dimanche, 14 août 2022
Prométhéisme et atlantisme
Prométhéisme et atlantisme
Par Daniele Perra
Source: https://www.eurasia-rivista.com/prometeismo-e-atlantismo/
Le 25 juillet, Prague a accueilli la deuxième conférence du Forum des nations libres de Russie (la première s'est tenue le 8 mai, également cette année, à Varsovie). Parmi les protagonistes de la réunion figuraient l'ancien ministre ukrainien des Affaires étrangères Pavlo Klimkin et le "premier ministre" du gouvernement de la République tchétchène d'Ikheria en exil (à Londres) Akhmed Zakayev (accusé à plusieurs reprises de terrorisme par Moscou).
Comme l'indique le site Web correspondant (www.freenationsrf.org), les principaux "domaines d'intérêt" du Forum comprennent : "la dé-impérialisation et la décolonisation ; la dépoutinisation et la dénazification ; la démilitarisation et la dénucléarisation ; les changements économiques et sociaux". En outre, on peut y lire : "Le Forum des nations libres de Russie est une plate-forme permettant de rassembler les dirigeants municipaux et régionaux, les membres des mouvements d'opposition de la Fédération de Russie, les représentants des mouvements nationaux, les activistes, la communauté des experts, et tous ceux qui sont conscients de la nécessité d'une transformation immédiate de la Russie".
Cette transformation est identifiée à la compartimentation du territoire russe en un ensemble d'innombrables nouveaux États, dont l'indépendance et la souveraineté devraient être immédiatement reconnues par la "communauté internationale". Il est écrit : "Nous appelons les États membres de l'ONU à fournir une assistance maximale aux gouvernements/administrations nationaux/nationales de transition pour atteindre les objectifs de décolonisation et de paix. Ainsi que de reconnaître officiellement l'indépendance et la souveraineté des États suivants des peuples autochtones et des régions coloniales : Tatarstan, Ingrie, Bachkortostan, Carélie, Bouriatie, Kalmoukie, République balte (Prusse orientale), Komi, Circassie, Sibérie, République de l'Oural, Don, Tyva, Kouban, Daghestan, Fédération du Pacifique, République de Moscou, Erzyan Mastor, Sakha, Pomorie, Tchouvachie, Tchernoziom, Mordovie, Povolzhye, Khakassia, Oudmourtie, Ingouchie et autres".
Les peuples autochtones de ces régions sont invités à se joindre en masse à une forme de résistance systématique et pacifique. Cependant, dans le même temps, la formation de milices territoriales est également demandée, et les représentants des forces de l'ordre sont exhortés à faire défection et à les rejoindre.
Cette "planification" (bien qu'elle soit encore plus exagérée) semble suivre de près celle proposée par la soi-disant "Commission d'Helsinki". Cette agence gouvernementale américaine, qui "promeut les droits de l'homme et la sécurité militaire en Europe", a en fait parlé de la "décolonisation de la Russie" comme d'un "impératif moral et stratégique". L'objectif (même pas trop voilé) est précisément d'exploiter les "nationalismes" pour démanteler la Fédération de Russie en dix États ou plus [1].
L'idée de diviser la Russie selon des lignes ethniques n'est pas particulièrement originale. Elle n'est pas non plus un produit de la géopolitique contemporaine. Dès le début du 20ème siècle, le militaire polonais Josef Piłsudski (photo) a été le fer de lance d'un projet idéologique et géopolitique qui a reçu le nom de "prométhéisme". Ce projet était orienté vers la construction d'un bloc d'États (au sein duquel la Pologne devait jouer un rôle majeur) qui, en se plaçant "inter maria", c'est-à-dire entre la mer Baltique et la mer Noire, devait former une sorte de "cordon sanitaire" aux frontières de la Russie. En outre, le "mouvement prométhéen" avait également pour but de réveiller les consciences des peuples non russes de l'Empire tsariste d'abord, puis de l'URSS, afin de les libérer du joug de Moscou [2]. Le nom du projet dérive naturellement de celui de Prométhée, le titan qui, en offrant à l'humanité le don du feu volé aux dieux, était censé symboliser l'idée d'"illumination" et de résistance au pouvoir despotique représenté, selon cette interprétation moderne du thème mythologique, par Zeus. Ainsi, si les peuples subjugués par Moscou étaient les nouveaux Prométhéens, la Russie représentait le dieu olympien despotique. C'est ce qu'a écrit Edmund Charaskiewicz (l'un des principaux collaborateurs de Piłsudski) : "Le créateur et l'âme du concept prométhéen était le maréchal Piłsudski, qui dès 1904, dans un mémorandum envoyé au gouvernement japonais, soulignait la nécessité d'employer dans la lutte contre la Russie les nombreuses nations non russes habitant les bassins de la Baltique, de la mer Noire et de la mer Caspienne, et a souligné le fait que la nation polonaise, en vertu de son histoire, de son amour de la liberté et de sa résistance intransigeante contre les trois Empires (allemand, russe et austro-hongrois) qui l'ont démantelée, devrait sans aucun doute jouer un rôle de premier plan dans l'émancipation des nations opprimées par les Russes" [3]. Et encore : "La force de la Pologne et son importance au sein des parties constitutives de l'Empire russe nous permettent de développer l'objectif de briser l'État russe de l'intérieur à travers ces mêmes parties en émancipant les pays qui y ont été forcés. Nous y voyons non seulement l'accomplissement de la lutte culturelle de notre pays pour son indépendance, mais aussi la garantie de son existence. Lorsque la volonté de conquête russe sera affaiblie, elle cessera d'être un ennemi dangereux" [4].
Avant d'analyser le projet géopolitique lui-même, il sera utile de rappeler qu'en réalité, la signification du mythe grec est tout autre. Comme le rapporte Claudio Mutti dans son livre Testimoni della decadenza (= Témoins de la décadence) en citant l'érudit roumain Mircea Eliade, Prométhée, "loin d'être un bienfaiteur de l'humanité, est le responsable de sa décadence actuelle [...]. Pour Hésiode, le mythe de Prométhée explique l'irruption du "mal" dans le monde ; il représente finalement la vengeance de Zeus" [5]. Par conséquent, l'interprétation "polonaise" du thème mythologique semble être le produit d'une vision "démocratique" et "progressiste" purement moderne qui n'a rien à voir avec sa signification originale.
Aujourd'hui, le projet géopolitique de Piłsudski (qui visait à reconstituer le puissant État polono-lituanien, protagoniste de l'histoire européenne au tournant des XVIe et XVIIIe siècles) a connu de nouvelles fortunes avec l'implosion du bloc socialiste et la fin du Pacte de Varsovie. L'Initiative des Trois Mers (conçue sous l'administration Obama et concrétisée par Donald J. Trump), en fait, vise une fois de plus à créer un " cordon sanitaire " (sous patronage atlantique) à placer entre l'Europe occidentale et la Russie, de manière à séparer les deux semi-géants (l'un financier-économique, l'autre militaire et riche en ressources naturelles) [6]. Lors du septième sommet de l'Initiative, qui s'est tenu à Riga les 20 et 21 juin 2022, le président ukrainien Volodymyr Zelensky (qui s'est exprimé par vidéoconférence) a insisté sur l'adhésion de Kiev au projet, tandis que l'actuel secrétaire d'État américain Antony Blinken a garanti l'aide financière nécessaire.
En parlant de l'Ukraine, il est important de souligner que, ces dernières années, l'idée "prométhéenne" a connu une fortune considérable à l'intérieur de ses frontières grâce au travail intellectuel d'Olena Semenyaka (photo - idéologue et chef du secrétariat international du Corps national, l'aile politique du mouvement azerbaïdjanais).
Né en 2014 à la suite des événements de l'"Euromaïdan", le groupe se référant à Andriy Biletsky (et protégé par l'ancien ministre de l'Intérieur et oligarque Arsen Avakov, qui ont œuvré pour garantir à Azov une sorte de monopole culturel-idéologique au sein de l'extrême droite ukrainienne) a représenté une sorte de véritable changement de paradigme par rapport à la rhétorique traditionnelle de partis comme Svoboda et Pravyi Sektor qui, ancrés dans l'héritage du banderisme pur et dur, étaient porteurs d'une forme démodée de nationalisme centré sur l'État.
