Nous abordons souvent dans nos pages la rectitude politique, mais tout comme le multiculturalisme que nous avons défini avec le professeur Richardo Duchesne, elle est très mal comprise. Aujourd’hui, des humoristes se disent politiquement incorrects alors qu’ils font des blagues sur les chrétiens, sur les blondes ou sur les gros, alors que finalement, ils sont en plein dans la ligne de la rectitude politique. Pour mieux comprendre ce qu’est réellement cette rectitude politique, ses origines et ses aboutissements, nous vous présentons une entrevue avec le professeur Heinz Klatt qui donnait un cours sur ce sujet à l’Université de Western Ontario.
Comment définierez-vous la rectitude politique?
Dans les dernières années de mon enseignement au King’s University College de l’Université de Western Ontario à London (2000-2004), j’ai enseigné un cours intitulé « Psychology and Ideology: The Study of Political Correctness ». Ce cours, à ma connaissance et d’après les études de la National Association of Scholars, était le premier cours universitaire au Canada qui traitait explicitement du phénomène de la rectitude politique. Ce cours était limité aux étudiants de psychologie des troisième et quatrième années, ce qui explique le choix des sujets analysés.
Dans le cadre de ce cours, j’ai défini la rectitude politique, en termes généraux, comme un canon d’orthodoxies et de prohibitions. D’après moi, elle est composée d’un ensemble d’affirmations que la société occidentale d’aujourd’hui ne permet pas de mettre en question. Elle a les caractéristiques d’une religion séculière. Nourrie par des ressentiments et des rancœurs, son but est de promouvoir une société radicalement égalitaire.
La rectitude politique insiste sur la reconnaissance de son credo par tous. Elle fait respecter ses vaches sacrées par la censure. Elle contrôle le langage et, en particulier, elle emploie à foison des épithètes (comme « raciste », « sexiste », « homophobe », « fasciste ») qui sont utilisées principalement pour terminer des controverses et des débats afin de défaire et soumettre ses adversaires « incorrects ».
Les lois et politiques sur le « harcèlement sexuel », qui sont en fait des codes de parole, ont la fonction de censurer. Elles servent de véhicule de choix pour faire valoir la rectitude politique et cela même dans les conflits qui n’ont rien à faire avec un harcèlement sexuel. Les nombreuses politiques que je connais, toutes interdisent qu’on dise quelque chose qui pourrait mettre quelqu’un « mal à l’aise » ou qui pourrait créer un « environnement hostile ou empoisonné ». Imaginons la signification de ces verdicts en milieu universitaire! L’autocensure qui en résulte est tellement efficace que le besoin de censurer ouvertement et brutalement n’est plus que rarement senti. Dans le milieu universitaire, cela entraîne que beaucoup de professeurs, préoccupés par leur enseignement et recherche, se soumettent « volontairement » et, sans grande résistance, se musellent avec verve. Ainsi, au nom de la diversité, paradoxalement, on renforce une uniformité de pensée et d’expression. L’objectif de la rectitude politique est la diversité raciale et l’uniformité de pensée.
Les champions de la rectitude politique se considèrent et s’appellent « libéraux » et « progressistes », bien qu’il soit difficile de justifier une telle nomenclature. Comment peut-on se targuer d’être libéral et progressiste si on insiste sur la reconnaissance forcée de la rectitude de ses vues et qu’on est prêt, en vue de cette acceptation, d’exercer la censure et d’utiliser tous les moyens de contrainte disponibles?
Comme dans toute religion et toute idéologie absolutiste, la rectitude politique a ses hérétiques, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas « corrects » et qui, par conséquent, peuvent être vilipendés, harcelés, proscrits, éliminés des comités universitaires et barrés dans leur carrière.
