Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

lundi, 14 février 2022

Nord Stream 2 : la guerre économique américaine contre l'Allemagne

nordsteam2.jpg

Stefan Schubert

Nord Stream 2 : la guerre économique américaine contre l'Allemagne

Source: https://kopp-report.de/nord-stream-2-der-amerikanische-wirtschaftskrieg-gegen-deutschland/

Quand on a de tels amis, on n'a plus besoin d'ennemis : outre la Commission européenne, l'administration américaine en particulier se permet audace sur audace. Alors que les Etats-Unis continuent d'acheter des millions de tonnes de pétrole brut directement à la Russie, Joe Biden se présente dans le bureau ovale devant la presse mondiale réunie et annonce qu'une escalade dans la crise ukrainienne signifierait la fin du gazoduc germano-russe Nord Stream 2. Le chancelier allemand se tient à côté comme un écolier bien sage et reste silencieux.

joe-biden-olaf-scholz-germany-ukraine-06-sh-llr-220207_1644286078481_hpMain_16x9_1600.jpg

L'Allemagne a un besoin urgent de livraisons de gaz en provenance de la Russie, riche en matières premières. Juste maintenant, alors que le gouvernement de gauche exécute l'œuvre néfaste de Merkel et impose par étapes de plus en plus drastiques le soi-disant tournant énergétique sans se soucier des conséquences. Le célèbre Wall Street Journal a publié dès 2019 un article sur la politique énergétique allemande au titre évocateur : World's Dumbest Energy Policy ("La politique énergétique la plus stupide du monde").

Oubliez toutes les justifications des sanctions demandées contre la Russie, les droits de l'homme, le droit international et les élucubrations habituellement citées. Lors de l'invasion des Américains en Afghanistan, en Irak et en Syrie, ces mêmes voix sont d'ailleurs restées muettes.

Il s'agit tout simplement pour les Américains d'imposer leurs propres intérêts économiques. Cela n'a rien de répréhensible en soi, c'est pour cela qu'un gouvernement a été élu. Cela ne devient dangereux que lorsque cette politique d'intérêts rigoureuse se heurte à un pays absolument sans défense, dont le gouvernement n'a rien, mais absolument rien à apporter au bien-être et à l'utilité de son propre pays, à part des phrases creuses et des attitudes ineptes. Une Allemagne complètement molle qui ne dispose pas d'une politique étrangère indépendante depuis des décennies.

Au lieu de placer les intérêts du pays et de son propre peuple au premier plan de chaque effort entrepris et de chaque crise subie, le gouvernement fédéral allemand s'est lui-même rabaissé au rang de simple exécutant des ordres de Washington, de l'UE et de l'ONU.

La seule puissance mondiale - l'agenda américain

 L'audace avec laquelle les Américains agissent pour imposer leur agenda de politique étrangère a de quoi faire rougir de colère. La première puissance mondiale américaine s'attaque avec acharnement non seulement à ses concurrents et ennemis géopolitiques, mais aussi à ses "plus proches alliés" comme l'Allemagne. En matière d'espionnage économique, les services secrets américains n'ont rien à envier à leur homologue chinois. Outre les brevets et les secrets d'entreprise de plusieurs milliards de dollars, aucun secret d'entreprise n'est à l'abri des écoutes omnipotentes de la NSA. Cela inclut également des documents hautement confidentiels de l'UE, des décisions de conférence et le téléphone portable professionnel d'Angela Merkel, comme l'a appris la naïve classe politique berlinoise.

Les élites américaines se trouvent dans un état de guerre froide permanent avec le monde entier. Il s'agit avant tout de protéger les intérêts militaires et économiques américains, et en même temps de nuire à tout concurrent. La Russie, riche en matières premières, avait déjà été désignée par le président américain Ronald Reagan comme un "Evil Empire", un empire du mal. Cette position de principe n'a pas changé en 2022. Dans leur naïveté sans limite, les hommes politiques de notre pays considèrent pourtant l'Allemagne comme un partenaire équivalent aux Etats-Unis. Pourtant, la politique américaine considère la puissance économique allemande et son économie d'exportation avant tout comme des rivaux. De plus, ce pays situé au cœur de l'Europe se prête parfaitement au déploiement de troupes et sert de zone de déploiement pour le Proche-Orient et en direction de l'Europe de l'Est. Et pour finir, on essaie de détourner autant de milliards d'euros que possible de l'Allemagne vers les canaux américains. Si ces milliards devaient en outre être retirés à un ennemi principal comme la Russie, il s'agirait pour les Américains d'une situation gagnant-gagnant sur le plan économique et géopolitique. Et c'est précisément cette constellation qui est la seule raison pour laquelle les Américains tentent depuis des années de saboter Nord Stream 2. Il s'agit d'un contrat valable entre deux États souverains, pour la sécurité énergétique de l'Allemagne. Ce projet est pourtant publiquement déclaré comme cible des Américains, et le gouvernement allemand ne s'y oppose pas.

191236.png

La Russie est le troisième fournisseur de pétrole des États-Unis

Pour couronner le tout, la Russie est devenue, sous Trump et Biden, le troisième plus grand fournisseur de pétrole des États-Unis.

En 2020, la Russie a exporté près de 27 millions de tonnes de pétrole brut vers les États-Unis. Cela correspond à 538.000 barils par jour et représente une augmentation de 63 pour cent par rapport à 2014. Nous parlons ici d'un ordre de grandeur d'environ 200 millions de barils, de 159 litres chacun, par an. La tendance est à la hausse.