La protagoniste du changement de perspective, du national/régional à l'international (continental et mondial), était Olena Semenyaka. Concrètement, l'idéologue (anciennement militante du Pravyi Sektor susmentionné), également grâce à la maison d'édition Plomin (flamme), a pu construire un réseau dense d'interconnexions avec l'étranger qui a conduit Azov à tisser des liens avec divers autres mouvements rattachés à la galaxie de l'extrémisme de droite, tant en Europe qu'en Amérique du Nord (ici surtout avec des groupes liés à la soi-disant "Alt-Right").
La pensée d'Olena Semenyaka mérite donc d'être brièvement développée. Auteur d'une thèse analysant la pensée d'Ernst Jünger et de Martin Heidegger et traductrice des œuvres de Dominique Venner en ukrainien, Semenyaka (anciennement membre du "Club traditionaliste ukrainien") a entretenu des relations cordiales et de collaboration avec le penseur russe Alexandre Douguine jusqu'en 2014. Sa perspective géopolitique a radicalement changé avec les événements de l'"Euromaïdan" susmentionnés. Ceux-ci, de son propre aveu, loin d'avoir été une véritable "révolution" (comme ils sont présentés par la propagande occidentale), ont réveillé l'esprit patriotique et la conscience de la "destinée manifeste" de la nation ukrainienne.
Dans le projet géopolitique dont Semenyaka est le porte-parole, la vision "prométhéenne" de Piłsudski est réajustée en fonction des besoins ukrainiens. L'Ukraine, en effet, est représentée comme l'avant-poste de la "reconquista" (terme utilisé par Semenyaka précisément en espagnol) de l'Europe contre le progressisme libéral. Mais cette "reconquista" passe avant tout par la construction d'un bloc d'États, à nouveau un "intermarium" (autre terme récurrent chez l'idéologue) entre la mer Baltique et la mer Noire, capable d'agir comme un frein au "néo-bolchevisme" poutiniste.
Semenyaka, en particulier, adopte les théories de l'école géopolitique ukrainienne liée à Yurii Lypa et Stanislav Dnistrianskyi pour reconsidérer le "destin manifeste" du pays d'Europe de l'Est sur la base de ses substrats historiques et géographiques. Il se concentre notamment sur la polarisation Nord-Sud, à opposer à la dichotomie Ouest/Est (fondamentale dans la culture russe), afin de faire de la géographie le vecteur clé de l'identité ukrainienne. L'axe Nord-Sud (dans lequel l'esprit nordique-germanique fusionne avec l'esprit méridional-grec), dans son idée, aurait été celui choisi par la Rus' de Kiev et la dynastie des Ruriks, dont les nationalistes ukrainiens se considèrent comme les héritiers ethniques naturels.
Ici, Semenyaka adopte les théories de Dmytro Dontsov (1883-1973) (photo), qui est généralement considéré comme le père de la spiritualité ukrainienne. En effet, considérant les Russes et les Biélorusses comme des imposteurs ethniques (bien qu'appartenant à la même souche slave orientale que les Ukrainiens), il parlait ouvertement de "mutation culturelle mongole" en référence à la Russie.
Dans cette perspective, le bloc d'États "intermarium" occupe une sorte de troisième position et constitue l'épicentre de la "nouvelle Europe" dans laquelle, en écho aux thèses archéo-futuristes de Guillaume Faye (qui parlait toutefois expressément d'"Eurosibérie"), innovation et tradition se fondent. Dans cet espace qui s'étend de la mer Baltique à la mer Noire, les divisions nationales sont dépassées par l'idée d'"ethnofuturisme" : une sorte de mélange total des peuples slaves qui l'habitent, qui retrace en quelque sorte le mythe messianique de la "Sarmatie de l'Europe" que s'était appropriée l'aristocratie polonaise de la Fédération polono-lituanienne d'avant le partage de la Pologne au 18ème.
Or, autant il est compréhensible que le projet de l'idéologue ukrainienne puisse fasciner d'importants secteurs de la droite antilibérale européenne, autant il faut dire que le bloc "intermarium" susmentionné, sur le plan géopolitique, dépourvu de "rivages" (frontières difficilement franchissables) et de ressources naturelles substantielles, n'a aucune valeur réelle, devant nécessairement se placer sous la dépendance de l'Extrême-Orient (les États-Unis) pour assurer sa survie.
Par conséquent, l'idée prométhéenne de la mouvance Azov est facilement réduite à jouer le rôle d'une succursale des intérêts atlantistes. En dernière analyse, Semenyaka elle-même (qui devrait être familière avec la critique jüngerienne et heideggérienne du titanisme et du gigantisme), en embrassant le prométhéisme comme synonyme de la lutte contre le double despotisme néo-bolchévique et libéral-progressiste, semble ignorer (comme tant d'autres exposants du domaine auquel elle se réfère) la nature purement titanesque de la société actuelle. En fait, en paraphrasant Hésiode, elle représente le retour de l'hubris titanesque de l'exil occidental ("une région sombre à l'extrémité de la terre prodigieuse") dans lequel il était confiné par les dieux olympiens.
Notes:
[1] Voir: Decolonisation of Russia to be discussed at upcoming Helsinki Commission briefing, www.csce.gov.
[2] R. Woytak, The promethean movement in interwar Poland, "East European Quarterly", vol. XVIII, no. 3 (septembre 1984), pp. 273-278.
[3] E. Charaskiewicz, Une collection de documents du Lt. Col. Edmund Charaskiewicz (édité par A. Grzywacs - M. Kwiecien - G. Mazur), Księgarnia Akademicka, Krakow 2000, p. 56.
[4] Ibid.
[5] C. Mutti, Testimoni della decadenza, L'Arco e la Corte, Bari 2022, p. 11.
[6] C. Mutti, Il cordone sanitario atlantico, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici” 4/2017.
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vendredi, 22 juillet 2022
PROMETHEICA : la voie de l'action
PROMETHEICA : la voie de l'action
Luca Leonello Rimbotti
Source: https://www.centroitalicum.com/prometheica-la-via-dellazione/
Le prométhéisme est la volonté surhumaine (prométhéenne, précisément) de dépasser l'indécision et la peur immobiliste en se jetant à corps perdu dans la postmodernité radicale, en concevant l'action comme l'élément simultané de la pensée.
Dans le désert inintelligent et dans le silence des cultures éteintes par la brutalité de la consommation, nous tendons l'oreille et entendons le cri du contraste. Quelque chose qui appelle à la mobilisation. Qui avec des mots anciens en forme de nouveaux. Contre l'immobilisme substantiel du présent, qui ne sort pas des hypocrisies autour de la psycho-pandémie ou de la semi-guerre, et qui véhicule des modèles illusoires d'un dynamisme de rat, il faut rassembler des idées, les enflammer volcaniquement et les jeter incandescentes dans les mains des nouveaux artisans de la volonté européenne. S'il y en a encore, quelque part, un, mais un qui ne trahit pas, qui n'a pas de maîtres, qui ne veut que lui-même.
Au-delà des faits, il y a l'espoir de forger des esprits et des caractères capables de porter un regard sur les événements. Il n'est même pas important de comprendre réellement ce qui se passe, car tout se passe dans le circuit du pouvoir financier et cosmopolite. Vouloir trop comprendre l'ennemi, après tout, c'est aussi accepter de lui ressembler, d'être infecté par ses éruptions.
Cependant, si la culture n'existe pas aujourd'hui en Occident/Europe, il existe une contre-culture. C'est à ce tourbillon de la surface de l'eau qu'il faut s'intéresser. En bas, un animal idéologique nourri par les abysses est peut-être sur le point d'émerger.
Si nous prenons le magazine Prometheica, qui se présente comme une "revue d'études sur le surhumanisme, la technologie et l'identité européenne", nous nous rendons immédiatement compte qu'il existe quelque part un désir barbare de contraste. On agite des mots d'indignation, on se moque du cosmos des fausses terreurs dans le laboratoire duquel l'homme-masse est amené à croupir, on constate avec un acte volontariste que la société actuelle, dense de mensonges, n'est qu'un cadavre décomposé dans des eaux usées, psychédéliques.
Un groupe d'intellectuels aguerris a entrepris de fournir des armes d'opposition à ceux qui acceptent de mettre la main à la pâte pour se révolter. Et c'est la main. Concevoir l'action comme l'élément simultané de la pensée. Ainsi, nous pouvons imaginer le dépassement du présent et l'érection d'une machine oppositionnelle en recourant à la totalité des forces mobilisables par l'homme d'opposition. Et précisément dans le sens avec lequel Heidegger a rappelé un jour quel était le sens de la main : "penser, c'est agir dans ce qui vous est le plus propre, si agir signifie prêter la main à l'essence de l'être". À l'époque où l'on apprend d'abord à taper sur le clavier, puis à parler, le symbole exclusif de la main - comme organe maîtrisant la techne primordiale - tombe à l'eau.
