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samedi, 19 juillet 2025

À l'est d'Eden - L'Europe, l'Iran et Israël

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À l'est d'Eden - L'Europe, l'Iran et Israël

Par le Groupe de réflexion Feniks (Flandre)

Source: https://www.feniksvlaanderen.be/blog/2610773_ten-oosten-v...

Introduction

La réaction actuelle des conservateurs, qui consiste à soutenir inconditionnellement Israël dans sa rhétorique virulente et sa confrontation militaire avec l'Iran, est une erreur stratégique. D'un point de vue philosophique – au nom du Groupe de réflexion Feniks (Flandre) –, nous affirmons que la guerre ou le changement de régime en Iran aurait des effets contraires à ceux escomptés pour l'Europe. Malgré la sympathie compréhensible des conservateurs flamands et néerlandais pour Israël, nous devons reconnaître avec lucidité qu'une escalade avec l'Iran nuit aux intérêts propres de l'Europe. Les interventions occidentales précédentes au Moyen-Orient, de l'Irak à la Libye et à la Syrie, n'ont en effet pas apporté l'ordre, mais le chaos, des flux de réfugiés et l'extrémisme. Il est donc moralement et stratégiquement irresponsable que des voix européennes encouragent un changement de régime à Téhéran. Nous devons repenser les réalités géopolitiques: celles qui reposent sur l'opposition entre les puissances terrestres et les puissances maritimes, repenser la place de l'Europe dans ce contexte et la nécessité de se détacher des programmes stratégiques des thalassocraties (des puissances maritimes mondiales) telles que les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël. Cela signifie également qu'il faudra oser regarder en face le double standard avec lequel l'Occident traite le droit international et les valeurs humanitaires. Ce n'est qu'à travers une telle réflexion critique que les droites pourront rester fidèles aux principes qu'elles affichent, tels que la stabilité, la souveraineté et le contrôle de l'immigration.

Leçons tirées des interventions récentes

Avant de nous pencher sur Israël et l'Iran, examinons l'histoire récente des interventions étrangères dans cette région du globe. Ces interventions doivent nous servir d'avertissement. L'Irak a été envahi en 2003 dans le but proclamé de renverser un régime tyrannique et d'instaurer la démocratie. Le résultat ? Une longue guerre civile, la montée en puissance de Daech, des centaines de milliers de morts et un pays en ruines. La politique de puissance de Washington a créé « l'une des pires catastrophes géopolitiques depuis des décennies », un vide dans lequel la violence sectaire a prospéré. La Libye a subi le même sort en 2011: l'Occident a oeuvré à renverser Kadhafi sans avoir de plan pour l'avenir du pays. Il en a résulté l'effondrement de l'État libyen, une deuxième guerre civile et l'émergence d'une zone de non-droit qui a donné libre cours aux extrémistes et aux trafiquants d'êtres humains. Les milices extrémistes, les armes et les réfugiés ont afflué vers les pays voisins et même vers l'Europe via la Libye en faillite. La Syrie n'a pas connu un sort très différent: le soutien occidental aux soi-disant rebelles et l'escalade vers une guerre par procuration ont fait plus d'un demi-million de morts et des millions de déplacés, dont des millions de Syriens qui ont cherché refuge en Turquie, au Liban et en Europe. Les villes syriennes ont été réduites en ruines; le chaos a alimenté le terrorisme et provoqué un flux migratoire sans précédent vers le continent européen. Et n'oublions pas l'Afghanistan: après vingt ans de guerre, les troupes de l'OTAN se sont retirées en 2021, ce qui a permis aux talibans de reprendre rapidement le pouvoir. Ce « cimetière des empires » a coûté aux pays occidentaux des milliers de vies de soldats, des milliards d'euros, et s'est soldé par une retraite humiliante. De plus, une nouvelle crise des réfugiés a immédiatement éclaté lorsque des dizaines de milliers d'Afghans ont fui le pays pour échapper au régime taliban.

