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lundi, 19 juin 2023

Raisonnement à froid sur le berlusconisme

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Raisonnement à froid sur le berlusconisme

par Federico Dezzani

Source: https://www.sinistrainrete.info/articoli-brevi/25741-federico-dezzani-ragionamento-a-freddo-sul-berlusconismo.html

La mort de Silvio Berlusconi est l'occasion, pour moi, de procéder à une analyse désenchantée de sa personne et de son impact historique. Grâce à sa descente dans l'arène politique italienne, et surtout à son long "séjour sur le terrain", la politique italienne s'est polarisée en camps opposés, entraînant de facto la paralysie du pays dans un contexte international en pleine mutation. Le poids méditerranéen de l'Italie s'est effondré et la France a acquis de larges pans de l'économie nationale. En retour, Berlusconi a servi de "modèle" à Donald Trump.

S'il n'avait pas été là, il aurait fallu l'inventer

Le 12 juin, Silvio Berlusconi, magnat de la télévision et quatre fois Premier ministre, est décédé à l'âge de 86 ans. Bien que son activité politique ait pris fin en 2011, son parti fait toujours partie de la majorité gouvernementale et, dans l'ensemble, on peut dire que Berlusconi a marqué deux décennies de politique italienne.

Pendant cette période cruciale de vingt ans au cours de laquelle, avec la fin de la guerre froide, une mondialisation éphémère dirigée par les États-Unis a été mise en place, laquelle, au cours des trois dernières années, est définitivement entrée en crise, dans un contexte de régionalisation de l'économie mondiale et de vents de guerre de plus en plus forts. Les vingt années cruciales, en substance, au cours desquelles il a été décidé qui mènerait la prochaine guerre et avec quels moyens.

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Commençons par quelques considérations géopolitiques générales. Après la réunification (inévitable) de l'Allemagne et l'introduction de la Chine dans les circuits du commerce mondial (avec l'explosion prévisible de la richesse et de la puissance chinoises), l'Italie était, aux yeux des stratèges anglo-américains, inutile voire dommageable. Zbigniew Brzezinski, dans son "Grand échiquier" de 1997, ne mentionne même pas l'Italie qui, en théorie, domine la Méditerranée par sa position géographique. Dans le contexte international de l'après-guerre froide, l'Italie aurait en effet pu, en exploitant la renaissance de la puissance allemande et la montée en puissance de la Chine, apparaître comme un trait d'union entre les deux pays (voir les cartes de la Nouvelle Route de la Soie), réalisant des projets qui ne sont pas sans rappeler ceux conçus par les géopoliticiens fascistes (union Europe-Asie à travers Suez et l'Italie). Dans le monde de l'après-guerre froide, les stratèges anglo-américains "condamnent" donc l'Italie à un déclin inexorable, couronné par l'insolvabilité des finances publiques: les industries et les fonds européens doivent converger en abondance vers la Pologne, dans une fonction anti-russe et surtout anti-allemande, tandis que la mer Méditerranée doit être "sous-traitée" à la France. C'est donc précisément la France qui est candidate à l'obtention progressive d'une prééminence sur l'Italie: prééminence économique et militaire (Traité du Quirinal, signé en 2021).

En ce sens, la figure de Silvio Berlusconi est inestimable, à tel point que si le "petit Napoléon d'Arcore" n'avait pas existé, il aurait fallu l'inventer. Le berlusconisme a servi de grande "gueule de bois" collective pendant deux décennies. Une intoxication de masse qui permet de mettre en œuvre sans entrave les orientations géopolitiques décrites ci-dessus. Pendant une vingtaine d'années, le pays est polarisé en partisans de deux camps opposés, est de ce fait entraîné dans un état de guerre civile de basse intensité entre "berlusconiens" et "communistes" et en même temps paralysé, rendu sans défense tandis que, année après année, morceau après morceau, l'appareil industriel et ses meilleurs fleurons sont démantelés et/ou vendus et que l'Italie glisse progressivement vers l'insignifiance méditerranéenne. Les années pendant lesquelles Berlusconi a gouverné ne sont pas différentes de celles pendant lesquelles les partis de gauche qui lui disputent la direction du pays ont gouverné : ILVA démantelée, Telecom pillée, ENI démantelée, les Français se mouvant dans le pays sans être dérangés, accaparant les entreprises, de l'agro-industrie à la finance et à l'énergie. Le "cheval de bataille" de Berlusconi est le symbole de son expérience politique: le cavaliere rêve de construire le pont sur le détroit de Messine mais, entre-temps, les investissements publics dans les infrastructures s'effondrent, de même que les ponts autoroutiers, gérés par ce cercle d'oligarques italiens dont Berlusconi lui-même est issu. Des oligarques qui, rappelons-le, doivent leur richesse aux rentes de situation, qu'il s'agisse des réseaux autoroutiers ou des réseaux de télévision.