Le premier numéro du magazine Prometheica, publié au Solstice d'hiver de 2021, contenait un Manifeste du prométhéisme. Le spectre idéologique de la nouvelle subversion y était présenté. Quelques points essentiels, à la manière des manifestes du vingtième siècle.
Le premier point a déjà clarifié les idées : la technologie, dans toutes ses déclinaisons, y compris l'intelligence artificielle, le génie génétique, la robotique, etc., est non seulement acceptée, mais poussée vers le toujours plus loin. Se jeter à corps perdu dans les applications techniques et technologiques sans les freins inhibiteurs des obscurantismes monothéistes et moralisateurs : voilà la nouvelle frontière de ceux qui lient les origines primordiales doriques de notre civilisation à son destin faustien, la condamnant à gérer dans les proportions les plus denses tout ce qui est connaissance, action, mythe, rituel, symbole.
En fait, ce point et les dix autres du Manifeste illustrent la volonté surhumaine (prométhéenne, précisément) de dépasser l'indécision et la peur immobiliste en plongeant à corps perdu dans la postmodernité radicale. Ces nouveaux argonautes de l'ultraïsme voient notre destin dans l'accélération évolutive du processus de désintégration dans lequel se tord la civilisation actuelle, poussant à la limite les possibilités d'engendrer par tous les moyens l'homme nouveau invoqué sans succès par les révolutions du passé.
C'est l'homme amélioré, et voyons si au moins cela fonctionne.
Serviteur des annonces de Nietzsche, réalisateur des rêves éveillés que portent les traits saillants de notre haute histoire : l'au-delà de la tenue, l'au-delà du lancer, une constance tourbillonnante, et voici l'homme dessiné par les intellectuels spartiates de "Prométhée", qui laisse entrevoir ses contours.
L'élevage de l'homme nouveau naît essentiellement du conflit, cette soupe primordiale bouillonnante dans laquelle se forment des créatures supérieures qui s'extraient du magma et deviennent un gigantesque organisme biopolitique dans lequel bête et dieu se confondent. Des éclairs d'expérimentation futuriste surgit l'individu, qui résume toutes les formes du passé : l'anarque, l'unique, le rebelle, le scientifique, le mystique, le soldat politique : combien d'horizons jamais atteints ? Et combien d'autres doivent surgir à chaque aube, avant que nous ne voyions la civilisation de l'amas libéral s'effondrer ?
Le manifeste de Prometheica veut une Europe des forts, le pays "dans lequel le feu de la technologie a brûlé le plus brillamment". Et donc un impérialisme spatial européen, une "souveraineté technologique totale", un biocommunautarisme qui observe et évalue avec une froideur naturelle même les mondes périlleux de la génétique, peut-être pour redresser les démographies paralysées par la prospérité.
La maîtrise de l'espace tellurique dans lequel la révolution faustienne doit s'accomplir ne laisse aucun champ libre : la souveraineté et l'autodétermination sont revendiquées comme des absolus. Tout ce qui est technique doit être mis à la disposition du nouvel homme : de l'écosystème aux méthodes de coexistence, de la grande politique aux nouvelles ressources. La bataille préconçue oppose l'homme bas du présent, hétéro-dirigé en sourdine par des usuriers sans terre, au grand homme du futur proche, doté d'une volonté organisée et libre.
L'organique de la vie biologique est marié à la puissante machinerie d'un cerveau qui fixe, veut et crée ; il est flanqué de l'inorganique, devenu événement et philosophie : la civilisation n'a-t-elle pas toujours été une heureuse combinaison de la main de l'homme et de la nature, de l'organisme qui croît et de l'instrumentation qui donne du pouvoir ? Et la culture, d'où tout jaillit, n'est-elle pas précisément une culture, d'où tout porte des fruits ? Sans la correction technique de la volonté humaine, la nature, laissée à elle-même, déchaîne la cruauté, l'absurdité, la contradiction ; c'est alors que tout se décompose vigoureusement en amas d'enchevêtrements irrésolus et sans logique, plongeant dans le chaos. La technique faustienne, dont l'homme européen - pour le meilleur et pour le pire - est l'excellence suprême, c'est l'ordre, la discipline irriguée des besoins et l'expérimentation des attentes, ce qui n'offense pas mais flatte le dieu ; c'est la complicité avec la création, c'est le défi à la mort.
Francesco Boco a écrit que "l'être humain s'expose ainsi au risque suprême, expose sa nature déficiente et puissante aux éléments et à l'adversité et accepte le défi capital de devenir lui-même ou de périr". Sur la corde de Nietzsche où sont tendus le plus et le pas encore, l'homme prométhéen ne doit en vérité ni accélérer ni retarder la dissolution. Au contraire, il doit la "transcender". Il s'agit d'un mot : comment faire ? "La modernité doit être transcendée", écrit Adriano Scianca, "c'est-à-dire traversée, même dans ce qu'elle a de plus fictif et aliénant, mais avec une traversée toujours surmontée, laissant les fétiches de l'humanisme occidental dans le rétroviseur".
Un nouveau nihilisme actif ? C'est un fait que ce modèle de modernité nous souille rien qu'en le regardant ; le combattre, c'est aussi se souiller de sa laideur.
En jouant sur les dangers que l'on court en manipulant les extrêmes de la technologie et de la technique, on vit dangereusement, certainement, on est en contact avec le risque radical. C'est ce qui arrive, par exemple, à ceux qui parcourent les méandres de l'imaginaire : le héros robotique cache les possibilités d'un "dieu tonnant", comme l'écrit Carlomanno Adinolfi dans le deuxième volume de Prometheica (Equinoxe de printemps 2022), selon le binôme classique tradition/innovation japonais. Mais une telle "voie herculéenne" cachera toujours, pour l'homme massifié, un ensemble de dangers effrayants. Donc, une aristocratie des suprêmes, insensible au calcul et au risque ? Les indomptables Marinettistes ? Un futurisme ultra-social, ultra-vital ?
Cependant, il existe un danger qui n'est pas seulement ressenti dans l'âme basse de l'individu indifférencié. L'homme massifié n'est pas le seul à avoir du nez pour les insidiosités qui se cachent dans l'illimité. Une fois la société usuraire des sectateurs cosmopolites liquidée, par on ne sait laquelle des catastrophes possibles, l'homme faustien aura en effet devant lui, une fois de plus, une énigme titanesque à démêler. Celle qui a divisé Alexandre, dévoreur d'espace et d'expériences, de ses généraux macédoniens, désireux à la fin d'un nòstos ulisside.
Les Prométhéens d'aujourd'hui et de demain devront réaliser le mariage impossible du fini avec l'infini.
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samedi, 18 juin 2022
Dieux et pouvoir. Le prométhéisme de Guillaume Faye
Dieux et pouvoir. Le prométhéisme de Guillaume Faye
par Giovanni Sessa
Source: https://www.centrostudilaruna.it/dei-e-potenza-il-prometeismo-di-guillaume-faye.html
Une nouveauté importante est en librairie grâce aux éditions Altaforte. Il s'agit d'un volume dû à la plume de Guillaume Faye, Dieux et pouvoir. Textes et entretiens pour la reconquête européenne (1979-2019), publié sous la direction d'Adriano Scianca (pp. 284, euro 17,00). Il s'agit d'un recueil d'écrits du penseur français, pour la plupart inédits dans en italien jusqu'ici.
Le parcours intellectuel de Faye, pour une certaine part proche de celui de la Nouvelle droite, commence par sa fréquentation d'un Cercle Pareto à Paris. A la même époque, Dominique Venner lui fait découvrir le GRECE, qui a vu le jour en 1969. Les thèses de Jean Mabire et, surtout, de Giorgio Locchi, ont exercé sur lui une influence décisive, comme le rappelle opportunément Scianca dans sa préface bien documentée. En 1986, il rompt définitivement avec la Nouvelle Droite, non pas pour des raisons personnelles ou des conflits d'idées, mais simplement parce que ses recherches personnelles prennent une autre voie.
