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samedi, 24 octobre 2020

La modernité alogale : à propos de Jan Marejko

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La modernité alogale : à propos de Jan Marejko

par Jacques Dewitte

Ex: http://www.juanasensio.com

Après avoir évoqué dans une longue critique Le pouvoir de la langue et la liberté de l'esprit, que l'éditeur Michalon n'a apparemment jamais songé à rééditer, Jacques Dewitte m'a contacté par courriel puis nous avons pu nous entretenir de vive voix. L'article que Jacques Dewitte m'a envoyé, sur le philosophe Jan Marejko jadis publié par feu L'Âge d'Homme et qu'un de mes lecteurs me recommanda de lire, est inédit.

Le philosophe Jan Marejko, qui était né à Danzig en 1946, est mort de manière inopinée à Genève le 21 septembre 2016.

J’avais d’abord découvert son œuvre vers 1998, puis je l’ai rencontré et nous sommes devenus amis à partir de 1999. Je déplorais vivement qu’il n’ait jamais bénéficié d’une reconnaissance appropriée à son envergure intellectuelle. Situation étonnante pour un philosophe qui avait fréquenté les plus grands esprits, ayant suivi, à Paris, le séminaire de Raymond Aron puis, à New York, celui de Hannah Arendt et à Harvard, celui de Richard Pipes, avant de soutenir à Genève une thèse brillante sur Jean-Jacques Rousseau sous la direction de Jean Starobinski.

Il est l’auteur d'une série importante de livres parus principalement aux éditions L’Âge d’Homme à Lausanne entre 1984 et 1994, formant une œuvre de grande ampleur qui puise dans des champs aussi différents que la pensée politique, l’épistémologie, la cosmologie, la psychologie, la théologie, l’économie.

Le présent article est une contribution destinée à le faire connaître et à faire apparaître la cohérence de sa pensée.

La pensée de Jan Marejko est, pour une large part, une critique fondamentale des présupposés ontologiques de la modernité. Sa profonde originalité, dont je ne vois pas d’équivalent, tient à la conjonction qu’elle effectue, dans la compréhension de l’expérience moderne, entre la psychologie (ou la psychiatrie) et la cosmologie, c’est-à-dire entre l’expérience existentielle et la représentation cosmologique. Car, pour le dire en un mot, l’âme humaine est étrangère au monde de la cosmologie moderne. Si cette cosmologie est prise à la lettre, dans toute sa conséquence, l’âme ne peut qu’y être malade, car elle n’y a littéralement aucune place, cette cosmologie s’avérant foncièrement pathogène et délétère. Il ne s’agit pas d’un simple «dualisme de l’âme et du corps», mais d’un déchirement entre ce que l’âme éprouve et ce à quoi elle aspire, comme désir, et la représentation dominante où cette aspiration n’a aucun statut ontologique.

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Une pièce maîtresse de l’argumentation porte sur le concept de mouvement. Dans la physique moderne, le mouvement est envisagé, non pas en tant que tel, mais afin de pouvoir être calculable. Le «mouvement» de la physique et de la cosmologie modernes est, dès lors, un mouvement qui n’est plus un mouvement. Dans le calcul infinitésimal, il est compris comme une suite de points, ce qui n’a plus rien à voir avec le mouvement dont nous avons l’expérience. Or, avec cette annulation de l’idée de mouvement comme phénomène téléologique, comme tendant vers une fin, annulation qui provient du rejet de l’aristotélisme, l’âme humaine ne sait plus à quoi se rattacher. Une conséquence psychique de cette représentation physico-cosmologique est le «syndrome de Cottard», isolé pour la première fois en 1882, et étudié récemment par le psychiatre Marcel Czermak, que Marejko met en évidence comme le symptôme d’une vie où on ne peut pas mourir et qui, pour cette raison, n’est pas une vie. Le syndrome de Cottard (appelé aussi «délire de l’immortalité mélancolique») a été, de manière analogue, retenu par Jean Clair comme emblématique de la condition de l’homme moderne qu’il caractérise comme une forme d’«acédie» (1).

Je retiendrai un thème qui traverse toute la réflexion de Marejko et est au centre de son œuvre (2) : un diagnostic sur le monde moderne caractérisé principalement par une défaillance de la parole (3). C’est ce qu’il a appelé, en forgeant une série de néologismes, l’«alogalité» c’est-à-dire la «tendance à une alogalisation du discours», à quoi il oppose, comme une dimension anthropologique fondamentale, ce qu’il appelle la «logalité» ou le «rapport logal» (4). Au début des Temps Modernes se met en place une situation qui comporterait la menace d’une forme d’aphasie, voire de déshumanisation. Telle est sa thèse fondamentale : la cosmologie moderne – celle de Galilée – serait foncièrement alogale; l’alogalité, autrement dit la dénégation radicale de la dimension langagière, serait sa caractéristique principale.

En quoi le monde qui se met en place avec la cosmologie des Temps Modernes, est-il devenu «alogal» ? En quoi, du même coup, l’homme moderne est-il menacé de devenir proprement aphasique ? Cette menace provient de plusieurs représentations dominantes. Au premier chef, le discours scientifico-technique; un discours tel qu’il ne serait plus tenu par personne, qui ne répondrait ni ne s’adresserait à personne et qui ne parlerait pas de quelque chose d’extérieur, un discours qui aurait donc répudié ces différentes formes d’altérité (5). Ces trois composantes fondamentales du langage ont été répudiées dans un tel discours, de sorte qu’il ne s’agit plus d’un langage à proprement parler.

Passons en revue ces différents rabattements. Premièrement, la dénégation de toute subjectivité : le discours alogal (appelé aussi «théorie alogale») est celui qui serait censé n’être tenu par personne : «L’idée a donc surgi de ce que l’on pourrait appeler une théorie alogale, c’est-à-dire un discours orientant les actes et les paroles sans que personne ne se tienne derrière ce discours» (TM, p. 294).

md14851892229.jpgDeuxièmement, un tel discours qui, censément, n’est tenu par personne, s’énonçant par exemple en propositions mathématiques, est aussi un discours qui ne s’adresse à personne, et avec lequel on n’entre pas en conversation, un «discours qui n’est plus réponse à qui que ce soit, ni n’appelle une réponse» (CM, p. 133), et est donc littéralement sans réplique. Il s’est détaché de la relation intersubjective qui, moyennant différentes variantes ou modalités, sous-tend tout langage. C’est le second rabattement : il y a dénégation de toute interlocution.

Troisièmement, cette alogalité peut être décrite comme une pathologie de l’axe référentiel (ou intentionnel) du langage, du rapport du discours au réel, du logos avec l’Être. C’est une dénégation de toute référentialité. Elle consiste en un télescopage : le réel et le discours ne sont plus en rapport mutuel, ils tendent à ne faire qu’un. Ce télescopage comporte deux aspects possibles. Le premier est la situation d’un discours qui, coupé du réel, du rapport aux choses, tend à se réifier, à se boucler sur lui-même; il n’y a plus de parole sur quelque chose d’extérieur, de discours sur le réel – il est devenu auto-suffisant, autarcique, il est sans Autre.

«La culture de la modernité est en train de couper l’esprit de tout rapport à une chose existant réellement derrière les mots. [...] La clôture du langage tue [...] l’acte même de penser qui consiste en ce mouvement logal par lequel l’esprit se rapporte à la chose désignée par le mot» (CM, p. 181).

Mais existe aussi un télescopage inverse : le réel est discours, il est censé déjà parler lui-même, tout seul, de sorte que la parole humaine devient superflue et l’homme, aphasique. D’une part, donc, un discours devenu quasi-chose; de l’autre, un réel devenu quasi-discours – deux pathologies symétriques, deux faces de la même médaille. D’un côté, une a-référentialité; de l’autre, une pure référentialité (une pure objectivité, un objectivisme). D’un côté, un discours qui ne mord pas sur le réel, n’ouvre plus sur quelque chose, qui est dépourvu de toute dimension ontologique; de l’autre, un réel qui n’aurait pas besoin du discours. Dans les deux cas, logos et être sont télescopés et apparaît un monstrueux hybride sans altérité : un réel-discours ou un discours-réel (6).

Dans la seconde éventualité, celle du discours-réel, de l’a-référentialité, il se produit également un second phénomène : le bouclage sur soi du discours, la constitution d’une pure clôture, d’une cohérence supposée absolue où les seuls renvois sont internes. Ainsi se constitue une auto-référentialité qui vient se substituer à la référentialité perdue. Au lieu de renvoyer à un dehors (qui est lui-même en relation mutuelle avec le logos), le discours ne renvoie plus qu’à lui-même ou plutôt – car il n’y a plus de sujet ni terme premier – il consiste exclusivement en un «système» de renvois différentiels (7).