La pensée unique a son propre code d’éthique qui est basé sur les deux notions d’équité et de diversité. L’équité exige que chaque organisation ou institution, privée ainsi que publique, reflète la composition sexuelle de la société, à l’exception de ces institutions, ironiquement, qui emploient majoritairement des femmes (infirmières, enseignantes et autres). La notion de diversité exige que chaque institution reflète la composition raciale de la société. D’une manière paradoxale, par fait autoritaire, on revendique que toutes les races sont égales et également douées à contribuer à la société, et ergo que chaque institution a besoin des membres de chaque race, parce que « la diversité est notre force ». Le gouvernement supervise et finance cette ingénierie sociale et escroquerie. Il récompense l’acquiescement et punit la désobéissance. Les soit-disantes Commissions des droits de la personne, finalement, excommunient les hérétiques et réfractaires, parfois avec des amendes importantes, et vont même jusqu’à détruire leurs carrières.
En quoi la rectitude politique est-elle une forme de censure et en quoi cette censure diffère-t-elle de la censure appliquée dans les pays totalitaires?
En principe, il n’y a pas de différence. Dans les deux cas, la liberté d’expression est garantie par leurs constitutions, et dans les deux cas, il y a une censure efficace et souvent sans merci. Dans le cas particulier du Canada, la Charte des droits et libertés de la personne garantit la liberté d’expression et les Commissions et Tribunaux des droits de l’homme la limitent et punissent souvent sévèrement les récalcitrants.
Ce que je trouve particulièrement choquant est le fait que nous, les professeurs universitaires, en dépit de la protection particulière que nous avons par la Charte et les conditions de notre emploi, nous sommes, comme groupe, probablement les plus serviles et obséquieux de tous. Tandis que nous reconnaissons facilement la censure dans les pays totalitaires, nous avons du mal à la reconnaître dans nos pays démocratiques à travers nos politiques qui prohibent des paroles qui peuvent mettre quelqu’un « mal à l’aise », qui peuvent propager « la haine » ou qui peuvent créer un « environnement hostile ».
Quels sont les domaines ou sujets où la rectitude politique est le plus dommageable?
Évidemment, les arts et les sciences humaines sont beaucoup plus affectées par la rectitude que les sciences naturelles, parce que les sciences humaines étudient les comportements des gens tandis que les sciences naturelles examinent les lois de la nature. Par conséquent, la sociologie, la psychologie, l’anthropologie et l’éducation souffrent le plus sous la lourde chape des menaces des tribunaux. Déjà toute une génération d’étudiants ne peut plus examiner honnêtement des sujets importants qui ébranlent la société: l’homosexualité, les différences sexuelles et raciales, l’immigration, les minorités, les handicapés et autres. Dans chaque sujet, une seule conclusion est licite: celle qui est politiquement correcte. Avec toute autre conclusion, on devient très vulnérable.
Quel universitaire, par exemple, aurait le courage aujourd’hui d’examiner les différences biologiques, intellectuelles et sociales des races! Rappelons-nous le cas du président de Harvard University, Lawrence Summers, ancien ministre de commerce, qui en 2005 dans une adresse publique a osé dire que peut-être il y a aussi, parmi d’autres, un facteur génétique à la base du fait qu’il y a une prépondérance d’hommes dans les facultés des sciences naturelles dans les universités d’élite. Nous savons la conséquence: il a été forcé de démissionner et de chercher un nouvel emploi. Ce que ce cas et plein d’autres nous montrent est le fait que la rectitude politique avec ses contraintes qu’elle impose n’est pas un fléau limité au deuxième échelon des universités (UWO).
Naturellement, les religions et leurs enseignements sont particulièrement tarabustés. J’ai introduit dans mes cours la notion de la rectitude politique islamique, un terme qui comprend toutes les bêtises et contre-vérités qui aujourd’hui sont monnaie courante comme « l’islam est une religion de paix, l’islam est compatible avec la démocratie, les femmes en islam ont un statut égal avec les hommes, le jihad est avant tout un »perfectionnement de soi-même dans la voie de Dieu » et n’a rien à faire avec une guerre sainte contre les infidèles, Mahomet, le vertueux, a épousé une dizaine de femmes surtout pour aider les pauvres veuves ou pour établir des alliances politiques, etc. »
Pourriez-vous nous donner un exemple extrême de la rectitude politique?
Je crois que l’université où vous enseigniez a connu son lot de controverses, pourriez-vous nous en parler?
