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dimanche, 11 mai 2008

Vivenza ou la révolution bruitiste

Vivenza ou la révolution bruitiste

par J. M. LOMBART

"Hurle le feu et le souffle du feu, le bruit fils du combat des corps en mouvement s'incarne dans les c¦urs humains".
Ainsi s'achève son sulfureux pamphlet "La Révolution bruitiste". S'il fait grincer quelques dents et hurler quelques sensibilités fragiles, il faut reconnaître à Vi-venza une logique d'un radicalisme hors du commun aujourd'hui.

Après les concerts de l'année 86 en Allemagne, Hol-lande et Italie, le voici de retour. Le cycle français a été introduit par la magistrale soirée (organisation "va-rié-té") donnée à Grenoble en la basilique du Sacré C¦ur. Les gens conviés à cette cérémonie en sont en-core tout retournés, la mystique bruitiste trouva dans ces lieux son grand prêtre.

D'un son chaque fois plus énorme et impressionnant (cela semble d'ailleurs un euphémisme de le répéter), d'une mise en scène encore plus frappante, cette soirée (novembre 86) était le premier concert de Vivenza à Grenoble depuis quatre ans.

L'intransigeance doctrinale de Vivenza ne peut laisser indifférent, sa lucidité lui a permis de dégager de l'hé-ritage futuriste la substantifique moëlle qui génère son travail actuel.

Une cohérence rigoureuse

Sa volonté, sa cohérence en font, il faut bien le recon-naître à présent, l'un des plus puissants représentants du courant industriel. La violence dynamique de ses compositions, liée à une présence scénique déconcer-tante, lui ont permis de se hisser à travers des pâles imitateurs balbutiants et enfantins bricoleurs, au pre-mier rang créatif, écrabouillant comme il aime à le dire, la sclérose électro-acoustique et la frilosité institution-nelle ainsi que l'amateurisme dilettante.

Bien entendu, cette ascension a des risques, et l'un des plus importants reste celui de l'incompréhension. Nombreuses sont les personnes qui préfèrent la fuite devant les évidences politico-culturelles de Vivenza, mê-me s'il ne fait pas dans la dentelle, son cri et son at-titude sont un nécessaire contre-poison pour nos conformismes colonneux. Nos habitudes intellec-tuel-les sont, il est vrai, mises à mal avec lui et, plu-sieurs fois, à la passion qui l'anime, j'ai voulu substi-tuer dans la discussion l'analyse froide mais c'est un ter-rain où il excelle tout aussi bien et c'est ce qui fait sa force et sa cohésion car effectivement chez lui nous ne retrouvons pas tous nos travers répulsifs de cette scène inculte et bruyante. Tout au contraire, ici, le propos est fondé sur une rigueur dépensée, un fondamentalisme bruitiste unique en son genre. Cet aspect particulier peut nous permettre de penser que nous sommes en face d'une réflexion sûrement étudiée et d'une attitude d'une extrême importance.

Sur la ligne qui va des servo-mécanismes aux compo-sitions bruitistes en passant par les textes, disques et concerts, Vivenza nous livre le résultat d'un travail d'une concision qui est remarquable, à plus d'un titre.

Cette détermination dans la démarche depuis plusieurs années ne peut que frapper et c'est pourquoi il est né-cessaire à présent (si l'on ne veut pas se trouver dés-armé face à son propos et à son travail) de lire ce qu'il écrit ou d'écouter très attentivement ce qu'il ne cesse de répéter: "La problématique bruitiste doit être abor-dée d'une manière tout à fait nouvelle, les écoles élec-tro-acoustiques n'ont pas su conserver d'une manière l'aspect révolutionnaire du propos bruitiste tel qu'il nous fut livré par les Italiens; il nous appartient main-tenant de réaliser l'incarnation dynamique de leur vision".

"Le bruit a une exigence dynamique qu'il nous faut développer, même ou surtout violemment, peu importe les craintes, nous devons travailler la matière sonore au corps".

"Fuir les vagues errances anémiées du dilettantisme, qui fait que tout le monde se dit intéressé par le son, mais nul ne songe à savoir si le son s'intéresse à eux. La matérialité objective du bruit est une conception organique vivante, vibrante, mais il ne faut pas plaisanter avec. La position de l'esthète touche-à-tout ne marche pas. Ici, c'est complètement totalitaire au sens psy-cho-logique du mot, c'est-à-dire que cela concerne l'individu en totalité. L'être dans son objectivité et non pas son oreille avec la distance du touriste, le recul de la prudence et du confort. Soit tu décides de t'imposer dans cette discipline et tu te contingentes, soit il vaut mieux continuer à cultiver son néant".

Un "janséniste" sulfureux

Avec de tels propos, il est vrai, rien n'est fait pour dis-siper ce brouillard sulfureux qui semble dissimuler ce personnage hors du commun.