La figure archétypale de l’alogalité selon la modalité de la pure référentialité, de l’être comme quasi-discours (du «réel-discours»), est l’idée de Galilée selon laquelle la nature serait un livre écrit en langage mathématique. Un tel livre n’a pas besoin de la parole humaine pour être dit; il se dit tout seul. Celui qui le décrit et le commente peut tenir un discours de Maître absolu, – un discours également «alogal» – ne supportant aucune contradiction et n’ayant besoin d’aucune argumentation, puisque «cela va sans dire».
«À la limite, le discours vrai n’a plus à convaincre, car il force l’assentiment. [...] Ce sont les choses mêmes qui parlent, ou des chaînes d’implications irréfutables. [...] Comment dire non à un tel discours ? [...] Dans une perspective scientiste, la vérité n’a plus rien à voir avec un esprit qui fait face à la nature et la questionne pour la comprendre, car elle est le discours des choses sur elles-mêmes» (DM, pp. 77-78).

Roger Munier, dans son essai intitulé Contre l’image (8), a développé une critique de la photographie proche de l’analyse de Marejko, constatant une situation de télescopage du discours et du monde : «Au discours sur le monde se substitue une sorte de discours du monde. [La photographie] ne dit rien de l’arbre : c’est l’arbre qui se dit en elle» (p. 14).
 
«Dans la représentation objective, le monde se fait lui-même logos» (p. 35). «Il y a un «auto-énoncé» non médiatisé du monde» (p. 52) un «dire» immanent qui n’est plus simplement le dire (p. 81). À quoi Munier oppose, de manière classique, la médiation du langage, du dire (ou bien, conformément à la conception heideggerienne dont il est proche, de l’œuvre d’art), ce qui suppose un intervalle entre le dire et le monde (9).

Est donc essentiel et constitutif de la logalité un hiatus (un intervalle, une distance) entre le discours et le réel; l’alogalité, sous ses deux modalités de télescopage, consiste en son abolition. La logalité est un rapport à autre chose que soi, une relation qui se maintient comme relation même lorsque l’acte de langage est réussi.

93893_f.gif«L’énoncé d’une parole crée une relation d’altérité entre l’esprit et son objet, de sorte que l’objet n’est plus tout à fait un objet : il est un autre à qui ou, pour mieux dire, à propos duquel se développe un discours. Et ce discours, on ne saurait affirmer avec certitude qu’il dérive du sujet qui l’énonce. [...] Puisque tout discours implique une relation d’altérité entre deux présences, il ne peut y avoir, lorsqu’une parole est prononcée, que celui qui la prononce» (CP, p. 135).

Cela peut apparaître comme inquiétant et donner le vertige : il semblerait alors que l’on ne saisisse jamais rien de tangible ou qu’en tout cas, l’on ne puisse jamais détenir de terme absolument premier. Mais cela tient à une erreur dans la manière de penser les choses : il faut se garder de poser le discours comme premier et quasiment autarcique, et, de même, corrélativement, de poser la réalité comme une substance première autosuffisante. Ce qui est premier, c’est la logalité elle-même, c’est-à-dire la relation, et donc la distance, l’intervalle, l’entre-deux. Le vertige n’existe que pour un entendement qui, en toute chose, recherche un fondement, souhaite trouver un terme ultime dont dériverait ou découlerait tout le reste. Pour le sujet empirique qui n’est pas en quête d’une telle fondation première, c’est-à-dire le sujet parlant, pensant, désirant, cette situation d’entre-deux est sa condition habituelle, certes inconfortable mais nullement vertigineuse ni abyssale.

Le télescopage en lequel consiste l’alogalité est un recouvrement du langage et de l’Etre. Alors qu’en situation logale, être et langage sont distincts et mis en relation mutuelle, ils sont confondus de telle sorte que l’Être est langage; il est déjà un langage ou un «livre» ce qui rend superflu la parole pour le dire. L’homme devient un aphasique face à cet être qui est déjà discours.

Introduisons ici une objection. Bien souvent, les poètes – je songe en particulier à Henri Raynal (10) – ont le sentiment, lorsqu’ils commencent à écrire, d’être précédés par quelque chose qui n’est pas seulement une expérience brute ou muette à laquelle ils confèreraient un sens, mais un quasi-discours. La parole poétique ne dit pas seulement un monde muet; elle dit un monde qui déjà parle de lui-même (Francis Ponge parle des «muettes instances des choses»). Est-ce que cela ne contredirait pas la pensée marejkienne de la logalité et la critique corrélative de l’alogalité ? La contradiction n’est qu’apparente; en effet, ce sentiment poétique d’une antécédence ne conduit précisément pas à l’aphasie comme en situation alogale : le poète se sent appelé à reprendre ce pré-discours dans son discours, de manière inspirée et éloquente. Le discours du monde qu’il pressent en amont de lui n’est donc pas autosuffisant, puisqu’il appelle la parole poétique; il n’est pas un discours clos sur lui-même comme celui qui est postulé par la science galiléenne.

Dans la spéculation métaphysique à laquelle il se livre souvent dans le prolongement de son expérience littéraire, Henri Raynal va plus loin encore : le langage serait en quelque sorte issu de l’être, comme un moyen inventé par ce dernier pour accéder à une dimension supérieure. C’est ce qui se répèterait dans l’expérience poétique, avec la vocation du poète à exprimer ce qu’il se sent appelé à dire correspondant à ce qu’il a été quasiment interpelé par l’Être lui-même. J’ai des difficultés à suivre Raynal jusque là. Mais même en pareil cas, on doit admettre que le langage a une autonomie, qu’il s’est détaché de l’Être dont il n’est pas le simple décalque, et que le poète n’en est pas le simple ventriloque.

Cette critique de l’«alogalité», chez un philosophe qui a inlassablement réfléchi sur l’une des caractéristiques de la «condition de l’homme moderne» fait bien ressortir, a contrario, ce que j’appelle les trois composantes fondamentales de la parole qui, quoique distinctes, vont constamment de pair : l’altérité de la subjectivité par rapport aux énoncés prononcés (derrière les énoncés, il y a quelqu’un qui parle), l’altérité du réel (derrière les énoncés, il y a des choses dont on parle), l’altérité des autres sujets (ceux auxquels on répond, même lorsqu’ils sont absents et parfois morts, et auxquels on s’adresse, même lorsqu’ils demeurent invisibles) (11). Dans le «discours alogal», ces trois dimensions ont été abolies (censément : en réalité cela se passe un peu différemment) : c’est un discours tenu par personne, qui ne répond à personne, qui se définit par sa cohérence interne et non par une relation à une extériorité, à quelque chose qui est hors de ce discours. Ainsi, en une démarche a contrario, comme pour l’aphasie, l’examen des pathologies permet de mettre en évidence les conditions normales de la parole. Mais on peut prendre aussi les choses par l’autre bout : articuler une philosophie générale du langage et constater que la situation moderne met en question ou en péril certains traits fondamentaux.

Brièvement, quelques remarques complémentaires.

indexjanm.jpg- Ce que Marejko appelle logalité rejoint la notion phénoménologique fondamentale d’intentionnalité (12). La conscience est conscience de quelque chose, ce qui suppose un «il y a»: il y a des choses, un réel, un monde –, mais inversement, ce quelque chose a besoin de la conscience ou du discours, ne disons pas pour «être»« ou pour «exister», mais pour accéder à la dimension supérieure du langage. L’intentionnalité est un mouvement de l’esprit vers les choses – c’est l’aspect principal – mais il s’accompagne d’un mouvement inverse des choses appelant leur saisie par l’esprit – il y a donc là une relation mutuelle et une certaine forme de circularité.

- La pensée de la logalité se distingue de l’ontologie moderne qui a éliminé l’idée même de qualités propres du monde, avec l’élimination des «qualités secondaires», avec le face-à-face d’un pur intellect et d’une pure matière, d’une pure forme et d’une matière informe à «informer». L’idée de logalité ne consiste nullement à poser une raison dans un monde sans raison, puisqu’elle met en avant une relation à un extérieur. Celui-ci n’est pas rien, il a une structuration préalable, il est un «déjà-là» différent des simples «data» empiriques. La logalité permet donc de retrouver une conception ontologique et substantialiste du monde contre le nominalisme; elle suppose une relation, un vis-à-vis où le discours sur les choses n’émane pas seulement d’un sujet premier ou d’un esprit.

