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jeudi, 18 janvier 2007

Les Yezidis

Synergies européennes – Bruxelles/Anvers – Novembre 2006

 

 

 

Moestasjrik / ‘t Pallieterke (Anvers) :

 

Les Yezidis : adorateurs du Diable

 

 

 

L’hebdomadaire nationaliste flamand, très riche en informations diverses, publie depuis cette année une rubrique fort intéressante, intitulée « Ex Oriente Lux » et consacrée aux peuples et aux religions de la rive orientale de la Méditerranée jusqu’à l’Inde et l’Extrême-Orient. Elle mérite une lecture attentive. Robert Steuckers publie ici une première traduction française de cette rubrique hors du commun, unique en Flandre et en Belgique, qui nous révèle quantité d’informations inédites. On reproche au mouvement flamand de refuser le dialogue avec l’ « Autre », d’être sourd aux identités non européennes : rien de plus faux, cette rubrique le prouve. Intolérance, ignorance et surdité à l’Autre sont bien plutôt le propre d’une certaine pseudo-intelligentsia francophone, qui s’exprime surtout dans  le quotidien à ahurir qu’est le « Soir ». Effectivement, dans les colonnes de ce journal, entend-on jamais parler des recherches wallonnes en ces mêmes domaines ? Comme celles de l’iranologue liégeois, feu le Prof. Duchêne-Guillemin ? Ou du professeur actuel de l’UCL, Julien Ries ? Non. Evidemment. Alors où est l’intolérance ?

 

 

 

A Bologne, les musulmans exigent que l’on ôte une peinture de Giovanni de Modène qui, inspiré par la description de l’enfer de Dante, représente Mohammed soumis aux tourments de la malédiction éternelle. Pourtant, sur cette même peinture se trouve une autre figure, systématiquement assimilée au mal, tant par les chrétiens que par les musulmans. Si une figure est bien victime de préjugés, d’une phobie, objet d’intolérance, alors c’est bien celle-là. Nous pouvons même dire que nous n’aurons pas de véritable société multiculturelle tant que nous ne la considérons pas et ne l’accueillons pas comme un « enrichissement ». Et tant qu’un interdit ne sera pas institué pour contrer les paroles ou les écrits ou les dessins malveillants à son égard, tant que des stéréotypes négatifs seront impunément véhiculés à son encontre.

 

 

 

Pour comprendre ce que je dis, retournons en arrière dans l’hémicycle du Parlement irakien, en date du 10 août 2005. Le Premier Ministre Ibrahim Djaafari, dans l’une de ses allocutions, utilise une formule rhétorique : « Que Dieu nous protège contre le Diable ! », s’écrie-t-il. C’était son protecteur, son patron, le « Grand Satan » de Washington qui était visé par cette formule usuelle en terre d’islam, comme naguère en terre chrétienne.

 

 

 

Un membre de ce Parlement, le Kurde Kameran Chairi Saïd, l’interrompt aussitôt : « Monsieur le Premier Ministre, nous nous sentons insultés lorsque vous utilisez de manière répétée cette expression, ‘Que Dieu nous protège contre le Diable !’, car chaque fois que cette parole est prononcée, mes collègues tournent la tête vers moi comme si j’étais le représentant du Diable. Il y a effectivement de 600.000 à 700.000 Yezidis kurdes qui se sentent insultés chaque fois que vous utilisez cette expression. Nous demandons à tous les représentants du gouvernement d’en tenir compte ». Le Premier Ministre a répondu qu’il n’avait voulu injurier personne, que toutes les religions devaient montrer du respect les unes envers les autres, mais que les Yezidis devaient aussi respecter la majorité, et que cette majorité, étant musulmane, était coutumière d’utiliser l’expression incriminée.

 

 

 

Saïd s’était exprimé en son nom et en celui de ses deux autres collègues du Parlement irakien, qui compte 275 députés. Trois de ces députés sont donc des Yezidis. Ceux-ci parlent la langue kurde mais se considèrent comme une nation à part. Ils ne se marient pas avec des musulmans et se répartissent en trois castes, qui, elles aussi, ne se mêlent pas sur le plan matrimonial. Ils n’acceptent aucun converti en leurs rangs : on est yezidi par naissance. La plupart d’entre eux habitent les régions montagneuses autour de la ville de Mossoul et le long de la frontière entre l’Irak et la Syrie. Il existe également une diaspora yézidie, dont 30.000 personnes vivent en Allemagne et quelques-unes en Belgique.

 

 

 

Le sacrifice du taureau

 

 

 

Le nom de « yezidi », selon certains érudits, vient de la langue perse, du terme « yazata » signifiant « divinité » ; d’autres estiment pourtant que leur nom dérive de celui du calife ommeyade Yazid (qui régna entre 680 et 683). Dans le combat pour la prééminence dans l’Oumma, qu’il a mené contre les chiites, Yazid avait appelé à l’aide des non musulmans, qu’il a par la suite protégés contre toutes les tentatives de les convertir de force à l’Islam. Dans cette optique, le terme « Yezidi » signifierait « protégé de Yazid ». Et qu’il fallait donc, sous peine d’essuyer la colère du calife, que les autres musulmans laissent la paix à cette population non musulmane. Pour les Chiites, Yazid est le mauvais chef par excellence ; il est l’assassin de leur héros Hussein et, qui plus est, un homme qui aimait le vin, les femmes et la musique (la tradition considère qu’il est l’inventeur du luth). Tous ces traits de caractère ont contribué à donner une image diabolique à Yazid, et, par extension, à ses protégés.