Le lecteur probablement est avide qu’on lui donne un exemple concret de ce qui s’est passé dans nos parages canadiens. En 1991, j’enseignais un cours sur la psychologie d’enfant pour la deuxième année et comme c’était mon habitude, j’ai demandé à mes étudiants de s’identifier à l’aide d’un carton posé sur la table devant eux avec leur nom en grandes lettres. Un jour en octobre, une étudiante, nommée Lucrecia, voulait poser une question mais avait oublié de mettre son étiquette. Je voulais lui donner la parole mais je ne me souvenais que d’une partie de son nom et balbutiai Lu… La… Lu… C’est alors qu’elle m’aida, avec le résultat que je l’appelai Lucky Lucy, parce qu’elle préférait le diminutif. Tout le monde s’amusa un peu et je continuai mon cours.
Après les examens finaux en juin suivant, j’ai reçu une lettre formelle du principal du collège qui m’accusait d’avoir « sérieusement harcelé mes étudiantes » dans mon cours. Les plaignantes étaient deux étudiantes qui avaient obtenu un D dans le cours et qui prétendaient avoir été tellement bouleversées par le fait que j’avais appelé une étudiante Lucky Lucy qu’elles ne pouvaient plus étudier. La première correspondance, en fait, ne fut pas seulement une inculpation mais incluait un jugement de culpabilité selon lequel j’avais harcelé ces deux étudiantes. Un adjudicateur externe fut nommé pour déterminer la punition que je méritais. Les procédures kafkaesques et très éprouvantes qui suivirent durèrent presque deux ans et se conclurent par un jugement d’innocence. Après cela, c’était à moi d’exposer la farce politiquement correcte à laquelle j’avais été soumis (ce que je fis amplement dans tous les médias qui montraient un intérêt) et à soumettre mes demandes de compensation. Finalement, j »ai réussi à obtenir une année de congé payé, le remboursement de tous mes frais et la satisfaction de plusieurs autres demandes.
A une époque plus saine de notre histoire, la plainte de deux étudiantes (très faibles) disant qu’elles ne pouvaient plus se concentrer sur leurs études parce que leur professeur avait appelé une autre étudiante Lucky Lucy, sans aucune allusion à la sexualité, aurait été réglée en dix minutes et aurait été accompagnée d’une réprimande des plaintives. Les deux collègues qui m’avaient jugé coupable sans même m’avoir informé sur la plainte auraient également été sanctionnés. Dans notre société actuelle de pensée unique, toutefois, les valeurs sont tout autres.
Mon expérience avec le monde destructeur, absurde et risible de la rectitude politique n’est pas vraiment compréhensible sans que soient mentionnés deux antécédents aux événements: en 1990, j’avais exposé dans la presse et dans un article scientifique que l’Université de Western Ontario, malgré tout ce qu’elle publie sur son excellence dans l’enseignement, accepte des étudiants mentalement arriérés, en langage politiquement correct, des étudiants avec un déficit mental. Comme nous savons tous, les Commissions des droits de l’homme exigent que tous les candidats « qui posent un déficit » doivent être accommodés, ce qui veut dire que les candidats « sous-doués » ont également un droit à une éducation universitaire. C’est aux professeurs à gérer les affaires quand les étudiants ne savent pas écrire à un niveau supérieur de celui de l’école élémentaire. Et cela se passe dans une université à l’admission compétitive (taux d’admission 58%), au niveau très respectable de l’Université de Western Ontario!
Le deuxième événement qui précédait mon harcèlement par l’institution était mon grief contre le doyen, un grief qui exposait l’administration peu soignée et incompétente de ce doyen et que j’avais gagné. Il y a un prix à payer quand on se mesure avec ses supérieurs – une ancienne sagesse. Les institutions modernes pourtant disposent d’un arsénal de mesures beaucoup plus important dont l’outil suprême sont les politiques de harcèlement perversement invoqué pour harceler les insoumis.
De façon plus générale, en quoi la rectitude politique est-elle liée au relativisme moral?