Les liens de Big Oil avec le gouvernement américain sont très étroits et ne sont pas un secret. Donald Trump n'a jamais caché son travail de lobbying pour l'industrie pétrolière et gazière américaine. Les Américains veulent vendre leur gaz liquide cher et sale à l'Allemagne, mais le gaz russe, moins cher et facilement disponible, est un produit concurrent imbattable. Les livraisons de pétrole russe ont augmenté ces dernières années, car le gouvernement américain a frappé d'autres pays avec sa politique de sanctions. Parmi eux, on trouve l'Iran et le Venezuela, deux pays riches en matières premières. Le pétrole vénézuélien a justement pris une place importante pour les raffineries américaines.

La variété russe Urals est celle dont la consistance se rapproche le plus du pétrole lourd d'Amérique du Sud et le remplace donc. Un passage complet au pétrole américain plus léger de la marque WTI impliquerait pour les raffineries américaines des efforts importants et des coûts immenses. C'est pourquoi non seulement la part du pétrole russe en Amérique restera élevée, mais les livraisons continueront d'augmenter. La Russie pourrait bientôt devenir le deuxième plus grand fournisseur de pétrole des États-Unis, après le Mexique.

Alors que le gouvernement américain sabote et sanctionne Nord Stream 2 et affirme unilatéralement qu'une aggravation de la crise ukrainienne signifierait la fin définitive de l'oléoduc, les livraisons de pétrole russe se poursuivent sans relâche.

Les listes de sanctions américaines en circulation mentionnent en particulier des entreprises et des secteurs économiques européens, mais les livraisons de pétrole russe aux Etats-Unis n'y sont pas du tout mentionnées.

Le prétexte ukrainien

AP22020041850813.jpg

Le prétexte ukrainien

L'administration Biden, dans un autre coup stratégique magistral, nous met à l'épreuve.

Gabriele Adinolfi 

Source: http://www.noreporter.org/index.php/conflitti/28471-2022-02-11-14-22-50 

Kiev et ses environs : vent de guerre ou jeu d'échecs ?

L'objectif principal des Américains est, comme toujours, de contenir l'Europe, devenue un concurrent économique et diplomatique avec des ambitions d'indépendance stratégique à conquérir par le biais d'une rupture avec l'OTAN, qui devra être brutale selon Macron, alors que selon les Allemands, elle devra se faire progressivement.

Les autres objectifs sont la gestion du multilatéralisme asymétrique qui se profile à l'horizon et le jeu extrêmement difficile sur la Chine. La Russie est secondaire dans tout cela, bien qu'elle soit affichée de manière flagrante comme une menace.

L'invasion russe

C'est un canular. Cela est confirmé par des sources très autorisées, à savoir des nationalistes ukrainiens qui ne sont pas du tout pro-russes.  Les responsables de l'armée régulière disent qu'ils n'ont pas remarqué de réelle mobilisation dans le nord, ce serait une imposture, un coup des Américains. A Kiev, on ne croit pas que l'armée russe ait l'intention de franchir la frontière. Alors pourquoi cette forte tension ?

L'administration Biden, contrairement à celle de Trump, veut polariser les relations entre la Russie et l'UE tout en libérant Moscou de l'étreinte étouffante de Pékin. Depuis 2017, le Kremlin mène une politique de détente à l'égard de l'UE ; Washington offrirait désormais essentiellement aux Russes un Yalta mineur. En d'autres termes, il garantirait aux Russes de mener des actions en Afrique, actions qui nuiraient aux intérêts européens et, en échange du "danger écarté" d'une invasion de l'Ukraine, il mettrait sur la balance un Donbass "indépendant", c'est-à-dire russe. En échange, les liens entre Moscou, d'une part, et Berlin et Paris, d'autre part, seraient rompus. Dans le cadre du "diviser pour régner", l'axe énergétique russo-européen se briserait et nous serions subordonnés au gaz américain. Les relations détendues retrouvées avec les États-Unis (rappelons que jamais dans l'histoire les deux peuples n'ont tiré un seul coup de feu l'un contre l'autre) donneraient à la Russie l'échappatoire à la dépendance vis-à-vis de Pékin que Moscou cherche à obtenir de nous depuis au moins quatre ans.

La guerre

Si Moscou ne mordait pas à l'hameçon, y aurait-il une guerre ?

Bien que les Britanniques jettent continuellement de l'huile sur le feu, l'hypothèse est très peu probable.

Jusqu'à présent, Biden a utilisé des menaces économiques. La plus grave d'entre elles est la suspension des paiements SWIFT de la Russie. Les autres, de la non-activation du gazoduc Nord Stream 2 à de nouvelles sanctions, nuiraient aux intérêts russes et européens et favoriseraient une fois de plus, comme à l'époque d'Obama, le capitalisme américain qui exploiterait les obstacles mis sur la route des entreprises européennes.

L'Europe ne peut s'empêcher de se plier aux sanctions, qui sont la contrepartie de ses actions pacifiques. N'oublions pas que les premiers étaient la contrepartie incontournable lorsque la question ukrainienne a été pacifiée avec le traité de Minsk, œuvre de Merkel.

Si Paris et Berlin ne concèdent rien, la stratégie britannique triomphera. Un fossé irréconciliable serait créé entre l'Europe occidentale et les neuf pays du groupe de Bucarest, qui rassemble des nations longtemps soumises aux Soviétiques et inconditionnellement anti-russes.

