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mardi, 21 mai 2019

Guénon et le rejet des élites en Chine ancienne

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Guénon et le rejet des élites en Chine ancienne

Les Carnets de Nicolas Bonnal

Ex: http://www.dedefensa.org

Les élites sont rejetées ou carrément craintes maintenant en occident, et la grande élection de Trump aura marqué ce moment, comme le reconnaissait Nassim Nicholas Taleb. Ce penchant anarchiste – ou libertaire-libertarien – est très marqué dans notre vague mondiale de contestation antitout et je lui trouve sinon une origine, du moins un beau précédent – en Chine ancienne. Pays du nombre et de la récurrente organisation totalitaire et massifiée, la Chine a été aussi, dans une lointaine antiquité, le pays du rejet de cette organisation.

Il y a vingt-cinq siècles donc les gilets/périls jaunes existent en Chine et rejettent, avec les penseurs taoïstes, la hiérarchie, l’empereur, la bureaucratie, l’armée et les fameux « lettrés » alors incarnés par Confucius. On se référera ici surtout à Tchouang-Tseu.

Et comme René Guénon, cet immense et si traditionnel auteur n’en veut pas au peuple :

« Petits mais respectables sont les êtres qui remplissent le monde. Humble mais nécessaire est le peuple. »

J’ai cité Guénon, et ce n’est pas pour rien. Un bref rappel de sa vieille crise du monde moderne que j’ai étudiée ici-même :

« Au VIe siècle avant l’ère chrétienne, il se produisit, quelle qu’en ait été la cause, des changements considérables chez presque tous les peuples ; ces changements présentèrent d’ailleurs des caractères différents suivant les pays. Dans certains cas, ce fut une réadaptation de la tradition à des conditions autres que celles qui avaient existé antérieurement, réadaptation qui s’accomplit en un sens rigoureusement orthodoxe ; c’est ce qui eut lieu notamment en Chine, où la doctrine, primitivement constituée en un ensemble unique, fut alors divisée en deux parties nettement distinctes : le Taoïsme, réservé à une élite, et comprenant la métaphysique pure et les sciences traditionnelles d’ordre proprement spéculatif ; le Confucianisme, commun à tous sans distinction, et ayant pour domaine les applications pratiques et principalement sociales. »

Guénon a ici tort de notre point de vue ; la pensée taoïste, puisqu’elle va au Principe, se moque de la Tradition, des rites, de la musique, et elle humilie Confucius au service de ses maîtres et des cruels guerriers. Mais il ajoute :

« Dans l’Inde, on vit naître alors le Bouddhisme, qui, quel qu’ait été d’ailleurs son caractère originel, devait aboutir, au contraire, tout au moins dans certaines de ses branches, à une révolte contre l’esprit traditionnel, allant jusqu’à la négation de toute autorité, jusqu’à une véritable anarchie, au sens étymologique d’« absence de principe », dans l’ordre intellectuel et dans l’ordre social. »

Cela s’applique parfaitement à la pensée anarchiste-taoïste de cette époque.

Je rappelle pourquoi pour Guénon cette époque est importante :

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Mais on en revient au manège antiélitiste et antitraditionnel (au sens de sclérotique et de hiérarchique, c’est un rejet aussi de toute taxinomie) de notre taoïste Tchouang-Tseu. Pour lui les sages (ou intellectuels, ou politiciens, on dirait maintenant « experts ») ont gâché le monde et ils sont « des emballeurs de brigands » :

« Le vulgaire ferme, avec des liens solides et de fortes serrures, ses sacs et ses coffres, de peur que les petits voleurs n’y introduisent les mains.

Cela fait, il se croit et on le trouve sage. Survient un grand voleur, qui emporte sacs et coffres avec leurs liens et leurs serrures, très content qu’on lui ait si bien fait ses paquets. Et il se trouve que la sagesse de ces vulgaires avait consisté à préparer au voleur son butin.

Il en va de même en matière de gouvernement et d’administration. Ceux qu’on appelle communément les Sages ne sont que les emballeurs des brigands à venir. »

Ces lettrés sont critiqués car ils se mettent souvent au service des autorités :

« Les plus renommés d’entre les Sages historiques ont ainsi travaillé pour de grands voleurs, jusqu’au sacrifice de leur vie. Loung-fang fut décapité, Pi-kan fut éventré, Tch’ang-houng fut écartelé, Tzeu su périt dans les eaux.