Provocateur intellectuel, mais aussi homme de caractère, Faye, qui est décédé en 2019, était doté de talents oratoires hors du commun avec lesquels il gagnait son public lors de conférences où les auditeurs se bousculaient. La lecture de ce recueil, qui couvre plusieurs décennies de sa production non romanesque, donne un aperçu clair de son monde idéal. On se souvient généralement de deux textes de cet auteur français, Le système à tuer les peuples, qui résume bien sa vision initiale du monde, et L'archéofuturisme, qui constitue au contraire son point d'arrivée théorique. Dans les pages de Dei e Potenza, il est clair, en premier lieu, qu'il avait : "une formation philosophique non triviale, une vision éclectique de la réalité marquée par la méditation des Fragments d'Héraclite. Sa pensée repose sur une ontologie non finaliste, non anthropocentrique et non rationaliste, ouvertement dionysiaque" (p. 8). Une position qui, dans le "paganisme", avait donc un point de référence indispensable, la métaphysique occidentale ayant présenté une conception de la réalité finaliste et ordonnée à l'idée de Dieu. Pour Faye, le trait ontologiquement constitutif de l'homme européen est : "Esprit de conquête, audace [...] construction de formes toujours nouvelles" (p. 9). L'homme, à ses yeux, est un transgresseur, un donneur de sens, qui vit en s'affranchissant de ses propres conquêtes. En cela, nous voyons une nette proximité avec l'individu absolu d'Evola.
Les dieux européens sont sujets à la métamorphose, accrochés à la possibilité dionysiaque de la liberté : "ils peuvent même mourir, dans le crépuscule cosmique d'un ordre qui en annonce un autre" (p. 10) et l'homme peut assumer le trait du "héros rebelle" à l'ordre donné. En ce sens, il est possible d'affirmer que, ab origine, la pensée de Faye avait un trait prométhéen. Cette tendance se manifeste clairement dans son exégèse de Heidegger. Notre auteur français s'attarde sur l'idée de l'homme que Heidegger déduit d'un passage de Sophocle, et lit au deinòtaton, comme le "formidable", "ce qui est le plus inquiétant, le plus audacieux". Un tel trait permettrait à l'homme de l'ère technologique d'affronter le "monstrueux" produit par l'implant, par une réponse capable de s'appuyer sur les forces "mobilisées" par la technique elle-même, jugée inattaquable (on pense aux positions non dénuées d'intérêt de Bernard Stiegler). Un tel pouvoir élimine de la scène de l'histoire les hypothétiques retours au passé. Faye montre également dans sa lecture de la technique une dette envers l'anthropologie de Gehlen. Contrairement à l'animal qui subit l'environnement, l'homme se change lui-même et change le monde "techniquement". Avec Robert Steuckers, le penseur français est convaincu que l'imaginaire authentiquement européen, contrairement à l'imaginaire occidental autrement structuré, est capable de faire la synthèse de l'enracinement et du déracinement. Nous sommes animés par le "cœur aventureux" jüngerien et l'attitude que Spengler appelait faustienne, nous tendons vers la conquête de l'infini. Le risque a toujours régi les relations de l'homme avec l'entité. Le paganisme post-chrétien de Faye se fonde, contrairement à celui de de Benoist, sur le dépassement de " l'idée du divin [...] Pour nous [...] l'idée de Dieu a pris une connotation qui tend à dévaloriser l'action humaine " et " toute divinité est définitivement morte, définitivement archéologique " (p. 53).
Après avoir également oeuvré dans le monde du divertissement, il revient dans l'arène intellectuelle en lançant un nouveau mot à la mode: l'archéofuturisme. Il "donne l'idée que les derniers modernes constatent l'épuisement de leur pensée et se contentent d'annoncer un "après"" (p. 16). Faye était fermement convaincue de l'implosion de la post-modernité: l'occurrence synchronisée de catastrophes allait miner sa stabilité structurelle. Il s'agit d'une thèse plutôt faible. Elle ne tient pas compte de la capacité du système à "gérer" les crises et à y survivre (docet la pandémie) et, de plus, elle implique une régression vers la vision déterministe de l'histoire, fondée sur la recherche des "signes des temps".
Plus intéressante est l'exégèse de l'Occident lu comme un paradigme du déclin : "un mécanisme acéphale, une toile dont toutes les articulations ne sont certes pas d'égale importance, mais dans laquelle il n'y a pas de marionnettiste, pas de Palais d'hiver à prendre d'assaut" (p. 19). Tout aussi significative est l'analyse, partagée plus tard par Guy Debord, sur les "sociétés du spectacle". Le spectacle "concentré" offert par le socialisme réel et le spectacle "diffus" propre au monde capitaliste, expressions du spectacle "intégré" offert par la Modernité.
La lecture de Dei e Potenza peut jouer un rôle important pour contrer l'une des maladies infantiles de la zone antagoniste, le modérantisme conservateur qui réapparaît aujourd'hui, mais elle nous semble insuffisante pour délimiter une voie politique véritablement révolutionnaire-conservatrice. Une telle voie doit impliquer la conciliation de Prométhée et d'Orphée, un duo inséparable. Privilégier l'un au détriment de l'autre donne lieu à une incompréhension fondamentale des potestats qui animent la physis. Se remettre à lire Bruno, Spinoza et Löwith pourrait être bénéfique.
Giovanni Sessa
Giovanni Sessa est né à Milan en 1957 et enseigne la philosophie et l'histoire dans les lycées. Ses écrits sont parus dans des revues et des journaux, ainsi que dans des ouvrages collectifs et des actes de conférences. Il a publié les monographies Oltre la persuasione. Saggio su Carlo Michelstaedter (Rome 2008) et La meraviglia del nulla. Vita e filosofia di Andrea Emo (Milan 2014). Il est secrétaire de la Scuola Romana di Filosofia Politica (École romaine de philosophie politique), collaborateur de la Fondation Evola et porte-parole du mouvement de pensée 'Per una nuova oggettività' (Pour une nouvelle objectivité).
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dimanche, 16 janvier 2022
Feu et destin: manifeste du prométhéisme
Feu et destin: manifeste du prométhéisme
https://www.kulturaeuropa.eu/2022/01/15/fuoco-e-destino-manifesto-del-prometeismo/
1 L'ASSAUT CONTRE LE CIEL - Le feu de la technologie est aujourd'hui usurpé par un système de pouvoir qui se prétend progressiste mais qui est en réalité bigot, superstitieux et stagnant. Par technique, nous entendons non seulement l'ensemble des pratiques et des connaissances liées à la science, mais aussi l'ensemble des actes politiques, esthétiques, religieux et sociaux par lesquels l'homme a historiquement compris et transformé le monde, l'œuvre générale de mobilisation totale de la réalité qui est aujourd'hui incomprise, supprimée et condamnée. Dans cet Olympe décadent, les dieux épuisés de la civilisation humaniste, égalitaire et libérale gardent une flamme dont ils ont perdu la conscience et dont ils ne soutiennent même plus la vue. L'assaut contre ce ciel de plomb pour assurer la libération du feu est ce que nous appelons la révolution prométhéenne.
2 L'EUROPE COMME AVANT-GARDE - La technique a une portée à la fois universelle et particulière. Vivre avec cette étincelle d'innovation et de création accompagne l'homme depuis toujours et partout ; c'est même la spécificité de l'être humain par rapport aux animaux. Cependant, elle a été interprétée de manière très différente selon les cultures : certaines, sans pouvoir empêcher l'utilisation de la technologie, l'ont entourée d'interdictions, de tabous, de condamnations morales et de récits inhibiteurs. D'autres, en revanche, ont fièrement relevé le défi. Le nom du territoire où le feu de la technologie a brûlé le plus fort est l'Europe. Le prométhéisme reconnaît et revendique ce trait culturel, sans toutefois y fonder une quelconque hiérarchie morale universellement valable.
3 ACCÉLÉRER POUR ÉVITER LE POURRISSEMENT - Le prométhéisme est résolument révolutionnaire et rejette toute tentation réactionnaire ou conservatrice, toute critique de l'esprit du temps qui s'inspire de l'esprit du temps qui vient de passer, tout refuge dans des valeurs et des institutions données. Le réactionnaire n'est que l'agent régulateur du subversif, celui qui défend les subversions d'hier. Ce n'est pas en retardant les processus en cours que l'on peut échapper à leurs aspects perturbateurs, mais en les accélérant à une telle vitesse que l'impensable émerge. Pas pour se retirer du processus, donc, mais pour aller plus loin, pour accélérer le processus.