Les notions de se sentir « mal à l’aise », de « l’environnement hostile et empoisonné » et de la « haine » sont des concepts très subjectifs et exigent une interprétation chaque fois qu’elles sont invoquées. Cette contingence ne pose pas de problème aux apôtres de la rectitude politique. La notion salvatrice est la « tolérance zéro ». En décrétant que déjà la moindre nano-infraction mérite une sanction, on raccourcit les délibérations et débats. Ainsi un garçon de quatre ans qui a fait la bise à une fille de trois ans dans un jardin d’enfants (un cas réel) mérite-t-il une suspension pour harcèlement sexuel. Après tout, il faut éradiquer le vice le plus tôt possible, au moment de sa naissance, et il ne faut pas faire de compromis. De la même manière, deux étudiantes, qui se sentent « mal à l’aise » dans un cours dans lequel le professeur appelle une autre Lucky Lucy, doivent être prises au sérieux, parce qu’elles ont souffert (une évidence pour le fanatique et l’imbécile) et que ce n’est à personne de juger l’intensité de la douleur. Ici nous nous trouvons dans le domaine de l’absurde et du fanatisme et au Canada contemporain.
Dans la jurisprudence traditionnelle, c’était le juge qui avait la responsabilité de considérer et peser les contingences, les conflits des gens en question, leur psychologie et motivation ainsi que plein d’autres facteurs pour déterminer leur culpabilité. La notion de tolérance zéro soulage les cadis de la rectitude politique de cette encombrante obligation, toute micro-plainte est prise au sérieux et chaque inculpé est poursuivi et harcelé qu’il soit innocent ou coupable. Ainsi montre-t-on sa sincérité et sa dévotion à protéger les femmes (faibles) et les minorités. En plus, on se donne aussi une attitude de supériorité morale.
Ce radicalisme idéologique a pourtant encore un autre bénéfice, i. e., économique. Les institutions peuvent employer les étudiant(e)s avec des diplômes en « études féministe s», « études de diversité et du multiculturalisme », « études d’équité », « études des déficiences », « études noires », etc.. Ce sont des gradués qui ne seraient susceptibles d’être employés dans aucune position bénéfique à la société.
Dans le sens que toutes les valeurs se valent et que toutes les sensibilités sont justifiables et méritent audience et soin, notre société multiculturelle ne reconnaît pas de hiérarchies. Alité au lit du relativisme moral, si confortant aux esprits médiocres, chacun a sa vérité, ses valeurs, ses sensibilités et convictions, et personne n’a le droit de juger les autres. Si quelqu’un prétend se sentir harcelé, c’est parce qu’il est harcelé. Les apôtres de la rectitude politique apparaissent incapables de comprendre que ce principe implique une abdication de la raison, de la logique et du bon sens.
L’axiome qu’il ne faut surtout pas juger les autres, leurs valeurs, leurs points de vue et leur morale, ne devrait-il pas être considéré sujet au même principe? Si toute assertion est relative, cette proposition ne doit-elle pas être relative aussi? Les contradictions dans le relativisme cognitif et moral, cependant, ne posent pas de problèmes aux adeptes de la rectitude politique, parce qu’ils ne comprennent pas et pour cela ne sont pas gênés. Comme l’ouroboros, le serpent de l’occultisme qui avale sa propre queue, ils doivent avaler leurs propres non-sens indigestibles sans vomir.
Quels furent les apôtres de la rectitude politique et plus généralement, comment s’est-elle implantée en Occident?
Le terme « politiquement correct » ou « rectitude politique » a son origine dans les débats des communistes et socialistes du début du dernier siècle. Les camarades dans leur parti critiquaient la doctrine que Moscou était toujours « politiquement correcte », et que le Politbureau soviétique était ultérieurement le seul interprète des textes sacrés. Avec la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique, les menaces militaires et nucléaires étant réduites, l’idéologie marxiste-léniniste cependant continua à respirer et surtout parmi les intellectuels et universitaires de gauche.