Le comble, c’est que les brigands de profession appliquèrent aussi à leur manière les principes des Sages. »

Dans le même esprit, Lao Tsé a écrit (§ 57, traduction Stanislas Julien) :

« Plus le roi multiplie les prohibitions et les défenses, et plus le peuple s’appauvrit ; Plus le peuple a d’instruments de lucre, et plus le royaume se trouble ; Plus le peuple a d’adresse et d’habileté, et plus l’on voit fabriquer d’objets bizarres ; Plus les lois se manifestent, et plus les voleurs s’accroissent. »

tchouangtseu.jpgEt Tchouang-Tseu :

« Oui, l’apparition des Sages cause l’apparition des brigands, et la disparition des Sages cause la disparition des brigands. Sages et brigands, ces deux termes sont corrélatifs, l’un appelle l’autre, comme torrent et inondation, remblai et fossé. »

Et d’enfoncer nûment son clou :

« Je le répète, si la race des Sages venait à s’éteindre, les brigands disparaîtraient ; ce serait, en ce monde, la paix parfaite, sans querelles.

C’est parce que la race des Sages ne s’éteint pas qu’il y a toujours des brigands. Plus on emploiera de Sages à gouverner l’État, plus les brigands se multiplieront. »

Tchouang-Tseu recommande même les us et manières des…casseurs, « la civilisation étant une conspiration » (John Buchan) qui fait déchoir les hommes et par là le monde. Il est important de détruire la musique rituelle et, avec elle, instruments et outils :

« Détruisez radicalement toutes les institutions artificielles des Sages, et le peuple retrouvera son bon sens naturel. Abolissez la gamme des tons, brisez les instruments de musique, bouchez les oreilles des musiciens, et les hommes retrouveront l’ouïe naturelle. Abolissez l’échelle des couleurs et les lois de la peinture, crevez les yeux des peintres, et les hommes retrouveront la vue naturelle. Prohibez le pistolet et le cordeau, le compas et l’équerre ; cassez les doigts des menuisiers, et les hommes retrouveront les procédés naturels… »

Comme Hésiode ou Ovide, Tchouang-Tseu célèbre l’âge d’or, la Tradition primordiale, l’In Illo Tempore de Mircea Eliade. On cite Ovide (Métamorphoses, I, 94-107) :

« Les pins abattus sur les montagnes n’étaient pas encore descendus sur l’océan pour visiter des plages inconnues. Les mortels ne connaissaient d’autres rivages que ceux qui les avaient vus naître. Les cités n’étaient défendues ni par des fossés profonds ni par des remparts. »

Ovide poursuit :

« La terre, sans être sollicitée par le fer, ouvrait son sein, et, fertile sans culture, produisait tout d’elle-même. L’homme, satisfait des aliments que la nature lui offrait sans effort, cueillait les fruits de l’arbousier et du cornouiller, la fraise des montagnes, la mûre sauvage qui croît sur la ronce épineuse, et le gland qui tombait de l’arbre de Jupiter. C’était alors le règne d’un printemps éternel. »

Et on reprend Tchouang-Tseu :

« Ils trouvaient bonne leur grossière nourriture, bons aussi leurs simples vêtements. Ils étaient heureux avec leurs mœurs primitives et paisibles dans leurs pauvres habitations. Le besoin d’avoir des relations avec autrui ne les tourmentait pas. Ils mouraient de vieillesse avant d’avoir fait visite à la principauté voisine, qu’ils avaient vue de loin toute leur vie, dont ils avaient entendu chaque jour les coqs et les chiens. En ces temps-là, à cause de ces mœurs-là, la paix et l’ordre étaient absolus. »

tchouanggrandlivre.jpgLe développement intellectuel, administratif et bureaucratique est cause de la décadence. Tchouang-Tseu :

« L’invention de la sophistique, traîtresse et venimeuse, avec ses théories sur la substance et les accidents, avec ses arguties sur l’identité et la différence, a troublé la simplicité du vulgaire. »

Et de taper sur les sophistes comme un bon Socrate :

« Oui, l’amour de la science, des inventions et des innovations est responsable de tous les maux de ce monde. Préoccupés d’apprendre ce qu’ils ne savent pas (la vaine science des sophistes), les hommes désapprennent ce qu’ils savent (les vérités naturelles de bon sens).