- Cette pensée de la logalité suppose une distance ou même une inadéquation vis-à-vis du réel.
«Par définition une carte de géographie est inadéquate au paysage. C’est cette inadéquation qui fait qu’il y a une carte. De même, c’est par inadéquation au réel qu’il peut y avoir langage [...] Inversement, vouloir une adéquation parfaite du langage au réel, c’est vouloir éliminer le langage, de même qu’un géographe finirait par brûler toutes les cartes de géographie s’il voulait en faire une qui convienne parfaitement au réel» (CM, pp. 341-342).
Idée difficile, dans la mesure où se demande alors pourquoi parler, pourquoi vouloir tenir un discours de vérité, si l’on admet l’inadéquation comme une donnée fondamentale et en quelque sorte indépassable. Mais on remarque qu’il est question là du langage et non pas de la parole (ou du discours). On peut admettre que, si une certaine inadéquation (un certain hiatus) est une condition du langage, l’idée d’une convenance, en tant que «convenance à distance» est une exigence constante de la parole, sans d’ailleurs que, même dans l’expression réussie, elle n’abolisse tout à fait l’inadéquation foncière du langage. De même que «un coup de dés n’abolira jamais le hasard», une parole réussie, dans sa convenance heureuse avec la chose à dire, n’abolira jamais l’inadéquation du langage au réel, ce ne sera jamais une concordance abolissant tout discordance.

- L’une des caractéristiques de l’alogalité, celle d’être un pur discours sans subjectivité (abolition de cette altérité qu’est la présence-absence d’un sujet), peut être décrite ainsi : dans les conditions normales, il y a forcément une présence du sujet à son discours, une implication dans celui-ci. Or, dans la situation alogale, on remplace cette implication (qui est une présence à distance) par une inclusion : le langage absolu est censé avoir déjà en lui une place pour le sujet et son histoire (ce qui est évident dans la variante hégéliano-marxiste de l’alogalité). Le discours absolu qui a déjà inclus en lui tout discours possible sur lui a donc aboli l’Autre, cette modalité de l’altérité que constitue la subjectivité. C’est pour la même raison que ce discours absolu – alogal – est déjà un langage qui court-circuite à l’avance un vrai langage.

- En opposant la logalité à l’alogalité, Marejko ne propose pas une nouvelle antithèse du type : «autonomie» vs. «hétéronomie», ou bien : «authenticité» vs «aliénation», ou bien encore : «immédiateté» vs «médiation» (ou «médiation» vs. «immédiateté»). La différence principale est que, avec la logalité, on n’oppose pas une «bonne» proximité à une «mauvaise» distance. On soutient au contraire qu’une certaine forme de distance est «bonne» car elle est inhérente à la relation et la rend possible. La logalité est supérieure à l’alogalité parce qu’elle est toujours plus difficile et plus ardue que celle-ci, toujours risquée et sujette à l’erreur. Pourtant, elle n’est pas à comprendre non plus comme une ascèse doloriste, une souffrance pure et simple. C’est la peine qui habite tout activité humaine et va de pair avec la joie et le bonheur, par opposition à l’idée d’un plaisir sans peine ou d’un apprentissage sans effort.

- Le logos entendu comme parole se distingue du logos compris comme vision ou theoria. Faudrait-il alors aurait opposer «Jérusalem» à «Athènes», puisque la parole est centrale pour les Juifs et la vision pour les Grecs ? Il ne faut pas exagérer cette opposition.
 
L’important sont les idées de coïncidence ou de non-coïncidence; le logos, la parole et la «logalité» selon Marejko sont mis en avant parce qu’ils présupposent une non-coïncidence, une distance qui reste non surmontée, une relation qui n’est pas statique mais dynamique et ouverte, animée par un mouvement vers les choses, en un élan à la fois spirituel et érotique. La théorie peut également répondre à cette exigence; elle n’est pas forcément une coïncidence : elle est une contemplation qui peut impliquer une distance et une certaine inadéquation.

«La tendance à éliminer la parole au profit de la vision dans l’acte de connaissance coïncide inévitablement avec l’élimination de ce qui rend possible une cosmologie : un dialogue entre l’esprit et le cosmos (rapport logal)» (CP, p. 116).

Il-n-y-a-pas-de-suicides-heureux.jpgSerait-il alors erroné d’aspirer à un accord entre l’esprit et le monde, le Logos et l’Être, ou de postuler qu’un tel accord existerait déjà potentiellement ? Pas forcément. Ce qui est récusé, c’est l’idée d’un télescopage qui rend le logos superflu ou purement instrumental, et non la perspective d’un accord retrouvé ni même postulé. Comme en musique, l’accord, la concordance ou même l’harmonie ne signifient pas un total recouvrement; il n’y a accord que si existent des notes distinctes et autonomes. L’idée d’accord est parfaitement compatible avec celui d’une contingence ou d’une indétermination dans la rencontre, et c’est en cela qu’elle s’oppose à la congruence alogale. Sans doute faut-il récuser seulement l’idée d’une harmonie préétablie, sauf si, au risque d’introduire une contradiction dans les termes, on la comprend comme s’établissant «après coup» (mais alors elle n’est plus «préétablie»). On peut la caractériser aussi comme un «accord fondamental» ou une «confiance».

- Le langage ne doit pas être compris comme un acte émanant d’un sujet (ni d’un objet), mais comme une relation. Relation à autrui, relation au réel : l’idée même de relation est ardue et presque abyssale si on l’examine de manière rigoureuse, car on tend toujours à la penser comme simple «mise en relation» de termes supposés être donnés positivement pour un entendement en position de surplomb, et que la mise en relation supprime comme termes séparés. Seul peut-être Levinas a su affronter avec obstination cette difficulté : les deux termes, bien que se rapportant l’un à l’autre, restent préservés comme tels et gardent une sorte d’autonomie et Levinas a forgé pour cela l’expression «s’absoudre», c’est-à-dire rester absolus dans la relation même. Et cela vaut aussi, par excellence, pour la relation «logale» selon la dimension de la «responsivité» (intersubjectivité) ou de la référentialité.

- Cette pensée de la logalité est logophile et s’oppose ainsi à ce que j’appelle la logophobie contemporaine, mais ne se laisse pas réduire au «logocentrisme» analysé et critiqué par Derrida (en grande partie à juste titre), à une conception subjectiviste et idéaliste du logos. Ce qui est essentiel dans la logalité, ce n’est pas le logos comme «présence à soi», mais bien la relation de la parole au réel (à l’Être) et à l’interlocuteur, avec une distance à la fois surmontée et maintenue avec ce qui est visé. Il est essentiel au logos ainsi compris d’être ouvert à autre chose que lui-même et donc de fracturer sa propre clôture.

Ayant brossé ainsi un tableau sombre de la modernité et énoncé le diagnostic sévère d’une aphasie tendancielle de l’homme contemporain, Jan Marejko avance-t-il des remèdes ? Le seul remède, ou en tout cas la seule issue à ces situations bloquées, est la parole elle-même, la logalité, ou ce qu’il appelle parfois la «thérapie logale» (par opposition aux «thérapies alogales», celles qui recherchent principalement le retour au bien-être, l’immersion dans un cocon protecteur (14)). Mais peut-il y avoir une issue dans une situation où l’alogalité dominerait absolument et sans reste ?

Il faut bien reconnaître que la conception de Marejko – sa thèse sur l’alogalité foncière de la modernité – comporte une difficulté inhérente. Car si le diagnostic était vrai, on ne pourrait plus parler ni penser. Or, à l’instar du Crétois Épiménide qui, en énonçant que les Crétois sont menteurs, doit faire une exception pour lui-même en train d’effectuer son énoncé, le penseur de l’alogalité doit au moins admettre une exception pour lui-même lorsqu’il brosse ce tableau général pessimiste; l’énoncé a pour condition de possibilité une dimension de liberté dans le champ de l’énonciation.

Il y a un autre problème, et même un réel danger, de nature existentielle. Si cette vision de l’alogalité dominante est prise à la lettre, le sujet parlant et pensant est voué soit au mutisme, soit au cri désespéré voire, plus gravement encore, au geste révolutionnaire et terroriste. Marejko n’est pas exempt d’une telle tentation violente, qui surgit du désir de rompre la chape de plomb de la modernité telle qu’il la décrit dans toute sa rigueur. Il lui arrive souvent, dans ses écrits, de mettre en avant une dimension eschatologique ou messianique, ce qui est compréhensible puisque la logalité suppose une distance qui transcende la réalité empirique. Toutefois, la mise en évidence de cette dimension est fréquemment présentée comme une rébellion radicale contre l’ordre d’un monde obéissant à une cohérence implacable d’où a été éliminée toute imperfection et où fait défaut toute faille, notamment l’interstice dans lequel peut surgir la parole – autrement dit la logalité. La seule issue semble être alors de fracturer cet ordre de manière violente pour réintroduire la dimension de la liberté.