Une Europe orientale atlantiste se formerait en opposition aux autres membres de l'UE et l'ensemble du processus politique et économique européen serait bloqué.

L'objectif allemand

L'administration Biden s'est installée dès le début dans les arcanes du nouveau gouvernement allemand, dans lequel elle peut partiellement compter sur les Verts. Le gouvernement des feux tricolores (libéral jaune, social-démocrate rouge et écologiste vert) a signé un contrat dans lequel il est écrit noir sur blanc que les liens avec la Russie sont indispensables et qu'il entend collaborer avec elle à l'avenir.

En outre, l'accord pour Nord Stream 2 vient d'être signé, mais il n'a pas encore été activé. En bref, Washington a l'intention de faire pression sur le nouveau gouvernement avant que cet accord ne se stabilise.

L'objectif français

Comme l'explique parfaitement la doctrine Brzezinski, ce sont les Français dont les Américains se méfient le plus. Le fait que Washington veuille la tête de Macron n'est un mystère que pour ceux qui suivent l'actualité dans des ghettos sociaux autoréférentiels et ignorants. Toute l'armée atlantiste/sarkozienne a été déployée en France avec des moyens impressionnants pour tenter d'empêcher la réélection de Macron et créer les conditions pour qu'une guerre civile virtuelle et un terrorisme généralisé frappent et menacent la France dans les cinq prochaines années.

Le nœud Paris-Moscou doit être tranché ou défait, pense le Pentagone.

Les liens franco-russes sont historiques et il faut se souvenir qu'à l'aube de la présidence Macron, à Paris, Poutine a reçu un cérémonial non pas pour un président mais pour un roi.

La doctrine Macron est très favorable à la Russie, qui ne s'en cache pas.

Mais comme aujourd'hui tous les acteurs évoluent dans des situations imbriquées et se retrouvent alliés d'un côté et rivaux de l'autre, la Russie a fini par menacer les intérêts français et européens en Afrique, ce qui est source de frictions. D'autre part, Paris est le seul acteur à s'opposer à la Turquie, qui a été sur une trajectoire de collision presque régulière avec Moscou ces derniers temps. Trouver un équilibre n'est pas facile, ce qui explique aussi les déclarations et les gestes fluctuants des deux côtés.

Ajoutez à cela le fait que Macron a pris la présidence de l'UE en janvier et le jeu s'avère encore plus délicat et significatif, l'offensive américaine plus précise.

Moscou entre les États-Unis et l'UE

La clé du jeu, c'est la Russie. Jusqu'à présent, le Kremlin a maîtrisé son comportement et ses messages, acceptant de traiter séparément avec les États-Unis et l'UE.

Si elle acceptait l'offre de Biden, c'est-à-dire si elle revenait à la politique qu'elle menait sous l'administration Obama, ce serait une victoire importante et substantielle pour les Américains.

Si, par contre, une vision large prévaut, considérant que jusqu'à présent non seulement Paris et Berlin, mais toute l'Europe qui compte s'en tient à l'essentiel, la victoire stratégique serait la nôtre.

Qui vivra verra.

C'est de cela que nous parlons, pas des guerres mondiales.

Ceux qui, dans leur risque imaginaire, encouragent la Russie anti-occidentale ou l'Occident anti-russe sont non seulement déconnectés de la réalité, mais aussi un peu stupides.

Gabriele Adinolfi

Duplicité britannique: Boris Johnson salue les vertus de la diplomatie tout en accentuant les tensions militaires avec la Russie

339be24_5677417-01-06.jpg

Duplicité britannique: Boris Johnson salue les vertus de la diplomatie tout en accentuant les tensions militaires avec la Russie

SOURCE : https://www.controinformazione.info/la-doppiezza-britannica-non-e-molto-piu-intensa-del-fatto-che-il-primo-ministro-boris-johnson-acclama-le-virtu-della-diplomazia-mentre-accumula-tensioni-militari-con-la-russia/

Cette semaine, M. Johnson a écrit un article d'opinion pour le journal Times dans lequel il se dit convaincu que "la diplomatie peut l'emporter" pour éviter que l'escalade des tensions autour de l'Ukraine ne dégénère en une guerre totale entre le bloc militaire USA-OTAN et la Russie.

M. Johnson a toutefois annoncé, quasi simultanément, que la Grande-Bretagne prévoyait de déployer davantage de marines, d'avions de chasse et de navires de guerre en Europe de l'Est. La Grande-Bretagne a déjà pris la tête des pays européens membres de l'OTAN en envoyant des armes et des forces spéciales en Ukraine, dans le cadre d'une défense contre l'"agression russe".

Ce que Johnson propose cette semaine, c'est le déploiement d'un plus grand nombre de forces britanniques en Pologne et dans les États baltes, dans ce qu'il appelle une démonstration du soutien "inébranlable" de la Grande-Bretagne à l'Europe. Il s'agit d'un prétexte cynique pour embellir l'image de la Grande-Bretagne comme une sorte de puissance animée de nobles sentiments.

Le président français Emmanuel Macron s'est rendu à Moscou cette semaine pour des discussions de fond avec le dirigeant russe Vladimir Poutine sur les efforts visant à apaiser les tensions concernant l'Ukraine. La semaine prochaine, le chancelier allemand Olaf Scholz se rendra également à Moscou pour des entretiens avec Poutine.