4 POUR LE SURHUMANISME - Pour le prométhéisme, l'homme, en tant qu'abstraction à la fois éthique et biologique, est quelque chose qui doit être dépassé. Ontologiquement lancé en avant comme une balle, l'homme est vraiment fidèle à lui-même lorsqu'il dépasse ses limites. Il ne se trouve pas dans une essence modelée à l'image et à la ressemblance d'un être transcendant ou d'une charte des droits, mais dans un nombre incalculable de transformations, d'imitations, d'hybridations, de relations, de connexions; il se prolonge dans la machine, s'identifie dans l'animal, se déverse dans l'ordinateur, se projette dans les dieux. L'homme est sa propre expérience. Cette tension vers l'ultériorité accompagne l'homme depuis son hominisation, mais aujourd'hui elle devient consciente. Le défi de la posthumanité est devenu incontournable, ce qui peut, bien sûr, conduire à l'inhumain comme au surhumain. C'est le conflit fondamental qui caractérisera tout avenir et dans lequel le prométhéisme prend parti avec un fanatisme lucide : la bataille entre ceux qui veulent un homme rétréci et ceux qui veulent un homme augmenté.
5 POUR UNE POLITIQUE PROMETHEENNE - Le prométhéisme refuse d'être cristallisé dans une formule sociale spécifique dérivée des ratiocinations des politiciens, et inclut différentes sensibilités et origines. Cependant, cette position ne peut être conciliée avec les positions humanistes, kantiennes, réformistes, hédonistes, réactionnaires, conservatrices, technophobes, cléricales, libérales ou politiquement correctes. Par conséquent, le cercle se rétrécit.
6 SOUVERAINETE TECHNOLOGIQUE TOTALE - La question de la souveraineté technologique est si importante que même les programmes politiques des sociétés occidentales en font de plus en plus mention. Toutefois, ces préoccupations sont contrecarrées par les utopies mondialistes, les tabous technophobes et la perte constante de la souveraineté générale à tous les niveaux dans nombre de ces sociétés. Le prométhéisme appelle à une souveraineté technologique totale, pour laquelle un "saut quantique" dans la manière globale de se référer à la politique et à la technologie est certainement nécessaire. La souveraineté technologique totale présuppose - mais se nourrit à son tour - de la souveraineté politique et de la disponibilité des moyens technologiques correspondants, c'est-à-dire de la liberté d'adopter certaines stratégies et de la possibilité concrète de le faire. Un tel "saut quantique" n'est donc concevable qu'à l'échelle de la grande politique, qui est nécessairement celle du grand espace de la civilisation européenne.
7 AUTODÉTERMINATION DE LA BIOCOMMUNAUTÉ - Le développement de la biotechnologie et de l'anthropotechnologie confronte désormais l'homme à des décisions qui affecteront la quantité et la qualité de sa progéniture. Le perfectionnement des techniques de diagnostic et de traitement prénataux, de procréation artificielle, d'édition génétique et de clonage change radicalement la perspective dans laquelle nous envisageons aujourd'hui les questions démographiques, ainsi que ce nœud de problèmes sur lequel il existe des tabous brûlants et qui porte le nom d'eugénisme. Mais que nous décidions d'utiliser pleinement toutes les techniques disponibles ou de tirer un trait sur elles, nous sommes toujours entièrement responsables de la direction que nous décidons de prendre. Le prohibitionnisme bioéthique est également un choix interventionniste, culturel et auto-évolutif. Le prométhéïsme entend relever ce défi de manière créative en vue d'une autodétermination bio-communautaire.
8 UNE ECOLOGIE FUTURISTE - Contrairement aux apparences, le prométhéisme est aujourd'hui la seule vision du monde qui puisse donner naissance à une pratique écologique vouée au succès. L'environnementalisme petit-bourgeois des "petits gestes quotidiens", l'environnementalisme nihiliste et extinctionniste, la procrastination suicidaire qu'est l'idée de décroissance, le green washing hypocrite des multinationales - tout cela fait partie d'une idéologie anti-humaine, anti-politique et anti-européenne qui, de plus, n'a aucun espoir d'influencer les dynamiques écologiques. La seule écologie authentique est celle qui intervient dans la nature avec plus, et non moins, de technologie et qui décide comment façonner l'environnement en fonction de paramètres culturels donnés. Bases d'une écologie prométhéenne : géo-ingénierie, nanotechnologies, intelligence artificielle, nucléaire, génie génétique, recherche de nouvelles ressources, nouvelles techniques de stockage et de recyclage.
9 LES ROBOTS COMME ALLIES - Depuis plus d'un siècle, la figure du robot agite le sommeil de la modernité, qui voit en lui le profil d'un nouveau golem. L'homme moderne éprouve, en présence du robot, la honte qu'il ressent devant la hauteur humiliante de son propre produit, qui a "vu des choses que nous, les humains, ne pouvons même pas imaginer". Mais les lamentations moralisatrices sur l'homme dépossédé de son âme par les robots évacuent un fait fondamental: le fragment d'obsidienne des premiers hominidés et la puce de silicium sont forgées par le même feu prométhéen. C'est en s'aliénant dans l'artificiel que l'homme, depuis la nuit des temps, est devenu lui-même. Dans le robot - même dans la version plus réaliste des superordinateurs et de l'IA - le prométhéisme voit le miroir de l'homme, sa volonté de vaincre, un allié au-delà du bien et du mal.
10 EPIQUE DE L'ESPACE - Dans un monde de plus en plus petit, l'espace devient l'ultime frontière à conquérir. En plus d'être un extraordinaire vecteur de recherche et de développement de technologies utiles ici sur terre, l'exploration spatiale garantit l'accès à des matières premières rares et la consolidation de la souveraineté sur les satellites. Mais elle est avant toute chose, surtout dans sa version radicale de découverte, de colonisation et de terraformation d'autres planètes, une source inépuisable d'émerveillement. Peut-être que le prochain ver sacrum sera en direction d'un destin stellaire. Quant aux éventuelles rencontres avec des civilisations extraterrestres, le prométhéisme n'a pas de préjugés positifs ou négatifs, mais il fait cependant l'éloge de la pluralité du vivant, de l'altérité radicale, des multiples formes d'être et de devenir, celle qui nous pousse plus loin, plus haut, au-delà des universalismes et des anthropocentrismes judéo-chrétiens plus ou moins sécularisés.
11 PHILOSOPHIE DE LA VOLONTÉ - Le prométhéisme n'est pas un messianisme. Il n'annonce pas un nouvel âge d'or dans lequel des machines d'une intelligence semi-divine conduiront les hommes par la main hors de l'histoire, ni l'avènement d'un monde parfait dans lequel les citoyens sans taches ne connaîtront ni la maladie ni la mort. Le prométhéisme est, au contraire, une philosophie inspirée par le sens tragique de la vie et le volontarisme. Ce n'est pas la prédiction fataliste de ce qui sera sûrement, mais l'exhortation vers ce que nous voulons être. La simple reconnaissance d'un destin déjà écrit est déjà un acte anti-prométhéen. Prométhée est la divinité de la décision et de la volonté. À la lumière de son feu brille un monde façonné par notre liberté la plus authentique.
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mercredi, 14 avril 2021
Romain d'Aspremont: "La droite doit se réapproprier le feu de la technique"
"La droite doit se réapproprier le feu de la technique"
Entretien accordé par Romain d'Aspremont à Il Primato Nazionale (Rome)
Romain d'Aspremont est l'auteur de “Penser l'Homme nouveau : pourquoi la droite perd la bataille des idées” et de “The Promethean Right”.
Vos livres nous invitent à cultiver un "progressisme de droite", futuriste et faustien. C'est une approche très rare dans les mouvements de droite d'aujourd'hui. Pourquoi, selon vous, la droite a si souvent cultivé une attitude technophobe?
Rien n'est plus naturel que l'aversion des personnes âgées envers les nouvelles technologies. Mais que cette frilosité transpire au sein de notre famille politique est consternant. J'associe le tempérament de droite au goût de l'aventure et à la volonté de repousser les frontières de l'inconnu, y compris sur le plan scientifique et technologique. Hélas, la droite s'est laissé ravir le concept de progrès par la gauche, pour devenir synonyme de conservatisme. Or quoi de plus révolutionnaire que le feu de la technique ? Il est une déclaration de guerre envers tout ce qui se prétend immuable. Au XXIe siècle, ce feu menace jusqu'à la nature humaine. En bons conservateurs, les droitards forment déjà leurs bataillons afin de sauvegarder Homo Sapiens. Mais le scénario est connu d'avance : ils ne parviendront qu'à ralentir la marche vers l'homme nouveau de gauche, vers le transhumain de gauche.
