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dimanche, 28 décembre 2014

Morceaux de viande débaptisés, un signe de déculturation

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Morceaux de viande débaptisés, un signe de déculturation
 
par Gabriel Robin

Ex: http://www.bvoltaire.fr

Bavette, araignée, onglet, flanchet, aiguillette, baronne, entrecôte, tournedos de filet, collier et autres macreuses ne seront bientôt plus présents sur les étals des supermarchés.

Bavette, araignée, onglet, flanchet, aiguillette, baronne, entrecôte, tournedos de filet, collier et autres macreuses ne seront bientôt plus présents sur les étals des supermarchés. Ces noms qui stimulent l’imagination des plus gourmands, et m’ont fasciné étant enfant, doivent disparaître, sacrifiés au grand dieu de la consommation rapide, au dieu « déculturation ».

Depuis le 13 décembre, les rayons boucherie des grandes surfaces désignent les morceaux de viande par des étoiles, de trois étoiles pour les « meilleurs morceaux » à une étoile pour les plus communs, ainsi que les mentions « à rôtir », « à griller », « à mijoter ». Les grandes chaînes de distribution agroalimentaire subodorent-elles que les Français sont incultes et incapables de comprendre la merveille du champ lexical boucher ? De la même façon, un morceau de viande à pot-au-feu n’est pas ordinaire ou commun, il doit simplement être préparé différemment. Moins goûteux grillé qu’une bavette, une queue de bœuf peut être magnifiée par une cuisson longue en bouillon et mériter ces grotesques « trois étoiles ».

Ce nouvel étiquetage des viandes est un appauvrissement supplémentaire de notre riche culture et détruit un peu plus notre langage. Bientôt, devrions-nous rebaptiser les fromages en « pâtes dures », « pâtes molles » ou « fromages frais », sans considération pour les terroirs de Camembert, Roquefort ou Comté ? Et puis, dans cet élan de révolution aculturelle, pourquoi ne pas renommer Paris en « Capitale » et France en « Hexagone », afin d’oublier définitivement nos origines ? Pourquoi distinguer les viandes, après tout regardons le plus grand dénominateur commun plutôt que le plus petit discriminant. Il en est ainsi de l’homme : plus de Français, plus de Chinois, plus d’Italiens, mais des animaux à deux bras et deux jambes possédant en commun la faculté de dépenser leur argent.

L’idéologie qui sous-tend cet oubli de notre patrimoine lexical est la même que celle qui préside à l’avènement de la théorie du genre : l’indifférenciation et la déculturation. Toujours moins d’aspérités pour toujours plus d’uniformisation, toujours moins de complexité pour plus de « praticité ». Surtout, moins de mystère, moins de sensible. Il faut parfois s’y reprendre à deux fois pour se souvenir que l’onglet correspond à chacun des deux piliers du diaphragme, une pièce noble à longues fibres qu’on trouvait dans le temps plus facilement chez les tripiers que chez les bouchers, mais n’est-ce pas cela qui en fait le charme ?

Résister à l’américanisation et au monde marchand, c’est d’abord refuser la novlangue, c’est réclamer que les morceaux de viande soient appelés par leurs beaux noms traditionnels. Nous ne serons pas des morceaux d’hommes « à consommer », « à délocaliser » ou « à déraciner ».

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