Cette alternative tranchée correspond à ce que j’ai appelé le dilemme du Sous-Sol, en songeant au personnage des Notes du sous-sol de Dostoïevski (15) qui préfère encore n’importe quelle négativité, même celle du mal aux dents, à un monde entièrement rationalisé (figuré par le «Palais de Cristal»).

Je récuse pour ma part une telle perspective, gardant la conviction que la liberté peut exister à l’intérieur de l’ordre du monde (et une liberté de la parole à l’intérieur de la langue instituée) et conservant l’espoir que le monde contemporain n’est pas encore tout à fait un «technocosme», ce qui revient à dire que perdure en lui la dimension de la logalité, même si, dans un grand nombre de ses manifestations, il tend à l’obturer.

Écrit à Berlin en 2013.


Notes

(1) Voir notamment Autoportrait au visage absent (Gallimard, 2008), p. 128. Il y a une convergence évidente entre la vision de l’acédie moderne de Jean Clair et la vision de l’alogalité et de l’achronicité modernes de Jan Marejko.

(2) Je renvoie aux ouvrages suivants : Le territoire métaphysique, 1989 (TM), Cosmologie et politique, 1989 (CP), Esclaves du sablier : hystérie et technocratie, 1991 (ES), Dix méditations sur l’espace et le mouvement, 1994 (DM), La cité des morts : avènement du technocosme, 1994 (CM). Tous ont paru aux éditions L’Âge d’homme à Lausanne.

(3) Un autre diagnostic énoncé par Marejko, que je n’aborderai pas ici, est une pathologie de la temporalité. C’est le règne de Chronos, d’un temps interminable où il ne se passe plus rien. Voir surtout, à ce sujet, Les esclaves du sablier.

(4) Dans la périodisation à laquelle Marejko procède parfois, la logalité (ou : «pensée logale») correspond à l’ère du «logocosme» qui a succédé au «mythocosme» (domination du mythe) et est remplacé aujourd’hui par un «technocosme» (domination de la technique).
Je suis réticent à ce type de périodisation, préférant supposer que la condition langagière est proprement humaine et traverse toutes les époques, même si elle peut être quasiment étouffée en certaines périodes historiques.

(5) J’emploie à dessein le conditionnel pour indiquer que, à mon sens, il s’agit là d’une représentation, d’une visée. Je continue à penser, en m’écartant sur ce point de Marejko, qu’aucun discours ne peut, de manière effective, répudier ces différentes formes d’altérité, et qu’il ne le fait que tendanciellement.

(6) En un sens, cette forme d’alogalité est une hybris du logos : c’est un hyper-discours supposé être parfaitement cohérent, clos et autonome, ayant résorbé toute blessure ou fracture (car l’ouverture du logos au monde est comme une blessure ouverte, elle est analogue à toutes les ouvertures par lesquelles le corps s’ouvre au monde : bouche, narines ou sexe).

(7) Le modèle par excellence de cette situation est la «langue» selon Saussure, dans le Cours de linguistique générale, conçue comme un «système» fait, de manière quasiment exclusive, de renvois mutuels internes.

(8) «Dans l’image-mot du monde, c’est la rosée elle-même qui se composerait avec la rosée. Le monde se ferait en tant que monde sa propre image. Il serait réconcilié, rassemblé, non plus seulement dans ses parties éparses, par la vertu du verbe, mais lui-même avec lui-même et par sa vertu propre. La vérité qu’il est […] s’accomplirait […] par ce commentaire et comme ce contrepoint qu’il se donnerait à lui-même. Le monde deviendrait sens et le sens se ferait monde. Le fossé disparaitrait entre la chose et son énoncé, entre le dire et ce qui est à dire…» in Contre l’image (Gallimard, coll. Le Chemin, 1960), pp. 98-99.

(9) Munier ne s’en prend d’ailleurs pas à l’image en général, mais à la photographie. Car le dessin suppose encore un intervalle, une distance ; c’est ce que le philosophe Hans Jonas a bien mis en évidence dans son étude anthropologique intitulée Homo Pictor, in Le Phénomène de la Vie (De Boeck, Bruxelles, 2001).

(10) Henri Raynal, est un autre grand méconnu, auteur de plusieurs romans et ouvrages de prose poétique. Heureusement, il se peut qu’il soit en train de sortir de cette semi-obscurité depuis la parution de Cosmophilie, en 2016.

(11) Voir notamment Autoportrait au visage absent (Gallimard, 2008), p. 128. Il y a une convergence évidente entre la vision de l’acédie moderne de Jean Clair et la vision de l’alogalité et de l’achronicité modernes de Jan Marejko.

(12) «La conception de la vérité scientifique comme image de plus en plus conforme du réel est […] perverse dans la mesure où elle frappe d’illégitimité l’acte psychique (l’intentionnalité) par lequel je me rapporte au réel. […] Un tel langage, en rendant inutile tous les actes par lesquels une conscience affirme qu’il y a quelque chose, rendrait fou» (DM, p. 92).

(13) Levinas écrit : «Ce rapport de vérité qui, à la fois, franchit et ne franchit pas la distance — ne forme pas de totalité avec «l‘autre rive» — repose sur le langage; relation où les termes s’absolvent de la relation — demeurent absolus dans la relation» in Totalité et infini, Martinus Nijhoff, La Haye, 1960), pp. 35-36.

(14) Car la description critique de Jan Marejko envisage d’autres formes d’alogalité que celle du discours scientifico-technique, du «livre de la nature» ou du positivisme logique qui a été examinée ici. Il y a tout spécialement le cas de Jean-Jacques Rousseau et de sa «thérapie alogale», c’est-à-dire l’idéal d’une fusion avec la nature, préfigurant toute une sensibilité actuelle, la tendance écologiste ou new age, qui coexiste avec la domination de la science.

Il faut renvoyer ici au premier livre de Marejko, tout à fait remarquable mais tout aussi peu remarqué, Jean-Jacques Rousseau et la dérive totalitaire (L’Âge d’Homme, 1984). Il s’agit d’une thèse soutenue à l’Université de Genève sous la direction de Jean Starobinski.

(15) Voir mon article Pour un monde sans caries. Philippe Muray et le totalitarisme ontologique (in Philippe Muray, Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie, Éditions du Cerf, 2011), où j’ai longuement analysé cette figure du dilemme du sous-sol en suggérant quelques pistes pour une issue possible.

Jacques_Dewitte_(1).jpgL’auteur

Philosophe, traducteur et écrivain, Jacques Dewitte, né à Bruxelles en 1946, partage sa vie entre Berlin et Bruxelles. Se situant philosophiquement dans la tradition phénoménologique et herméneutique, il est l’auteur d’une œuvre abondante qui s’est d’abord élaborée dans des revues telles que Le Temps de la réflexion, Études phénoménologiques, Le Messager Européen, Les Temps Modernes, Critique, Commentaire, Esprit, La Revue du Mauss, avec des articles portant sur des sujets aussi divers que le nihilisme, la question du mal, le vivant, l’architecture urbaine, le paysage, le langage, l’opéra, l’art, la littérature.
Il a publié quatre livres : Le pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit. Essai sur la résistance au langage totalitaire, Michalon, 2007 ; L’exception européenne. Ces mérites qui nous distinguent, Michalon, 2008 ; La manifestation de soi. Éléments d’une critique philosophique de l’utilitarisme, La Découverte coll. Bibliothèque du MAUSS, 2010 ; Kolakowski. Le clivage de l’humanité, Michalon, coll. Le Bien Commun, 2011.
Il a traduit et commenté Forme et caractère de la ville allemande, Archives d’Architecture Moderne, Bruxelles, 1985 ; La Forme animale d’Adolf Portmann, La Bibliothèque, 2013 et a édité et commenté Le prodige de l’origine des langues de Wilhelm von Humboldt, Manucius, 2018.
Il termine actuellement un grand ouvrage ayant pour titre provisoire : En matière de langage.

Les limites du pouvoir chinois

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Les limites du pouvoir chinois

Par Pepe Escobar

Source The Saker

En ce qui concerne les États-Unis et la Chine, tout dépend du résultat de la prochaine élection présidentielle américaine.