Les conservateurs assimilent l'avenir (et par conséquent le progrès technique) à un déploiement inéluctable du progressisme de gauche. Ils en viennent à prendre l'objet (l'avenir, la technologie) façonné par le sujet (la gauche) pour le sujet lui-même : “l'avenir/la technique c'est la gauche !”. Le futur étant devenu synonyme d’avancées “progressistes”, l’unique remède ne pourrait être que son contraire, le passé, plutôt qu'un avenir de droite. La droite conservatrice est si profondément convaincue que les nouvelles technologies dissolvent la tradition et l'identité qu'elle concède volontiers à la gauche le monopole du feu prométhéen.
Quelles sont, selon vous, les principales erreurs de la droite dans la bataille des idées?
Si l'histoire de l'Occident n'est qu'un long processus de gauchisation, c'est que la droite offre le monopole de l'homme nouveau et de la société nouvelle à la gauche. L'Occident crève du fait que la droite soit anti-utopiste. Celle-ci se cantonne au rôle de ralentisseur du progressisme de gauche, évitant une trop brutale fuite en avant. C’est une tâche utile mais tout entière au service des gauchistes. Prévenir la réaction suppose de procéder par petits pas : les conservateurs, idiots utiles de la gauche, s’en assurent. Ils sont les agents régulateurs de la révolution libérale permanente.
Les projets d'homme nouveau donnent parfois l'impression d'échouer, que ce soit l'homme nouveau chrétien, l'homme nouveau de la révolution française, l'homme nouveau communiste, ou la chose nouvelle asexuée, végétalienne et antispéciste qui fleurit dans nos métropoles. Mais sur le temps long, l'Occidental s'imbibe toujours davantage des valeurs de gauche.
De Gaulle affirmait que le « courant du mouvement » était tout aussi « nécessaire » que le « courant de l’ordre ». Il illustre le talon d'Achille de la droite, qui peine à comprendre que cet équilibre lui est intrinsèquement défavorable. Un véritable équilibre voudrait qu'à un progressisme de gauche s'oppose un progressisme de droite. Le conservatisme est utile afin de lutter contre l'hubris de gauche, mais en l'absence d'une droite prométhéenne la gauchisation se poursuivra.
Enfin, la droite doit se libérer du logiciel chrétien, matrice du gauchisme. Je comprends la volonté des droitards de défendre notre héritage chrétien, mais les valeurs chrétiennes sont la principale raison pour laquelle la droite est si sensible aux procès sur le terrain de la morale, notamment concernant l'immigration. Une partie du cerveau de l'homme de droite se dit : “Mon Dieu, ils ont raison, je suis un salaud”. Ce qui signifie : “Si je ne veux pas de ces migrants, c'est que je suis un mauvais chrétien”.
La seule droite décomplexée, c'est celle qui a embrassé l'avenir et la création d'un homme nouveau. C'est celle qui a su se libérer du christianisme et s'emparer du contenant de gauche (le principe d'un homme nouveau) pour y verser un contenu de droite. Je ne souhaite pas un retour au fascisme, qui n'est qu'une des variantes possibles de la droite prométhéenne (ou révolutionnaire), mais sans un réveil de cette famille politique l'Occident ne survivra pas. Les victoires électorales des populistes à la Trump sont bienvenues, mais elles ne sont que des sursauts conjoncturels, qui ne livrent pas le combat de fond : celui de l'évolution de la nature humaine.
Vous récupérez la définition de «droite révolutionnaire» au sens utilisé par Zeev Sternhell. Mais le prométheisme, en posant des solutions radicalement nouvelles, n'implique-t-il également un dépassement des anciennes catégories, y compris celles de droite et de gauche?
Les concepts de droite et de gauche ne seront jamais dépassés, car ils recouvrent deux pôles de valeurs éternellement opposés. La droite, c'est la valorisation de la lutte, de l'élitisme, de la hiérarchie et du dépassement. La gauche, c'est le royaume de l'égalitarisme, de la victimisation, du culte de la faiblesse, de l'amour des ennemis et du relativisme. L'opposition à la mondialisation libérale ne saurait réconcilier ces deux pôles idéologiques.
Par ailleurs, il n'est pas impossible d'imaginer un prométhéisme de gauche, comme celui promu par Trotsky. De même, le transhumanisme a pu être présenté comme un dépassement du clivage droite-gauche : Esfandiary, un des premiers transhumanistes, a prophétisé l'avènement d'un clivage haut-bas. Mais la question demeure : en haut vers la gauche ou en haut vers la droite ? Un transhumain de gauche ou un transhumain de droite ? Le clivage droite-gauche prendra des formes nouvelles, mais il ne disparaîtra pas.
Au-delà des questions philosophiques, quel pourrait être le programme politique concret de la droite prométhéenne?
Sur le plan biologique, il faut livrer le combat pour le futur de la nature humaine. L'humanité est à l'aube d'un changement radical de sa nature. Si la droite n'arrive pas à se défaire de son conservatisme, elle se limitera une fois de plus à sa fonction de ralentisseur. Mais cette fois, la gauchisation sera permanente car ancrée dans notre génome. Les gènes de la loyauté envers le groupe, du sens de la hiérarchie, de l'agressivité et du goût de la compétition seront éliminés, au nom de l'anti-racisme et de la théorie du genre.
Sur le plan géopolitique, il faut réunifier l'Occident. Notre idéal ne doit plus être celui de l'Etat nation, mais celui d'une fédération pan-occidentale, de Seattle à Vladivostock. Un nouvel Empire romain peuplé de surhommes de droite : voilà une vision pour le XXIe siècle.
À première vue, vos idées sembleraient similaires à celles de Guillaume Faye. Cependant, vous avez critiqué l'idée de l'archéofuturisme. Qu'est-ce qui ne vous convainc pas de l'idéologie de Faye?
L'Archéofuturisme est présenté comme un remède à l'approche trop conservatrice de la droite – une synthèse harmonieuse entre tradition et de technophilie. L'Archéofuturisme est en réalité davantage archaïque que futuriste, comme si le tempérament de droite de Faye le poussait à équilibrer son éloge du progrès technologique par un retour aux valeurs médiévales. L'archéofuturisme reflète fidèlement la psychologie des conservateurs, peu enclins au risque et au changement.
Faye rêve d'un ordre éternel baptisé “archaïsme” qu'il définit comme étant « ce qui crée et demeure immuable ». Or, rien dans l'univers n'est immuable et certainement pas la nature humaine. L'homme a été chasseur-cueilleur vingt fois plus longtemps qu'il n'a été agriculteur. Notre nature a été façonnée au cours de ces millénaires où les humains vivaient en petits groupes, relativement égalitaires, ou en tout cas dépourvus des « castes guerrières » et de l' « organisation sacerdotale » que Faye regrette tant. L'ordre social de l'Antiquité et du Moyen Âge ne reflète pas une harmonie éternelle, mais résulte de la conjonction de la nature humaine (qui elle-même évolue) et de l'état technologique de l'époque. Faye peut marteler que « la modernité est rétrograde, tandis que l'archaïsme est futuriste », cette affirmation n'en sera pas moins fausse.
Selon lui, la combativité des immigrés musulmans proviendrait de leur mentalité archaïque. Or, leur archaïsme n'est une force que dans le contexte de la faiblesse morale européenne. L'erreur est de séparer leur mentalité archaïque de leur irrationalisme : leur archaïsme est indissociable de leur aversion envers la science. De même, le chevalier médiéval bardé de technologies est une antinomie.
Lorsque Faye affirme que nous devrions nous débarrasser et de notre pacifisme et de notre mentalité moderne, il jette le bébé avec l'eau du bain. Au mieux, une société hautement technologisée, mais disposant d'une mentalité traditionaliste stagnerait ; au pire, elle déclinerait. Aussi, une droite prométhéenne est-elle requise, aux antipodes de cette tentative de rafistolage de la tradition au moyen de la technologie. Faye a toutefois le mérite d’affirmer une ligne technophile au sein d’une famille politique minée par la technophobie.
Le futurisme italien pourrait-il être un modèle pour la droite prométhéenne aujourd'hui?
Tout comme la pensée de Nietzsche, le futurisme est une inspiration salutaire, mais il ne saurait être un modèle politique, à défaut d'être suffisamment structuré. Il est un élan vital qui nous rappelle que le mouvement est viril et la conservation sclérosante. Les futuristes nous mettent en garde contre le risque de bureaucratisation de la droite prométhéenne. Eux qui s'élevèrent contre le fascisme institutionnalisé, pragmatique, planiste et technocratique : le fascisme confronté aux réalités du pouvoir. Chronologiquement, les futuristes incarnent le premier fascisme, mystique et romantique. Ils sont la part d'enfance qui invite l'homme de droite à ne pas se prendre trop au sérieux.