Préoccupés de critiquer les opinions des autres, ils ferment les yeux sur leurs propres erreurs. »

Le désordre moral rejaillit sur la nature :

« De là un désordre moral, qui se répercute au ciel sur le soleil et la lune, en terre sur les monts et les fleuves, dans l’espace médian sur les quatre saisons, et jusque sur les insectes qui grouillent et pullulent à contretemps (sauterelles, etc.). Tous les êtres sont en train de perdre la propriété de leur nature. C’est l’amour de la science qui a causé ce désordre. »

Shakespeare fait dire comme on sait à Titania à la fin de son fameux monologue (il ne s’agit pas du tout de faire de la littérature comparée, mais d’établir des correspondances traditionnelles) :

« Le printemps, l’été, le fertile automne, l’hiver chagrin, échangent leur livrée ordinaire ; et le monde étonné ne peut plus les distinguer par leurs productions. Toute cette série de maux provient de nos débats et de nos dissensions ; c’est nous qui en sommes les auteurs et la source… »

Mais on en revient à l’étonnante modernité de Tchouang-Tseu, à sa rage anti-verbeuse :

 « Depuis dix-huit siècles, on s’est habitué à faire fi de la simplicité naturelle, à faire cas de la fourberie rituelle ; ou s’est habitué à préférer une politique verbeuse et fallacieuse au non-agir franc et loyal. Ce sont les bavards (sages, politiciens, rhéteurs), qui ont mis le désordre dans le monde. »

La sophistication est alors telle que notre penseur dénonce un gouvernement mathématique :

« Tout le monde voulut devenir savant pour parvenir, et le peuple s’épuisa en vains efforts. C’est alors que fut inventé le système de gouvernement mathématique.

L’empire fut équarri avec la hache et la scie. Peine de mort pour tout ce qui déviait de la ligne droite. Le marteau et le ciseau furent appliqués aux mœurs. »

C’est la révolte contre la méga-machine de Lewis Mumford, qui lui analysait l’Egypte. Mais restons-en là : alors arrive une révolte façon gilets jaunes :

« Le résultat fut un bouleversement, un écroulement général. C’est que le législateur avait eu le tort de violenter le cœur humain. Le peuple s’en prit aux Sages et aux princes. Les Sages durent se cacher dans les cavernes des montagnes, et les princes ne furent plus en sûreté dans leurs temples de famille. »

La rage de Tchouang-Tseu devient donc destructrice :

 « Il a raison, l’adage qui dit : exterminez la sagesse, détruisez la science, et l’empire reviendra à l’ordre spontanément. »

Et de finir sur cette étonnante question rhétorique :

« Qui trouble l’empire, qui violente la nature, qui empêche l’action du ciel et de la terre ? qui inquiète les animaux, trouble le sommeil des oiseaux, nuit jusqu’aux plantes et aux insectes ? qui, si ce n’est les politiciens, avec leurs systèmes pour gouverner les hommes ? ! »

Le secret serait de laisser le monde tel quel (le rêve libertarien de Rothbard) :

« Il faut laisser le monde aller son train, et ne pas prétendre le gouverner. Autrement les natures viciées n’agiront plus naturellement (mais artificiellement, légalement, rituellement, etc.). Quand toutes les natures, étant saines, se tiennent et agissent dans leur sphère propre, alors le monde est gouverné, naturellement et de lui-même ; pas n’est besoin d’intervenir. »

Sources

Ovide – Métamorphoses, I, traduction Villenave (ebooksgratuits.com)

Shakespeare – le songe d’une nuit d’été, II, 2 (ebooksgratuits.com)

Zhuang Zi – Œuvre de Tchouang-Tseu

René Guénon – La crise du monde moderne, pp. 21-23 (classiques.uqac.ca)

Tao Te King – Lao Tsé – Livre de la Voie et de la Vertu, traduction Julien

Japan’s Political Ambitions could be Jeopardized by its Energy Dependence

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Author: Valery Matveev

Japan’s Political Ambitions could be Jeopardized by its Energy Dependence

Ex: https://journal-neo.org

There has been much talk of Japan recently, which has significantly intensified its foreign policy: Japan is working together with the United States to promote the Indo-Pacific strategy with multilateral support within the framework of the US-Japan-India-Australia quadrilateral security dialogue (QUAD), which involves strengthening the Japan Self-Defense Forces and intensive peace treaty negotiations with Russia.

