a hissé au rang de Dieu-Mammon intangible. Seul lui   -et rien d’autre-  est habilité à fonctionner, à se développer, à s’accroître démesurément, à régner en maître absolu. Devant cette pression du dieu-marché infaillible, tous les liens naturels entre les hommes doivent disparaître, à commencer par ceux, les plus élémentaires, du clan et de la famille, condamnés parce qu’ils sont des freins à la consommation. A l’horizon, seul l’individu isolé et consommateur a droit de cité, tout simplement parce qu’il consomme en moyenne plus qu’une personne imbriquée dans un famille. Vouloir bétonner juridiquement ce dieu-marché par une Constitution revient à briser à terme tous les liens naturels qui ont unis les hommes. Tel est le vice fondamental de cette construction juridique.

 

 

 

La partie quatrième de la Constitution est trop brève ; elle ne compte que onze articles, récapitulant les dispositions générales et finales, telle l’abrogation des traités antérieurs (p. ex. : celui qui créait la CECA en 1951). Cette quatrième partie comprend également la clause dite d’ « unanimité », ce qui accentue encore la lenteur du processus de décision, comme si une main invisible voulait que l’Europe soit ad vitam aeternam condamnée au sur-place, à la stagnation, à la discussion stérile et ininterrompue.

 

 

 

Une Constitution à la fois trop statique et trop effervescente

 

 

 

Ce survol des quatre parties de la Constitution nous induit à formuler une première remarque générale : cette Constitution est inadéquate parce qu’elle est à la fois trop statique et trop effervescente, et chaque fois à mauvais escient. Elle est trop statique, non pas parce qu’elle veut procurer aux hommes de notre continent la stabilité et l’équilibre, mais parce qu’elle est précisément cette machine administrative tentaculaire que nous dénoncions plus haut, qui réglemente à outrance, si bien que tous les citoyens seront bientôt coupables d’avoir enfreint l’une ou l’autre réglementation et, dès lors, deviendront justiciables pour des actes ou des omissions qu’ils ne percevront jamais comme de véritables fautes. L’horreur absolue ! Elle est trop effervescente, non pas parce qu’elle veut privilégier les éléments dynamiques de nos sociétés, les esprits créateurs et innovateurs, mais parce qu’elle fait du « bougisme » (Taguieff), pour faire place nette à l’ultra-libéralisme dislocateur des permanences nécessaires à la survie des peuples et de l’espèce, et parce qu’en même temps cet ultra-libéralisme est délocalisateur et, par suite, effiloche et détricote des acquis tangibles, hérités du travail des générations qui nous ont précédés.

 

 

 

La notion de bougisme, énoncée et vulgarisée par Taguieff, est à mettre en parallèle avec la dénonciation, par Nicole Aubert, de la « compression du temps » : harcelé par les impératifs de l’économie ultra-libérale et mondialisée, qui force à réduire et compresser le temps de travail, tout en maintenant la quantité des prestations ou de la production pour diminuer les coûts et favoriser de la sorte des actionnaires anonymes ; harcelé également par les impératifs de plus en plus exigeants de l’administration, le citoyen entre dans une existence à l’aune d’une fébrilité inouïe, ramassée sur le seul présent, compressée à l’extrême, type d’existence frénétique qui ne peut évidemment s’étendre dans le temps d’une vie sans conduire à la catastrophe physique et nerveuse. Celle que nous voyons poindre à l’horizon.

 

 

 

En conséquence, cette Constitution doit être remise sur le métier pour tenir compte des deux « Non » référendaires de France et des Pays-Bas.

 

 

 

Remettre la Constitution sur le métier

 

 

 

La partie première doit fixer clairement des critères d’appartenance tangibles et concrets, c’est-à-dire historiques, culturels et religieux, perceptibles dans la longue durée de l’histoire, et non pas des critères normatifs et abstraits.

 

 

 

La partie deuxième, qui concerne les droits, doit prendre pour référence, non pas l’individu isolé qui consomme sur le marché, mais la famille, voire le clan sinon la lignée, c’est-à-dire tenir compte de l’homme dans la durée de son ascendance et de sa descendance. Le principe cardinal à respecter, ici, c’est que l’homme n’est jamais seul sur cette Terre, qu’il naît d’un père et d’une mère et qu’il a besoin du cocon familial (parents et grands-parents, oncles et tantes) pour se développer de manière optimale et harmonieuse. Les liens d’appartenance doivent donc être sauvegardés et respectés par le législateur et non pas mutilés ou oblitérés par des calculs visant à installer le marché. Ce retour à des principes antérieurs à la « méthodologie individualiste » (Dumont) implique de revenir à certains droits historiques et locaux, biffés de nos mémoires par l’homogénéisation en marche depuis 1789. Tilman Meyer, en Allemagne, nous disait et nous démontrait naguère que l’ethnos, base historique et culturelle fondamentale des communautés humaines au sens large, ne saurait jamais être mis à la disposition du « demos » (soit la masse hétéroclite et indistincte d’une population jetée sur un territoire donné).

 

15:50 Publié dans Politique | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.