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Ces dures leçons révèlent une tendance générale: les interventions étrangères et les changements de régime forcés n'apportent pas une démocratie stable, mais plutôt l'instabilité et des catastrophes humanitaires. Elles déstabilisent des régions entières, créent des vides de pouvoir qui sont comblés par les djihadistes et poussent des masses de personnes à fuir. Cela a des conséquences directes pour l'Europe. Les vagues de demandeurs d'asile en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord rompent la cohésion sociale des pays européens, problème auquel les droites sont particulièrement sensibles. La population européenne en a en effet ressenti les répercussions de ces interventions: pensons à la crise des réfugiés de 2015, qui était en partie due à la guerre en Syrie, ou à l'instabilité au Sahel, qui touche également l'Europe via les frontières désormais ouvertes de la Libye. Lorsque les partis de droite en Europe réclament des mesures sévères contre l'Iran ou expriment leur soutien au bellicisme israélien, ils doivent comprendre qu'ils suivent ainsi la même recette qui nous a déjà valu le chaos et la pression migratoire. C'est contre-productif et myope: on promeut l'aventure militaire, mais on récolte l'insécurité et une immigration indésirable.

Géopolitique : loups terrestres contre loups marins

Pour vraiment comprendre les tensions actuelles entre Israël et l'Iran, il est indispensable d'adopter une perspective géopolitique. Au début du 20ème siècle, des penseurs tels que l'amiral Alfred Thayer Mahan et le géographe britannique Halford John Mackinder ont identifié une contradiction fondamentale dans la politique mondiale : celle entre les thalassocraties (puissances maritimes) et les tellurocraties (puissances terrestres). Mahan, stratège de la marine américaine, affirmait que les grandes puissances maritimes ne pouvaient assurer leur position qu'en contenant la volonté d'expansion des principales puissances terrestres.

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À l'époque, la Russie était la puissance terrestre par excellence qui devait impérativement être contenue par une coalition de puissances maritimes (c'est-à-dire les États-Unis, la Grande-Bretagne et le Japon) afin qu'elle n'obtienne pas un accès illimité aux océans. Mackinder a développé cette idée et a résumé l'histoire mondiale comme étant la confrontation permanente entre la terre et la mer. Dans sa célèbre théorie du « Heartland » (1904), il affirmait que celui qui contrôlait le cœur de l'Eurasie – une vaste région d'Asie centrale – pouvait finalement contrôler le monde. Les puissances maritimes (l'« île mondiale » que constituent la Grande-Bretagne, les États-Unis, le Japon, etc.) tentaient donc d'encercler ce cœur continental et d'empêcher la puissance terrestre d'accéder aux océans. Mackinder parlait en termes imagés de « loups terrestres » et de « loups marins », deux espèces se disputant le pouvoir sur la planète. Cette métaphore – les prédateurs terrestres contre les prédateurs marins – symbolise une réalité géopolitique profonde qui continue d'avoir des répercussions aujourd'hui.

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D'autres penseurs, tels que le géopoliticien allemand Karl Haushofer et le juriste Carl Schmitt, ont également souscrit à cette dichotomie. Schmitt a souligné que les puissances mondiales se sont toujours regroupées autour de ces deux pôles, et il a introduit le concept de Grossraum : de grands espaces continentaux qui devaient échapper à l'ingérence des empires maritimes. Selon eux, l'Europe ne pourrait être véritablement souveraine que si elle formait son propre espace de pouvoir continental, autosuffisant et libre de toute influence anglo-américaine. Cette idée d'un grand bloc eurasien – un axe Berlin-Moscou, éventuellement complété par les grandes puissances asiatiques – était diamétralement opposée à la stratégie anglo-saxonne du « diviser pour régner » par le biais de l'hégémonie maritime. En effet, pendant la guerre froide, les États-Unis ont appliqué précisément la stratégie de l'anaconda, décrite par Haushofer et ultérieurement élaborée par Spykman et Brzeziński: étrangler le continent eurasien le long de ses frontières (sur le « Rimland ») par le biais d'alliances et de bases militaires s'étendant de l'Europe à l'Asie orientale. Tout cela dans le but d'empêcher une puissance continentale comme la Russie ou la Chine de s'avancer sans entrave vers les océans et de dominer l'ordre mondial.

