Angela Merkel vient de se prendre les pieds dans le tapis rouge censé la mener vers son quatrième mandat. Les négociations entre partis visant à créer une coalition sous son égide n'ont rien donné.
La situation présente avait été correctement analysée par votre serviteur il y a deux mois:
La seule coalition possible est la "Jamaïcaine" selon les couleurs du drapeau du pays ; noir, jaune et vert - une alliance improbable et fragile entre la CDU/CSU, les libéraux du FDP et les crypto-communistes des Verts. Parvenir à les asseoir autour d'une même table pour établir un programme commun tient de la gageure. Il me paraît improbable qu'un gouvernement parvienne à se bâtir dans ces conditions, et encore plus qu'il tienne pendant les quatre années qui viennent. L'Allemagne pourrait vraisemblablement se diriger vers un blocage ne débouchant sur rien d'autres que de nouvelles élections.
J'avais alors employé le terme de "séisme politique". L'entrée au Bundestag de l'Alternative pour l'Allemagne en fut l'événement majeur. Qualifié "d'infréquentable" sans autre forme de procès par la Chancelière sortante, le parti le lui rendait bien en mettant au cœur de son programme un discours anti-invasion, anti-islam et anti-Merkel. Son score électoral suffit à priver la droite traditionnelle (de plus en plus difficile à distinguer de la gauche) d'une majorité parlementaire.
Aujourd'hui le temps dévolu aux négociations est terminé et l'Allemagne entre donc dans la crise politique:
Depuis la fondation de la République fédérale d'Allemagne en 1949, ce n'était jamais arrivé: le pays n'a pas de majorité pour être gouverné. Dans la nuit de dimanche à lundi, après un mois de tergiversations et de négociations, les conservateurs de Mme Merkel (CDU-CSU), les libéraux (FDP) et les écologistes n'ont pas réussi à former de coalition gouvernementale.
Faute d'alternative, la première puissance économique européenne se prépare à des semaines ou mois de paralysie, sur le plan national comme en Europe.
En l'état actuel des choses, des élections anticipées semblent la solution la plus probable, Mme Merkel ayant exclu un gouvernement minoritaire et ses anciens alliés sociaux-démocrates (SPD) ayant bruyamment refusé toute coalition sous l'égide de la chancelière.
Les Allemands pourraient donc devoir retourner aux urnes début 2018, alors qu'ils venaient fin septembre d'élire leurs députés.
Angela Merkel va s'entretenir lundi avec le président Frank-Walter Steinmeier qui joue un rôle institutionnel clé pour mettre en oeuvre une dissolution. Celui-ci a laissé entendre dimanche qu'il prendrait son temps, ce scénario n'ayant pas ses faveurs.
Une surprise de dernière minute est toujours possible mais soyons réaliste, des partis qui n'ont pas réussi à trouver des concessions pour partager le pouvoir en un mois de négociations n'ont guère de chance d'y parvenir maintenant. L'illusion des pourparlers s'est effondrée et le linge sale se lave en public.
Après une courte hébétude, les médias ont rapidement trouvé un coupable: les libéraux du FDP, évidemment, c'est-à-dire le parti le plus à droite de l'improbable coalition. Les odieux libéraux auraient ainsi proposé aux écologistes de limiter l'invasion de migrants à 200'000 nouveaux cas par an (s'ajoutant aux 1,1 millions rien que pour l'année 2016) et de limiter un peu le folklore du regroupement familial, sachant que parmi les populations migrantes, qui sont dans l'ensemble aussi syriennes que vous et moi, la notion de "famille" est aussi souple et approximative que celle "d'enfant mineur".
Les écologistes refusèrent avec indignation cet odieux diktat, mais vous ne trouverez pas un seul journaliste européen pour présenter cela comme, par exemple, de l'intransigeance. Non, les extrémistes sont au FDP. On ne s'étonnera pas davantage, si on les connaît, que les écologistes allemands fassent achopper les négociations sur la question migratoire plutôt que sur d'autres, comme l'énergie, finalement bien moins prioritaires dans la liste de leurs préoccupations. On ne s'étonnera pas non plus que Mme Merkel se soit là aussi liguée avec eux.
L'immigration est donc le nœud du problème. Et aussi la raison pour laquelle la CDU/CSU de Merkel s'est fait grignoter son électorat. Les Allemands n'ont pas forcément envie que les pénibles réformes Hartz de 2002 visant à assainir et réformer leur état social finissent par s'effondrer sous le poids de parasites venus profiter de la social-démocratie jusqu'à ce que la fête se termine, et il est déjà bien tard.
Les partis sont donc déjà sur les starting-blocks pour les élections de l'année prochaine.
- L'Alternative pour l'Allemagne a réussi son entrée au Bundestag et vient aujourd'hui de marquer une victoire politique majeure. Ils n'ont rien à perdre à laisser les Allemands retourner devant les urnes, la situation les ayant amenés à voter pour l'AfD empirant jour après jour.
- Les libéraux du FDP pensent que leur nouvelle orientation, plus réservée sur l'immigration et sur l'Union Européenne, est électoralement payante. S'estimant plus fréquentables que l'AfD, ils pensent qu'ils pourraient eux aussi accroître leurs gains.
- Les écologistes sont en Allemagne comme pratiquement partout ailleurs: utopistes, intransigeants, pro-islam et incapables de gouverner. Peu importe leurs succès ou leurs échecs, ils seront de la partie.
- Les socialistes du SPD de Martin Schulz lèchent encore les blessures de leur désillusion électorale de septembre. Réduits à 20% et quelques des suffrages, ils subirent une déroute aussi inattendue que brutale, et tentèrent de redorer leur blason en s'inscrivant résolument dans l'opposition. Même pour eux, il est difficile d'imaginer qu'ils fassent pire en janvier 2018.
- Les radicaux de Die Linke essayent de viser une meilleure place au sein des "petits partis" et certainement pas d'entrer au gouvernement, mais eux aussi n'ont pas grand-chose à craindre d'une nouvelle élection.
Le seul parti réellement vulnérable est finalement la CDU/CSU de Merkel.
La Chancelière était prête à avaler n'importe quelle couleuvre pour effectuer un quatrième mandat et entrer ainsi dans l'Histoire. Mais "la méthode Merkel --un pragmatisme sans limite et une flexibilité idéologique maximale-- est arrivée à sa fin", explique poliment le Spiegel. Les calculs de la politicienne viennent de se fracasser sur les convictions antagonistes de ses partenaires de coalition.
Aujourd'hui, Angela Merkel s'est faite à l'idée que des élections anticipées seraient sans doute inévitables. Elle s'est naturellement proposée pour être candidate. Le cadeau est empoisonné - elle fait fuir l'électorat traditionnel de sa famille politique.
Les cadres de la CDU/CSU parviendront-il à remettre en question leur soumission à Merkel pour préserver l'avenir de leur parti? Rien n'est certain. Et il n'est pas certain non plus que les élections anticipées de janvier 2018 marquent la fin de l'instabilité politique en Allemagne.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 20 novembre 2017
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