mardi, 23 octobre 2007
Les scientifiques allemands en France après 1945
Les scientifiques allemands en France après 1945
par Helmut MÜLLER
Entre 1945 et 1950, la France a saisi comme « butin de guerre » plus de 1000 scientifiques et techniciens allemands. Tout a commencé avec l’effondrement du IIIième Reich, lorsque les troupes alliées sont entrées en Allemagne, prenant le pays en tenaille. Dans le Sud, les troupes françaises du Général de Lattre sont accompagnées d’une unité d’experts et de techniciens, dont la mission était d’examiner les installations militaires et scientifiques. Quelques agents des services spéciaux de l’armée française découvrent près d’Oberammergau 2500 documents ultra-secrets ayant appartenu au constructeur d’avions Messerschmidt. Plus tard, ces papiers inspireront les Français dans la construction de leurs avions à réaction Ouragan et Mystère.
En 1945, quelque 50.000 tonnes de matériels divers ont été acheminées d’Allemagne en France. De même, des centaines de pièces d’équipement en provenance des usines Dornier et Zeppelin. A Ötztal, les Français ont démonté une soufflerie à ultrasons, qui fonctionne encore aujourd’hui à Modane-Avrieux. Pendant plusieurs années consécutives, les Français ont profité de la remise en route des 200 fabriques de la zone d’occupation qui leur avait été accordée à Potsdam. Tout autour du Lac de Constance, dix-sept fabriques et laboratoires ont travaillé pour la marine française jusqu’en 1948, c’est-à-dire jusqu’à leur démontage. Ce fut De Gaulle lui-même qui conseilla à ses compatriotes, dès mai 1945, d’engager le maximum d’experts allemands. D’abord, pour renforcer le potentiel militaire et civil français, ensuite, pour affaiblir celui de l’Allemagne, comme le déclarait le Commandant de la zone d’occupation française, le Général Koenig.
La course pour acquérir du savoir-faire allemand a commencé très tôt, aucune puissance n’a perdu une seconde. En juillet 1945, les Américains « déménagent » Werner von Braun et 120 de ses collaborateurs de Peenemünde ; les Soviétiques, de leur côté, « pêchent » le bras droit de von Braun, Helmut Gröttrup et 200 collaborateurs de ce savant. En tout, les Américains se sont assurés le concours de 3000 spécialistes allemands, tandis que les Russes en prenaient 5000 à leur service. Les deux grandes puissances s’emparèrent également de tonnes de documents, dont des brevets de grande valeur. Au cours du mois d’octobre 1945, les Britanniques testent des fusées à Peenemünde même, mais finissent très tôt par abandonner leur programme.
Helmut Habermann et Hermann Oestrich
Après le passage des Américains et des Soviétiques, beaucoup de savants, de techniciens et de scientifiques, qui n’avaient pas été découverts, se sont retrouvés sur la rue, sans boulot. Parmi eux : Helmut Habermann. Quand celui-ci eut appris que les Français, à leur tour, s’intéressaient aux savants allemands, il se rendit dans le secteur français, accompagné de deux collègues, Weiss et Jauernick, puis ils partirent tous trois pour Paris, où on les attendait. Après qu’ils eurent signé un contrat de travail, les trois Allemands prirent la route de Cuxhaven, pour gagner d’autres collègues à la cause des Français. Parmi les centaines de candidatures, quelques hommes qui s’avérèrent ultérieurement de grands formats. On peut le dire tranquillement aujourd’hui : sans ces chercheurs et ces inventeurs, les succès ultérieurs de la France dans le domaine militaro-industriel n’auraient pas été pensables.
Sans aucun doute, les Français ont pêché un « gros poisson » en la personne de Hermann Oestrich, natif de Duisburg. Cet expert en turbines avait reçu de Hitler en 1938 la mission de développer un moteur à réaction. Son moteur BMW 003 équipera plus tard en série les chasseurs de combat Heinkel 162. En 1945, les installations de montage souterraines de Stassfurt sont occupées par les Américains. Oestrich et douze ingénieurs sont amenés à Munich pour préparer le transfert de l’usine aux Etats-Unis. Dans la capitale bavaroise, un intermédiaire français découvre Oestrich qui, dans des circonstances aventureuses, finit par atterrir en France. Dans le but de recruter du personnel compétent, il retourne en Allemagne, où il est immédiatement placé sous surveillance par les Américains et les Britanniques. Pour empêcher qu’il ne soit enlevé, un commando français rapatrie en France l’expert et ses collègues. Le 25 avril 1946, ces Allemands signent un contrat de travail avec l’Etat français. Sous la direction d’Oestrich —devenu « directeur technique »— les Français développent le moteur « Atar », qui connut un succès évident ; tous les chasseurs à réaction français en seront équipés, y compris le célèbre « Mirage ». 5000 exemplaires de ce moteur ont été vendus dans le monde entier. Oestrich n’était pas seulement un maître dans sa branche, mais il était aussi un excellent homme d’affaires. Rien que pour ses brevets élaborés dans les années 50, la « Snecma », devenue sa firme, lui a payé 180 millions de Schillings (au cours actuel). Et, chose étonnante, pour un homme considéré comme ancien « nazi », il obtint la plus haute décoration française, la « Légion d’Honneur ».