Trump 2.0 va surtout considérablement accélérer sa stratégie de découplage, visant à acculer la « vile » Chine par une guerre hybride à multiple fronts, à miner l’excédent commercial chinois, à coopter de larges pans de l’Asie, tout en insistant toujours pour caractériser la Chine comme le mal incarné.

L’équipe Biden, même si elle ne prétend pas vouloir tomber dans le piège d’une nouvelle guerre froide, selon le programme officiel du parti démocrate, ne serait que légèrement moins conflictuelle, « sauvant » ostensiblement « l’ordre fondé sur des règles » tout en maintenant les sanctions imposées par Trump.

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Très peu d’analystes chinois sont mieux placés que Lanxin Xiang pour étudier l’échiquier géopolitique et géoéconomique : expert des relations entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, professeur d’histoire et de relations internationales à l’IHEID à Genève et directeur du Center for One Belt, One Road Studies à Shanghai.

Xiang a obtenu son doctorat au SAIS Johns Hopkins, et est aussi bien respecté aux États-Unis qu’en Chine. Au cours d’un récent webinaire, il a exposé les grandes lignes d’une analyse que l’Occident ignore, à ses propres risques et périls.

Xiang a mis l’accent sur la volonté de l’administration Trump de « redéfinir une cible extérieure » : un processus qu’il qualifie de « risqué, dangereux et hautement idéologique ». Non pas à cause de Trump – qui « ne s’intéresse pas aux questions idéologiques » – mais parce que « la politique chinoise a été détournée par les véritables guerriers de la Guerre Froide ». L’objectif : « un changement de régime. Mais ce n’était pas le plan initial de Trump ».

Xiang dévoile la logique qui sous-tend ces « guerriers du froid » : « Nous avons fait une énorme erreur au cours des 40 dernières années ». C’est-à-dire, insiste-t-il, « absurde – en relisant l’histoire, et en niant toute l’histoire des relations entre les États-Unis et la Chine depuis Nixon ». Et Xiang craint « l’absence de stratégie globale qui crée une énorme incertitude stratégique – et conduit à des erreurs de calcul ».

Pour aggraver le problème, « la Chine n’est pas vraiment sûre de ce que les États-Unis veulent faire ». Parce que cela va bien au-delà de l’endiguement – que Xiang définit comme une « stratégie très bien pensée par George Kennan, le père de la guerre froide ». Xiang ne détecte qu’un schéma de « civilisation occidentale contre une culture non caucasienne. Ce langage est très dangereux. C’est une reprise directe de Samuel Huntington, et montre très peu de place pour le compromis ».

En un mot, c’est la « façon américaine de tomber dans la guerre froide ».

La surprise d’octobre ?

Tout ce qui précède est directement lié à la grande inquiétude de Xiang concernant une éventuelle surprise d’octobre : « Cela pourrait probablement se produire à Taïwan. Ou un engagement limité en mer de Chine méridionale ». Il souligne que « les militaires chinois sont terriblement inquiets. Une surprise d’octobre comme engagement militaire n’est pas impensable, car Trump pourrait vouloir rétablir une présidence de guerre ».

Pour Xiang, « si Biden gagne, le danger d’une guerre froide tournant à la guerre chaude sera réduit de façon spectaculaire. » Il est tout à fait conscient des changements dans le consensus bipartite à Washington : « Historiquement, les Républicains ne se soucient pas des droits de l’homme et de l’idéologie. Les chinois ont toujours préféré traiter avec les Républicains. Ils ne pouvaient pas traiter avec les Démocrates – les droits de l’homme, les questions de valeurs. Maintenant, la situation est inversée ».

Xiang, d’ailleurs, « a invité un conseiller de haut niveau de Biden à Pékin. Très pragmatique. Pas trop idéologique ». Mais dans le cas d’une éventuelle administration Trump 2.0, tout pourrait changer : « Mon intuition est qu’il sera totalement détendu, il pourrait même inverser la politique de la Chine à 180 degrés. Je n’en serais pas surpris. Il redeviendrait le meilleur ami de Xi Jinping ».

Dans l’état actuel des choses, le problème est « un diplomate en chef qui se comporte comme un propagandiste en chef, profitant d’un président erratique ».
Et c’est pourquoi Xiang n’exclut jamais une invasion de Taïwan par les troupes chinoises. Il imagine le scénario d’un gouvernement taïwanais annonçant « Nous sommes indépendants », associé à une visite du secrétaire d’État : « Cela provoquerait une action militaire limitée, et pourrait se transformer en escalade. Pensez à Sarajevo. Cela m’inquiète. Si Taïwan déclare son indépendance, les Chinois l’envahissent en moins de 24 heures. “

Pékin fait-il des erreurs de calcul?

413iZy1UTfL.jpgContrairement à la plupart des universitaires chinois, Xiang fait preuve d’une franchise rafraîchissante sur les propres lacunes de Pékin : « Plusieurs choses auraient dû être mieux contrôlées. Comme l’abandon du conseil initial de Deng Xiaoping, selon lequel la Chine devrait attendre son heure et faire profil bas. Deng, dans son dernier testament, avait fixé un délai pour cela, au moins 50 ans ». Le problème est que « la rapidité du développement économique de la Chine a conduit à des calculs hâtifs et prématurés. Et une stratégie mal pensée. La diplomatie du « guerrier loup » est une attitude – et un langage – extrêmement affirmés. La Chine a commencé à contrarier les États-Unis – et même les Européens. C’était une erreur de calcul géostratégique ».

Et cela nous amène à ce que Xiang caractérise comme « l’extension excessive de la puissance chinoise : géopolitique et géoconomique ». Il aime citer Paul Kennedy : « Toute grande superpuissance, si elle est trop étendue, devient vulnérable. » Xiang va même jusqu’à affirmer que l’initiative des « Nouvelles routes de la soie » (NRS), dont il loue le concept avec enthousiasme, est peut-être dépassée : « Ils pensaient qu’il s’agissait d’un projet purement économique. Mais avec une portée mondiale aussi large ? »

Les NRS sont-elles donc un cas de surcharge ou une source de déstabilisation ? Xiang fait remarquer que « les Chinois ne s’intéressent jamais vraiment à la politique intérieure des autres pays. Ils ne sont pas intéressés par l’exportation d’un modèle. Les Chinois n’ont pas de véritable modèle. Un modèle doit être mûr, avec une structure. A moins qu’il ne s’agisse de l’exportation de la culture traditionnelle chinoise ».

Le problème, une fois de plus, est que la Chine pensait qu’il était possible de « se faufiler dans des zones géographiques auxquelles les États-Unis n’ont jamais trop prêté attention, l’Afrique, l’Asie centrale, sans nécessairement provoquer de réactions géopolitiques. C’était de la naïveté ».

Xiang aime rappeler aux analystes occidentaux que « le modèle d’investissement dans les infrastructures a été inventé par les Européens. Les chemins de fer. Le Transsibérien. Les canaux, comme au Panama. Derrière ces projets, il y a toujours eu une concurrence coloniale. Nous poursuivons des projets similaires – moins le colonialisme ».

Pourtant, « les planificateurs chinois se sont mis la tête dans le sable. Ils n’utilisent jamais ce mot – géopolitique. » D’où ses plaisanteries constantes avec les décideurs chinois : « Vous n’aimez peut-être pas la géopolitique, mais la géopolitique vous aime. »

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Demandez à Confucius

L’aspect crucial de la « situation post-pandémique », selon Xiang, est d’oublier « ce truc de guerrier-loup. La Chine pourrait être en mesure de relancer son économie avant tout le monde. Développer un vaccin vraiment efficace. La Chine ne devrait pas le politiser. Elle devrait montrer une valeur universelle à son sujet, poursuivre le multilatéralisme pour aider le monde, et améliorer son image ».

En matière de politique intérieure, Xiang est catégorique : « Au cours de la dernière décennie, l’atmosphère chez nous, sur les questions de minorités, sur la liberté d’expression, s’est resserrée au point de ne pas aider l’image de la Chine en tant que puissance mondiale ».

Observez cette situation, « l’opinion défavorable envers la Chine » dans une enquête sur les nations de l’Occident industrialisé qui ne comprend que deux pays asiatiques : le Japon et la Corée du Sud.

Et cela nous amène à l’ouvrage de Xiang, The Quest for Legitimacy in Chinese Politics, sans doute l’étude contemporaine la plus importante réalisée par un chercheur chinois capable d’expliquer et de combler le fossé politique entre l’Est et l’Ouest.

Ce livre est une telle percée que ses principales analyses conceptuelles feront l’objet d’une chronique complémentaire.