On reconnaît facilement les origines communistes du politiquement correct:
• dans l’ingénierie sociale (les quotas);
• dans le contrôle du langage et la transformation de la société par l’intermédiaire d’une novlangue à la « 1984 » (équité, diversité, inclusivité, homophobie, survivant, victime, « glass ceiling », l’usage du mot genre à la place de sexe comme si ces deux termes étaient des synonymes, etc.); plusieurs de ces mots sont conventionnels toutefois doués des sens nouveaux;
• dans la participation forcée des « coupables » à des séminaires et ateliers de rééducation pour rendre ceux-ci « plus sensibles », c’est-à dire plus conformes à la pensée unique;
• dans la calomnie acharnée du patriarcat comme jadis la diffamation systématique du capitalisme;
• et en dernier, mais non par ordre d’importance, ce que les anglophones appellent si justement les « kangaroo courts » ou « star chambers », i. e., les cours idéologiques et arbitraires.
Naturellement, on ne peut pas inculper une seule doctrine comme la mère de la rectitude politique, parce qu’il y a une convergence de multiples influences. Le féminisme est devenu de plus en plus agressif. L’immigration massive des gens de couleur a changé le visage du pays. Le multiculturalisme, en général, a sollicité la compassion pour les autres autant qu’il a entraîné la dénigration de notre propre culture et de nos coutumes. Les revendications téméraires et souvent impudentes des immigrants musulmans ont ébranlé certaines coutumes et traditions de notre pays. Somme toute, toute une toile d’influences a abouti dans le développement, largement par des méthodes démocratiques, à ce phénomène qui a fait tant de dégâts. Les apôtres du mouvement étaient et sont toujours les gens qui valorisent la pluralité des races dans la société plus que la pluralité des idées et valeurs, et ironiquement, cette attitude est la plus répandue dans les universités.
En écrivant ces lignes, je lis dans l’éditorial de la National Post du 14 juin que le Conseil scolaire de Vancouver a adopté la politique de nouveaux pronoms pour les enfants qui se sentent mal à l’aise avec leur genre (le mot sexe, apparemment, est destiné à devenir un mot périmé). Ces enfants et leurs enseignants sont encouragés à utiliser «xe, xem and xyr» à la place de «he/she» et «him/her». N’ignorons pas le fait que les différentiations, nécessaires pour un usage propre de ces mots (s’il y’en a), doivent être faites même par des enfants qui ne savent pas encore utiliser les toilettes! Bien sûr, pour protéger la sphère intime de ces enfants-xe-xem (un autre grand souci), ils peuvent choisir entre les toilettes de filles, de garçons et celles, à créer encore, qui sont une « alternative raisonnable » («a reasonable alternative washroom»).
Ici encore une fois, nous nous trouvons dans un monde absurde, abracadabrant et même burlesque invitant la satire. L’actualité de cette farce (exécutée sans consultation des parents) nous montre la vitalité interminable de la rectitude politique et le fait qu’il y a sûrement trop de personnels embauchés dans les administrations d’éducation qui n’ont rien à faire.
Les apôtres sont tous ceux, et surtout celles, qui sont des idéologues d’une égalité radicale ou des profiteurs de cette ingénierie sociale. Et naturellement il y a toujours plein de compagnons de route, sans conviction, des idiots utiles, qui nagent avec le flot pour ne pas se compliquer la vie. Les universités sont les pépinières par excellence. Elles fournissent des emplois pour des professeurs qui procurent les théories et pour des bureaucrates qui sont mis en charge d’administrer les élucubrations « correctes ». Finalement, il y a de nombreux étudiants qui profitent en décrochant des diplômes et certificats qui leur permettent après leurs études d’être employés comme conseillers ou consultants pour les conseils scolaires et autres.
Il y a au Québec de nombreuses demandes d’accommodements raisonnables provenant de différentes minorités ethniques et religieuses. Quelle est votre lecture de ces demandes et de la réaction des Québécois qui, pour endiguer ce problème, souhaitèrent se doter d’une Charte de la laïcité?
Je trouve difficile d’argumenter contre des propos ou des demandes raisonnables. A mon avis, tout le monde devrait toujours être raisonnable. Par conséquent, des accommodements raisonnables, en général, devraient être accordés. Les problèmes surgissent quand des demandes soi-disant raisonnables ne sont pas reconnues comme telles par les autres.