Le moteur de la fusée « Ariane »
Dans le domaine des techniques de propulsion de fusées, les Français avaient découvert une sommité en la personne de Heinz Bringer. Cet ancien collaborateur de Werner von Braun avait été un spécialiste du système de propulsion des V2. Avec ses collègues, il a construit la fusée « Véronique » pour le compte des Français. On le considère en outre comme le père du moteur « Viking » qui propulse les fusées françaises « Ariane ». Ce savant est décédé en janvier 1999, devenu citoyen français et âgé de 90 ans, dans les environs de Vernon.
On ne sait pas encore très bien quelle a été la contribution des savants allemands au développement du programme nucléaire français, car les archives ne sont pas encore toutes accessibles. Il est exact que les Américains s’étaient emparés très tôt, dès 1945, de la plupart des spécialistes allemands du nucléaire et de leurs archives. Mais il semble toutefois attesté aujourd’hui que quelques savants allemands ont collaboré au programme nucléaire français. Ainsi, outre Oskar Doehler, nous trouvons le physicien Rudi Schall, ancien membre de la NSDAP. En dépit de ce passé, il a reçu de l’Etat français une haute décoration en 1977. Aujourd’hui, âgé de 85 ans, ce Berlinois vit sur les rives du Lac de Constance.
Tous les savants allemands qui se sont mis au service de la France ne sont pas revenus en Allemagne à l’heure de leur retraite. Ainsi, Otto Krahe s’est retiré à Vernon en France. Il avait travaillé entre 1935 et 1945 à l’élaboration du V2. Sans travail en 1945, il signe un contrat avec les Français après que von Braun ait renoncé à l’appeler en Amérique, comme il l’avait pourtant promis. Avec quelques autres collègues, il a travaillé à Vernon au laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques (LRBA).
SS10 et gaz de combat
Parmi les techniciens et scientifiques engagés par la France, se trouvait également Eugen Sänger qui, plus tard, a mis son savoir au service de Nasser en Egypte. Il travaillait sur plusieurs projets, de concert avec Emile Stauff, père de la première fusée tactique française. Sur bases de connaissances acquises en Allemagne avant 1945, cette équipe a élaboré, dans l’arsenal de Puteaux, des fusées sol-air et l’une des armes anti-chars françaises les plus efficaces, le missile SS10.
Tous les travaux entrepris par des savants allemands n’ont cependant pas été couronnés de succès. L’hélicoptère à deux rotors de Heinrich Focke (le FA 223), dont le développement avait déjà été commencé sous Hitler, a d’abord été perfectionné, pour devenir le SE 300, mais n’a pas satisfait les Français. Ensuite, le projet de Helmut Zborowski, ancien membre de la Waffen-SS, de fabriquer un appareil à décollage vertical dans les années 50 a été une véritable catastrophe et a rapidement dû être abandonné.
A quelques exceptions près, les services rendus à la France par les scientifiques et les techniciens allemands après 1945 ont été très profitables, notamment ceux de Hubert Schardin, expert en armement de la firme Mauser. Tout comme les Américains, les Français n’ont pas fait la fine bouche et ont accepté le concours d’hommes au passé politique national-socialiste. Outre Helmut Zborowski, qui a pu ouvrir un « bureau technique » à Paris en 1950, on retrouve la trace de Walter Reppe et de Karl Wurster, qui, pour le compte de la France, ont pu poursuivre leurs travaux dans une usine de Ludwigshafen. Ensuite, il y a eu le cas d’Otto Ambros, un des anciens directeurs d’IG Farben, spécialiste de la production de gaz de combat, dont les travaux ont intéressé ses collègues français, experts en armes chimiques. Les Français ont su apprécier les savants qui firent partie de leurs « prises de guerre ».
Les scientifiques allemands ont pu travailler correctement jusqu’en 1945, malgré les côtés répressifs du système national-socialiste et les rudes conditions de travail imposées par l’état de guerre à partir de l’automne 1939. Par rapport à leurs collègues étrangers, ils ont pu avancer grandement dans bien des domaines. Les pays qui les ont employés leur ont rendu hommage, alors que, dans leur patrie, leurs travaux sont passés sous silence. Preuve supplémentaire que l’Allemagne est toujours incapable de prendre sereinement en considération son passé récent.
Helmut MÜLLER.
(Article tiré de Aula, n°9/1999).
01:15 Publié dans Affaires européennes, Histoire, Sciences | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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