It is a well-known fact that one of the aims of a country’s foreign policy is to ensure the state experiences progressive internal social and economic development. For Japan’s high-tech and industrialized economy, which does not have enough of its own national energy resources to satisfy all its energy needs, one of the most important preconditions for economic growth is to secure an uninterrupted imported energy supply. However, to succeed in solving this problem, it is necessary to highlight two key factors here: a sufficient supply and a competitive price. Let’s try to gain an insight into what the Japanese economy needs in terms of energy resources and where the supply comes from.

Although Japan’s total area exceeds 370 thousand square kilometers; today, the county does not have enough natural resources to meet its own energy needs. This is largely linked to the aggressive exploitation of natural resources which took place in the past, which you can get a good sense of by looking at a map of all the mining enterprises which used to operate in Japan, along with all the oil and gas fields.

Japan is the world’s third largest oil consumer, second only to the US and China. The Japanese consume about two billion barrels of oil a year, 99.7 percent of which is imported. Tokyo weighs in heavy on imports in world rankings, bypassing Beijing to take second place. A significant risk factor threatening Japan’s oil supply is the conflict in the Middle East — violent, simmering flare-ups which could boil over — as Japan sources more than 86 percent of all its imported oil from the region (Saudi Arabia – 31.1%, UAE – 25.4%, Qatar – 10.2%, Iran – 11.5%, Kuwait – 8.2%).

Therefore, it is no wonder that the Japanese authorities are anxiously monitoring the situation in the Asia Pacific gas market. China is the leading buyer of liquefied natural gas (LNG) from the Asia Pacific, whose demands for “blue fuel” are only set to grow.

Not too long ago, Japan even made an attempt to strengthen its position in this market by importing gas from Russia. Japanese companies have developed a project to build a gas pipeline from Sakhalin, with a capacity of 20 billion cubic meters per year. Taking Japan’s current gas consumption of 123 billion cubic meters, if this gas pipeline was constructed, Tokyo would be able to meet a sixth of the national demand for this type of fuel. In 2014 however, Japan imposed sanctions against Russia “for Crimea,” and abandoned the project, even though it could significantly improve the island state’s vulnerable situation as an energy importer.

As a result, Tokyo now has no other choice but to compete with other Asia Pacific countries to secure its LNG supply, which increases the cost of energy and leaves the Japanese with no guarantee of a sufficient supply.

Although Japan does have some of its own coal reserves, it is the world’s top LNG importer. In 2017, Japan spent $ 23 billion to purchase 209 million tons of natural gas About 18 percent of the world’s coal supply goes to Japan. Along with imports of metallurgical coal for the steel industry, Japan is increasing its thermal coal imports. This is due to an electricity shortage caused by the nuclear power plants being shutdown, which had still been operating up until that point. Against this backdrop, the outlook for the next few decades is that the Japanese will be using coal, primarily for electricity production at dozens of new thermal power plants.

The given data on Japan’s oil, gas and coal imports highlights Tokyo’s almost total dependence on imported energy supplies. The availability of this imported energy supply is largely determined by the stability / instability in the region where it is produced, primarily in the Middle East, as well as in the regions along the pipeline routes, where China’s influence is growing. Energy prices today are among the highest they have ever been, as the growing Asia Pacific market consumes more and more energy each year.

Under the given circumstances, one of the most cost-effective ways to strengthen Japan’s energy security in economic terms is greater cooperation with Russia, which possesses and is capable of exporting the full spectrum of energy resources which Tokyo needs. The shared border between Russia and Japan also guarantees that the energy supply will not be severed along the way.

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The conclusion this article would give is that Japan’s over-dependence on Washington, as well as the absence of a peace treaty with Moscow act as barriers which frustrate efforts to increase cooperation between Japan and Russia in the area of energy supply (direct supply and transit through other states). The influence of the first factor, Japan’s over-dependence on the US, is apparent in the support Japan expresses for the US policy of levying sanctions against Russia, even in cases and circumstances when this contradicts Japanese interests by not only frustrating bilateral cooperation between Japan and Russia, but also by going against the basic interests of Japan’s national security. The second factor is the peace treaty. Japanese Prime Minister Shinzo Abe’s government is busily working to try and find a solution, but the approach they are taking is not geared towards a win-win treaty.

It is clear that Japan’s ambitions to make a return to the big geopolitical game are suppressed by Tokyo’s dependence on energy imports. As it happens, Germany makes a good example of a state in a similar situation as one of Europe’s most powerful economies and major energy consumer and importer. Berlin is aware of how critically important it is to ensure a cost-effective supply of natural gas to fuel the “locomotive of the European economy”, and is currently implementing its Nord Stream 2 project to lay a gas pipeline along the bottom of the Baltic Sea, despite strong opposition from Washington.