 

 

 

Le plus ancien de leurs chefs connus fut le cheikh Adi (qui vécut vers 1100). Il mourut dans la petite ville kurde de Lalich qui, depuis lors, est le site d’un pèlerinage annuel. Les sources de la religiosité yezidie sont toutefois plus anciennes ; cette religiosité est la résultante de linéaments religieux divers. Les Yezidis utilisent, tout comme les Juifs, le calendrier babylonien. Celui-ci est constitué d’années solaires divisées parfois en douze parfois en treize mois lunaires. Le Nouvel An ne tombe pas automatiquement le premier jour du printemps, comme dans le calendrier iranien qu’utilisent les autres Kurdes, mais environ deux semaines plus tard, exactement comme la fête de Pâques des chrétiens. Leur fête principale a lieu au début de l’automne, exactement comme chez les Juifs. Lors de cette fête, les Yezidis sacrifient rituellement un taureau, exactement comme dans le culte de Mithra, très populaire à la fin de l’Empire romain. Mithra était le dieu-soleil des Iraniens. Les tabous yezidis sur la pureté, dans le domaine des menstruations féminines, des fonctions excrémentielles et des rapports avec des étrangers à la communauté diffèrent peu de ceux des Juifs, des Musulmans et des Zoroastriens. Dans leurs rites, le respect des éléments est typiquement d’inspiration zoroastrienne. Ainsi, il leur est interdit de cracher dans le feu ou dans l’eau.

 

 

 

Certains Yezidis prétendent qu’ils maintiennent en vie l’authentique religion iranienne, telle qu’elle existait avant Zarathoustra. C’est ce qui explique pourquoi ils ont gardé le rituel du sacrifice du taureau, alors que Zarathoustra avait interdit tous les sacrifices d’animaux. Ce serait aussi la raison pour laquelle ils auraient conservé un calendrier avec mois lunaires, correspondant à des cycles naturels observables aisément par toute personne non atteinte de cécité, tandis que le calendrier solaire strict des Zoroastriens, avec ses douze mois « abstraits », non directement visibles et observables, correspondant aux signes du Zodiaque, postule une science plus avancée et est donc historiquement plus récent.

 

 

 

Adam seul

 

 

 

Les Yezidis croient en un Dieu qui a créé le monde sous la forme d’un embryon, mais a ensuite laissé tous les autres travaux particuliers de cette œuvre de création à sept anges. Le plus important de ces anges est Taous-i Melek, l’ange-paon. Il est objet de vénération et le cheikh Adi est célébré comme étant sa réincarnation. Cet ange est perçu par les Musulmans comme étant le Diable.

 

 

 

Lorsque Dieu demanda aux anges de créer l’homme, il leur ordonna de s’incliner devant ce couronnement de son œuvre créatrice. Taous-i Malek refusa : il procédait, lui, de la lumière divine et ne s’inclinerait donc pas devant l’homme, fait au départ d’une motte d’argile. C’est sans doute cet élément de fierté qui fait de lui, aux yeux des Musulmans, un ange orgueilleux et donc une manifestation du Diable. Les Yezidis ne croient pas en la puissance cosmique du mal : selon eux, le mal n’existe que dans le cœur de l’homme, mais conjointement au bien.

 

 

 

L’une des doctrines les plus étranges des Yezidis réside dans la croyance en une ascendance uniquement adamique, sans intervention d’Eve. Le couple originel voulut un jour savoir lequel des deux avait la prééminence dans le processus de reproduction. Chacun plaça alors ses humeurs reproductives dans une cruche et lorsqu’ils ouvrirent plus tard les deux cruches, celle d’Eve contenait toutes sortes de vermines et de créatures monstrueuses, mais celle d’Adam un magnifique bébé mâle. Au Proche- et au Moyen Orient, il n’y donc pas que les Musulmans qui adoptent des réflexes misogynes. Ce bébé mâle a grandi et s’est ensuite marié à une houri, une nymphe céleste, et c’est de cette union naturelle que procèdent les Yezidis.  

 

 

 

Tout comme leurs voisins syriens, les Druzes, les Yezidis croient en la réincarnation. Dans toute la région, on peut donc observer un bon nombre de mouvements religieux en marge de l’islam, qui, d’une manière ou d’une autre, se conforment aux normes de la religion musulmane, mais se réfèrent à des doctrines non musulmanes et conservent des pratiques pré-islamiques. Ainsi, les Yezidis ne connaissent pas la circoncision obligatoire, mais, chez eux, cette mutilation sexuelle est très fréquente, afin de ne pas se faire remarquer dans un environnement à prédominance musulmane. Tout comme les Musulmans, les Yezidis prient cinq fois par jour, mais à l’abri des regards, pour dissimuler le fait qu’ils ne se tournent pas vers La Mecque mais vers le Soleil.

 

 

 

C’est donc par l’exercice d’une prudence constante, comme pour les cinq prières quotidiennes, et par le caractère isolé de leurs régions de résidence, dans les montagnes, que les Yezidis ont pu survivre, en dépit des siècles de domination musulmane.

 

 

 

Moestasjrik/’t Pallieterke, Anvers, n°43/2006 (trad. franç. : Robert Steuckers).

 

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