La thèse principale de Xiang est que « la légitimité dans la philosophie politique de la tradition chinoise est une question dynamique. Transplanter les valeurs politiques occidentales dans le système chinois ne fonctionne pas ».

recasting-the-imperial-far-east-britain-and-america-in-china-1945-50.jpgPourtant, même si le concept chinois de légitimité est dynamique, souligne Xiang, « le gouvernement chinois est confronté à une crise de légitimité ». Il fait référence à la campagne anti-corruption des quatre dernières années : « La corruption officielle généralisée, qui est un effet secondaire du développement économique, fait ressortir le mauvais côté du système. Il faut rendre hommage à Xi Jinping, qui a compris que si nous laissons cela se poursuivre, le PCC perdra toute légitimité ».

Xiang souligne comment, en Chine, « la légitimité est basée sur le concept de moralité – depuis Confucius. Les communistes ne peuvent pas échapper à cette logique. »

Avant Xi, personne n’osait s’attaquer à la corruption. Il a eu le courage de l’éradiquer et a arrêté des centaines de généraux corrompus. Certains ont même tenté deux ou trois coups d’État.

Dans le même temps, Xiang est catégoriquement opposé au « durcissement de l’atmosphère » en Chine en matière de liberté d’expression. Il mentionne l’exemple de Singapour sous Lee Kuan Yew, un « système autoritaire éclairé ». Le problème est que « la Chine n’a pas d’État de droit. Il y a cependant beaucoup d’aspects juridiques. Singapour est une petite ville-État. Comme Hong Kong. Ils ont juste repris le système juridique britannique. Cela fonctionne très bien pour cette taille. »

Et cela amène Xiang à citer Aristote : « La démocratie ne peut jamais fonctionner dans les grands pays. Dans les villes-États, elle fonctionne. » Et armés d’Aristote, nous entrons à Hong Kong : « Hong Kong avait un État de droit – mais n’a jamais eu de démocratie. Le gouvernement était directement nommé par Londres. C’est comme ça que Hong Kong fonctionnait en réalité – comme une dynamo économique. Les économistes néolibéraux considéraient Hong Kong comme un modèle. C’était un arrangement politique unique. Une politique du magnat. Pas une démocratie – même si le gouvernement colonial n’a pas gouverné comme une figure autoritaire. L’économie de marché a été déclenchée. Hong Kong était dirigée par le Jockey Club, HSBC, Jardine Matheson, avec le gouvernement colonial comme coordinateur. Ils ne se sont jamais souciés des gens en bas de l’échelle ».

Xiang note que « l’homme le plus riche de Hong Kong ne paie que 15 % d’impôt sur le revenu. La Chine a voulu conserver ce modèle, avec un gouvernement colonial nommé par Pékin. Toujours une politique de magnats. Mais maintenant, il y a une nouvelle génération. Des gens nés après la rétrocession – qui ne connaissent rien de l’histoire coloniale. L’élite chinoise au pouvoir depuis 1997 n’a pas prêté attention à la base et a négligé le sentiment de la jeune génération. Pendant toute une année, les Chinois n’ont rien fait. La loi et l’ordre se sont effondrés. C’est la raison pour laquelle les Chinois du continent ont décidé d’intervenir. C’est l’objet de la nouvelle loi sur la sécurité ».

Et qu’en est-il de l’autre acteur « malveillant » favori de l’autre côté du Beltway – la Russie ? « Poutine aimerait voir la victoire de Trump. Les Chinois aussi, jusqu’à il y a trois mois. La guerre froide était un grand triangle stratégique. Après le voyage de Nixon en Chine, les États-Unis se sont retrouvés au milieu, manipulant Moscou et Pékin. Maintenant, tout a changé ».

Pepe Escobar

Traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

The Right Wing’s Got Talent

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The Right Wing’s Got Talent

supremacistes-192x300.jpegReview:

Philippe-Joseph Salazar
Suprémacistes: L’enquête Mondiale chez les Gourous de la Droite Identitaire
Paris: Plon, 2020

This book results from interviews with leading thinkers of the race-conscious right — the so-called alternative right — which seeks to bring race to the forefront of political debate. The title Suprémacistes is, however, misleading; for the author, Philippe-Joseph Salazar, nowhere describes the people who are the subject of this study as supremacists, nor do they describe themselves as such. The title was probably chosen for marketing reasons and is more likely to be the publisher’s choice than the author’s.

In his prologue (p. 9) Salazar declares that throughout this study he always played with an open hand. He told his interlocutors that he was not a journalist, since journalists are treated with strong distrust and a hands-off policy, but they were apparently intrigued when he told them that he was a philosopher and rhetorician at the University of Cape Town, “in the country of Nelson Mandela.” The reader soon realizes that Salazar likes to indulge in the occasional rhetorical flourish. The subjects he has picked out for his interviews he describes as

a global circle of intellectuals. Of a special kind: the militant intellectual. Their adversaries call them “supremacists” and even if some of them strongly reject the label, these gurus or mentors of white identity have succeeded in captivating, inspiring, and enthralling new generations with their arguments. Like political Islam, a new ideology after a long incubation is rising above the horizon of Europe and the United States. (p. 9)

The phenomenal success around the world of the expression “great replacement” forged by the French writer Renaud Camus. . . is a sign among a thousand other signs: race is returning to the forefront of the political arena. We are on the threshold of an ideological upheaval. This book investigates and describes the vanguard. (p. 11)

Notable at once is the writer’s objectivity, if not sympathy, to the subject of his study, a welcome change to the usual “investigative journalism” whose purpose is to seek out, subvert, damage, and if possible, destroy.

But who is Philippe-Joseph Salazar? Is he the man for the task he describes?

41ZBiaQzMsL._SX315_BO1,204,203,200_.jpgSalazar had written on various relatively obscure subjects before achieving fame with the 2015 publication of his reports on ISIS, Paroles Armées (Armed Words). His specialist field of study is rhetoric: how the power and associative imagery of words can be used as a tool in appropriating or resisting power. Rhetoric as a legitimate democratic tool recalls the sophists who marketed their skills in Ancient Athens to ambitious politicians and were lambasted for so doing by Socrates. Salazar seems interested in words less as tools to discover the truth than as tools in a struggle to gain ascendancy.

Salazar’s career seems to have been somewhat unusual. His advisor at the elite École normale supérieure was none other than the hard-line Marxist intellectual Louis Althusser, who is best remembered by many not for his heavy theoretical tomes but as the man who strangled his Jewish wife, the former resistance partisan Hélène Rytmann, in 1980. Salazar dedicated his book Le culte de la Voix (The cult of the voice) jointly to Roland Barthes, the philosopher famous for his studies of the power of signs and the meaning of structures, and the philologist and expert on proto Indo-European social structures, Georges Dumézil. This is significant because it implies a certain dual “Left” and “Right” heritage in Salazar’s own perception of the structure of language and role of rhetoric in contributing to the effectiveness and legitimacy of argument and persuasion. Barthes believed that art should be critical and interrogate the world rather than seek to explain it. This reluctance to explain very much or very far characterizes Suprémacistes.

If Philippe-Joseph Salazar insists that he is not a journalist, judging by this book he is no philosopher either. His book, consisting of a series of interviews and scene sketches, reads like a field study, and his approach is less that of a philosopher as of an anthropologist, one open to the mores and customs of the tribe he is studying without prejudice. But Salazar is also disengaged, free of any form of subjective or emotional engagement with them as well.

This book is a collection of portraits of people whom the reporter considers to be “gurus” (his word) of the alt- or Identitarian Right. The subtitle of the book, which I suspect was Salazar’s own choice, is L’enquête Mondiale chez les Gourous de la Droite Identitaire, World Survey of the Gurus of the Identitarian Right. The people whom he interviews he describes as “militant intellectuals.” It is their enemies, Salazar says, who call them white supremacists — the label “supremacist” being applied to white identitarians for the purpose of marginalizing and discrediting them.

The book is composed of eighteen chapters; these are vignettes, mostly in the form of interviews, with people chosen by Salazar (according to what criteria, if any, the reader is not told) as leading representatives of the white identitarian vanguard, the alt-right.

In each chapter, Salazar describes, often humorously, his interview with an Identitarian Right “guru.” The table of contents does not name his interviewees directly. That would be too simple for a pupil of Roland Barthes. Instead, the chapter headings are clues, similar to clues in a crossword puzzle. The reader might guess or not whom or what each title refers to. Here are half a dozen examples followed by the answers.