Cependant, bien que l'appauvrissement du pays soit visible et touche la vie de presque tous les citoyens, la polarisation du pays entre berlusconiens et antiberlusconiens fonctionne admirablement: personne ne pense au long terme, ni même au moyen terme. Toute l'attention est concentrée sur le procès Berlusconi du moment, le lodo Mondadori, le scandale de la villa Certosa, l'Olgettina, les boutades, l'irrévérence à l'égard de Merkel, la promesse de la retraite à 1000 euros pour tous, le scoop médiatico-judiciaire de la Repubblica. Le bilan en matière de politique étrangère n'est pas moins désastreux: Berlusconi se vante en 2009 d'avoir accompli son "chef-d'œuvre" avec le traité Libye-Italie qui, sur le papier, renforce objectivement les positions de notre pays dans une région clé comme l'Afrique du Nord. Mais lorsque la Libye s'est retrouvée dans le collimateur anglo-français en 2011, Berlusconi n'a eu ni la force ni la volonté de défendre son allié Kadhafi: le colonel a d'abord été tué et, un mois plus tard, le Cavaliere lui-même a été évincé du Palazzo Chigi, inquiet de perdre "le truc" (Mediaset) lourdement attaqué en bourse. À ce moment-là, les "amis" Poutine/Medvedev n'ont pas bougé le petit doigt pour sauver Kadhafi, manifestement plus enclins à satisfaire "leur ami" Sarkozy que "leur ami" Berlusconi : ainsi s'est ouverte cette plaie purulente qui, douze ans plus tard, est toujours l'origine d'un ressac géopolitique. La vulnérabilité de l'Italie est précisément garantie par le maintien au pouvoir pendant vingt ans d'un dirigeant dont la presse anglo-saxonne "emblématique" répète à l'envi qu'il est "inapte", inadapté, à gouverner. Ainsi, les mêmes personnes qui le font tomber, dénoncent ensuite la conspiration par laquelle il a été poussé à tomber afin de sauvegarder sa figure (rappelez-vous les reconstructions d'Alan Friedman sur le "coup" contre Berlusconi). Bien sûr, peut-être qu'après 2011, quelque chose a mal tourné entre Berlusconi et ses "mentors", comme en témoigne également la détérioration progressive des relations avec Giuliano Ferrara, qui l'avait accompagné depuis son entrée en fonction en 1994.

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Le fait que Berlusconi ait été fonctionnel au bénéfice de la stratégie anglo-saxonne au sens large est également attesté par le parcours de Mediaset. Berceau du populisme, les chaînes de télévision du Cavaliere ont progressivement corrodé la politique italienne au point de la vider de sa substance. Cela a commencé au début des années 1990 en montant Tangentopoli (bien que la TV de Berlusconi doive son existence à Craxi !) et s'est terminé avec Big Brother en 2000, où a fait ses débuts un jeune candidat (Rocco Casalino) qui deviendra plus tard l'éminence grise du gouvernement jaune-rouge de 2021. Grillismo et Berlusconismo sont, à y regarder de plus près, des branches différentes du même tronc. Cette antipolitique criarde et fanfaronne qui cache la démolition systématique et scientifique du pays.

Terminons sur une note d'actualité. Berlusconi a si bien rempli son rôle que l'on a pensé à l'utiliser comme "modèle" même aux États-Unis d'Amérique. En effet, il est difficile de ne pas voir en Donald Trump une répétition de l'expérience Berlusconi : même polarisation politique, même climat de guerre civile larvée, mêmes invectives contre les communistes, mêmes scandales judiciaires et sexuels, même intemporalité politique. Si Berlusconi avait eu moins de "choses" à défendre et un tempérament moins petit-bourgeois, il aurait sans doute pu jouer la carte de l'insurrection/subversion devant le Tribunal de Milan telle qu'elle a été "imaginée" dans le Caimano de Nanni Moretti. Là où Berlusconi n'a pas osé, Trump va très probablement s'y essayer.

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