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lundi, 21 avril 2008

Daniel Varoujan, poète arménien

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Archimede BONTEMPI:

Daniel Varoujan, poète arménien assassiné par les Turcs

 

Professeur en Italie, Antonia Arslan vient de publier les poè­mes de Daniel Varoujan, un des plus grands poètes ar­méniens, qui a composé une œuvre compacte, fortement symbolique: il nous parle de la terre, de la terre arménien­ne, cultivée par l'homme mais frappée par la “lance de la Lu­mière”, riche en couleurs, en odeurs, en humeurs, une ter­re-mère, une terre-sœur.

 

Sur ce grand poète arménien, l'essai le plus complet reste ce­lui de Boghos L. Zekiyan, patriarche des études sur l'his­toire et la littérature arméniennes: Daniel Varujan: Dall'e­pos al sogno, publié à Venise.  Daniel Varoujan fut l'une des premières victimes du génocide. Il fut assassiné par les Turcs, probablement par l'un de ses hamidjé de sinistre ré­putation; c'était des escadrons de la mort composés d'irré­guliers kurdes. Varoujan est mort aux côtés de son homolo­gue et ami Rupen Sevak, le 26 août 1915, journée qui fut le coup d'envoi de tous les massacres organisés ultérieure­ment par le gouvernement nationaliste turc.

 

Parmi les derniers vers qu'il a écrits, il y avait celui-ci:

 

«Que pleuve sur nos têtes

une poignée de blé,

ma douce vieille, mon amie.

Veuille le soleil automnal

Ne pas geler dans les neiges de nos cheveux…

Ne s'éteigne notre bougie

Parmi les colonnes de marbre…

Quand nous serons au cimetière,

O mon amour, que sous nos corps

La terre ne soit pas trop dure…» (*).

 

Le Chant du Pain, hymne païen à la Terre, a été magnifi­que­ment traduit en italien par Antonia Arslan et Chiara Haï­ganush Megighian (ndlr: et en français par Vahé Godel, cf. infra). La langue de ces poèmes est chère à nos oreilles. Ce splendide lyrisme de la Terre et de la liberté de l'hom­me, une liberté concrète, celle de cultiver, d'aimer les fem­mes de son clan, et, finalement, de se retrouver tou­jours dans des bras maternels.

 

Constantinople, Venise et Gand

 

La culture de Varoujan s'est épanouie dans trois villes eu­ro­péennes: Constantinople, Venise et Gand, trois capitales cul­turelles de notre Vieille Terre d'Europe, que Varoujan a unit mystérieusement, par le suc de sa propre existence. Gand a été le berceau de Charles-Quint; Venise était la por­te de l'Orient et la matrice de la liberté, valeur car­di­nale de la culture européenne. Constantinople a été l'a­vant-poste de l'Europe, de l'Empire romain d'Orient (chri­stianisé), face aux hordes turques qui déferlaient depuis les steppes asiatiques, mais auxquelles cette ville fantastique finissait par communiquer des bribes de culture européen­ne. Mais ces éléments de culture ont été pervertis, hélas, par un nationalisme "statolitaire" et raciste qui a trouvé en Turquie des esprits réceptifs aux cœurs impénétrables à tou­te pitié et toute compassion.

 

Car ce fut effectivement pour voler cette belle terre d'Ar­ménie, chantée par Varoujan, cette terre fertile et géné­reuse, travaillée par les paysans arméniens, que les Turcs ont déchaîné le génocide, en la présentant comme une “ter­re promise” aux Kurdes, qui, aujourd'hui, à leur tour, en sont chassés par l'effet d'une de ces curieuses ven­geances de la marâtre "Histoire", chère aux philosophes al­le­mands. Varoujan est resté le fils privilégié de cette cul­ture vénitienne, imprégnée de symbolisme païen. Il écrivit à son ami Theodik: «Deux atmosphères ont exercé une in­fluence sur moi: la Venise du Titien et la Flandre de Van Dyck. Les couleurs du premier et le réalisme barbare du se­cond ont formé mon pinceau». Ensuite comme Antonia Ars­lan le révèle dans son introduction: «Je sens que Venise a exercé son influence sur moi, avec ses trésors chatoyants de couleurs, d'ombres et de lumières. C'est une ville où il est impossible de penser sans recourir à des images» (lettre à Vartges Aharonian).

 

Venise, patrie idéale des poètes

 

Venise, patrie idéale des poètes, a accueilli Varoujan, com­me elle avait accueilli ses brillants éducateurs, les Pères mé­khitaristes, en leur donnant l'Ile de Saint-Lazare pour y fonder un collège. Avec la générosité d'une mère, la Sé­ré­nis­sime a donné cette île où ces religieux, exilés, as­piraient à retrouver les racines de leur mère patrie. “Justement au mo­ment où, historiquement, les Arméniens, en tant que peu­ple, voyaient leur patrie niée définiti­vement et l'unité psychologique de leur nation, brisée”, comme l'écrit Anto­nia Arslan. Le premier recueil de poèmes de Varoujan, Fré­missements, a été publié à Venise en 1906, un recueil où l'on entend les échos des Tempêtes d'Ada Negri.

 

Mais dès 1907, c'est le sang qui constitue le leitmotiv ma­jeur de sa poésie, notamment dans un poème très bref, Le massacre, écrit à la mémoire des Arméniens persécutés sous Abdul Hamid, le “Sultan rouge” qui avait amorcé le pro­cessus génocidaire, anticipant l'effrayante violence des Jeunes Turcs. Symboliste est sa poésie (et en cela inspirée par son séjour à Gand), mais non décadente, souligne An­tonia Arslan; Varoujan n'était pas un poète qui s'aban­donnait aux vagues rêves que cultivait le jeunesse euro­péen­ne décadente des années précédant la Grande Guerre. Va­roujan demeurait solidement ancré dans la culture de sa Terre, dans chaque geste posé par le paysan arménien dans ses champs, dans les moissons d'Anatolie, dans les rites sim­ples d'une société archaïque mais au civisme intact. En ce­la, Varoujan est proche de l'âme padanienne (ndlr: et aussi, ruralisme et symbolisme obligent, de l'âme gantoise et de la peinture de Laethem-Saint-Martin), de la culture lom­bar­de et frioulane de la terre et des récoltes, enracinement uni à une nos­tal­gie de la liberté dans une patrie propre, non autre, que l'on aime et que l'on défend.

 

Daniel Varoujan, qui nous a donné ses Poèmes païens (pui­sés dans la mythologie arméno-iranienne) et son Chant du Pain, nous a pleinement été restituée par Antonia Arslan (Il Canto del Pane, a cura di Antonia Arslan, Guerini e Asso­cia­ti, Milano, 146 pagg., 21.000 Lire).

 

Archimede BONTEMPI.

(article publié dans La Padania, 13 septembre 2000;

http://www.lapadania.com/2000/settembre/13 ).

 

(*) En français, on lira: Daniel VAROUJAN, Chants païens et autres poèmes, traduits et présentés par Vahé Godel, Or­phée/La Différence, 1994.

08:05 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommages | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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