Quel est le rapport avec Israël et l'Iran? Eh bien, Israël est, d'un point de vue géopolitique, un avant-poste des puissances maritimes occidentales au cœur du Moyen-Orient, une région qui fait elle-même partie du cœur de l'Eurasie. Du point de vue de Washington et de Londres, Israël sert de tête de pont stratégique pour contrer les aspirations continentales des puissances terrestres régionales. Ainsi, pendant des décennies, Israël a contenu les régimes nationalistes arabes (tels que l'Égypte de Nasser ou la Syrie baasiste), qui avaient parfois tendance à s'allier à la Russie soviétique. Aujourd'hui, Israël considère l'Iran comme la grande menace terrestre: un pays vaste et influent qui ne veut pas tomber sous la domination maritime américaine et qui tisse des liens étroits avec d'autres puissances terrestres, telles que la Russie et la Chine. L'hostilité entre Israël et l'Iran dépasse donc le simple cadre religieux ou idéologique: il s'agit ici d'un conflit entre thalassocratie et tellurocratie au niveau régional. L'Iran est, géographiquement et historiquement, une puissance terrestre typique: situé au centre d'un espace assez vaste, difficile à conquérir (comme l'ont découvert de nombreux autres empires), avec une civilisation bien enracinée au cœur du continent. Israël, en revanche, est petit et n'est pas une puissance maritime, mais il est étroitement lié aux intérêts des puissances maritimes mondiales (les États-Unis et, dans une moindre mesure, le Royaume-Uni). Le pays bénéficie de la protection de la flotte américaine, de l'aide militaire occidentale et de la couverture diplomatique de l'Occident sur la scène mondiale – et en échange, il soutient implicitement la domination anglo-américaine dans la région.

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L'Europe continentale se trouve dans une position délicate au sein de ce champ de forces. D'une part, l'Europe occidentale est traditionnellement l'alliée des puissances maritimes mondiales (pensez à l'OTAN, au partenariat transatlantique, etc.). D'autre part, l'Europe est en fait une péninsule du continent eurasien – une puissance terrestre à part entière, avec des intérêts vitaux dans la stabilité du continent voisin (de l'Europe de l'Est au Moyen-Orient). La question se pose: l'Europe doit-elle continuer à suivre aveuglément la ligne de Washington et de Londres, même lorsque celle-ci conduit à la confrontation et au chaos à nos portes? Ou osera-t-elle se réorienter et penser davantage en termes d'intérêt continental? L'histoire nous enseigne que les puissances maritimes anglo-saxonnes avaient intérêt à maintenir le continent eurasien divisé et affaibli. « Diviser pour régner » sur terre et « régner sur les mers » était leur devise. Ainsi, dans les années 1980, les États-Unis ont soutenu les combattants islamistes en Afghanistan afin de saper l'Union soviétique, ce qui a finalement donné naissance aux talibans et à Al-Qaïda. De même, les États-Unis et leurs alliés se sont longtemps ingérés dans les changements de régime et les révolutions au Moyen-Orient, toujours dans le but de remplacer les gouvernements désobéissants par des gouvernements pro-occidentaux.

Mais pour l'Europe, cela s'est rarement bien passé: les foyers de tension se sont succédé sur sa périphérie immédiate, provoquant de nouvelles instabilités dans la région.

Dans le conflit israélo-iranien, nous voyons aujourd'hui le même scénario se dessiner. Israël, avec le soutien des néoconservateurs américains, insiste depuis des années pour que des mesures sévères soient prises contre l'Iran, allant de sanctions strictes à d'éventuelles attaques militaires contre les installations nucléaires iraniennes. Certaines voix s'élèvent même (principalement à Washington et à Tel-Aviv) en faveur d'un « changement de régime » à Téhéran, dans l'espoir d'installer un gouvernement pro-occidental. Il s'agit toutefois d'un jeu dangereux: l'Iran n'est pas un pion faible, mais une civilisation ancienne et fière comptant aujourd'hui 92 millions d'habitants; une population, qui, précisément en raison de la menace extérieure, se rallie souvent à son régime par patriotisme. Une guerre avec l'Iran serait beaucoup plus destructrice et imprévisible que celles qui ont été menées, tambour battant, contre l'Irak ou la Syrie. L'Iran possède donc une population beaucoup plus nombreuse et dotée d'une volonté plus forte, précisément en raison de la théocratie, qui y règne, et de l'histoire particulière du pays. De plus, dès le début d'un éventuel futur conflit, la Chine et la Russie apporteront un soutien important à leur allié au Moyen-Orient. Si les États-Unis, pour leur part, tentent d'apporter un soutien militaire depuis l'extérieur, l'Iran n'aura qu'à fermer le détroit d'Ormuz pour provoquer une énorme onde de choc économique pour l'économie mondiale. Nous estimons peut-être savoir par quoi nous commençons si nous commettons une telle intervention ou si nous tentons un tel changement de régime, mais nous ne pouvons pas deviner où tout cela finira.