Ensuite, nous voyons Londres faire apparemment tout son possible pour que la diplomatie échoue en augmentant arbitrairement les tensions militaires avec la Russie.

skynews-liz-truss-moscow-lavrov_5668506.jpg

M. Johnson et sa ministre des affaires étrangères, Liz Truss, se sont employés à mettre en garde la Russie contre un carnage sanglant si elle osait envahir l'Ukraine. Moscou a nié à plusieurs reprises avoir l'intention d'envahir le pays. Cependant, Mme Truss a été photographiée par les médias britanniques portant un gilet pare-balles de l'armée alors qu'elle était montée sur un char d'assaut. Elle doit se rendre à Moscou ces jours-ci pour des entretiens avec son homologue russe Sergei Lavrov. Cette rencontre promet d'être glaciale. On se demande pourquoi le Kremlin s'intéresse à un envoyé britannique aussi incompétent et malhonnête.

Londres, comme d'habitude, se plie aux exigences de Washington. Depuis que les États-Unis ont lancé, il y a près de trois mois, leur campagne de propagande accusant la Russie d'agression contre l'Ukraine, la Grande-Bretagne a explicitement amplifié le message de Washington sur la prétendue agression russe.

La propagande et les opérations médiatiques psychologiques sont un domaine dans lequel l'empire britannique décrépit conserve des compétences incontestables. On peut supposer que la prédominance des médias anglophones donne aux Britanniques un avantage inné.

s960_1Div-2014-091-2350.jpg

Ce dont Londres semble profiter, c'est d'animer la russophobie inhérente à la Pologne et aux États baltes. Les récents déploiements militaires britanniques se sont concentrés dans ces États d'Europe de l'Est, ainsi qu'en Ukraine. Cette démarche a servi à gonfler l'hystérie quant à l'agression russe.

Fait significatif, Johnson était à Kiev la semaine dernière pour rencontrer le président ukrainien Vladimir Zelensky, le même jour que le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Morawiecki a été l'une des voix russophobes les plus véhémentes d'Europe de l'Est, appelant à des sanctions plus drastiques encore contre Moscou.

Johnson renforce ces appels à une position unifiée de l'OTAN et de l'Europe sur des sanctions préventives contre la Russie "si elle envahit l'Ukraine". M. Johnson a déclaré que les sanctions devraient être "prêtes à l'emploi" et devraient inclure l'arrêt du gazoduc Nord Stream 2 entre la Russie et l'Union européenne.

Notamment, l'Allemagne et la France, les deux plus grandes économies de l'UE, sont réticentes à l'idée de parler de la fin de Nord Stream 2 si les tensions s'aggravent. Berlin et Paris sont manifestement plus disposés à trouver une issue diplomatique à l'impasse dans laquelle se trouve le bloc de l'OTAN dirigé par les États-Unis et la Russie.

Voici une ironie amère : la Grande-Bretagne a quitté l'Union européenne après le référendum sur le Brexit en 2016. Boris Johnson était une personnalité publique de premier plan qui a poussé au Brexit avec le mantra de la "reprise en main" de l'Union européenne.

Toutefois, si la Grande-Bretagne est désormais officiellement sortie du bloc européen, elle est toujours en mesure d'exercer une énorme influence sur l'UE dans ses relations avec la Russie. Londres mobilise un axe d'hostilité à l'égard de Moscou en militarisant les États russophobes d'Europe de l'Est, ainsi que l'Ukraine, et en imposant des sanctions visant à détruire le commerce énergétique stratégique avec la Russie.

En effet, la Grande-Bretagne gonfle probablement délibérément son importance internationale en alimentant de dangereuses tensions avec la Russie.

La crise de l'Ukraine a été artificiellement gonflée par Washington, avec l'aide et la complicité de Londres. Dicter l'énergie et les affaires étrangères de l'Europe à la Russie, voire à la Chine, est l'objectif non avoué de Washington et de son fidèle serviteur britannique. Et en accomplissant cet objectif, la Grande-Bretagne a cyniquement exploité la russophobie de l'Europe de l'Est pour obtenir un rôle surdimensionné dans l'ingérence dans les affaires de l'Union européenne, un bloc qu'elle a officiellement quitté après le Brexit.

Les préoccupations de la Russie en matière de sécurité doivent être négociées rationnellement et calmement par des moyens diplomatiques. Les objections de Moscou à l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN sont tout à fait raisonnables.

0_EWIawAyX0AAaEeu.jpg

Mais il y a peu de chances que la diplomatie l'emporte lorsque des gens comme Boris Johnson et d'autres guerriers froids de Londres attisent les tensions guerrières par des livraisons d'armes provocantes à l'Europe de l'Est, dans un contexte de distorsions fantastiques sur l'"agression russe".

Une autre ironie amère est le rôle historique néfaste de la Grande-Bretagne dans l'incitation aux guerres en Europe. Contrairement à la version conventionnelle de la propagande de la Seconde Guerre mondiale, c'est Londres qui a secrètement mobilisé l'Allemagne nazie pour attaquer l'Union soviétique, sacrifiant ainsi son "allié" nominal, la Pologne et d'autres pays. Aujourd'hui, Londres proclame qu'elle défend l'Europe contre "l'agression russe" tout en préparant le terrain pour une guerre contre la Russie.

