A l’exception de la Suisse et quelques autres pays, les démocraties modernes sont des machines à diluer le pouvoir. Ce n’est plus d’une communauté que s’occupent les gouvernants, mais de la promotion d’un individu affranchi de toutes les limites imposées par la nature ou la tradition. Pour stimuler cette promotion, il faut transformer les hommes politiques en gestionnaires d’individus autosuffisants. Plus question de les déranger, ces individus, parce que chacun d’eux est tout absorbé par son désir de s’épanouir sans ne rien devoir à personne. Ce ne sont plus les nations qui sont souveraines mais des petits « moi » arc-boutés sur les droits de l’homme. Les voûtes de nos cathédrales consuméristes n’abritent plus une collectivité parce que, désormais, chacun a sa petite voûte sous laquelle il cultive le petit jardin de ses petits caprices.
Dès lors, un gouvernant qui dirigerait un pays au nom du bien commun serait très malvenu. Il pourrait ignorer, voire mépriser ces petits jardins. Non, vraiment, ce n’est pas un gouvernant que veulent les démocraties modernes, mais un jardinier général attentif à la santé de toutes les petites plantes infiniment diverses qui poussent dans des âmes avides de jouissances anodines qui ne dérangeront jamais l’ordre des choses.
François Hollande remplit cette condition. Cet individu sans substance est à la tête d’un des plus grands pays occidentaux. La Suisse n’est pas épargnée par ce phénomène qui consiste en la production d’une classe politique terne, comme on vient de le voir avec la mise à l’écart d’Oskar Freysinger par son propre parti. Parviennent à obtenir des sièges dans des exécutifs ou des législatifs des individus lisses et lissés. Pour notre pays ce n’est pas trop grave, puisque nous sommes toujours neutres et que nous n’avons pas besoin d’un de Gaulle pour conduire notre politique étrangère en attendant d’elle qu’elle nous fasse exister. Autrement dit, nous pouvons faire l’économie du charisme mais la France, elle, ne le peut pas. Sa cohérence nationale a toujours dépendu de sa posture face à l’étranger. Il lui faut un leader et François Hollande n’en n’est pas un, raison pour laquelle les attentats de Paris et la COP21 ont été une divine surprise pour lui. Ces deux événements lui ont en effet permis de se poser d’une part en grand défenseur de la France et d’autre part en sauveur de la planète. Ce n’est pas rien et ça aide à mettre de la substance dans un gouvernement qui n’en a pas. Mais va-t-il pouvoir se maintenir à cette hauteur ?
Non, pour deux raisons. La première est qu’il ne peut continuer indéfiniment à orchestrer des lamentations avec manifestations et défilés soutenus par la communauté internationale. Il ne peut pas non plus continuer pour longtemps à fayoter les chefs d’État de cette communauté qui n’est d’ailleurs pas une. La deuxième raison est qu’il ne va pas pouvoir rester sauveur de la planète. Un sauveur ne mégote pas sur quelques degrés de plus ou de moins dans 50 ou 100 ans.
La légitimité de François Hollande est donc fragile comme l’est la légitimité démocratique un peu partout. Cette fragilité n’est pas grave dans le train-train des votes et élections, mais en temps de crise, elle éclate au grand jour. C’est ce qui va se passer en France une fois calmés les chœurs de pleureuses et les dénonciations outragées d’affreux barbares. Les dénoncer avec des trémolos dans la voix, ça ne mange pas de pain, mais à la longue, ça fait sourire les barbares et ça décourage les troupes censées les combattre.
Que se passera-t-il lorsque les cavalcades hollandaises s’essouffleront ? Certains parlent de guerre civile. Une chose est sûre : si une telle guerre devait advenir, ce ne sont pas de telles cavalcades qui pourraient l’empêcher. En fait, elles pourraient même provoquer une telle guerre.
Jan Marejko, 4 décembre 2015
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