  1. “White Kung-fu” (John Derbyshire)
  2. “What comes from outside stays outside” (Jared Taylor)
  3. “France on the alt-right horizon” (François Bousquet)
  4. “Plato among the Vikings” (A meeting organized by Scandza)
  5. “A Croatian Cosmopolitan” (Tomislav Sunic)
  6. “A Global White Nationalist” (Greg Johnson)

61tWNG6KJ4L.jpgFrom this alone the reader can see we are far from the earnestness of the usual “investigative reporter.” There is a lightness about this inquiry, a certain half-suppressed amusement which gives a very great advantage and a very great drawback to the study.

The advantage of Salazar’s light touch is that he is the more easily able to remain scrupulously fair, genuinely disinterested, and determined to hear what his interlocutors have to say without interruption or interrogation: Those views, so far as I can judge, are fairly and accurately reported. The drawback of this approach — and it is a considerable one — lies in the fact that a scrupulous hands-off “I am not here to judge” approach stifles the chance for disagreement and altercation. There is no productive examination of ideas here, no awkward questions, no profound study or analysis. Salazar seems more interested in the people he interviews as people, as types, as representatives of a movement, than he is in the substance of their message. As a good pupil of Roland Barthes, Salazar is receptive to the signs, catchphrases, and gestures that characterize the persons he interviews, but his sensitivity is achieved at the cost of being able to provide any political gravitas to his commentaries. In a word, Salazar’s interviews are lightweight.

When I was younger, I often used to travel by hitchhiking. Usually, the person giving me a lift would be loquacious, expecting me to listen sympathetically to what they had to say. (I was once terrifyingly told by an old and portly driver: “I don’t normally give lifts but I am feeling extremely tired. I need someone to keep me awake.” I subsequently twice prevented him from dozing off.) Salazar gives this impression. He gives his interlocutor every chance to say what he (or in just one case, she) might wish to say and he prods the conversation along when it drags (and evidently, some of them do) by the occasional courteous question or interjection. They more or less amuse him. Statements are made galore, but there is little discussion worthy of the name, let alone debate. After a short time the interview, to the greater or lesser satisfaction of both parties, is closed, and it is time for Salazar to move on. All the interviews except one are in person interviews. The exception is the interview with Keith Woods which had to be conducted via Skype, owing to virus restraints (p. 196).

In sharp contrast to mainstream investigative reporters, Salazar is unfailingly courteous, and while it is natural that he will personally like some of the interviewees more than others, be more impressed by some people than others, his observations are never disparaging, with one exception: “France on the horizon of the alt-right.”

The book is copiously supported by references, most of them to internet sites. The alt-right, the intellectual dark net, social media, blogs, these and more point to a new kind of information where entertainment and alacrity have gained new importance. The people whom Salazar talks with may be intellectual militants, but the format of the book and Salazar’s own approach gives them little opportunity to flourish. The chapters are not so much intellectual outlines as casting show contestants performing to see how many points Salazar will award them. The Right Wing’s Got Talent would have been a more accurate title for this book than Supremacists. The people whom he talks to are appraised by Salazar not in terms of their intellectual prowess, but in terms of their media impact factor. Can you wow Salazar? What impression do you make, how successful is your message, how up-to-date are you? How many followers do you have on YouTube? Do young people quote you? Are you quotable? Say something clever about Hegel in one sentence. Show that you have read Marx. How well known are you? Do you have memorable phrases at the drop of a hat? If so, let’s have one, now! Here is the judge’s score: Jared Taylor: Appearance 8 out of 10, ability in repartee, 5 out of 10; John Derbyshire: Appearance 5 out of 10, ability in repartee 7 out of 10, and so on.

718xNqWriiL._US230_.jpgHere is an example of Salazar’s showmanship approach. This is how the chapter entitled “A Cosmopolitan Croatian” begins:

I would have preferred to speak with Tomislav Sunic in Zagreb where he lives, but the exorbitant cost of a return ticket from Munich and the delightful thought of spending just two hours sitting in an airport café put me off the idea. Besides, Tomislav Sunic was one of the star guests at the upcoming identitarian conference in Copenhagen. Why miss the opportunity?

But we get off to a very bad start. The Croatian philosopher, with his silhouette of a patrician academic, arrives looking a little run down in this restaurant situated in a snug mezzanine of the Voldgate, called the Tivolihallen, which I had picked out myself, having arrived in Copenhagen the same morning after twenty hours of traveling. Sunic got up at four in the morning to take the plane from Zagreb and he is irritable.

Rejecting the recommendations of the day, he asks for a soup from the waiter. The waiter makes a sign to the jovial manager, who explains in French to me that it is not customary for people to drink soup in Denmark. Sunic sighs, goes over to English, and orders water, immediately. So he drinks water and I have a large glass of Chardonnay. This performance takes a while and says something about the character of the Croatian philosopher. He has a firm opinion of himself and his tastes. (p. 169)

“Cosmopolitan Croatian.” Salazar likes such monikers and descriptive phrases to sum someone or something up. Keith Woods is a “millennial philosopher and radical icon of the alt-right Web” whose lapidary statement “is in the style of Saint-Just.” (p. 204) John Derbyshire has the “look of the guy next door.” (p. 95) Jared Taylor “makes a good impression with his regular features of an American actor from the 50s.” (p. 73)

Greg-johnson-seattle-1.jpgA chapter with more substance than many is “A Global White Nationalist” (English in the original), Salazar’s talk with the editor of Counter-Currents, Greg Johnson. Johnson’s clear aims are outlined. A question and answer session ensues on page 183 which reminded me of a Roman Catholic catechism recital.

Q: What is ethnonationalism?

A: Ethnonationalism is the idea according to which each distinct ethnic group should enjoy political sovereignty and a homeland or ethnically homogenous homelands. Opposed to this is multi-culturalism, which affirms that multiple ethnic groups should share the same homelands and governments.

Q: What is white nationalism?

A: White nationalism is a political philosophy which seeks to define national identity in racial terms rather than in terms of religion, culture, or religious faith. White nationalism makes more sense in the context of colonial European societies such as the United States, in which the older white ethnic identities have been weakened by intermixing of immigrant stock, thereby creating an ever more united white generic identity.

Johnson’s contrast between a race-centered identity in the US and a more nation-centered identity in Europe is important. It could have lead to a discussion on the role of ethnicity and nation and even ethnicity opposed to nation, both in rhetoric and in political loyalties. Salazar does not record any such discussion. He moves right on to his next question, asking Johnson what the North American New Right is and how it differs from the European Old Right and European New Right. (p. 184) Clearly, earnest debate and examination of beliefs is not the purpose of this book.

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In his talk with Jared Taylor, Taylor explains why he is not a supremacist, but rather one who seeks to maintain a white racial identity and not lordship over others, an identity which will be reflected in a white community in which “everybody, left or right, libertarians, gays, poor and rich are part of the family,” and “there is no alternative for us to the fate of being white.” (pp. 82-83) This surely invites the question: why is race of such overriding importance to Jared Taylor? And is the community which he aspires to and which Salazar notes as “obviously lacking” in the area where Taylor himself lives a matter of race alone? What other factors play a role in creating social cohesion and what is their importance vis-à-vis ethnic identity? Salazar does not ask him. At the end of the discussion, Salazar wonders:

How would I ever get out of this residential suburb where everything looks the same if my GPS broke down? Where is the community that Jared Taylor is talking about, where are the poor folk and classless types belonging to “his family”? Where is this American Europe? Will it be found in a new Secession, this time a Secession strictly racial? (p. 82)

Salazar then provides a footnote referring the reader to an article by F. H. Buckley in American Renaissance, which Jared Taylor edits, entitled “Is it Time for Secession?” (p. 82) Salazar poses a question to himself and to the reader which it seems he did not put to Jared Taylor. Such “debate that wasn’t” characterizes his book.

One chapter of Suprémacistes, “France on the Horizon of the alt-right,” abandons both the character portrait approach and open-mindedness. It begins with a style to which the reader will have become accustomed: “So I go to Paris. I have an appointment in the rue des Médicis with the manager of the bookshop La Nouvelle Librairie, Francois Bousquet (born in 1968), opposite the Jardin du Luxembourg.” (p. 205) But Bosquet has only an hour for our researcher and nearly all the chapter is taken up not with his interview with Bosquet — which must have been disappointing, since he has little to say about it — but with his own speculation on the Nouvelle Droite (New Right).