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Pour l'Europe, un tel conflit aurait des conséquences désastreuses: interruption des approvisionnements en pétrole et en gaz, amplification du terrorisme, implication possible de l'OTAN (avec le risque d'une guerre à grande échelle) et, inévitablement, un nouvel exode de réfugiés. En cas d'effondrement de l'Iran, des millions d'Iraniens chercheraient refuge, probablement en Europe. Les mêmes partis politiques, qui tiennent aujourd'hui un discours pro-israélien, seraient alors confrontés, quelques années plus tard, à l'accueil de réfugiés iraniens? En bref, d'un point de vue géopolitique et stratégique, il n'est pas dans l'intérêt de l'Europe continentale de suivre Israël dans sa volonté de guerre contre l'Iran.

L'Europe a intérêt à ce que la stabilité règne au Moyen-Orient, et non à ce que des foyers de tension s'y développent. Si les partis de droite veulent sincèrement protéger les frontières de notre espace civilisationnel et endiguer les flux migratoires, la dernière chose qu'ils doivent applaudir est une nouvelle guerre à grande échelle dans la région proche- et moyen-orientale. Au contraire, l'Europe devrait investir dans la diplomatie, plaider la réduction des conflits et promouvoir les relations économiques afin de contribuer à stabiliser le Moyen-Orient, ce qui, à terme, réduirait la pression migratoire.

Se libérer des thalassocraties

Ce qui précède, ici, implique que l'Europe doit réfléchir à son autonomie géopolitique. Pendant des décennies, l'Europe occidentale a aligné sa politique étrangère sur celle de Washington. L'OTAN, dominée par les États-Unis, a dicté la stratégie: interventions en Afghanistan et en Libye, confrontation avec les ennemis d'Israël, etc. Mais nous sommes désormais au 21ème siècle, et l'équilibre des pouvoirs est en train de changer. Le Royaume-Uni a quitté l'UE; les États-Unis se concentrent de plus en plus sur l'Asie (la Chine). L'Europe continentale – en particulier le noyau autour de l'Allemagne et de la France, mais aussi des pays comme la Belgique et les Pays-Bas – doit se demander quelle est la voie à suivre dans son propre intérêt. La géopolitique anglo-américaine traditionnelle considère l'Eurasie comme un risque maîtrisable (selon la logique de Mackinder et Brzeziński). Mais pour l'Europe, l'Eurasie n'est pas seulement une théorie abstraite: c'est notre voisin et, en partie, notre foyer. Nous partageons le continent avec la Russie, la Turquie et le Moyen-Orient. Notre économie est étroitement liée à l'énergie et aux matières premières provenant de Russie et du Golfe, ainsi qu'aux marchés asiatiques. Lorsque les faucons anglo-américains prônent la confrontation – que ce soit avec la Russie en Ukraine ou avec l'Iran au Moyen-Orient –, ce sont nous, Européens, qui en payons le prix fort: récessions économiques dues aux sanctions et aux crises énergétiques, ou tensions sociales liées aux flux de réfugiés.