Source : Culture stratégique

Traduction : Luciano Lago

Pierre Boutang et la vox cordis 

pierre_boutang_par_louis_monier-scaled.jpg

Luc-Olivier d'Algange:

Pierre Boutang et la vox cordis 

Note sur l'art de la traduction

« Ainsi chaque réel poème a pour invisible

réserve, ce que le Moyen-Age nommait

vox cordis, une voix du cœur. »

Pierre BOUTANG

Il est de coutume de juger l'œuvre de Pierre Boutang, pour l'en louer ou l'en blâmer, peu importe, à l'aune de sa fidélité à Charles Maurras. Pierre Boutang ne cessa jamais, à l'inverse de tant d'autres, de mentalité honteuse ou renégate, de témoigner d'une fidélité essentielle à l'égard de l'auteur (enseveli sous l'opprobre, le mépris et l'indifférence) de L'Avenir de l'Intelligence. Etre fidèle à Charles Maurras, ce ne fut certes point, pour Pierre Boutang, s'obstiner, à l'exemple de quelques acariâtres, sur les vues partielles défendues par le Maître de Martigues dans tel ou tel éditorial malencontreux, mais bien accomplir cet acte de remémoration et de gratitude par lequel le disciple établit l'autorité du Maître dans son essence, sans pour autant éprouver la tentation « psittaciste », sans âme, qui accable l'oeuvre sous le poids de la lettre morte. Villiers de l'Isle-Adam dans un conte intitulé Les Plagiaires de la foudre traite la question sous forme de parabole.

Rien n'est moins aimable que le reniement. Déprécier le passé du monde, de son pays, ou ne fût-ce que de sa propre existence est, selon Nietzsche, le signe propre du nihilisme. Celui qui renie son passé ne fonde point le nouveau mais l'abolit. L'idée même d'un « couronnement des formes », d'un accomplissement du destin, d'une réalisation, au sens métaphysique, voire initiatique du terme, suppose que l'âme humaine, l’amoureuse amie de Mnémosyme, eût construit, pierre à pierre, et avec déférence, un édifice du Souvenir. Etre fidèle, ce n'est point idolâtrer le passé, c'est veiller sur la flamme, dispensatrice à la fois de chaleur et de lumière, afin qu'elle ne s'éteigne. Témoigner d'une fidélité essentielle, n’est-ce point comprendre alors la différence entre le Maître qui nous fait disciple et le Maître qui nous fait esclave ? Etre fidèle, n’est-ce point atteindre à cette liberté essentielle, caractère dominant de l'auteur Pierre Boutang : liberté qui est le « privilège immémorial de la franchise », signe de l'attachement de l'auteur à son Pays qui lui permet d'être lui-même, sans pour autant être « maurrassien » à la façon des épigones et des obtus? Ces nuances échapperont aux esprits mécaniques. Pierre Boutang sut rendre possible une telle méditation sur le Logos et la nécessaire convenance du monde au langage qui l'élucide et l'enchante et, par voie de conséquence, témoigner de la tradition, et de l'art du traducteur, qui présument l'autorité du sens.

58-1.jpg

Dès lors que l'on ne cède point à la superstition ou à l'idolâtrie du texte réduit à sa propre immanence, comme il était d'obligation naguère dans les sectes de la critique « matérialiste », il devient légitime de s'interroger sur les fonctions, non plus de l' « écriture » mais de l'auteur. Les fonctions de l'auteur sont de l'ordre de son magistère. Dans la perspective métaphysique ou plus exactement théologique, qui ne cessa jamais d'être celle de Pierre Boutang, même au cœur le plus ardent de son combat politique, l'œuvre est un moyen de connaissance et de justice. Si la fonction dévolue à quelques écrivains est de distraire, à d'autres, moins enviables, de relever la bonne conscience défaillante de leurs lecteurs, à d'autres encore plus simplement de « passer le temps », comme si temps n'accomplissait pas cette fonction de son propre chef, les fonctions de l'œuvre de Pierre Boutang sont infiniment plus complexes et d'une portée si grande que nous parions volontiers qu'elles ne commencent qu'à peine à être évaluées.

Pierre Boutang, « logocrate », monarchiste, philosophe et traducteur, fit donc de chacune de ses « vertus » au sens antique, une « fonction », au sens sacerdotal. Etre monarchiste loin d'être seulement l'expression d'une conviction, ce fut, pour lui, une poétique et une rhétorique, au sens noble, médiéval et théologique, c'est à dire la façon, également grammaticale et étymologique tout autant qu'architecturale et musicale, de comprendre l'ordre humain et l'ordre du monde en concordance avec l'ordre divin. Alors que le « monarchisme » de beaucoup d'autres n'est qu'une façon retorse d'avouer leurs nostalgies d'un monde réduit précisément aux valeurs de la « troisième fonction », au sens dumézilien, « travail, famille, patrie », c'est-à-dire aux « valeurs » bourgeoises dans toute leur horreur, à quoi s'ajoute le goût obscur pour la défaite, la contrition, et une forme vaniteuse d'irresponsabilité, pour Pierre Boutang être fidèle au Roi, ce fut d'abord se souvenir que la France, par provenance, et osons le croire par destination, est un Royaume, et que la « République » ( dont il est permis à présent de préférer l'aristocratisme jacobin, d'allure encore vaguement stendhalienne, à l'actuel totalitarisme démocratique) est elle- même faite avec ce Royaume dont elle décapita les symboles.