Therefore, we cannot rule out the possibility that Tokyo will look at the experience Berlin has had and follow suit in the near future, and that without walking around Washington on eggshells any longer, Japan will begin to look after its own interests and develop bilateral relations with Russia which are beneficial for both countries.

Valery Matveev, economic observer, exclusively for the online magazine “New Eastern Outlook.”
https://journal-neo.org/2019/04/29/japan-s-political-ambi...

Mésententes franco-allemandes

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Mésententes franco-allemandes

par Georges FELTIN-TRACOL

Malgré la signature d’un nouveau traité entre la France et l’Allemagne à Aix-la-Chapelle, le 22 janvier 2019, qui parodie le traité de l’Élysée du 22 janvier 1963, force est de constater un paradoxe, l’indéniable dégradation des relations franco-allemandes. L’élection d’Emmanuel Macron avait pourtant ravi la caste politicienne outre-Rhin. L’européisme revendiqué, le réformisme affiché dans un sens de la rigueur budgétaire et le libéralisme en même temps économique et culturel du nouveau président français séduisaient les caciques de la CDU – CSU, du SPD, des Grünen et des libéraux.

Ainsi dès les premiers mois de sa présidence, Emmanuel Macron insista-t-il sur une nécessaire « souveraineté européenne », la création d’un budget commun de la Zone euro et le renforcement des coopérations inter-européennes avancées. Or Berlin répondit à toutes ces propositions audacieuses par une fin de non-recevoir. Le vice-chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, et la nouvelle dirigeante de la CDU, Annegrett Kramp-Karrenbauer, revendiquèrent au contraire la mutualisation, sinon l’européisation, du siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l’ONU et l’installation définitive du Parlement européen à Bruxelles aux dépens de Strasbourg.

Douché par ces initiatives intempestives, le président français comprend qu’il ne peut compter sur une classe politicienne allemande arc-boutée sur un statu quo déclinant alors que la première puissance économique d’Europe entre dans son hiver démographique, refuse de rénover ses infrastructures et se voit en prochaine victime des guerres douanières mondiales déclarées par Donald Trump. Même si les différents entre Berlin et Paris sont moins médiatiques que les tensions franco-italiennes, ils ne cessent de s’accumuler.

L’Allemagne ne permet pas à la France et à la Grande-Bretagne de livrer à l’Arabie Saoudite des armements dotés de composants allemands. Les industriels français de la défense n’apprécient guère cette interdiction. Le 29 avril dernier s’est tenu à Berlin un sommet informel sur les Balkans de l’Ouest (Serbie, Monténégro, Kossovo, Macédoine du Nord, Albanie, Croatie, Slovénie et Bosnie-Herzégovine). Les divergences entre les diplomaties française et allemande n’ont jamais été aussi grandes concernant cette région stratégique du Sud-Est de notre continent.

Le gouvernement allemand a réaffirmé son désir d’intégrer à terme les États balkaniques dans l’Union dite européenne. La France défend au contraire la suspension plus ou moins longue du processus d’« élargissement ». Paris propose en outre de résoudre le conflit serbo-kossovar par des échanges de territoires, ce qui implique l’abandon exceptionnel du principe de l’intangibilité des frontières. Cette hypothèse irrite Berlin. L’Allemagne craint en effet que la susceptible Pologne y voit une remise en cause implicite de la frontière Oder – Neisse.

Il est instructif de savoir qu’à l’occasion de ce sommet, Angela Merkel en fin de parcours et Emmanuel Macron n’ont discuté qu’un petit quart d’heure ! Les politiciens allemands, Wolfgang Schäuble en tête, ne font plus confiance à Macron depuis que ce dernier a concédé quelques milliards aux Gilets jaunes. Emmanuel Macron commence à comprendre les manœuvres dilatoires allemandes, d’où son intention de briser le binôme dirigeant PPE – socialistes au Parlement européen au profit de majorités d’idées plus volatiles. Le Rhin devient un peu plus chaque jour une faille béante entre ses deux rives…

Georges Feltin-Tracol

• « Chronique hebdomadaire du Village planétaire », n° 125, mise en ligne sur TV Libertés, le 13 mai 2019.