Personnellement, j’ai une aversion envers les immigrants qui bénéficient déjà d’une pléthore de droits, de services et de protections au Canada, avantages qu’ils n’ont pas eu dans leurs propres pays, et qui attendent que le pays hôte change ses lois, ses traditions et ses institutions pour les accommoder. Pour moi, en tant qu’immigrant, il est indécent d’attendre que le pays de choix s’adapte à moi, à mes préférences et mes traditions. Il incombe toujours à l’immigrant de respecter les institutions du pays hôte et de s’y conformer ou de ne pas venir.
Dans ce sens, la demande d’une femme de témoigner à la cour derrière un voile ou un écran contre un homme accusé d’un crime comme le viol est tout sauf raisonnable. La demande de pouvoir faire des prières aux grands gestes dans les écoles publiques avec les filles séparées derrière les garçons, et les filles qui ont leurs règles encore derrière les autres filles, n’est pas seulement déraisonnable mais un affront total à nos valeurs. La demande des garçons de porter un kirpan dans des zones sécurisées ou dans les écoles n’est pas raisonnable non plus, mais expose, encore une fois, l’exploitation de la générosité et de l’hospitalité excessive du pays d’accueil.
Auparavant vous m’avez demandé quels sont les apôtres de la rectitude politique. C’est peut-être le moment d’ajouter un autre aspect à ma réponse. C’est fortement mon impression que les accommodements requis sont accordés surtout par des gens qui n’attribuent pas une grande valeur à notre culture, à nos traditions et à notre identité nationale telle qu’elle est ancrée dans notre histoire unique. Ce qui ne vaut pas grand chose naturellement peut être démantelé, réduit ou même aboli sans qu’on perçoive une perte.
Indépendemment des convictions religieuses qu’on a, il incombe de constater que notre société contemporaine a fait ses grands progrès largement grâce à la séparation de l’Église et de l’État. Cette séparation, au fond très chrétienne («Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu», Mt 22:21), a été cruciale et a manifestement contribué à l’état actuel qui est l’aimant et le paradis convoité par des millions de gens du globe entier. Par ailleurs, c’est seulement dans les pays autrefois chrétiens ou colonisés ou inspirés par eux que les sciences modernes et la démocratie se sont développées. Apparemment, les origines chrétiennes avec la séparation de l’Église et de l’’tat à une époque plus tardive, ont été la formule du succès de notre société.
Ce statut avancé de notre société moderne, qui a fourni tant de bénéfices à d’innombrables personnes, est mis en doute par les immigrants musulmans. L’islam ne reconnaît pas une séparation de la mosquée et de l’État – en fait, l’unité de la mosquée et de l’État est un dogme central de la religion. Nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation, créée par nous-mêmes, que nous avons de plus en plus de citoyens musulmans qui n’ont aucune notion d’un État moderne et qui, de la part des multiculturalistes dominants, n’ont jamais entendu le mot « intégration ». C’est une situation aussi incongrue que celle des vierges qui envahissent le bordel avec l’intention de le réformer en demandant des « accommodements raisonnables ». Après tout, les vierges viennent avec leurs traditions, convictions et leur style de vie qui demandent du respect.
Les optimistes insistent sur leur pronostic que la deuxième génération fera l’intégration, bien que, avec leur dévotion quasi-religieuse pour le multiculturalisme et la diversité auréolée, ils fassent tout pour empêcher cette intégration. Je ne partage pas cet optimisme et observe plutôt que l’intégration est modeste est très tardive.
Une Charte de laïcité, à mon avis, n’est pas seulement désirable mais une exigence. Une telle charte aurait plusieurs bénéfices, le plus important étant une correction de la politique du multiculturalisme. Ce dernier met trop en valeur la diversité des groupements ethniques et religieux aboutissant à la baliverne que « la diversité est notre force ». N’est-elle pas plutôt notre faiblesse dans un pays de plus en plus balkanisé? Je suis convaincu qu’un pays, pour son bon fonctionnement, nécessite un pivot identitaire fort qui donne au pays un visage, un caractère unique, et pour construire une telle identité, la diversité doit être contrebalancée par l’intégration. Une Charte de laïcité servirait de véhicule pour créer cette intégration, dans laquelle nous nous reconnaissons tous.
