Dimanche 7 avril prochain, l'Alsace vote pour son avenir...
Entretien avec Jacques Cordonnier, Président d'Alsace d'abord :
Le 7 avril prochain, un référendum d’initiative locale aura lieu dans les deux départements alsaciens, dans la perspective de fusionner le Conseil régional d’Alsace et les Conseils généraux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Jacques Cordonnier, le mouvement régionaliste Alsace d’Abord que vous présidez est fortement engagé en faveur du Oui dans le campagne référendaire. Pourquoi ?
Parce que le projet de fusion des hautes collectivités alsaciennes et de créer un Conseil unique d’Alsace a été imaginé et conçu dès 1989 par le mouvement Alsace d’Abord. Avec Robert Spieler - avec qui j’ai fondé le mouvement et qui en a été le président jusqu’en 2008 – nous avions eu très tôt la conviction que la prospérité et le rayonnement de l’Alsace, la sauvegarde de ses particularismes et son développement économique passeraient nécessairement par une réforme institutionnelle. Nous défendions l’idée, audacieuse à l’époque, qu’une telle réforme pouvait très bien n’être conduite qu’en Alsace et ne pas s’appliquer à toutes les régions de France, dès lors que les autres régions de France n’en voulaient peut-être pas encore.
Pourquoi l’Alsace devrait-elle avoir un statut différent des autres régions ?
L’Alsace a une tradition régionaliste très ancienne. Elle est certes la plus petite région française, mais c’est une région frontalière à forte identité, ballotée pendant des siècles entre des autorités tutélaires différentes. Notre identité se fonde sur notre double culture, française et alémanique, héritage d’une histoire mouvementée. Les Alsaciens demeurent très attachés à leurs spécificités. En dépit des multiples tentatives de l’État de franciser à tout prix cette région des marches de l’Est, l’Alsace a su conserver presque intact son droit local. La « chance » de l’Alsace fut qu’elle ne fut pas française quand le petit « Père Combes » imposa en 1905 la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En 1919, la France victorieuse voulut remettre en cause ce statut. La révolte fut telle, et développa tant les mouvements autonomistes, que le Régime recula. Ce droit local, qui fait partie du patrimoine alsacien, est régulièrement l’objet de remises en cause par le pouvoir central. Qu’il s’agisse du livre foncier, du régime local d’assurance-maladie, de la réglementation spécifique de l’apprentissage, du statut concordataire des cultes, des instances prud’homales paritaires, de l’organisation mutualiste de l’épargne et de bien d’autres domaines, notre droit local a fait la preuve de sa supériorité sur le régime commun.
C’est ce statut particulier que nous entendons préserver et renforcer. Quand les Alsaciens parleront d’une seule voix, nous serons plus à même de demander d’autres transferts de compétences et de ressources de l’État vers la Région. De même, l’Alsace deviendra plus crédible vis-à-vis de nos puissants voisins du Bade-Wurtemberg ou de Bâle lorsqu’il s’agira de coopération transfrontalière.
Votre projet date de 1989 ; comment se fait-il qu’il ait fallu attendre si longtemps pour voir les choses enfin se décanter ?
Avec Robert Spieler et les autres élus de notre mouvement, nous nous battions inlassablement au sein du Conseil régional pour faire progresser l’idée du Conseil unique d’Alsace. Mais nous nous sommes toujours heurtés aux réflexes jacobins et « républicains » aussi vivaces chez les élus de droite que de gauche. Il faut dire que les grands partis nationaux, UMP, PS, mais aussi FN, ne favorisaient pas, chez leurs élus et leurs dirigeants, l’éclosion d’idées nouvelles qui auraient pu remettre en cause le centralisme et le jacobinisme « républicain » dont la plupart des régions s’accommodaient. Élection après élection, nous placions le projet de fusion au cœur des campagnes électorales, et c’est ainsi que chez les électeurs, au bout de vingt ans, l’idée a fait son chemin.
Cette fusion, et la création du Conseil d’Alsace, suffiront-elles à endiguer les effets de la crise qui touchent l’Alsace autant que le reste du pays ?
Le Conseil unique d’Alsace sera un formidable outil pour mettre progressivement en œuvre des décisions prises par les Alsaciens, pour les Alsaciens. Mais il faudra encore l’améliorer, car le projet tel qu’il est présenté aux électeurs est imparfait et incomplet. Les responsables UMP prétendent vouloir simplifier le mille-feuille administratif, mais ils ont concocté une usine à gaz peu compréhensible. On sent bien que le projet est le produit d’âpres marchandages entre Haut-Rhinois et Bas-Rhinois, entre Strasbourgeois et non-Strasbourgeois, entre citadins et ruraux. Médiocrité, quand tu nous tiens… Mais je ne boude pas mon plaisir ; mieux vaut une fusion incomplète que pas de fusion du tout. L’occasion qui se présente est historique. Si nous ratons cette fenêtre de tir, il n’y aura plus de possibilité de créer le Conseil d’Alsace avant cinquante ans ou plus.
Ne craignez-vous pas que ce référendum en Alsace soit une réplique du référendum local du 6 juillet 2003 en Corse, où le Non l’a emporté ?