Etre monarchiste, pour Pierre Boutang, ce fut comprendre, par delà les considérations « positivistes » (inspirées d'Auguste Comte, d'Anatole France ou de Renan) de Maurras, que l'ordre politique et terrestre n'est digne d'être respecté que s'il reçoit humblement l'empreinte de l'Ordre du Ciel. La fonction d'Auteur monarchique que Pierre Boutang fut, avec Henry Montaigu, un des très rares à hausser à l'exigible dignité chevaleresque, annonce ainsi sa fonction de philosophe, c'est-à-dire d'amoureux de la sagesse. Car si l'Ordre est vénérable, en ce qu'il témoigne du permanent, et s'il est préférable a priori à la subversion, désastreuse par nature, il n'en demeure pas moins que l’auteur des Abeilles de Delphes, dans la fameuse querelle sur le « coup de force » qui eût libéré Socrate de ses geôliers, eût été enclin à passer outre aux recommandations légalistes de Socrate pour le sauver. L'Ordre est sacré, certes, mais encore faut-il qu'il ne contredise point le cri du coeur qui, en certaines circonstances, nous en révèle la nature parodique. Dans la honte et l'horreur où nous plonge le désastre du monde moderne, le grand péril est de céder à n'importe quelle « réaction », de nous contenter d'un « ersatz ». Mieux vaut approfondir en soi l'absence du Royaume, de l'Ordre, du Sacré que d'en faire un simulacre. Les temps modernes sont aux faux-semblants. Des fausses légions romaines de Hitler aux châteaux en carton-pâte des parcs d'attraction d'Outre-Atlantique venus s'installer chez nous, la ligne constante du monde moderne est de substituer le faux spectaculaire à «  la simple dignité des êtres et des choses ».

9782825114261_1_75.jpg

Amoureux de la sagesse, le philosophe est aussi amoureux du langage qui porte en lui, comme un secret et comme une évidence, les normes de la sagesse. Le pouvoir du Logos accroît notre liberté et notre autorité. L'oeuvre de Pierre Boutang se laisse lire comme une méditation sur le Logos incarné. Etre auteur, c'est remplir ces « fonctions » de l'auctoritas non sans un certain détachement, accomplir son destin, faire son oeuvre, être à la hauteur de cette « disposition providentielle » dont la surnature nous privilégie et dont tout combat humain n'est que la remémoration ou le remerciement.

Les talents ne sont pas donnés en vain et comme les hommes plus généreux sont aussi les plus prompts à révéler leurs talents, il est compréhensible que l'écart se creuse entre les hommes et entre leurs oeuvres. Mais cette inégalité est avant tout, pour reprendre le mot de Maurras, une « inégalité protectrice ». La méditation sur la Monarchie, sur le pouvoir du Logos et sur la rhétorique de Dieu que Pierre Boutang poursuit à travers son oeuvre ne sera point sans redonner, au grand scandale des bien-pensants, un sens profond, et dirions-nous profondément chrétien, - au mot hiérarchie. Parmi les rares écrits anglais trouvant grâce aux yeux de Maurras figurait le Colloque entre Monos et Una d'Edgar Poe qui comporte, il est vrai l'une des critiques métaphysiques les mieux formulées de l'idéologie démocratique: « Entre autres idées bizarres, celle de l'égalité universelle avait gagné du terrain, et à la face de l'Analogie et de Dieu, en dépit de la voix haute et salutaire des lois de gradation qui pénètrent si vivement toutes choses sur la Terre et dans le Ciel, des efforts insensés furent faits pour établir une Démocratie universelle. » Nous comprenons, alors que ce qui distingue les hommes en accord avec les profondeurs du temps et les « derniers des hommes » au sens nietzschéen, « ceux qui clignent des yeux », n’est autre que le sens des gradations.

Ce sens des gradations qui est d'abord résistance à la planification sera aussi une clef pour comprendre la pensée platonicienne de la Forme et du Logos dont Pierre Boutang ravive les prestiges et approfondit les possibilités. Il existe une façon matutinale d'être platonicien, de faire de la pensée un chant de gratitude dans le « matin profond », et cette « façon », cette poétique, en référence à l'étymologie du faire poétique, nous délivre de ce « dualisme morose » où certains voulurent enfermer l'oeuvre de Platon et de ces disciples. De même que Pierre Boutang eût été tenté de sortir Socrate de sa geôle, il saura prendre les mesures nécessaires pour sortir Platon de sa prison exégétique où, non sans les commodités propres aux prisons « modernes », Platon se trouve réduit à une triste « perpétuité ». L'oeuvre de Pierre Boutang réfute ainsi un nombre considérable de banalités fallacieuses. A commencer par la plus insistante de toutes qui consiste pour le premier venu à prétendre au « renversement du platonisme ». La belle affaire que de « renverser » : de quoi satisfaire à la fois au goût moderne de la subversion et à l'indéracinable vanité humaine. Pierre Boutang, en renouant avec une subtilité herméneutique perdue, fut sans doute, avec Henry Corbin et George Steiner, celui des philosophes qui nous offrit l'ultime chance de comprendre, avant la liquidation générale de tout, que ce platonisme « renversé » par une prétention qui se voudrait nietzschéenne (alors qu’elle n'est que bonhomesque) est une caricature.

