mercredi, 28 octobre 2009
La Colombie, dernier bastion américain en Amérique du Sud
Bernhard TOMASCHITZ:
La Colombie, dernier bastion américain en Amérique du Sud
D’ici le 30 octobre, le Panama signera un traité avec les Etats-Unis qui prévoit l’installation de deux bases navales américaines sur son territoire, vient d’annoncer le ministre panaméen de la justice, Raul Mulino. Ces deux bases navales, qui seront installées sur la côte pacifique, serviront, d’après Mulino, à “lutter contre le narco-trafic international”. En août dernier, les Etats-Unis avaient annoncé qu’ils installeraient sept nouvelles bases militaires en Colombie, également, prétendent-ils, pour lutter contre l’internationale des trafiquants de drogues. Cette décision avait provoqué force remous. Le président vénézuélien Hugo Chavez, fer de lance de la gauche sud-américaine, a pu reprocher, une fois de plus, aux Américains de pratiquer une politique “impérialiste” et a évoqué “les vents de guerre” qui soufflaient à présent sur le continent sud-américain.
En effet, on peut sérieusement douter que l’engagement de Washington au Panama et en Colombie a pour objectif réel de combattre le trafic international de drogues. Certes, la Colombie est, au monde, le principal producteur de cocaïne mais elle est surtout le dernier allié des Etats-Unis sur le continent sud-américain. A titre de remerciement pour cette fidélité à l’alliance américaine, l’ancien président des Etats-Unis, George W. Bush, avant de quitter les affaires, avait remis au Président colombien Alvaro Uribe la décoration civile la plus prestigieuse, la “Liberty Medal”.
A la base de la coopération militaire entre Washington et Bogota, nous trouvons le “Plan Colombia”. En septembre 1999, le président colombien de l’époque, Andres Pastrana, avait annoncé que les forces armées avaient reçu le droit de lancer des opérations de police dans le pays. L’objectif principal, à cette époque-là, était de combattre les rebelles marxistes-léninistes des FARC, qui avaient plongé le pays dans une guerre civile depuis les années 60, ce qui avait entraîné la mort de dizaines de milliers de personnes. Bill Clinton, alors président des Etats-Unis, avait saisi l’opportunité de s’attirer un allié fidèle en Amérique du Sud, en apportant son soutien au “Plan Colombia”; il participa donc à l’élaboration de ce “Plan”, en l’infléchissant selon les conceptions américaines; comme l’écrit Robert White, ancien ambassadeur américain au Salvador, après que le “Plan Colombia” ait été accepté par le Congrès de Washington en juin 2000: “Si on lit le plan dans sa version initiale, et non pas dans la version écrite à Washington, on constate qu’il n’est pas question de lancer des opérations militaires contre les rebelles des FARC, bien au contraire. Le Président Pastrana disait à l’époque que les FARC constituaient une part de l’histoire colombienne, qu’elles étaient un phénomène de nature historique et que leurs militants devaient être considérés comme des Colombiens à part entière”.
Sur base de ce “Plan Colombia”, au cours de la dernière décennie, la Colombie est devenue, par ordre d’importance, le troisième pays bénéficiaire d’aides militaires américaines, après Israël et l’Egypte. De 1999 à 2008, les versements américains n’ont cessé de s’amplifier, ont même centuplé et sont passés de 50 millions de dollars à 5 milliards de dollars. La prodigalité de Washington a un prix, disent les voix critiques. Le scénario se déroule comme le veut Washington: pour l’essentiel, les forces armées colombiennes recevront dorénavant des missions d’ordre subalterne, c’est-à-dire des missions de simple police ce qui, à long terme, renforcera la dépendance de la Colombie à l’endroit de son puissant allié.
Le “Livre Blanc” de l’armée américain nous dévoile quelle sera l’importance des bases en Colombie pour les Etats-Unis. Dans ce document de 36 pages, on nous explique que la base aérienne de Palanquero permet “aux avions de transport C-17 d’atteindre près de la moitié du continent sans devoir remplir leurs réservoirs”. De cette façon, Washington laisse entendre clairement que les Etats-Unis considèrent l’Amérique latine comme leur sphère d’influence exclusive, comme depuis 1823, quand leur Président de l’époque, James Monroe, avait énoncé sa célèbre doctrine. Mais finalement, les volontés hégémoniques américaines sur les Etats d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud ont été nettement battues en brèche au cours de ces dix dernières années: Chavez, chef d’Etat du Venezuela, veut introduire la “révolution bolivarienne” et un “socialisme du 21ème siècle” en Amérique latine et trouve de plus en plus d’adeptes pour ses idées, à commencer par le Président bolivien Evo Morales et le Président nicaraguéen Daniel Ortega, un ancien sandiniste qui avait déjà donné force migraines à Ronald Reagan dans les années 80. A ces deux présidents s’ajoute l’Equatorien Rafael Cortea. De plus, le Venezuela, riche de son prétrole, entretient des relations de plus en plus étroites avec la Russie et l’Iran, ce qui fait que le gouvernement américain de Barack Obama trouve la situation de plus en plus désagréable. C’est pour cette raison que la tête de pont colombienne, bientôt élargie au territoire panaméen, se voit renforcée pour pouvoir, en cas d’urgence, ramener à la raison des Etats récalcitrants comme le Nicaragua. Dans la région, on commence à dire que la Colombie est devenue “l’Israël de l’Amérique latine”, car, comme Israël, la Colombie risque fort bien de devenir là-bas la tête de pont pour toute offensive contre des gouvernements qui seraient jugés indésirables du point de vue de Washington.
Il faut aussi ajouter que la Colombie, au cours de ces dernières années, est devenue pour Washington un terrain d’expérience pour tester de nouveaux modes de combattre les insurrections, stratégies que l’on applique ensuite en Afghanistan. Tant les FARC, aujourd’hui bien affaiblies, que les talibans, sont profondément impliqués dans le trafic de drogues et financent par ce commerce sale leurs achats d’armement. Le Général David Petraeus, ancien commandant des forces américaines en Irak, a donné son avis sur l’exemple colombien: “Les militaires voient dans les rapports entre les Etats-Unis et la Colombie un modèle possible pour l’Afghanistan et le Pakistan et nous expliquent que la stratégie qui se profile derrière le ‘Plan Colombia’ pourrait aider ces deux pays musulmans contre les militants”.
Bernhard TOMASCHITZ.
(article paru dans “zur Zeit”, n°42/2009; traduction française: Robert Steuckers).
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