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dimanche, 18 janvier 2015

DJIHADISME: OÙ EST MARCEL GAUCHET?

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DJIHADISME: OÙ EST MARCEL GAUCHET?
 
Coralie Delaume*
Ex: http://metamag.fr
Note liminaire : oui, le titre de ce post est un peu étrange. Et alors ? On est vraiment plus à une bizarrerie près, ces jours-ci. 

Actualité apocalyptique oblige, tout le monde réfléchit intensément à la nature profonde du djihadisme et, plus largement, de l’islamisme radical. Des chercheurs,  dont les éclairages sont très bienvenus, sont convoqués dans les médias, comme Gilles Kepel, toujours passionnant, ou Olivier Roy. Marianne a republié une magnifique Lettre ouverte au monde musulman, du philosophe Abdennour Bidar, dont la lecture est un moment de pur bonheur. Étonnamment, les désormais célèbres « padadalgamistes », qui ont immédiatement bondi pour expliquer fissa que les attentats perpétrés contre Charlie Hedbo et contre l’Hypercasher n’avaient « rien à voir avec l’islam », ne pipent mot. On ignore pourquoi mais ils semblent avoir décidé que, quand bien même Allah et Mahomet n’auraient rien à voir là-dedans, il demeurait tout de même normal qu’on entende partout des spécialistes de ces choses-là. Va comprendre, Charles.

Des choses moins pertinentes,  plus confuses, se répandent également. Un argument utilisé plus que de raison pour tenter d’expliquer le djihadisme, semble tout particulièrement malvenu, qui consiste à assimiler le terrorisme islamiste au nazisme. Et l’on voit fleurir des expressions qui, certes, « sonnent bien », mais éclairent fort mal : « islamonazisme », « fascislamisme » voire « totalitarisme vert ». 

Elles éclairent mal pour trois raisons : 

1) parce la tendance actuelle à convoquer sans cesse le fascisme et le nazisme n’est pas une bonne chose. Elle conduit à nier ce que furent les spécificités de ces idéologies. On contribue ainsi « dé-comprendre » un phénomène du passé sans aider pour autant à mieux comprendre un phénomène du présent.

2) parce qu’on donne ainsi à penser que l’histoire se répète, qu’elle radote. Or ce n’est jamais le cas. Certes, tracer un signe d’égalité entre islamisme et nazisme est « tranquillisante » (si l’on peut dire…). En faisant cela, on s’offre le confort qu’autorise le fait de considérer qu’on a déjà à sa disposition toute la panoplie analytique nécessaire pour comprendre. On se dit : « allez hop, je ressors mon petit Hannah Arendt sur l’origine des totalitarismes et le tour est joué ». Pas de chance : ça ne marche pas.  

3) parce que si ça ne marche pas, c’est en partie pour la raison suivante. Marcel Gauchet a dit cette chose lumineuse : en leurs temps, les totalitarismes n’ont pu être ce qu’ils furent que parce qu’ils s’appuyèrent sur les masses.
 
Problème : nous vivons aujourd’hui à l’ère, précisément, de la démobilisation des masses et de l’atomisation des individus. Nous sommes donc loin de la situation qui a amené le totalitarisme. Nous sommes même dans une situation… inverse. Cela se voit, d’ailleurs, jusque dans le mode opératoire des terroristes : des individus seuls, à demi marginaux, ou de très petits groupes. Tout cela est très labile, très insaisissable, très peu charpenté idéologiquement (très faible connaissance de l’islam au final, corpus idéologique bricolé sur Internet, etc.). 

Il est donc dommage que l’on n’entende pas davantage Marcel Gauchet sur ces questions car il reste celui qui a théorisé, tout de même, le processus « sortie de la religion ». Evidemment, l’actualité immédiate semble lui donner absolument tort puisqu’on a l’impression d’assister à un retour en force du religieux [Oui, on sait. Malraux, « le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas », tout ça….]. Mais justement, rien n’est moins sûr ! Et c’est peut-être même le contraire. 

Peut-être pourrait-il le montrer, si toutefois un média voulait bien lui poser des questions dans ce genre-là : 

- le processus de « sortie de la religion » a conduit à l’effacement des croyances religieuses au profit de croyances politiques. A l’heure où l’on constate, notamment en Europe, une « dépolitisation » générale, le regain d’intérêt pour la religion, exprimé parfois de manière hystérique, signifie-t-il que le processus est en train de s’inverser ?  

- le recul de la religion au profit du politique consiste en un passage de l’hétéronomie (les hommes croient que les règles leur sont imposées du dehors/d’en haut) à l’autonomie (les hommes découvrent que ce sont eux qui édictent leurs propres règles). La multiplication des phénomènes de radicalisation individuelle ne montre-t-elle pas qu’on est arrivé à l’étape d’après  ? Ne sommes-nous pas en train de passer de l’autonomie à un genre d’anomie ?

- en Europe, l’effacement du religieux au profit du politique a engendré des maladies du politique (fascisme, nazisme, stalinisme). Le djihadisme, au moins dans sa version occidentale, n’est-il pas une maladie à la fois de la dépolitisation et de l’individualisme ?

-  dans ce cas, pourquoi existe-t-il aussi (et surtout d’ailleurs) hors du monde occidental ? 

- pour l’Europe, le processus de sortie de la religion semble s’être achevé à l’ère moderne. Admettons que le monde musulman soit justement en train d’opérer le sien, mais en pleine postmodernité, à l’heure où tout se déplace très vite (les informations, les images, les hommes). Quelles conséquences ? 

Ces questions, on peut se les poser. Mais le mieux, ce serait encore d’essayer d’obtenir des réponses. Alors, où est Marcel Gauchet ? Dans notre petit coeur [HUMOUR !], certes, mais est-ce bien suffisant ? Le débat est ouvert.

* animatrice du blog L'Arène nue 

Illustration en tête d'article : Les religions du monde, gravure du XVIIIe siècle.

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