qui-suis-je-boutang.jpg

Poursuivant avec audace et humilité la méditation européenne sur la Forme et le Logos sans faire système ni doxa de ce qui ne s'y prête point, Pierre Boutang exige de son lecteur cette témérité et cette déférence qui, selon la formule d'Hölderlin, fondent « ce qui demeure ». Les philosophes modernes, loin d'avoir renversé le platonisme se sont contentés d'en fermer l'accès, d'en rendre l'approche impraticable par des approximations et des sophismes. Ainsi en est-il de la confusion assez systématiquement entretenue entre l'opposition et la distinction. Platon distingue le monde des Idées et le monde sensible, il ne les oppose point ni ne les sépare. Platon distingue car distinguer est le propre de la connaissance et l'art du poète comme du métaphysicien. De même que le musicien distinguera le timbre, le rythme et la mélodie, sans davantage concevoir qu'on dût les séparer, Platon distingue les idées et les réalités sensibles comme Julius Evola, l'un de ses lointains disciples, distinguera la forme de la matière. Platon lui-même parle des « gradations infinies » qui unissent les mondes que l'exigence de la connaissance distingue. Il y a dans l'insistance des Modernes à « renverser le platonisme » une volonté déterminée de ne pas comprendre la Forme, le Logos et l'Un qui fondent la métaphysique et l'ontologie européennes. Le grand mérite de Pierre Boutang sera de renouer la « catena aurea », qui nous unit à Platon, Parménide, Aristote et à la Théologie médiévale après laquelle une grande part de l'ingéniosité humaine consistera à déraisonner de façon de plus en plus utilitaire.

L'Idea, la Forme, au sens platonicien, ne se réfute qu'au profit d'un nouvel obscurantisme, peut-être le pire de tous, qui délie, scinde, déconstruit ; d'une relativisation générale qui, récusant la notion d'interdépendance universelle n'est plus qu'une méthode pour nier tout sens et toute orientation. Si nous ne pouvons nier la Forme, et que toutes les choses ont une forme qui correspond à un modèle, il demeure possible de contester ce que l'on suppose être l'intention de la métaphysique, qui est d'affirmer la précellence de l'Un et de l'Eternel sur le multiple et le fugace. Or le monde moderne a ceci d'étonnant qu'il choisit ses chantres parmi les hommes qui éprouvent le plus vive aversion pour la communion des esprits. Nier l'éternité, le Logos, l'Un, c'est rendre impossible la communion des esprits, c'est rejeter dans une multiplicité aléatoire un message réduit à sa propre immanence et vouée à ne « signifier » fugacement que dans un temps ou dans un lieu donné. Sous couvert de dénoncer toute hiérarchie, y compris celle qui, par gradations infinies embrasse toute chose dans un même amour (ou dans une même logique) et de refuser toute autorité (y compris celle qui est contre le pouvoir, dont la nature est d'abuser, le seul recours de la liberté), le Moderne invente un monde où la communion cède définitivement à la fascination, où les signes et les symboles réduits à eux-mêmes deviennent idoles et où la solitude, - n'étant plus glorifiée par l'unificence de Dieu - n'est plus que l'esseulement de l'insolite, de l'unité interchangeable, propre à cet individualisme de masse qui parachève les ambitions les plus folles du totalitarisme.

arton772.jpg

Ce n'est pas le caractère le moins diabolique de ce siècle étrange que d'avoir généralisé la « communication » tout en ôtant aux hommes la possibilité de la communion. Exception lumineuse, la rencontre de Pierre Boutang et de George Steiner, fut bien davantage qu'un heureux hasard médiatique. Pour peu que l'on cultive quelque peu, à l'exemple du bon maître d'Engadine, le goût de la généalogie des idées, l'importance de la théorie de la traduction, aussi bien dans l’œuvre de Boutang que de Steiner, ne manquera pas d'apparaître dans sa perspective métaphysique. La riposte à Derrida et à quelques autres, qui persistent à refuser le sens comme une déplorable « survivance platonicienne », vient ainsi étayer dans notre pensée l'Art poétique de Pierre Boutang, comme de juste dédié à Steiner, et qui est d'abord un traité de la traduction.

Que la traduction soit possible, nous dit Steiner, prouve l'existence du sens. Non point d'un « sens » comme épiphénomène, prolongement du « fonctionnement du texte » mais comme origine, voire comme Mystère, dont il reviendra à l'Art poétique de manifester la présence réelle. L'insistance du Moderne à nier la possibilité ou la légitimité de la traduction, toute traduction s'avérant pour lui inadéquate ou délictueuse, n'est rien moins qu'innocente ; à suivre le raisonnement de Steiner et celui de Boutang, si nous pouvons traduire, toute la doxa moderne et matérialiste se trouve récusée. Si le sens existe, s'il se manifeste en « présence réelle », ainsi que l'établit la simple possibilité de la traduction, l'intelligence même du mouvement renoue avec l'herméneutique, et, par voie de conséquence, avec la tradition.

Ce qui peut être traduit, cette possibilité universelle du sens, tel est le fondement de l'herméneutique et de la tradition. Interpréter, traduire, transmettre, telles sont, pour l'homme traditionnel, les fonctions essentielles de l'entendement humain, et l'aventure par excellence, dont la navigation d'Ulysse est la métaphore immense. Ce qui peut être traduit navigue sur le vaisseau du langage dont les cordes, les voiles et le bois sont la grammaire. L'herméneute est celui qui fait sienne cette beauté maritime, qui veille sur les variations météorologiques révélées par les souffles et les couleurs. Celui qui aborde un poème avec un cœur moins aventureux demeurera en deçà de l'honneur que la Providence lui fait d'une telle rencontre. Comme dans toutes les circonstances majeures de l'existence, tout se joue dans la déférence. S'orienter dans les ténèbres des signes réduits à eux-mêmes, jusqu'au matin, tel sera le courage du traducteur.

