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mardi, 09 décembre 2008

Repenser la solidarité d'après M. Cl. Blais

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Repenser la solidarité : Marie Claude Blais

 Chronique du livre : La solidarité. Histoire d’une idée, Marie-Claude Blais, Gallimard, 2007

Que faut-il penser de la solidarité, cette charité laïque fondée sur un lien social fort qui a ému nombre de penseurs au XIXe siècle ? Marie-Claude Blais se pose la question en retraçant l’histoire de cette idée.

En 1992, François Azouvi a théorisé une "histoire philosophique des idées"   d’un type nouveau, avant d’innover en dressant une histoire du cartésianisme après Descartes. Marie-Claude Blais, qui avait déjà publié un ouvrage sur Renouvier, relève aujourd’hui le défi.

L’approche est vivante et le sujet stimulant : la solidarité fait partie de ces notions aux contours suffisamment flous pour qu’on les investisse librement des nombreux contenus que chaque époque veut bien leur attribuer. C’est là sa richesse, et peut-être sa faiblesse. Tour à tour concept juridique, idéal romantique, catéchisme social ou vertu républicaine, la solidarité a toujours pris la double forme d’instrument d’analyse de la société et d’exigence individuelle. De ce sujet ambitieux, l’auteur fait un traitement habile.

Selon un modèle bien connu au cinéma, Marie-Claude Blais choisit de partir de la consécration de cette notion par le mouvement solidariste de Léon Bourgeois  . au crépuscule du XIXe siècle, pour revenir ensuite à ses origines et suivre le fil du temps. Le mouvement est agréable, nous nous laissons porter au gré de différents auteurs qui ont trouvé dans la solidarité matière à réfléchir.


Un enchaînement vivant d’itinéraires intellectuels

Marie-Claude Blais, précise et didactique, excelle à nous expliquer comment se déploie l’idée de solidarité, en une période où celle-ci prend une place déterminante dans les représentations politiques. D’un itinéraire intellectuel à l’autre, influences, rebonds et querelles rythment ce roman de la solidarité, enrichie au gré de pensées qui en redéfinissent régulièrement les contours.

On y croisera l’imprimeur Pierre Leroux qui y voyait l’avatar laïc d’un principe évangélique, et le juste milieu entre individualisme et "socialisme", revendiquant d’ailleurs la paternité de ce dernier mot. On y découvrira l’économiste Constantin Pecqueur qui analysait la solidarité selon un mode de production et de répartition distributive des richesses. On y écoutera le juriste suisse Charles Secrétan qui a ancré la notion dans l’immanence. Marie-Claude Blais fait un sort particulier à celui qui avait déjà fait l’objet de ses travaux antérieurs : le philosophe néo-kantien Charles Renouvier qui, évoluant de l’idée de totalité englobante à celle de pluralité d’éléments individuels, a trouvé et salué dans la solidarité une relation de mutuelle dépendance entre les hommes, créatrice de dette.

Les philosophes les plus illustres croisent dans ces pages ceux qui ont bénéficié en leur temps d’un succès d’estime mais que plus personne ne lit aujourd’hui. À la figure renommée d’Emile Durkheim, dont la thèse faisait de la division du travail la source de la solidarité sociale, succède celle, plus oubliée, du philosophe Jean Izoulet, qui voulait asseoir la solidarité laïque sur une religion sociale immanente, et pour qui, dans la longue lignée de la droite organiciste, un enfant n’avait pas forcément besoin d’apprendre à lire ou à écrire, pour peu qu’on lui enseignât son exacte fonction au sein de l’ensemble social auquel il prend part.

Cette longue chaîne intellectuelle s’achève avec Léon Bourgeois, figure du radicalisme et brièvement chef du gouvernement en 1895-1896. Cette année-là, dans un ouvrage au grand retentissement, intitulé précisément Solidarité, il se donne pour ambition de formuler "une théorie d’ensemble des droits et des devoirs de l’homme dans la société".

Entraînés de la sorte, nous en oublions presque l’idée dont il était question. C’est à la fois la force et la faiblesse de l’ouvrage. Car Marie-Claude Blais prend, en réalité, prétexte de l’idée de solidarité pour nous exposer ici une pensée, nous restituer là une ambiance intellectuelle. Le cheminement est plaisant, mais le concept lui-même n’y gagne pas grand-chose.

Une idée à enrichir

À en croire Marie-Claude Blais, l’histoire d’une idée n’est que la recension de ses apparitions dans l’histoire. C’est pour cela que l’on éprouve, à la lecture de La solidarité, un double sentiment de satisfaction et d’incomplétude. Il nous manque la véritable problématisation philosophique dont le concept aurait gagné à faire l’objet.

L’auteur ouvre une porte à la toute fin de l’ouvrage, lorsqu’elle écrit que "la généralisation de ce principe indiscutable devrait pourtant rendre criante l’urgence d’un nouveau travail de conceptualisation"  . Mais c’est en vain que le lecteur cherchera ici un tel travail.

Pour toute pensée nouvelle de l’idée de solidarité, l’auteur nous propose le fil conducteur de la troisième voie "entre l’individualisme libéral et le socialisme collectiviste, la voie d’une démocratie non moins sociale que libérale". À ses yeux, c’est la richesse actuelle de ce concept. Mais la position du ni-ni laisse sur sa faim.

Le sujet aurait mérité que l’auteur apporte une pierre nouvelle à l’édifice, enrichisse cette idée de significations nouvelles. Marie-Claude Blais soulève souvent des questions sans y apporter de commencement de réponses.

Si elle milite pour la réintroduction de la solidarité dans notre champ d’analyse, c’est souvent par défaut : "entre le reflux des solutions collectivistes, l’effacement du modèle marxiste de la lutte des classes, la poussée de l’individualisme juridique et la résurgence offensive du libéralisme économique, nous renouons, structurellement parlant, avec la matrice intellectuelle qui avait imposé la catégorie de solidarité comme la seule à même d’accorder la liberté et le lien, l’indépendance des êtres et leur interdépendance, la responsabilité de chacun et la protection de tous."

Finalement, n’était-ce pas à travers le droit que l’on aurait pu repenser cette fameuse solidarité ? Le principe fondateur de la solidarité chez Léon Bourgeois était une dette primitive de l’homme envers la société humaine, depuis le jour de sa naissance  . À partir de cette idée, les juristes Christophe Jamon et Denis Mazeaud ont élaboré une théorie laissée de côté par une grande partie de la doctrine, mais philosophiquement stimulante : le "solidarisme contractuel". Reprenant l’idée du quasi-contrat mise en avant par Léon Bourgeois et dont Marie-Claude Blais rend bien compte ici, selon laquelle des obligations se forment "sans qu’il intervienne aucune convention, ni de la part de celui qui s’oblige, ni de la part de celui qui s’y est engagé" (article 1370 du Code civil), sorte de "contrat rétroactivement consenti", selon le terme de Bourgeois, ces derniers justifient l’intervention du juge dans le contrat au nom d’une valeur sociale supérieure à la simple autonomie de la volonté des parties : la solidarité.

Réjouissons-nous, en tout cas, que se développe ainsi l’histoire des idées, qui ouvre des possibilités immenses pour l’historiographie comme pour la philosophie !

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