dimanche, 20 janvier 2008
Du déclin de l'Europe
Brigitte SOB :
Du déclin de l'Europe : de Nietzsche à Rohrmoser
Les prophètes du déclin restent hautement appréciés. Pour eux, c’est toujours la haute conjoncture. Même les politiciens sont désormais obligés de le concéder : notre culture est frappée d’un processus de décadence inéluctable ; ainsi, par exemple, en Autriche, Jörg Haider avait écrit dans son premier livre politique : la culture, aujourd’hui, sous toutes ses formes, a perdu contenu et limites et chavire dans un « syncrétisme difficile à comprendre ». Haider souffrait-il de voir l’Europe en proie à un déclin culturel, lorsqu’il est devenu un patriote autrichien pétri de conservatisme chrétien (ce qu’il n’était pas auparavant) ?
Le fait est qu’il partage désormais sa souffrance face à la décadence européenne avec un professeur de philosophie allemand, Günter Rohrmoser. Autre fait évident : déjà Nietzsche avait prophétisé l’effondrement de la morale et de la culture. Or, on peut considérer Nietzsche comme le premier représentant de cette « conscience de la crise » au sein de la culture occidentale. Pour Nietzsche, les racines de la crise se situent dans un état de choses clairement observable : l’homme moderne est en face de traditions qui ne cessent de se dissoudre. Par l’irruption dans son quotidien de cultures différentes, cet homme moderne dispose d’une plus vaste marge de manœuvre, peut jouer et composer avec des expériences plus diversifiées, mais, simultanément, cesse d’avoir des liens solides et inébranlables avec sa propre culture, son propre héritage culturel.
Le fondement de l’analyse nietzschéenne du monde contemporain, c’est de constater la dissolution de tous les liens qu’entretenait l’homme avec le monde et son environnement. Nous vivons ainsi dans un « monde en voie d’égalisation », de nivellement : « Comme tous les styles en art se juxtaposent et se répètent, de même tous les degrés et types de morale, de mœurs et de cultures s’alignent les uns à côté des autres. C’est l’ère du nivellement, c’est sa fierté, mais aussi, sa souffrance ». Ce processus est l’avènement d’un relativisme général des valeurs et des cultures, qui, selon Nietzsche, conduit tout droit au nihilisme : les anciennes valeurs culturelles perdent leur fonction liante, la morale s’effondre.
Spengler, plus tard, a partagé cette vision. Après que l’Europe ait accompli ce qu’elle portait en son cœur profond et épuisé toutes ses potentialités, plus aucune avancée n’était possible. Telle est la quintessence de la morphologie culturelle de notre continent. D’après Spengler, une logique de l’histoire est à l’œuvre, qui s’applique à toutes les cultures : toutes subissent la loi organique de la naissance, de la jeunesse, de la maturité et de la mort. Toutes les cultures, sans exception, vivent ces lois de la biologie, explique Spengler. Elles croissent, mûrissent, entrent en déclin et meurent. Vu que la « fin des temps » s’annonce pour l’Occident, l’homo europaeus, selon Spengler, n’a plus qu’une chose à faire : accepter son destin.
Récemment, quelques penseurs chrétiens-conservateurs ont repris cette thématique : dans le débat sur le déclin des valeurs et de la culture, Günter Rohrmoser constate que le christianisme en Europe est entré dans sa phase de crise la plus profonde. Cette crise s’exprime dans le fait que les parents ne sont plus prêts à éduquer leurs enfants selon « les mœurs et les canons chrétiens ». Rohrmoser en déduit le déclin de l’Occident : la crise s’accentuera, l’atomisation interne des sociétés se poursuivra, le déclin de la culture progressera.
Rohrmoser avance la doctrine que la perte de l’éthique chrétienne conduit au déclin de la société et de la culture. Car l’éthique et la morale chrétiennes avaient une signification cardinale non seulement pour la vie de l’individu, mais aussi et surtout constituaient des critères objectifs permettant de mesurer la capacité de survie ou la propension au déclin des peuples, cultures et sociétés. De ce fait, Rohrmoser en appelle à un renouveau spirituel et éthique de facture chrétienne, afin de sauver l’Europe du déclin. Problème : peut-on objectivement mettre sur le même pied le déclin général de l’Europe et le déclin de la foi chrétienne en Europe ? La crise du christianisme est-elle une crise de la culture européenne ? Car, en effet, tout nous permet d’affirmer que, sans le christianisme, l’Europe aurait également connu une éthique constituante de son identité, le terme « éthique » dérivant de la philosophie grecque, païenne et pré-chrétienne.
Cette problématique nous permet de rappeler les thèses de Sigrid Hunke, exprimées dans La vraie religion de l’Europe et dans Vom Untergang des Abendlandes zum Anfang Europas (non traduit ; = «Du déclin de l’Occident à l’avènement de l’Europe »). Sigrid Hunke s’oppose tout aussi bien aux prophètes chrétiens de la fin des temps qu’à l’idéologie américaine du New Age. Pour elle, il faut avant toute chose dépasser la calamité dualiste qui s’est abattue sur l’Europe et que nous ont apporté le christianisme (et la gnose radicale). Le dualisme distingue l’esprit de la matière, l’intelligence et l’émotion, la nature et la raison, introduit une césure radicale entre eux. Alors que l’homme, à l’origine, est essentiellement unité et holicité. Telle est la loi première de l’anthropologie et il faut la restaurer dans tous les domaines de la culture européenne, afin de faire éclore une nouvelle renaissance. C’est dans les ruines des vieilles structures dualistes, au milieu des antagonismes fallacieux et dangereux que le dualisme a provoqués, qu’un développement nouveau germera, dit Hunke, que l’Europe retrouvera son essence et redonnera du sens à l’ensemble de nos peuples.
Qui a raison : Spengler, Hunke, Nietzsche ou Rohrmoser ? Aucun d’eux sans doute. Sans doute la plus grande erreur de la culture européenne a été de se considérer comme absolue. Prétention inimaginable. Hybris ?
Brigitte SOB.
00:20 Publié dans Affaires européennes, Philosophie, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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