Le Canada peut-il se sortir de la rectitude politique et du multiculturalisme?
Je vais discuter brièvement de cinq moyens qui pourrait aider au moins à réduire les dégâts: une édentation au lieu d’une défenestration.
1. Le changement de la Charte
La rectitude politique étant si fermement établie au Canada, dans notre législation, dans nos institutions, nos moeurs et manières de penser, que nous respirons cette toxine avec chaque souffle sans même en être conscients. De purifier cet air toxique qui nous asphyxie n’est pas une petite affaire. Tout d’abord, il faudrait commencer par la Charte canadienne des droits et libertés qui, d’après moi, donne une importance excessive au multiculturalisme et une importance quasi nulle à l’intégration. Qui pourrait entamer une réforme qui vise un changement de notre constitution? Un seul essai de changer des éléments de ce qui est « une caractéristique intégrante de toute politique » au Canada pourrait même faire tomber des gouvernements! Je laisse les juristes et politiciens réfléchir sur cette première approche théorique qui n’est pas de mon domaine.
2. La révision des régulations et lois pertinentes
Après avoir passé toute mon enfance sous deux régimes totalitaires, je connaissais sûrement déjà les méthodes totalitaires quand, en 1991, je fus victime d’une attaque frontale par la rectitude politique au Canada. Je fus jugé coupable par un comité universitaire de « sérieux harcèlement » envers mes étudiantes par certaines paroles (« Lucky Lucy ») avant même d’être informé sur l’accusation. Il me fallut presque deux ans de ma vie et ma carrière pour être reconnu innocent et récupérer ma bonne réputation. Comment même expliquer un tel égarement des administrateurs de nos institutions?
A l’époque, je me voyais confronté à une panique morale où tout le monde panique à faire du bien, c’est-à-dire à protéger les gens prétendument abusés, ignorés, handicapés, somme toute, les « gens sans voix ». Les politiques du harcèlement sexuel sont le produit du féminisme qui revendique une protection contre les fantaisistes « abus omniprésents » du patriarcat. On pouvait lire presque quotidiennement des statistiques frauduleuses alléguant que la grande majorité des femmes seraient harcelées, agressées et violées dans leur vie. Qui pouvait tolérer cela? D’où les lois sur le harcèlement sexuel. Encore une fois, par panique morale, les politiques et les lois de harcèlement furent formulées d’une manière à les utiliser perversement pour harceler, même dans les situations sans rapport avec la sexualité. Comment maîtriser un tel aveuglement et une telle ferveur?
Tout le monde, même les affidés de la rectitude politique, devraient comprendre que c’est absurde de mettre le viol et une parole non appréciée ou un regard particulier dans le même sac. N’oublions pas que le professeur Richard Hummel, chimiste à l’Université de Toronto avec plus de trente ans de service, a été jugé coupable d’avoir « lorgné » («ogled») une étudiante dans la piscine. Aussitôt l’université, pour montrer sa dévotion à la protection des femmes, a banni le professeur de la piscine dans laquelle il avait nagé ses longueurs pendant des décennies. C’est évident qu’une régulation doit différencier entre agression physique, parole et regard. Aucune cour de justice ne soutiendrait des jugements aussi scandaleux, qui sont promus par les forces féministes et prononcés par des tribunaux arbitraires des universités. Ces régulations doivent être édentées.
Dans mes expériences personnelles, j’ai appris qu’il fallait exposer et documenter la réalité de l’application de ces politiques. A cet effet, nous avons créé en 1992 à l’Université de Western Ontario la Society for Academic Freedom and Scholarship, dont je devins l’archiviste. Dans mon centre de documentation, j’ai ramassé des documents jusqu’à environ deux cents cas que j’ai rendus accessibles aux collègues et journalistes. Le but était d’aider la défense de nouveaux accusés injustement persécutés. S’il m’est permis de tirer une conclusion générale de mon activité, c’est que les politiques en question sont beaucoup plus souvent utilisées à harceler les hommes qu’à protéger les femmes du harcèlement par le patriarcat.