Se détacher des intérêts des thalassocraties ne signifie pas que l'Europe doive devenir anti-américaine, mais qu'elle doit apprendre à penser de manière mature et indépendante. Nous pouvons rester de bons alliés, mais ne pas demeurer de simples vassaux. Les gouvernements européens ne doivent plus soutenir sans réserve chaque initiative américaine ou israélienne qui, au nom de la « liberté et de la démocratie », vise à mettre un autre pays à genoux. Car soyons honnêtes: trop souvent, ces slogans idéalistes se sont avérés être un prétexte pour une politique de puissance brutale. Il est utile ici de rappeler les paroles du politologue américain Samuel Huntington. Huntington a fait remarquer que «l'Occident n'a pas conquis le monde par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion, mais par sa supériorité dans l'application de la violence organisée». Les puissances occidentales – avec les États-Unis et, autrefois, la Grande-Bretagne en tête – ont défendu leurs intérêts par la force militaire et économique, et pas seulement par la supériorité morale.

Cette prise de conscience est un signal d'alarme: l'Europe doit comprendre que la volonté actuelle de renverser le régime iranien, par exemple, n'a rien à voir avec les « droits de l'homme » ou la « démocratie », mais tout à voir avec la volonté de pérenniser une domination géostratégique. Si nous, Européens, voulons vraiment défendre les principes du droit à l'autodétermination et à la souveraineté, nous ne devons pas soutenir la violation de ces principes pour d'autres peuples, et peut-être même la critiquer, non seulement lorsque la Russie le fait en Ukraine, mais aussi lorsque Israël ou les États-Unis le font au Moyen-Orient.

Même le haut représentant de l'UE, Josep Borrell, a récemment admis l'existence d'un double standard occidental. Dans un discours remarquable, il a fait référence à la critique selon laquelle l'Europe semble accorder plus d'importance à la vie des citoyens ukrainiens qu'à celle des citoyens palestiniens de Gaza, et que nous fermons les yeux sur les violations des résolutions de l'ONU par Israël tout en imposant des sanctions à la Russie pour des actes posés comme similaires. Cette hypocrisie sape notre crédibilité et nuit également à notre sécurité à long terme. Car comment pouvons-nous trouver des alliés dans le reste du monde (par exemple pour endiguer les migrations ou lutter contre le terrorisme) si nous sommes perçus comme sélectifs et hypocrites? Il faudrait dès lors fonder une politique étrangère européenne continentale, axée sur la cohérence des principes et l'intérêt propre: plus de chèque en blanc pour les aventures militaires israéliennes, mais plutôt l'accent mis sur la diplomatie, la coopération économique et la prévention des conflits dans notre région voisine.

Dimension coloniale et hypocrisie occidentale

La question israélienne mérite elle-même un examen critique, en particulier dans les milieux dits conservateurs qui attachent généralement une grande importance à la continuité historique et aux principes de souveraineté. C'est une vérité dérangeante, mais Israël est né d'une logique coloniale. Le projet sioniste est apparu à la fin du 19ème siècle comme un mouvement de colonisation européen: les Juifs européens (et plus tard ceux d'autres parties du monde) ont émigré en Palestine avec le soutien de grandes puissances coloniales telles que l'Empire britannique. Les terres ont été acquises au détriment de la population indigène, souvent par la force ou après son expulsion. En 1948, l'État d'Israël a été proclamé, ce qui s'est accompagné de la Nakba, l'expulsion catastrophique de plus de 700.000 Palestiniens de leurs terres. Ces faits sont bien documentés historiquement et reconnus par des historiens honnêtes (dont des Israéliens, ceux que l'on appelle les "Nouveaux Historiens", de l'école "post-sioniste"). Israël s'inscrit dans la lignée des États coloniaux classiques tels que les États-Unis, le Canada et l'Australie: un population de nouveaux arrivants qui peuple un pays sous le prétexte d'un droit historique ou divin, marginalise ou expulse les habitants autochtones et construit son propre mythe national pour justifier cette effrayante procédure.

