vendredi, 02 novembre 2007
En pleine "agflation"...
En pleine « agflation »
Le jeudi 13 septembre 2007 ne fut pas un jour comme un autre en Italie. Au pays des tortellini et des macaronis, des millions de citoyens ont participé à une grande action de boycott des… pâtes. Pour les masses italiennes, le prix, toujours croissant, de leurs aliments de base devenait franchement insupportable. Au cours de l’année écoulée, cette augmentation avait atteint 25%. Un repas sans pâtes, comme le voulait le boycott, ne fera évidemment pas la différence. Mais le message est clair. Au Mexique, la population subit également une augmentation terrible des denrées alimentaires. Quelques mois avant que les Italiens n’organisent leur journée de boycott des pâtes, des émeutes avaient éclaté au Mexique parce que le prix des ingrédients de la tortilla avait considérablement augmenté. En trois mois à peine, le prix des denrées de base du peuple mexicain avait quadruplé ! L’explication de ce scandale, il faut aller la rechercher au Nord du Rio Grande. Le Mexique est certes le quatrième producteur au monde de maïs, mais pour faire leurs tonnes de tortillas, le pays dépend encore et toujours du maïs bon marché importé des Etats-Unis. Or voilà que ce produit, jadis abordable, est devenu subitement très cher.
Dans nos propres magasins aussi, nous ressentons les effets de quelques mutations sur le marché global. Pendant les mois d’été, les rapports sur l’augmentation imminente des prix des denrées alimentaires se sont bousculés. Le principal producteur flamand de pâtes, la firme « Soubry » de Roulers (Roeselaere) prévoyait même des augmentations de 20 à 30%. La facture ne sera probablement pas aussi salée, prétendent certains experts, mais, quoi qu’il en soit, les prix augmenteront. On sent déjà, aux caisses des grandes surfaces, que le blé, l’orge ou le lait sont plus chers qu’avant.
Plusieurs acteurs jouent un rôle avant que ces produits alimentaires finis ne s’entassent dans les rayons de nos magasins ; le jeu de la concurrence prend effet tout au long de la chaîne, si bien que le prix final n’explose pas comme au Mexique. Mais la question qui se pose aux analystes est la suivante : pendant combien de temps pourra-t-on, sous nos latitudes, protéger le consommateur moyen contre l’explosion potentielle des prix ? En moyenne, les ménages consacrent un cinquième de leurs revenus à l’alimentation. Cette part augmentera, c’est une certitude.
Nous entrons de plein pied dans l’ère de l’ « agflation », terme qui fut employé pour la première fois dans un rapport du géant financier Merrill Lynch. Sa signification est claire quand on le décompose, avec « ag » pour « agro » et « -flation » pour « inflation ». Il s’agit donc de l’inflation des prix des produits agricoles. Exactement ce qui se produit aujourd’hui.
Un problème structurel
Les mauvaises conditions climatiques ne jouent qu’un rôle fort modeste dans les tendances à la hausse que l’on observe ces temps-ci. Les raisons sont davantage structurelles. Ce qui entre en jeu, c’est la vieille loi de l’offre et de la demande. Nous pouvons certes admettre que le marché mondial de l’agro-alimentaire est d’une extrême complexité. Lorsqu’un incident survient quelque part dans le monde, disons une catastrophe écologique qui détruit une récolte tout entière, cela ne se traduit pas immédiatement par une augmentation des prix à la consommation. Les nombreux stades intermédiaires que traversent les produits ont souvent une fonction qui absorbe les chocs. Ensuite, l’un produit n’est pas l’autre. Quant à tel marché, il sera plus sensible que tel autre sur le plan des prix. Ceci dit, ce qui ce passe de nos jours, n’est pas dû à des impulsions ou des hasards provoqués par les vicissitudes climatiques.
Avant toute chose, il y a la question majeure et elle est d’ordre démographique. Des géants démographiques comme l’Inde et la Chine sont des marchés en pleine expansion, comme chacun le sait. Des millions voire des milliards de consommateurs voient leur pouvoir d’achat augmenter si bien que des gammes entières de produits leur deviennent soudain accessibles. Ce faisceau de faits a même un volet culturel. Pendant longtemps, il n’était pas de mise en Chine de manger du fromage ; la culture chinoise considérait cet aliment comme une abomination. Mais le pays, sur ce plan, commence à adopter des habitudes culinaires occidentales. Ce qui n’est pas sans conséquences : la demande en lait augmente, ce qui entraîne une hausse des prix des produits laitiers. L’Inde est redevenue pour la première fois depuis 1975 un importateur net de blé. Ce qui est révélateur… A partir de 2008, la Chine deviendrait un important importateur de maïs.
Les carburants biologiques
Parallèlement à ce mouvement, l’offre stagne. Pire : pour un certain nombre de produits, l’offre baisse, ce qui nous confronte à un autre problème, celui de la fabrication de bio-carburants. Résumons une situation qui est évidemment bien plus compliquée : pour fabriquer de tels carburants, il faut de la biomasse, produite, par exemple, par du colza. L’avantage écologique ne réside pas dans une émission diminuée de CO2, que l’utilisation de ce carburant rendrait possible, mais du fait que, pendant la culture de cette biomasse, les plantes de colza absorberaient du CO2, ce qui compenserait les émissions ultérieures. C’est pour cette raison que l’on appelle les bio-carburants « neutres sur le plan du CO2 ». Mais si l’on va mobiliser des terres arables pour la culture de plantes destinées aux bio-carburants, on ne les consacrera pas à la culture de denrées alimentaires. C’est là que réside le nœud du problème. Sur le plan commercial, la problématique des bio-carburants n’est donc pas entièrement résolue mais un fait demeure, au milieu de cet imbroglio, la conversion en direction de la culture de plantes destinées aux bio-carburants est très avantageuse pour les agriculteurs qui entendent s’y mettre. Avec le résultat que l’on devine : la hausse des prix s’intensifie encore davantage.
« Food versus fuel » : c’est par cette formule lapidaire qu’un analyste résumait naguère la situation que nous vivons. « A l’horizon se dessine une lutte entre les 800 millions de personnes possédant une automobile et les milliards de pauvres qui n’en n’ont pas ». Cette une présentation certes assez abrupte de la situation, mais, quelque part, elle est exacte. Car dans la sphère occidentale les gens se mettent à grogner et à rechigner quand ils passent à la caisse. Mais la bataille est plus âpre dans les pays en voie de développement. D’après les experts, il y a tout de même un moyen de s’en sortir et de concilier tout le monde. D’abord, il existe potentiellement beaucoup de terres arables en réserve dans le monde. De plus, l’ingénierie biologique permettra encore beaucoup de choses. D’autres prétendent que l’on pourrait encore davantage libéraliser le marché, car cela permettrait des prix plus honnêtes, un véritable « fair trade » (le terme est à la mode). Il existe des pistes, c’est indubitable. Reste la question : sont-elles réalisables ?
Sans doute mais cela demandera du temps et exigera bien des difficultés dans leur mise en œuvre. L’ère de l’ « agflation » met un holà à une tendance à la chute systématique des prix, qui avait duré de très nombreuses années.
« M. » / « ’t Pallieterke ».
(article tiré de « ‘t Pallieterke », Anvers, 10 octobre 2007).
00:10 Publié dans Affaires européennes, Définitions, Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Les commentaires sont fermés.