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dimanche, 31 janvier 2021
Archeofuturisme ou droite prométhéenne ? Partie 1
Archeofuturisme ou droite prométhéenne ?
Partie 1
Par Romain D'Aspremont,
auteur de The Promethean Right (La Droite Prométhéenne) et de Penser l'Homme nouveau.
L'archéofuturisme de Faye est souvent présenté comme un remède à l'approche trop conservatrice de la droite en matière de changement social et technologique – une soi-disant synthèse harmonieuse de la tradition et de la technophilie. Cet article soutient que l'Archéofuturisme est en réalité davantage archaïque que futuriste, comme si le tempérament droitard de Faye le poussait à équilibrer son éloge du progrès technologique par un retour aux valeurs médiévales. Il s'agit d'un archaïsme déguisé en futurisme : un pas vers l'avenir et deux pas vers le passé. Faye a toutefois l’immense mérite d’affirmer une ligne technophile au sein d’une famille politique minée par la technophobie.
L'archéofuturisme reflète fidèlement la psychologie des conservateurs peu enclins au risque et au changement. La droite dispose de valeurs saines (la volonté de vaincre, la méritocratie, l'amour de la lutte, la loyauté) mais son conservatisme la prive de toute victoire à long terme. En lieu et place de l'archéofuturisme, cet article plaide pour une droite prométhéenne : une droite qui prône une créativité radicale, même au prix d'une rupture avec le passé, à condition que cette rupture soit synonyme de surcroît de puissance. Gardons à l'esprit que le concept de « haute technologie » est relatif : seule compte la capacité d'innovation perpétuelle et seul un état d'esprit moderne est en mesure d'honorer cette promesse. Au mieux, une société hautement technologisée mais disposant d'une mentalité traditionaliste stagnerait sur tous les plans ; au pire, elle déclinerait. Aussi, une droite moderne et prométhéenne est-elle requise, aux antipodes de cette tentative de rafistolage de la tradition au moyen de la technologie.
Une « convergence de catastrophes » ?
Faye prédit une « convergence de catastrophes » qui entraînerait la fin du monde « progressiste ». Il est représentatif de ces hommes de droite qui haïssent tant ce monde – qui est l'image de leur défaite perpétuelle – qu'ils fantasment sa destruction apocalyptique. Incapables de remporter la bataille des idées, ils espèrent une intervention divine, un déluge qui rayerait la civilisation gauchiste de la surface du globe, leur permettant de faire triompher leur programme réactionnaire. Ce déluge divin est rationalisé comme étant une « convergence de catastrophes, semblable à la prophétie marxiste de l'effondrement nécessaire du capitalisme ». Cette vision apocalyptique est symptomatique de l'impuissance de la droite. C'est une rationalisation post-hoc de la haine envers la modernité (et la post-modernité). Faye écrit :
"Ce n'est probablement qu'après que [cette série de] catastrophes ait détruit la modernité, avec son mythe et son idéologie globalisée, qu'une vision alternative du monde s'affirmera, en vertu de la nécessité. Personne n'aura la prévoyance ou le courage de la mettre en œuvre avant que le chaos ne se déchaîne".
Une telle théorie de l'effondrement n'est qu'un malheureux substitut à un programme réaliste, proactif et orienté vers l'avenir. Nous ne pouvons espérer qu'un chaos nous dispense de combattre nos adversaires idéologiques. Prier pour que les quatre cavaliers de l'Apocalypse anéantissent nos ennemis est un appel à l'inaction. Un effondrement mondial a peu de chances de se produire. Il se peut, en effet, que survienne une apocalypse au sens grec du terme (une « révélation »). Cependant, elle prendra plus certainement la forme d'une révolution scientifique nous offrant un nouvel aperçu de la nature de notre réalité (l'espace-temps comme illusion, par exemple). Notre civilisation technologique est bien trop résistante, et la soi-disant renaissance religieuse bien trop archaïque et déconnectée de la science, pour que l'humanité entre dans un nouvel âge sombre.
L'Europe occidentale est certes progressivement colonisée, africanisée et islamisée, mais l'Occident est bien plus vaste que ce « petit cap de l'Eurasie », selon la formule du général de Gaulle. Les Européens de l'Ouest pourraient migrer vers l'Amérique du Nord et du Sud, l'Australie et l'Europe de l'Est. L'Occident survivrait à ce Grand Remplacement localisé, et une Reconquista pourrait éventuellement survenir.
Quant à l'effondrement démographique prophétisé par Faye, c'est une préoccupation importante. Cependant, croire qu'une population vieillissante menace le fondement même de nos économies capitalistes est excessif. Le Japon démontre qu'il existe une solution technologique à ce problème. Faire face au vieillissement démographique est un défi bien moindre que celui de nourrir l'ensemble de la société avec seulement 3 % de nos travailleurs. La droite doit se débarrasser de sa mentalité malthusienne. La démographie des pays asiatiques est bien pire que celle des nations occidentales. Certes, ils ne sont pas colonisés comme le sont la France ou l'Allemagne, mais l'Europe occidentale n'est qu'une portion de l'Occident.
Faye associe notre faible taux de natalité à de l' « anti-natalisme » et de l' « ethno-masochisme ». C'est exact, mais seulement dans une certaine mesure. Comment expliquer que les taux de natalité les plus faibles soient le fait de pays asiatiques ? Autrement dit, de sociétés collectivistes qui ne partagent pas nos valeurs individualistes ? La principale raison de nos faibles taux de natalité est que, jusqu'à la révolution industrielle, les sociétés humaines ont été confrontées au spectre de l'extinction démographique, du fait de la famine, de la maladie et de la guerre. Les progrès technologiques nous en ont largement prémuni. Au XXe siècle, pour la première fois dans l'histoire, l'impératif biblique « Soyez féconds, multipliez et remplissez la Terre » a été remplacé par une volonté de décroissance démographique.
Tous nos maux ne sont pas imputables aux idées modernes. Bien entendu, si nos faibles taux de fécondité devaient se maintenir, nos sociétés en viendraient mécaniquement à disparaître. Pourtant, il est fort probable que, bien avant que ce point d'extinction ne soit atteint, les taux de fécondité en viennent à croître à nouveau : le spectre de la disparition qui était le propre des sociétés traditionnelles reviendra nous hanter. Les sociétés sont des organismes autorégulés. Le vieillissement démographique est le dommage collatéral de notre formidable capacité de survie collective. Une Europe de 550 millions d'habitants et un Japon de 126 millions ne sont pas au bord de l'extinction. Pas encore, du moins.
Faye prévoit également un effondrement économique. Il commet ici la même erreur que les marxistes, qui ne saisissent pas que le capitalisme est construit sur des cycles de croissance, de crise et de dépression (les cycles de Kondratiev et la destruction créatrice de Schumpeter). Faye a prédit un « désastre économique en Europe d'ici 2010, en raison du déficit croissant des budgets sociaux, causé par le vieillissement démographique ». Or la crise de la dette de 2010 peut difficilement être considérée comme un désastre économique équivalant à un effondrement. Si l'on observe l'évolution du PIB par habitant de la France et des pays européens, on constate à quel point cette soi-disant catastrophe est exagérée.
Faye ne semble pas croire au principe du gagnant-gagnant en matière économique. La prospérité des uns ferait la misère des autres :
« Ces catastrophes attendues sont la conséquence directe de la foi incorrigible de la modernité dans les miracles : il suffit de considérer le mythe selon lequel il serait possible de parvenir à un niveau de vie élevé à l'échelle mondiale…»
Ce point de vue est pour le moins inexact. Le niveau de pauvreté mondial (en terme absolu, c'est-à-dire moins de 1,25 dollars par jour) n'augmente pas proportionnellement à l'enrichissement d'une fraction de la population mondiale. Il s'est au contraire effondré : 90 % de la population mondiale vivait sous le seuil de pauvreté absolue en 1820, 70 % en 1950 et 9,2 % en 2017... La croissance mondiale du niveau de vie moyen n'est pas un mythe mais une réalité statistique. Le capitalisme est un système basé sur la concurrence, qui tend à récompenser les personnes les plus talentueuses : il est pour le moins étrange qu'un tel système soit condamné par des personnes se revendiquant de droite. Naturellement, du fait même du rythme de création de richesses, l'impact environnemental du capitalisme peut se révéler dramatique, quoiqu'il soit moins destructeur que ne le fut le communisme et ses grands projets visant à se rendre maître de la nature. C'est pourquoi le capitalisme doit être réglementé afin de combattre les externalités négatives.