3. L’utilisation des médias
En plus, j’ai engagé au maximum les médias. J’ai parlé à la télé (CBC). J’ai donné plein d’entrevues à la radio. J’ai écrit dans la presse et la presse a écrit sur mes exposés, et cette activité a changé la donne pour moi. Après tout, personne, identifié par son nom, n’aimait lire dans la presse qu’il avait jugé un professeur coupable d’une infraction après avoir appelé une étudiante « Lucky Lucy . Le ridicule et l’hypocrisie étaient trop évidents pour tous à l’exception des idéologues.
Je devrais ajouter pourtant que j’ai choisi à qui j’ai accordé des entrevues. Par exemple, je n’ai pas accepté l’invitation de Queen Latifa de paraître à son émission à la télé à New York City, à ses frais, pour ne pas contribuer à un cirque. Le sujet était trop important pour moi pour être amoindri par une exploitation du sensationnel. Mes étudiants, par ailleurs, ont regretté ma décision parce qu’ils auraient préféré me voir sur l’écran que dans l’auditorium. Les médias ont un rôle important à jouer dans l’émasculation de la rectitude politique.
4. La moquerie comme instrument
D’après moi, il faudrait aussi se moquer et exposer le ridicule et le comique de ces régulations et procédures, ainsi que couvrir de honte les auteurs de ces farces au grand public. Le comique et le rire, peut-être, peuvent effectuer des changements d’attitude là où le raisonnement s’est montré inefficace. Maintes histoires sont prêtes à fournir l’intrigue pour un cabaret.
5. L’élimination des postes de soutien
Finalement, c’est impératif de couper beaucoup de postes bien rémunérés que les institutions ont créés sous pression des «intérêts particuliers», comme la vice-présidente pour l’équité et la diversité, la vice-présidente pour les affaires des femmes, le vice-président (ou directeur) pour les minorités, les commissaires politiques (toujours deux, un homme et une femme) pour le harcèlement sexuel et d’autres. Les gens qui occupent ces postes sont sous pression permanente de créer des cas factices pour justifier leur emploi, parce qu’autrement ils n’auraient rien à faire. La CBC, s’appuyant sur mes expériences et d’autres, a calculé les coûts de ces postes et a conclu que les frais s’élèvent à des millions de dollars par an.
Le lecteur jugera si le Canada sera capable de se libérer de cette idéologie contraignante que sont la rectitude politique et le multiculturalisme.
Conclusion
Je tiens à remercier l’éditeur d’avoir posé de questions pertinentes et très appropriées au sujet de la rectitude politique. Je me suis concentré dans mes réponses sur les politiques du harcèlement sexuel parce qu’elles étaient centrales dans la transformation de nos institutions. En fait, elles servaient et servent toujours comme un « panchreston », un instrument à tout but bien au-delà du propos déclaré. De plus, je me suis concentré sur les universités parce que c’est le milieu que je connais le mieux.
Je n’ai pas parlé, ou dit très peu, sur « l’action affirmative », sur les quotas, sur la « discrimination », sur le multiculturalisme, sur les tribunaux des droits de la personne, sur les troubles d’apprentissage (« learning disabilities »), sur le culte de la victime, sur la « politique des identités » et d’autres sujets pour respecter les contraintes d’un magazine comme le Harfang. Le lecteur me le pardonnera.
Maints lecteurs peut-être regretteront le manque d’une appréciation du bien que la rectitude politique a apporté à la société. Pour moi, il est difficile de détecter des bénéfices parce que je vois la rectitude politique comme une force et une attitude autoritaire et manipulatrice de contrainte et de restriction de liberté. En ce qui concerne l’argument que la rectitude a aidé telle ou telle personne, je reste sans parti pris, prêt à reconnaître les bénéfices après démonstration.
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