mardi, 07 janvier 2025
Le fascisme et la psychanalyse
Le fascisme et la psychanalyse
Par Chiara (Blocco Studentesco)
Source: https://www.bloccostudentesco.org/2024/12/06/bs-fascismo-e-psicanalisi/
« À Benito Mussolini, avec les salutations respectueuses d’un vieil homme qui reconnaît dans le détenteur du pouvoir un héros de la civilisation ».
Ce qui pourrait sembler être la pensée d’un fervent en chemise noire n’est autre, à la grande surprise générale, qu’une dédicace de Sigmund Freud. En avril 1933, à la suite d’une visite d’Edoardo Weiss et de Gioacchino Forzano dans son cabinet viennois, Freud signa ainsi l’ouvrage « Warum Krieg? » (Pourquoi la guerre ?) écrit avec Albert Einstein.
Très souvent, avec beaucoup de difficulté, certains ont tenté de justifier cet acte. Ils ont avancé l’argument de la passion de Freud pour l’archéologie et la réhabilitation par Mussolini des forums impériaux. D’autres ont supposé qu’il voyait en lui un possible rempart contre l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne d’Adolf Hitler, récemment élu.
Peut-être, aussi difficile que cela soit à accepter, s’agissait-il d’une admiration sincère et réelle.
Quoi qu’il en soit, environ un mois plus tard, un article paru dans Il Popolo d’Italia révélait que Mussolini considérait la psychanalyse comme une imposture.
La psychanalyse fit son apparition en Italie dès les années 1910. À cette époque, une conception proche de celle de Cesare Lombroso prévalait encore, selon laquelle les névroses avaient une origine organique, ce qui valut à la psychanalyse d’être qualifiée d’anti-scientifique.
Malgré les nombreuses réticences, la nouvelle discipline trouva un espace à Trieste. Entre les années 1920 et 1930, le psychiatre Edoardo Weiss, formé à Vienne sous la direction de Freud, y exerça dans l’asile de la ville.
Dans une Trieste encore marquée par son passé austro-hongrois, la psychanalyse devint un phénomène culturel. Italo Svevo en fit le thème central de son roman La Conscience de Zeno. Umberto Saba, qui fut lui-même patient de Weiss, s’inspira de cette thérapie pour écrire son recueil Il piccolo Berto.
Au début des années 1930, Edoardo Weiss s’installa à Rome, où il entama une véritable activité de vulgarisation scientifique de la psychanalyse. C’est ainsi que naquit la première revue spécialisée, la Rivista Italiana di Psicoanalisi.
Cette discipline fut perçue comme une vision du monde alternative à la philosophie néo-idéaliste alors dominante.
Par ailleurs, durant cette même période, un groupe d’intellectuels fascistes favorables à cette nouvelle théorie fonda la revue Il Saggiatore. Ils pensaient que l’humanité traversait une profonde crise de valeurs et que l’idéalisme de Giovanni Gentile était incapable d’offrir les outils nécessaires pour y faire face. Selon eux, la psychanalyse permettrait de rétablir un équilibre entre l’eros et le logos, restituant ainsi à l’homme sa dimension instinctive, émotionnelle et affective.
En revanche, pour des intellectuels tels que Giovanni Gentile et Benedetto Croce, il était inconcevable de placer l’inconscient au-dessus du sujet lui-même. Toutefois, ni l’un ni l’autre ne firent obstacle à la diffusion de la psychanalyse et encouragèrent même la traduction en italien des ouvrages de Freud.
Sans grande surprise, l’opposant principal à la psychanalyse ne fut pas le fascisme, mais l’Église. Celle-ci rejeta son déterminisme et contesta l’idée que la religion était une illusion. De plus, elle se montra extrêmement sceptique quant à l’importance accordée par Freud à la sexualité. Cependant, certains catholiques furent plus nuancés : le père Agostino Gemelli lui attribua le mérite d’avoir reconnu le caractère dynamique de la psyché et le rôle des instincts, tout en restant prudent et réservé.
Mussolini lui-même ne fut pas un partisan de la psychanalyse. On ignore ce qu’il pensait exactement à ce sujet, mais l’article mentionné précédemment dans Il Popolo d’Italia ne laisse guère de place au doute. Il est néanmoins important de noter qu’il était un grand admirateur de Gustave Le Bon, le père de la psychologie des foules, et qu’il avait intégré ses théories.
La situation changea en 1934, lorsque la Rivista Italiana di Psicoanalisi fut bannie sous la pression des autorités ecclésiastiques. De plus, avec l’intensification des politiques antisémites, de nombreux psychanalystes, souvent d’origine juive, émigrèrent, mettant fin à cette collaboration intellectuelle. Des articles hostiles à la psychanalyse furent alors encouragés, non par une réelle aversion envers la discipline, mais pour s’aligner sur la politique raciale du régime.
En conclusion, attribuer au fascisme la responsabilité d’avoir combattu la psychanalyse en Italie serait une simplification historique. Bien qu’elle n’ait jamais été pleinement adoptée par le régime, la psychanalyse ne fut pas l’objet d’une véritable campagne de répression. Au contraire, certains intellectuels fascistes y voyaient un outil utile pour affronter la crise de valeurs de l’époque et rétablir un équilibre entre la raison et l’instinct. Ce furent davantage les politiques raciales et l’Église qui limitèrent l’expansion d’une discipline qui, malgré les obstacles, parvint à trouver un écho et des interlocuteurs en Italie, laissant une empreinte significative dans le paysage culturel de l’époque.
20:05 Publié dans Histoire, Psychologie/psychanalyse | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, psychanalyse, fascisme, italie, sigmund freud, edoardo weiss | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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