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jeudi, 17 septembre 2009

Morvan Lebesque

Morvan Lebesque

MorvanLebesque

Morvan Lebesque (1911-1970) a été chroniqueur à l’ Heure Bretonne et au Canard Enchaîné, essayiste, romancier. Il est mort au Brésil au cours d’une tournée de conférences sur la culture bretonne.
Son ouvrage le plus connu est « Comment peut-on être Breton ?» , paru en 1970. Ce livre est considéré comme fondamental pour comprendre le mouvement breton de l’après-guerre.

Qu’un des peuples français se permette d’avoir une personnalité qui dans tous les pays du monde se traduit par l’expression »  minorité nationale »  ou »  minorité ethnique « , l’esprit, ici, le censure. Ce n’est pas un crime, pas même une étrangeté : à force de tabous, ce n’est plus rien.
L’an dernier, un jeune confrère d’extrême gauche me sollicite en faveur d’un poète malgache assez mineur ; l’entretien terminé, sur le palier, il me vient a l’idée de lui parler du beau poète de langue bretonne Youenn Gwernig, résidant à New York : stupeur, yeux ronds : « Mais voyons, quel rapport ? »  Quel rapport ? me répond à peu près un directeur de collection qui se spécialise dans les littératures minoritaires mondiales mais refuse le fort volume de traductions que constituerait la littérature bretonnante d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse de sa misère, de ses transplantations prolétariennes, de l’interdit jeté sur sa langue et son histoire, la Bretagne n’a aucun rapport : différence à domicile, donc inavouable.
Si le Breton écrit dans sa langue, ignoré ; s’il écrit en français mais demeure en Bretagne, un conteur pour »  coin du terroir »  (nous avons nos Oncles Job comme d’autres leurs Oncles Tom) ; s’il vient a Paris, absorbé.
»  Mais j’existe ! »  s’effare-t-il. – Bien sûr, puisque vous êtes nous ! – Il y a au moins deux choses impossibles au monde, être breton et ne pas être juif. Quoi qu’il fasse, le juif est réputé autre : il a beau appartenir à une famille française depuis des siècles, servir passionnément la France, l’honorer par des chefs-d’oeuvre, il trouvera toujours un imbécile pour lui crier : Retourne dans ton pays ! Au contraire, le Breton le plus bretonnant ne peut incarner qu’un Français typique et le fait qu’il dise kenavo pour au revoir ajoute encore à sa francité. [...]

»  Pourquoi vous laisserais-je enseigner un patois que je ne comprends pas ? »  répond un proviseur du Morbihan à l’un de ses professeurs qui proposait un cours facultatif de breton. Et l’an dernier, dans un meeting : »  Je n’ai rien contre vos Bretons. Mais pourquoi ne seraient-ils pas comme tout le monde? »  Comme tout le monde, entendez comme moi. Travers bien connu du Français qui en rit sans s’en corriger : il n’est pas raciste mais. Jamais le Français n’allumera les bûchers d’Auschwitz mais il exige qu’on lui ressemble, s’effare de la moindre différence affirmée et, le comble ! vous accuse alors de racisme. Combien de fois ne m’a-t-on pas dit : Mais votre revendication bretonne, c’est du racisme ! – Il est raciste de reconnaître en soi une différence, fut-ce au prix d’une longue réflexion ; en revanche, il n’est nullement raciste de la nier sans discussion et de l’interdire de parole. Question, pourtant : quel est le raciste? Celui qui veut être? Ou celui qui lui refuse d’être ? (…)