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How many under fifty years of age, muses Salazar, remember when or how the Nouvelle Droite appeared? (p. 205) Not many, obviously. Anybody fifty years old at the time this book was published was about seven when Alain de Benoist first coined the term during a radio interview, so indeed nobody under fifty will remember the interview from the time. Perhaps Salazar is wondering how many people know the history of the Nouvelle Droite. But it is probable that not many people under fifty years old do so either. Does this matter? In the only chapter in which Salazar is disposed to wonder how a contestant could have made it so far on his show, he criticizes the disorder of Bosquet’s bookshop and the low quality of the wares:

Packets of reviews from the 1950s, yellowing Montherlants, not the best; Morand and Drieu la Rochelle, I think, I could make out in the obscurity of the shelves, pamphlets by Maurras, various bulletins, finally, numerous forgotten books by the collaborator Jacques Chardonne.” (p. 211)

He notes that the French New Right does not seem very “new” half a century on. He points out to the reader that the bookshop is located at the premises of the 1930s headquarters of the fascist Action Francaise. Musing upon his encounter, he reiterates a common criticism of the French New Right in general and against Alain de Benoist specifically, that followers are aloof, overly cautious, too academic, reluctant to get their hands dirty, that they are in a bubble, provincial, more concerned with their reputation than with the future of the world.

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Salazar draws a stark contrast with Guillaume Faye, the fiery orator who broke from GRECE (the flagship club of the French New Right) in 1986 and who has had much more impact beyond France than Alain de Benoist. Alain de Benoist does not have what Salazar calls “impact factor.” This reviewer well remembers Guillaume Faye from the early days of GRECE. Faye certainly had “impact” factor. His speeches always ended with standing ovations. Salazar associates only one rhetorical slogan to Alain de Benoist’s name, the expression “Nouvelle Droite” (New Right) itself, first uttered in a radio interview with Jacques Chancel. So keen is Salazar to prove his point that this New Right now looks old and moth-eaten that Salazar quotes Bosquet without noting an important point:

He ends his tirade about “the intellectual war,” a grandiloquent turn of phrase from metapolitics, dear to the Anglo-Saxon New Right and the German alt-right, although they are more restrained in the way they use it. He wants his bookshop to be an arsenal in this war of ideas and sums it up in these words: The cultural Left has ceased to be creative. It lives by subvention. We live by subversion. (p. 214)

“They live by subvention. We live by subversion.” Is that not the very sort of expression one might expect Salazar to admire? Bosquet has just made the telling point that in media wars the liberal Left is living on financial life support. With the advent of the internet, the daily newspapers are no longer profitable. This is indeed a hugely significant development that has taken place over the last dozen years or so. They have lost advertising copy and subscribers and only survive from the donations of occult backers and/or the taxpayer. The official broadcasting services of the state are under attack. In Britain, there is a vociferous campaign to defund the BBC. Salazar does not pick Bosquet up to pursue the point. However, he draws the conclusion from his discussion with the manager that everything is “singularly restrained, poor in fact. . . It is all very Franco-Parisian. A little mummified?” (p. 215) “The Nouvelle Librairie more resembles an Egyptian mausoleum erected to the glory of the master of the house preserved as a mummy than a basis for cultural guerillas unburdened by fashionable ideas.” (p. 220)

This does not mitigate the fundamental criticism that the French New Right is aloof, hidebound by a provincialism that will inevitably become more backward-looking the more Paris, a shadow of what it was even forty years ago, is overrun by non-whites who know nothing and care less for French thinkers of the Right or the Left and tourists of all races who are unable to care for thinkers of any race or persuasion.

Salazar points out approvingly that Guillaume Faye burst out of the bubble. His slogans, commitment, and readiness to engage with people won him acclaim in the United States, a nation against which he himself had inveighed with fury in the 1970s and 1980s.

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Éléments, the house journal of the French New Right (chief editor Francois Bosquet) passed over the demise of Guillaume Faye in silence, a decision which does it little credit and gives credence to Salazar’s impression that the people around Éléments and Bosquet’s bookshop more resemble an intellectual and artistic club than the band of guerillas Bosquet has in mind. Salazar believes that Faye had two expressions that possess especially strong impact factor: “archeofuturism” and “ethnomasochism.” So Faye, notes Salazar approvingly, is a showmaster, eloquent and charming, who reached out to large audiences of young people and wrote books that are exciting and provocative. True, Faye would not have had the patience needed to produce regular publications, books copiously referenced, countering the arguments of the current system. It is also true that Faye faced subjects such as race and the conflict between ecology and science, which many thinkers and by no means only in the New Right, evade.

The truth is that any association, club movement, and yes, guerrilla movement, needs very different human talents, talents which are never to be found in one individual. For Salazar, however, all that counts is the ability to impact, and impact is assessed in terms of showmanship, power of personality, marketing savvy, pulling the right chords, having the right words to say at the right moment. These are the criteria for scoring points on Salazar’s talent show.

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One other thinker whose expression with a momentous impact factor is Renaud Camus, with what Salazar calls the “fetish expression”: la grande remplacement, the great replacement. Camus’ book of that name was published in 2011. The great replacement refers to the replacement of the French people by Muslims. Six years later, the Right-wing demonstrators at Charlottesville were chanting “you shall not replace us!” When queried by Salazar as to why he otherwise often chooses a seemingly obscure vocabulary with which to express himself, Camus makes the not original but always important point that using the lexis of one’s opponent’s choosing is to acknowledge a weakness, to suffer a handicap even before conduct is engaged, to voluntarily abandon the high ground to the enemy. “I am not being politically correct here” is an example, or “I am not racist.”

518zproxfTL._SX210_.jpgCamus’ definition of race is original: cultural apprenticeship plus natural reproduction equals race. This perhaps Evolian notion of race runs counter to the biological rationalist understanding of most North Americans. Salazar visits Camus, a Baron de Charlus character, in his Medieval castle tower in the Gers in rural France. He passes a Peugeot dealership in the middle of the countryside on his way to Camus and enigmatically states that “it should not be.” (p. 244). Salazar is not making a moral judgment here. He means the machine is not appropriate to this setting. Some might argue to the contrary: bringing small industry home to the nation and away from the big cities is too little, too late; it is what would have prevented the land drain that transformed France in the 1950s, 60s, and 70s. Then the question: How should and could regional identity work? Would home industry prove more a blessing or a bane? What of Trump’s insistence on prioritizing home industries in contrast with the EU’s extreme globalism? Salazar has nothing to say on this and presumably does not encourage Camus to say anything about it. Again, we have a debate that wasn’t. Salazar makes it clear that the interview with Camus was a disappointment, albeit the two part on friendly terms. Salazar dismissively asks himself rhetorically how many thinkers of the alt-right have read the book so praised by Camus as a key to understanding the true meaning of racial and cultural replacement, La Grande Peur des bien-pensants (The Great Fear of right-thinking people) by Georges Bernanos? (p. 252) Nevertheless he concedes, seemingly contradicting himself, and citing Barthes, that Camus is right about the evocative power of words:

When the international alt-right really assesses what power literature has within it in terms of evocative force and spiritual energy, instead of swallowing and regurgitating the anorexic Web diet, it will be more powerful than ever. (p. 254)

What is the reader to make of all this? Here we have an often entertaining and sometimes informative tour around the remarks and slogans of some prominent characters of the alt-right, and it is possible to garner from reading this book some very general ideas of their differences and tendencies. Of political substance, there is not much more to this book than that. No time is given to exploring the ideas of any of these “gurus.”

Accepting these extreme limitations anyone curious about the alt-right can profit from reading this book and enjoy doing so. There is an objectivity and intellectual curiosity here, a welcome change to the usual hatchet job of the “journalists” of the mainstream media. Salazar’s book is, in that sense, a sign of the changing times. This book is forward-looking. Salazar is obviously impressed and even surprised by the overall intelligence of the people whom he interviews.

Another characteristic of the alt-right that Salazar highlights distinguishes it sharply from supremacist movements and various forms of the Old Right: the sense that there is time. Alt-right thinkers express an optimism and patience entirely lacking in old Right-wing movements. The alt-right looks to what it will build for the future and not what it has lost in the past (very much one of Guillaume Faye’s arguments). Salazar notes in the only anonymous interview, someone he names “Matt,” that “the past is not what is important. The alt-right is looking to the future.” (p. 49) It is the globalist Left that is living on life support, that has exhausted its arsenal of ideas, that can offer nothing new and can only snipe and condemn. In a sense, Bousquet was saying the same thing and so was Keith Woods, whose parting words Salazar gives to the chapter heading of their interview: “The alt-right will fill the gap left by the Left.”

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Prometheism w. Dr. Jason Reza Jorjani

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Prometheism w. Dr. Jason Reza Jorjani

 
 
A preview of Continuum #22. Dr Jason Reza Jorjani discusses transhumanism and his new book Prometheism. I will now be posting extended previews of all episodes of my Continuum podcast to multiple platforms.
 
 
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