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Pour la droite occidentale, généralement sceptique à l'égard du culte de la culpabilité coloniale et de l'esclavage, la critique d'Israël est souvent un sujet sensible. Après tout, Israël est considéré comme « l'allié de l'Occident dans une région hostile » et comme une sorte de ligne de front contre la menace islamique. Mais cela soulève une incohérence morale. D'une part, nous défendons le principe selon lequel les frontières sont sacrées (rappelons-nous l'indignation suscitée par l'annexion de la Crimée par la Russie); d'autre part, Israël enfreint systématiquement le droit international depuis 1967 en remplissant les territoires palestiniens occupés de colons. Des centaines de milliers de colons israéliens se sont désormais installés en Cisjordanie, ce qui est illégal selon la quatrième Convention de Genève. Les Palestiniens y vivent sous occupation militaire, sans droits civils. À Gaza, nous avons récemment vu comment Israël agit en tant que puissance occupante: punitions collectives, blocus, bombardements qui ne font pas la distinction entre combattants et civils. Pourtant, les gouvernements occidentaux sont remarquablement indulgents dans leur réaction. Pas de sanctions, pas d'embargo sur les armes – au contraire, Israël reçoit souvent encore plus de soutien lorsque les critiques internationales s'intensifient. Cette position exceptionnelle accordée à Israël sape toutes les références que l'Occident dit accorder aux "valeurs".

La cause de cette souplesse occidentale à l'égard d'Israël réside en partie dans notre histoire. L'Europe a un complexe de culpabilité envers le peuple juif en raison de l'Holocauste. Ce profond sentiment de honte – surtout en Allemagne, mais aussi plus largement en Europe occidentale – a conduit à une réticence à critiquer Israël, même si cela serait parfois justifié. Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, il y avait en outre beaucoup de sympathie pour les survivants juifs et leur désir d'avoir leur propre État. Cependant, cette réaction émotionnelle compréhensible est devenue au fil du temps presque un dogme: Israël bénéficie d'une immunité morale, comme s'il était au-dessus des normes universelles. Les politiciens européens osent rarement dénoncer les abus israéliens de peur d'être taxés d'antisémitisme ou de profaner la mémoire de l'Holocauste. Ce « complexe de culpabilité lié à la Shoah » est parfois exploité, notamment par le lobby pro-israélien, pour étouffer toute critique et obtenir un soutien inconditionnel.

Bien sûr, il faut être vigilant face à l'antisémitisme, mais cela ne doit pas nous amener à fermer les yeux sur d'autres groupes opprimés ou à excuser des violations flagrantes des droits de l'homme. La véritable justice n'applique qu'un seul critère, sinon elle est nulle et non avenue.

À cela s'ajoute l'influence réelle des lobbies pro-israéliens en Europe. Nous connaissons tous le pouvoir du lobby israélien à Washington (AIPAC, etc.), mais il existe également à Bruxelles, Londres, Berlin et même La Haye des réseaux bien organisés qui promeuvent activement le discours d'Israël et tentent de rallier les politiciens à leur cause. Au Parlement européen, par exemple, un lobbying intense est mené pour tempérer les voix pro-palestiniennes: les eurodéputés qui critiquent Israël sont ouvertement dénigrés, voire déclarés persona non grata à Tel-Aviv, sans que l'UE ne riposte. Des organisations telles que les « European Friends of Israel », des groupes de réflexion et des ONG influencent le discours en coulisses. Les journalistes qui publient des articles critiques risquent d'être accusés de partialité. En bref, Israël a développé en Europe occidentale un réseau d'influence qui n'a pratiquement pas d'équivalent parmi les autres pays. Il est donc difficile pour les citoyens de comprendre pourquoi leurs dirigeants cèdent à chaque fois. Est-ce simplement par culpabilité ? Est-ce par dépendance stratégique (commerce d'armes, échange de renseignements)? Ou parfois même par intérêt financier et politique – dons, promesses d'emplois prestigieux après la carrière politique?

Quelle que soit la raison, une transparence radicale s'impose. Les partis de droite en Europe, souvent préoccupés à juste titre par l'influence étrangère qu'exercent certaines organisations islamiques ou la bureaucratie européenne, devraient avoir le courage d'examiner toutes les influences étrangères – y compris celles des États-Unis ou d'Israël – sur nos démocraties. Un plaidoyer pour la transparence: que les politiciens rendent publics les voyages, les dons ou les services qu'ils reçoivent d'États étrangers ou de lobbies. Pourquoi serait-il suspect qu'une ONG reçoive le soutien des pays du Golfe, par exemple, alors que nous acceptons sans broncher que des parlementaires se laissent choyer par des fondations pro-israéliennes? Quiconque revendique la souveraineté doit également oser penser de manière souveraine. Cela signifie: déterminer ses propres positions en fonction de ses propres intérêts et valeurs, sans se laisser influencer par aucune pression de groupe.