Selon Faye, la croissance économique atteindra des « limites physiques » au-delà desquelles elle ne pourra plus se maintenir. Un tel malthusianisme s'est systématiquement révélé faux. Les limites physiques sont toujours repoussées par les percées technologiques. La conquête du monde quantique par les nanotechnologies repousse encore plus loin cette limite. Pourtant, Faye estime que l'effondrement économique serait accéléré par « la vulnérabilité accrue des systèmes techno-économiques, causée par la technologie informatique ». Cette soi-disant vulnérabilité est souvent utilisée pour prédire l'effondrement économique et civilisationnel. Des défaillances temporaires sont en effet possibles mais, grâce à de multiples dispositifs de sécurité et de redondances, le réseau cybernétique mondial est bien plus résistant qu'il n'y paraît. L'image d'un ordinateur qui « plante » ne correspond pas au World Wide Web, précisément parce qu'il s'agit d'un système non centralisé.
L'Archéofuturisme
Faye croit en un ordre immuable issu de la nature humaine et dont les « valeurs archaïques » sont la meilleure traduction. Il écrit :
« […] L'humanité reviendra à ses valeurs archaïques, qui sont purement biologiques et humaines (c'est-à-dire anthropologiques) : la séparation des rôles entre les sexes ; la transmission des traditions ethniques et folkloriques, de la spiritualité et de l'organisation sacerdotale ; des hiérarchies sociales visibles et structurantes ; le culte des ancêtres ; les rites et les épreuves d'initiation ; le rétablissement de communautés organiques [...] ; la désindividualisation du mariage (les unions doivent être l'affaire de toute la communauté et pas seulement du couple marié) ; la fin de la confusion entre érotisme et conjugalité ; le prestige de la caste des guerriers ; l'inégalité entre les statuts sociaux – non pas une inégalité implicite, injuste et frustrante, que l'on retrouve aujourd'hui dans les utopies égalitaires, mais une inégalité explicite et idéologiquement légitimée... »
Faye rêve d'un ordre éternel baptisé « archaïsme » qu'il définit comme étant « ce qui crée et demeure immuable ». Pourtant, rien dans l'univers n'est immuable et certainement pas la nature humaine. Même les lois de la nature pourraient, théoriquement, être soumises à une très lente évolution ; notre univers lui-même est peut-être que le résultat d'un multivers en évolution, chaque univers ayant ses propres lois physiques. L'ordre social de l'Antiquité et du Moyen Âge ne reflètent pas une harmonie éternelle, mais résultent de la nature humaine (qui n'est pas fixe mais évolue sur une très longue période) et de l'état technologique de l'époque. Faye peut marteler que « la modernité est rétrograde, tandis que l'archaïsme est futuriste », cette affirmation n'en sera pas moins fausse. Comment quelque chose d'éternel et d'intemporel (l'archaïsme, selon la définition de Faye) peut-il également être « futuriste » ? En outre, le retour aux traditions médiévales ou antiques est un choix arbitraire. Pourquoi ne pas revenir aux valeurs des chasseurs-cueilleurs, sensiblement plus égalitaires, sans stricte hiérarchie ? L'homme a été chasseur-cueilleur durant plus de 200 000 ans, et agriculteur sédentaire depuis 10 000 ans seulement. Notre nature a été façonnée au cours de ces dizaines de milliers d'années où les humains vivaient en petits groupes dépourvus des « castes guerrières » et de l'« organisation sacerdotale » que Faye regrette tant.
Faye pense que, paradoxalement, les technologies futures conduiront « à un retour à des modèles sociaux archaïques et hiérarchisés [car] ceux qui gagneront seront les peuples ayant les 'blocs d'élite' les plus forts et les mieux sélectionnés, ainsi que les masses les plus organiquement intégrées ». La concurrence technologique favoriserait donc les sociétés traditionalistes et holistes, comme celles d'Asie de l'Est. Ces sociétés sont en effet capables de produire en masse des produits à haut contenu technologique, même si le modèle chinois n'a pas encore fait ses preuves en matière de réelle innovation. L'Occident doit toutefois se garder de considérer que la Chine est incapable d'inventer : une percée dans le domaine des ordinateurs quantiques, de l'IA, de l'ingéniérie génétique, de la fusion à froid et de la 6G sont de l'ordre du possible. La menace technologique chinoise doit être considérée avec sérieux. La puissance n'est pas qu'une question de technologie ; elle est avant tout une question de caractère. Selon Faye, si les immigrés musulmans sont si combatifs et dominateurs, c'est grâce à leur mentalité archaïque. Par conséquent, nous devrions « revenir à un état d'esprit archaïque ». Il est tentant de reproduire l'agressivité de nos ennemis, mais il est insensé de croire que leur mentalité d'un autre temps puisse nous renforcer. Leur archaïsme n'est une force que dans le contexte de la faiblesse morale européenne. Ces immigrés du Tiers-Monde seraient bien incapables de nous égaler technologiquement. L'erreur de Faye est de séparer leur mentalité guerrière et archaïque de leur irrationnalisme : leur archaïsme va de pair avec leur anti-scientisme. Le chevalier médiéval bardé de technologies est une antinomie.
Lorsque Faye affirme que nous devrions nous débarrasser et de notre pacifisme et de notre mentalité moderne, il jette le bébé avec l'eau du bain. La détermination, la ténacité et la volonté de puissance ne sont pas synonymes de tradition, mais de vitalité. Le chemin à suivre n'est pas un détour vers la tradition mais un raccourci vers l'avenir. Les valeurs viriles (honneur, force, ténacité) doivent être réintroduites, mais certaines valeurs traditionnelles se doivent d'être délaissées, à l'image de ces droitards qui rêvent de rétablir l'autorité masculine sur les femmes. Ce sont parfois ces mêmes hommes qui, faute d'attirer le sexe opposé, pensent qu'ils auraient davantage d'opportunités au sein d'une société patriarcale – ils somment la société de les aider à trouver une compagne. Les femmes doivent rester libres car la liberté engendre le progrès intellectuel, économique et technologique.
Faye présente son retour à l'archaïsme comme étant fidèle au concept nietzschéen de l'Éternel retour. Il s'agit là encore d'une erreur : l'Eternel retour est un modèle cosmologique et non pas une vision de l'Histoire. Pour Nietzsche, si l'éternité existe, toute configuration matérielle (et donc tout événement) doit nécessairement se reproduire à l'identique. L'Eternel retour n'est pas celui décrit par Faye (« le retour d'une situation 'comparable', mais dans un lieu différent »). La vision de Nietzsche est censée conduire les faibles au suicide, tout en enhardissant les forts et en accélérant l'avènement du surhomme. De même, Faye se trompe lorsqu'il écrit que « l'archéofuturisme est basé sur l'idée nietzschéenne d'Umwertung – le renversement radical des valeurs modernes – et sur une vision sphérique de l'histoire ». La « réévaluation de toutes les valeurs » de Nietzsche n'est pas un retour aux valeurs traditionnelles (même si certaines valeurs considérées comme traditionnelles, ou plutôt intemporelles, sont vouées à être préservées). Nietzsche ne définit pas précisément les valeurs du surhomme – les forger est précisément la tâche de ce dernier – mais il précise qu'elles seront « par-delà bien et mal », aux antipodes des valeurs chrétiennes et éloignées de la tradition. Lorsque Faye encourage « la réémergence de configurations sociales archaïques dans un nouveau contexte [et] l'application de solutions séculaires à des problèmes complètement nouveaux », il tourne le dos à la philosophie de Nietzsche, orientée vers l'avenir. Nietzsche prophétise une nouveauté si radicale qu'il ne parvient qu'à esquisser la condition post-humaine. De même, nous ne pouvons anticiper les caractéristiques de notre future société transhumaine ; nous ouvons seulement créer les conditions de son avènement.
NB : Toutes les citations de Guillaume Faye ont été traduites par nos soins depuis l'anglais. Par conséquent, il pourrait y avoir quelques inexactitudes par rapport à la version française originale de L'Archéofuturisme.
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samedi, 31 octobre 2020
Prometheus as a Specter with Jason Reza Jorjani
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samedi, 24 octobre 2020
Prometheism w. Dr. Jason Reza Jorjani
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