Dans un précédent article, j'avais employé le terme de jansénisme à son sujet et c'est vrai que pour lui le nombre des élus semble fort restreint à l'intérieur du cénacle qui contient "la minorité consciente" luttant avec détermination à la révélation révolutionnaire de la fureur du bruit.

Rigueur d'un autre temps ou ascèse visant l'intégration totale de l'individu dans les structures même du bruit, union furieuse, passionnée et douloureuse rendue vi-si-ble l'espace d'un concert.

Le tellurisme révolutionnaire de Vivenza nous plonge directement dans ces racines profondes: "du plus fort de la matière domestiquée surgit l'immense écho du langage de la terre. Alimentée du sang et de la sueur des hommes de la terre, fécondée, accouche dans la violence du bruit qui est son langage, du bruit qui est son cri, du bruit qui est son sens et sa forme".

Et c'est dans ce bruit que Vivenza s'immerge afin d'y appliquer cette "orchestration méthodique", cette or-ganisation mécaniste et radicale parce que nécessaire et obligatoire sous peine de dérapage. En effet, Vivenza sait qu'il y a un risque et le concert nous livre intégra-lement cette fragilité, ce danger de l'emballement du dépassement, caché par l'agencement précis de la scè-ne et des appareils.

Une cassure historique à colmater

"L'énergie du bruit est une énergie de destruction et de construction". Tout s'articule dans cette dialectique précise, cette relation toujours délicate entre la virtua-lité dynamique des matériaux et leur maîtrise, leur architecture. Nous ne pouvons face à ce travail continuer à reproduire nos schémas catégoriques d'analyse. Vi-venza déroute et c'est très bien, Vivenza dérange et c'est encore mieux, Vivenza déconcerte et nous som-mes désarmés. Sa logique très particulière nous avait déjà surpris lorsqu'il y a quelques années il nous avait expliqué en quoi les propositions théoriques bruitistes formulées par les avant-gardes du début du siècle (futurisme, constructivisme) n'avaient pu s'incarner concrètement, en quoi il y avait une cassure historique qui demandait d'être colmatée, un lien qu'il était né-ces-saire de réaliser. En quoi les écoles acous-tiques qui avaient éclos après-guerre ne pouvaient se dire héri-tiè-res des visions révolutionnaires bruitistes et ce langage effectivement était neuf, particulièrement décapant, nul-le comparasion n'était réellement possible entre le travail savant mais ennuyeux des instituts d'électro-acoustique et celui de Vivenza.

Certains s'étonnent de voir ressortir de l'oubli des théories du début du siècle. Mais Vivenza n'est pas un pâle continuateur qui se contenterait de réactualiser des principes vieux de soixante-dix ans. Vivenza n'est pas un fossile. Il n'est, pour s'en convaincre, que de se pencher un instant sur sa production et ses composi-tions, d'examiner de près ses textes pour voir si le fu-turisme italien est bien la source dont il se réclame (et cela dans une démarche qui combine l'honnêteté intel-lectuelle à la nécessité historique et théorique), il ne se suffit pas de ce rappel, il ne se cantonne pas dans l'attitude de l'historien frileux ou du disciple dévôt.

"Le bruit ne saurait se satisfaire d'une telle attitude. Cette sclérose serait l'antithèse de toute démarche dy-namique". Au contraire, nous sommes ici en présence d'une évidente et concrète action d'une exceptionnelle nouveauté dans ce qu'elle a de profondément novatrice et d'autre part de terriblement enracinée dans son rap-pel historique si particulier qu'il en est presque unique par sa radicalité dans le monde de l'art contemporain.

C'est d'ailleurs ce qui fait dire au journaliste italien Ottavio Casattini: "Représentant la plus pure expres-sion du radicalisme sonore bruitiste mécanique, Vi-ven-za s'affirme comme le plus sérieux propagandiste de l'authenticité industrielle, dans toute son intégralité et toute sa pureté doctrinale".

Porter le bruit à son
maximum de rage et de force

Le jugement de Casattini semble d'une grande justesse d'analyse. Cette authenticité est bien la marque de Vi-ven-za, sa spécificité.Le bruit est, avec lui, porté à son maximum de rage et de force, conservant toute son intégralité essentielle, refusant de l'utiliser en faire-valoir.

Vivenza est bien cet énorme "Souffle des Forges" qui s'affirme à présent avec une intensité d'autant plus dramatique qu'elle est en passe de disparaître de notre paysage industriel européen puisque cette industrie du XIXième siècle est, à plus ou moins court terme, pro-mise à la destruction.

Pour que l'oubli n'afflige pas nos mémoires, Vivenza fait hurler les machines en paraphrasant Dziga Vertov: "Vive la poésie de la machine mue et se mouvant, la poésie des leviers, roues et ailes d'acier, le cri de fer des mouvements, les aveuglantes grimaces des jets in-candescents."

J.-M. LOMBART.
 

00:28 Publié dans Musique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : futurisme, bruitisme, avant-gardes | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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