Mythes et réalités sur Israël

Enfin, il est utile de démystifier certains mythes qui poussent principalement les nationalistes de droite en Europe à idéaliser Israël sans réserve. L'un de ces mythes est qu'Israël incarne une sorte d'unité ethnique et culturelle, un peuple qui est « revenu » sur la terre de ses ancêtres. En réalité, la population israélienne est extrêmement hétérogène et résulte en grande partie de l'immigration. Les Israéliens juifs proviennent des cinq continents: les Juifs ashkénazes d'Europe (Russie, Pologne, Allemagne, Pays-Bas...), les Juifs séfarades et mizrahim du monde arabe et islamique (Maroc, Irak, Iran, Yémen...), les Juifs éthiopiens d'Afrique, etc. Beaucoup ont peu de liens génétiques ou culturels avec l'ancien Israël des temps bibliques – leurs ancêtres se sont convertis au judaïsme des siècles plus tard ou se sont mélangés aux populations locales.

Comment-le-peuple-juif-fut-invente-316636372.jpgDes historiens israéliens tels que Shlomo Sand ont longuement démontré que le concept d'un peuple juif homogène, en exil depuis l'époque romaine et qui « revient » aujourd'hui, est en grande partie un mythe national. Avant le 20ème siècle, les Juifs de Pologne ou du Yémen, par exemple, ne partageaient pas de langue, de culture ou d'ethnicité communes, à l'exception de leur religion. L'État d'Israël n'est donc pas tant une nation-État naturelle qu'un melting-pot nouvellement créé, forgé par l'idéologie (le sionisme en l'occurrence) et alimenté par des vagues migratoires diverses. Cela n'est pas nécessairement un inconvénient en soi – la plupart des nations modernes sont des mélanges –, mais cela sape l'affirmation souvent entendue selon laquelle Israël appartient exclusivement à un « peuple juif » homogène ayant un droit ancestral sur ce bout de terre.

Posons-nous la question suivante: trouverions-nous concevable qu'un nouvel État soit fondé quelque part en Europe sur la base de la religion ou de l'ethnicité, rassemblant une population venue du monde entier pour former une entité exclusive, au détriment de la population locale existante? La réponse est claire: non. Si demain, un mouvement de la diaspora islamique mondiale décidait, par exemple, que l'Andalousie est « la terre sainte des Omeyyades » et y proclamait un État islamique, cela nous semblerait absurde et inacceptable. Pourtant, c'est exactement ce qui s'est passé en Israël sous la bannière du sionisme: la création d'une colonie religieuse et ethnique. L'Occident a facilité et ensuite soutenu cette initiative, motivé par des circonstances historiques et un sentiment de culpabilité, certes, mais il s'agit en réalité d'un projet de colonisation au milieu du 20ème siècle, à une époque où le colonialisme était justement en train d'être démantelé ailleurs. Cette incohérence est notre talon d'Achille.

Les conservateurs européens, fiers de leur culture et de leur passé, doivent se demander pourquoi une telle expérience est défendue sans critique de l'autre côté de la Méditerranée. Bien sûr, nous souhaitons au peuple juif la sécurité et l'autodétermination après les horreurs de l'Holocauste. Mais cela doit-il impliquer que nous fermions les yeux sur le prix qu'un autre peuple – les Palestiniens – paie pour cela? Où est notre principe d'égalité devant la loi? Le cœur même de la pensée conservatrice en matière d'État de droit n'est-il pas d'appliquer les mêmes critères à tous, indépendamment de l'origine ou de la religion? Dans le cas d'Israël, cependant, il semble y avoir une règle tacite: d'autres normes s'appliquent à eux, parce que... oui, mais pourquoi au juste? Parce que l'on s'identifie à leur image occidentale? Parce que l'on se méfie du monde musulman et que l'on considère Israël comme «l'avant-poste de la civilisation»? Ce dernier argument revient souvent chez les faiseurs d'opinion de droite: Israël serait un avant-poste courageux de l'Occident au milieu d'une mer islamique hostile. Cette vision du monde simplifie toutefois la réalité. Elle suscite en outre peu de compréhension dans le reste du monde, y compris dans de grandes civilisations comme l'Inde, la Chine ou l'ensemble du monde islamique, qui trouvent cette auto-justification occidentale hypocrite.