La raison commanderait une doctrine simple et claire : Oui, on est raciste en décrétant une race inférieure et maudite; Non, on ne l’est pas en se définissant. Ainsi s’établirait la distinction entre ces deux notions mortellement confondues, la différence et l’antagonisme : la différence naturelle et fraternelle – je suis votre frère, c’est-à-dire votre égal et votre différent; et l’antagonisme, artificiel et ségrégateur. Malheureusement, l’esprit français semble réfractaire à cette distinction. Devant la différence, c’est l’antagonisme qu’il voit : en hâte, il retourne donc à ses simplismes conjurateurs. Et par la, il rend un tragique hommage aux profanateurs de son histoire. II perpétue l’etat de siège et la conquête.
Lors d’un débat de la gauche à Lorient (1966) un dirigeant local du PC déclare que la spécificité bretonne n’existe pas vraiment puisque le socialisme, en arrivant au pouvoir, effacera les antagonismes. Me voila condamné, damné : je ne puis être à la fois socialiste et breton. Pour tout dire, je ne puis être breton que contre vous. Mais alors, ne seriez-vous pas, vous, français contre moi ? Car enfin, le jour où l’État socialiste ou non, aura définitivement évacué ma personnalité bretonne, au nom de l’histoire, de l’unité, du peuple et finalement, de la doctrine et du parti qui se prétendront les seuls représentants de ce peuple, il faudra bien que je me situe, que j’appartienne à un groupe, et quel? »  L’humanité « , comme disait l’ami de mes quinze ans ? Non : mais votre humanité, votre groupe, exclusivement votre culture. Ah, nous retrouvons ici une vieille connaissance : la manie de refuser la différence baptisée antagonisme ou »  nationalisme »  pour tout ramener finalement à une nation, la France ; cet impérialisme subconscient que Marx dénonçait déjà comme une des constantes du tempérament français(1). »  Mais pourquoi ne crient-ils pas Vive la France, ces gueux-là ? »  s’étonnaient en toute innocence les massacreurs napoléoniens. Les pacifistes et les justes n’ont pas échappé à cet atavisme : Ils l’ont seulement confessé avec une naïveté à la mesure de leur idéal. En 1892, Emile Zola prononce le discours d’usage au banquet annuel des Félibres de Sceaux. Partagé entre le souvenir de ses enfances provençales et l’Idée Simple qu’il tient de son époque, il commence par célébrer la »  belle vigueur »  des poètes occitans ; s’il croit »  au nivellement de toutes choses, à cette unité logique et nécessaire où tend la démocratie »  – air connu : unité égale nivellement – il daigne pourtant admettre »  que les Bretons nous parlent de leur Bretagne, les Provençaux de leur Provence « . Mais attention : »  Cela du moins jusqu’au jour -hélas, encore lointain – au jour rêvé du retour à l’age d’or où toutes les forces collectives se seront fondues dans une grande patrie, ou il n’y aura même plus de frontières, OÙ LA LANGUE FRANÇAISE AURA CONQUIS LE MONDE. « .
Breton et Français, je ne puis donc: il me faut choisir. Mais quoi, au juste? (…)

Ce que j’appelle ma nation est un bien spirituel qui ne prétend l’emporter sur aucun autre, qui ne brime aucun choix personnel – j’ai épousé une non-Bretonne – qui réclame seulement le droit à l’expression originale ; ce que j’appelle libération, simplement la décolonisation, la possibilité pour la Bretagne d’exalter ses énergies. Raciste, cette revendication? Tout au contraire, antiraciste, puisqu’elle tend à sortir la Bretagne de son ghetto et à l’elever à l’universel. Max Jacob – Morven le Gaélique – est-il moins breton pour nous parce qu’il était aussi juif ? Voila quelques années, un Cercle celtique du Finistère reçut la demande d’adhésion d’un étudiant malien. Qu’on se représente la chose : un Noir qui souhaite parler breton, chanter et danser breton. Que croyez-vous qu’il arriva? On accueillit à bras ouverts ce camarade africain qui aimait notre culture – notre civilisation – au point d’apprendre notre langue. II n’était pas breton, puisqu’il avait sa personnalité ethnique ; mais il était breton, et plus que beaucoup de Bretons, puisqu’il communiait avec nous dans l’essentiel. II y eut toutefois des protestations ; mais elles vinrent toutes, soit de touristes, soit de Bretons hostiles à l’Emsav qui s’indignèrent ou s’esclaffèrent de voir un »  nègre »  dans une chorale bretonne : elles vinrent de partisans du centralisme colonialiste, de racistes(2).

1. »  Les représentants de la Jeune France (pas ouvriers) mirent en avant ce point de vue que toute nationalité et la nation elle-même sont des préjugés vieillis. Les Anglais ont bien ri lorsque j’ai commencé mon discours en disant que notre ami Lafargue et les autres, qui ont aboli les nationalités, s’adressent à nous en français, c’est-à-dire dans une langue incompréhensible aux neuf dixièmes de I’assemblée. Ensuite, j’ai donné à entendre que sans s’en rendre compte lui-même, Lafargue comprend, semble-t-il, par la négation des nationalités, leur absorption par la nation modèle, la nation française. »  (Karl Marx, Lettre à Engels sur l’Internationale.)

2. Racisme significatif, car ici au second degré. Les étatistes français ont colonisé le Breton sous le seul aspect qu’ils lui tolèrent, le Breton »  pittoresque »  à biniou et à costume; et bien évidemment, un Noir en costume breton dansant la gavotte offre abruptement une image d’un comique irrésistible. Mais pourquoi ? Parce que le Breton lui-même a été typé dans une image restrictive et puérile. Imaginez maintenant un Cercle breton ou au lieu de faire du folklore pour touristes, on s’adonne à l’étude de la civilisation celtique, arts, littérature, modes musicaux, et des grandes oeuvres qu’elle a inspirées, des Mabinogion au surréalisme. Le Noir dans ce groupe n’est plus risible. Du ghetto on s’est élevé à l’universel.

Source : Contre culture [1]


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[1] Contre culture: http://www.contreculture.org/TB_Lebesque_1969.html

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