4a1535cbe28a95f37163fbfceedb4db68f3a6531ddee53ac91197f8e56f4e55f.jpg

Avant de traduire d'une langue à une autre, dans ce monde « d'après Babel » où nous sommes précipités de naissance, le traducteur traduit du silence qui est en amont de l'oeuvre. Toute traduction est ainsi non seulement herméneutique, elle est aussi gnostique, à la condition de comprendre que le mot gnose ne renvoie pas ici aux théogonies des sectes d'Alexandrie qui voyaient en la création l'oeuvre du démon, mais à la connaissance, la gnosis que Platon distingue de l'opinion, de la doxa. Ce que le Moderne nie en niant la possibilité de la traduction, n'est rien d'autre que la tradition avec ses ramifications et ses arborescences. Enfermer chaque langue dans la prison de ses mécanismes, et chaque auteur dans le cachot de sa subjectivité intransmissible, soumettre les idées, les métaphysiques, les symboles et les mythes à des circonstances sociologiques, en un mot, expliquer le supérieur par l'inférieur, au point de ôter à l'esprit toute réalité, telle est l'ambition du Moderne qui ne peut établir son règne totalitaire qu'à ce prix. C'est à ce titre que l'on cherche, depuis plusieurs décennies, à nous faire croire que Platon, Dante, Shakespeare nous sont devenus incompréhensibles afin qu'ils le deviennent et que nous soit ôté ce lien aux gloires et aux autorités d'antan où nous puisons la force de résister aux offenses et aux pouvoirs d'aujourd'hui.

Ne voir que le mécanisme des êtres, des oeuvres et des choses, c'est hâter le moment où tous les êtres, toutes les oeuvres et toutes les choses seront entièrement livrés à un mécanisme. A l'analyse et à l'explication où le Moderne accomplit sa vocation titanique, Pierre Boutang oppose l'interprétation et la compréhension des gradations. A travers ses traductions de l'Ecclésiaste, de Sophocle, de Shelley ou de Rilke, Pierre Boutang fait l'expérience, non de mécanismes mais « d'une poésie secrètement unique dont il est naturel ou surnaturel qu'elle passe toute entière, non sans métamorphose, dans d'autres langues humaines parce qu'elle est la langue des dieux. Et puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu, il faut que ce soit parce qu'elle est poésie et non prose. »

Le rapport essentiel qui rend possible ce périple odysséen ne sera donc pas celui qui s'établit, ou manque à s'établir, entre le poète traduit et le poète traducteur, ou entre la langue d'origine et la langue destinée mais, plus profondément, entre le poème et l'Auteur « L'être du poème à traduire, écrit Pierre Boutang, n'est de personne, il est comme le poème, présent dans sa langue - au point décisif de l'expérience. » Cette affirmation suffit à elle seule à marquer le différend qui oppose Pierre Boutang à la presque totalité des critiques qui furent ses contemporains. Loin de lancer devant soi l'être du poème ou quelque audacieuse et peut-être salvatrice hypothèse ontologique, la critique moderne fit de son mieux pour dénier à la poésie tout être, voire toute existence, à la rendre dépendante, non seulement de l'humain mais d'un humain défini selon des critères strictement déterministes.

metadata-image-19131613.jpeg

Qu'il y eût un être du poème et donc, de la part du poète, comme du traducteur, la possibilité d'une gnose et d'une ontologie poétique, c'est bien là une hypothèse qui, non seulement ne fut pas envisagée mais dont il parut nécessaire, pour d'évidentes raisons d'orthopraxie matérialiste, d'exclure toute approche possible. Telle fut la sereine fulgurance de Pierre Boutang, en concordance avec sa fidélité, de nous faire comprendre que le poète est à la poésie ce que l'homme est à Dieu, le plus simplement du monde « un éclair dans un éclair » selon la formule étonnante d'Angélus Silésius. « Le traducteur auprès de cet être, écrit Pierre Boutang, ne diffère pas foncièrement du poète, lui-même effacé par son ouvrage. » Le tout est d'entendre ce qui est dit. A peine sommes-nous présents à notre esprit que nous devenons l'infini à nous-mêmes. Les vertus réfléchissantes de notre spéculation que la vérité métaphysique embrase, comme un soleil la surface des eaux, s'incarnent dans le chant. Dans les éclats illustres de cette transcendance immanente, nous abandonnons l'illusion dérisoire d'un poème issu de l'humain pour rejoindre l'élan de l'hypothèse audacieuse, odysséenne, d'une poésie reçue des dieux ou de Dieu.

Certes, l'être simple du poème, en tant que pure transcendance, est au-delà de la subjectivité et de l'objectivité, de même qu'il ignore l'opposition coutumière entre l'intérieur et l'extérieur. Toutefois, la façon la moins malencontreuse d'aborder le poème est encore de commencer par lui reconnaître cette grande vertu d'objectivité, où le Moi s'efface, et qui est le propre des natures héroïques et sacerdotales. L'oeuvre de Pierre Boutang et de Henry Montaigu se rejoignent là encore pour reconnaître dans cette vertu une prédestination surnaturelle de la langue française dont Boutang souligne « l'universalité et la vocation à traduire les proses de Babel et à les attirer sur un terrain commun ». Une fois dépassées les contingences, par l'immensité des désastres qui survinrent, l’ « action française » ne saurait plus être qu'une action du Logos français, une action oblative, c'est-à-dire une prière du coeur d'où naissent surnaturellement les prosodies de Scève, de Nerval ou d'Apollinaire. Pierre Boutang en témoigne: «  La langue française ne devrait d'abord établir ses titres et son privilège que dans la traduction du poème et de tout ce qui demeure d'héroïque et de divin dans l'existence des hommes de toute origine ». L'universalité métaphysique non seulement ne dénie pas cette « disposition providentielle », elle en accomplit la vocation profonde.