Conclusion

Les forces conservatrices et nationalistes en Flandre et aux Pays-Bas se trouvent à la croisée des chemins. Vont-elles rester prisonnières d'un vieux réflexe datant de la guerre froide, selon lequel tout ennemi d'Israël est automatiquement considéré comme un ennemi de «l'Occident libre»? Ou oseront-elles tracer une nouvelle voie qui soit à la fois fidèle à nos valeurs occidentales d'ordre et de justice et qui tienne compte de manière réaliste de la place de l'Europe dans un monde multipolaire? Le présent article d'opinion soutient que suivre la voie guerrière d'Israël contre l'Iran est une impasse – contre-productive pour notre sécurité, contraire à nos intérêts et incompatible avec nos propres principes moraux. Au lieu de cela, l'Europe continentale doit apprendre à penser comme un acteur géopolitique à part entière: préserver la stabilité et la paix dans les pays voisins, défendre systématiquement le droit international et se libérer de l'emprise des propgrammes d'autrui, générateurs de conflits.

Que le message de Feniks aux droites soit le suivant: renouvelez votre patriotisme, concentrez-le sur l'avenir de l'Europe. Nos communautés ne seront pas protégées si l'on facilite encore davantage de guerres dans des contrées lointaines; elles seront protégées par la sagesse, la maîtrise de soi et la défense de leurs propres intérêts. Une Europe forte ne se laisse pas entraîner dans les rêves guerriers de puissances étrangères, mais choisit sa propre voie de la paix par la force. Et un conservatisme authentique ose dire des vérités jusqu'ici impopulaires: oui, même en ce qui concerne Israël, là où il fait fausse route. Tout comme un véritable ami doit parfois réprimander un autre ami, nous devons tempérer le nationalisme israélien là où il déraille – non par hostilité, mais par souci des valeurs supérieures et de l'avenir de tous.

Le phénix renaît de ses cendres en affrontant la vérité et en abandonnant l'ancien. Espérons que les droites flamandes et néerlandaises, dans ce dossier, soit également prêtes à se renouveler et à renaître de leurs cendres en abandonnant des certitudes dépassées et en adoptant une vision des choses qui serve véritablement l'Europe.

Sources:

Huntington, S. P. (1996). The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order. New York : Simon & Schuster.

Mackinder, H. J. (1904). "The Geographical Pivot of History". The Geographical Journal, 23(4), 421–437.

Pappé, I. (2006). The Ethnic Cleansing of Palestine. Oxford : Oneworld.

Sand, S. (2009). The Invention of the Jewish People. Londres : Verso.

Schmitt, C. (2015). Land and Sea: A World-Historical Meditation (S. G. Zeitlin, trad.). East Lansing, MI : Telos Press. (Œuvre originale publiée en 1942)

Feniks (2023). Essais contre le récit du mondialisme.

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Dit boek heeft als doel enerzijds een inkijk te geven waarom politieke oplossingen voor tal van vraagstukken ondenkbaar zijn binnen de marges die men vandaag geeft in debatten.

Een tweede doel is het bedoeld als verdieping voor diegene die de afgelopen jaren tot de vaststelling zijn gekomen dat onze politiek alles behalve rechtvaardig is geworden.

Het boek telt 272 pagina's, en is begrijpbaar geschreven voor de nog niet zo ingewijde lezer. Dus laat je zeker niet afschrikken. De prijs van het boek komt op €30.

Bestellingen: https://www.feniksvlaanderen.be/product/10904267/essays-tegen-het-narratief-van-het-globalisme-feniks 

16:01 Publié dans Actualité, Géopolitique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : feniks, actualité, iran, europe, israël | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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