Non, les deux référendums sont bien différents. Le référendum en Corse a été conçu et organisé par le centralisme parisien, ce qui a quelque peu énervé les Corses. De même que pour tous les référendums organisés dans les DOM-TOM par le passé. Le référendum du 7 avril 2013 en Alsace a été quant à lui, voulu, imaginé et préparé par les Alsaciens. C’est d’ailleurs une grande première. C’est la première fois dans l’histoire de France que les habitants d’une région vont être consultés, à leur demande, sur leur avenir institutionnel. Les Alsaciens pourront prendre leur destin en mains.
Vous avez donc toutes les raisons d’êtes satisfait. Ce référendum sera probablement une simple formalité ?
Non, rien n’est joué. Le Oui, pour l’emporter, doit satisfaire à deux conditions : faire plus de 50 % des suffrages exprimés, mais le Oui doit aussi atteindre 25 % des électeurs inscrits dans chaque département. Or comme chacun le sait, l’abstention n’a fait que progresser au cours des dernières décennies. En outre, il s’agira là d’une consultation uniquement régionale, ce qui veut dire que les grandes chaînes de télévision et la presse nationale n’en parleront pas, ou très peu. Sachant que les présidents UMP des Conseils généraux vont perdre leur siège de président, vous pensez bien qu’ils font campagne à reculons. Quant aux conseillers UMP et PS de base, généraux ou régionaux, ils craignent confusément de perdre leurs prébendes ; ils ne sont donc pas très actifs sur le terrain. Les élus du Front National, eux, font carrément campagne pour le Non, mettant en garde contre le morcellement de la République issue du siècle des Lumières… Ils aiment, ils adorent les valeurs de la République… Ils rejoignent ainsi dans le camp des jacobins, les militants du Front de gauche, du NPA, d’une partie du PS et les Libres penseurs francs-maçons qui n’ont jamais supporté la survie du Concordat en terre alsacienne. C‘est navrant, mais aujourd’hui le Front national est devenu le meilleur défenseur des idées de la Révolution française et des idées jacobines en Alsace. Navrant, vraiment navrant…
Mais le référendum ne peut-il pas permettre de donner la parole au peuple ?
Soyons lucides : Les Français n’ont pas la pratique ni l’habitude du référendum ou de la votation. De sorte que, lorsqu’ils sont enfin consultés, ils ne répondent pas à la question posée mais se livrent plutôt à un vote sanction, un vote de mauvaise humeur. Et en cette période de crise, les gens ont quelques raisons d’être de mauvaise humeur. Les responsables UMP seraient bien inspirés d’y penser et de détourner cette mauvaise humeur contre l’État socialiste. Mais ils n’osent pas, tant ils sont formatés pour s’incliner devant tout ce qui vient de Paris. Le mouvement régionaliste mène activement campagne, surtout dans le Haut-Rhin où l’on a agité depuis plus de trois ans le chiffon rouge de la domination strasbourgeoise. La domination strasbourgeoise ! Mais, que voulez-vous. Il est bien connu que les nains défendent leur pré carré. Ceci est vraiment profondément misérable et digne d’un nanisme cosmoplanétaire…
Ce sera sans doute difficile, mais j’ai la conviction que les Alsaciens choisiront de voter Oui. Oui à l’Alsace alsacienne, à la France française et à l’Europe européenne…
Un Parlement alsacien?
Quand il y a vingt-cinq ans nous demandions la création du Conseil d’Alsace, on nous traitait de fous. Il ne faut donc pas s’effrayer quand nous prédisons que dans quelques années, l’Alsace aura son Parlement. Dès aujourd’hui, nous devons demander des pouvoirs organiques et réglementaires afin d’obtenir sans délai la responsabilité du droit local, de sa sauvegarde et de sa modernisation. L’Alsace doit devenir maîtresse dans les domaines où son talent lui permettra de s’exprimer mieux, moins cher, plus efficacement que l’État. L’Alsace doit tirer le meilleur parti de sa situation dans l’espace rhénan et développer des relations étroites de partenariat avec ses voisins de la Suisse alémanique, du pays de Bade et du Sud-Palatinat.
Tout cela sera facilité avec l’installation du Conseil d’Alsace et la mise en œuvre d’un projet moderne de vraie décentralisation. La victoire du Oui le 7 avril prochain sera la victoire des Alsaciens et la chance de notre région.
Mais quand vous évoquez un Parlement alsacien, n’êtes-vous pas en pleine démarche indépendantiste ?
Ceci est une plaisanterie. L’Alsace est et restera française et européenne. Il n’est pas question pour nous de revendiquer une quelconque indépendance, idée ridicule, qui n’a aucun sens dans le cadre de la réflexion européenne et nationale qui est la nôtre. Il est consternant d’entendre des représentants de mouvements dits nationaux ou nationalistes reprendre les antiennes du jacobinisme révolutionnaire. Les meilleurs défenseurs de la Révolution française ne sont pas Mélenchon ni Buffet, mais Marine Le Pen et le Front national. Désespérant… Pardonnez-moi : Mais dire « merde » aux énarques parisien arrogants, ce n’est pas dire « merde » à la France.
Cet entretien a été publié dans Rivarol de la semaine dernière cliquez ici
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