vendredi, 10 janvier 2025
De la xénophobie, du nationalisme, de la noblesse
De la xénophobie, du nationalisme, de la noblesse
par Claude Bourrinet
L'erreur mortelle (car elle dévalua irrémédiablement les principes de sa vision du monde) de la droite historique (non du libéralisme, de "droite" et de "gauche", qui n'a aucun principe que celui du marché et de la chosification du vivant), fut la xénophobie, dont les déclinaisons modernes (à partir de la fin du moyen âge) furent le nationalisme et, dès le XIXe siècle, le racisme à prétention scientifique.
Disons-le tout de suite : l'aristocrate, pour peu qu'il le soit, n'est ni hostile à l'étranger, ni "nationaliste". Le Cid campeador, à l'origine de l'un de nos plus grandes drames, en pleine guerre contre l'Empire castillan, était le héros de notre ennemi héréditaire, l'Empire des Habsbourg. Cela n'a pas empêché le public parisien de l'admirer, ainsi que cette figure sublime de la femme incarnée par Chimène. Et, pour ceux qui verraient dans El Cid campeador un chef de la Reconquista (ce qu'il fut, effectivement), lisez bien le chef d'oeuvre de Corneille: le récit de la bataille de Séville comporte des louanges à l'égard des chefs musulmans :
Cependant que leurs rois, engagés parmi nous,
Et quelque peu des leurs, tous percés de nos coups,
Disputent vaillamment et vendent bien leur vie.
À se rendre moi-même en vain je les convie :
Le cimeterre au poing ils ne m’écoutent pas ;
Mais voyant à leurs pieds tomber tous leurs soldats,
Et que seuls désormais en vain ils se défendent,
Ils demandent le chef ; je me nomme, ils se rendent.
La noblesse reconnaît dans la noblesse des peuples différents une caste de semblables, dont l'approche est aisée, car elle est soumise à la même éthique, et se fait respecter en adoptant les mêmes signes d'appartenance à une humanité rendue digne par la maîtrise d'un comportement et d'une sociabilité délivrés des haines tribales.
Et comme l'aristocrate est aussi un guerrier, cette reconnaissance réciproque des vertus et de la dignité de gens qui sacrifient leur vie biologique pour se montrer à la hauteur de leur générosité s'est gardée dans le métier militaire, jusqu'à ce que l'idéologie nationaliste en pervertisse la nature. Les guerres de religions avait d'ailleurs empoisonné l'idéal chevaleresque. L'ennemi, le chevalier, ou le guerrier, ou même le militaire d'en face n'était plus perçu comme un adversaire digne de considération, mais comme le diable dont il faut débarrasser le monde. Cette propension à réduire l'ennemi à l'état inférieur à l'animal (car le chasseur ne hait pas son gibier) s'est ménagée une place de choix dans cette gigantomachie infernale que sont les luttes politiques inexpiables, qui sont des guerres civiles en même temps que des guerres de religions sécularisées. Elles ensanglantèrent l'Europe et le monde durant les deux siècles derniers, à partir de la Révolution française, et sans doute même, en allant plus loin dans le passé, depuis la révolution puritaine anglaise du XVIIe siècle.
Car la conception de la nation, dans sa logique égalitariste (égalitarisme et nationalisme sont les deux sources de la modernité, avec sa conséquence, l'individualisme), gomme les distinctions intérieures du royaume, ce que l'on appelait jadis les "conditions". Au lieu de servir son seigneur, son roi, selon son rang, sa vocation héréditaire, soit en combattant, en versant son sang, soit en travaillant, soit en priant, on se voue à la patrie, et, plus tard, à la nation, et le Français fait disparaître le noble, le prêtre, le paysan, le bourgeois. Partant, il n'y a plus de dénominateur commun, d'unique raison d'être, que l'appartenance à une même communauté liée par un Etat de plus en plus froid et technique.
L'Ecole, la Presse, la grande industrie, le service militaire, les grandes boucheries, ont réussi à confondre en une même masse des êtres qui n'étaient pas faits pour se côtoyer. Cette fusion a continué avec l'avènement de l'audio-visuel, qui a élargi le troupeau à un monde dominé par l'éthos américain. Les singularités ont disparu dans cet univers indifférencié que, finalement, seul le pouvoir de l'argent parvient à hiérarchiser, avec son venin de ressentiment, car la hantise de l'égalité sape en permanence cette brutale inégalité infligée par le plus vil instrument de séparation entre les hommes.
De ce fait, la haine tend-elle, soit à se traduire en révolte, en soulèvement, soit, le plus souvent, à dériver vers le rejet et le mépris de ceux qui ne ressemblent pas aux membres du troupeau. La xénophobie, le racisme, outre qu'ils relèvent d'un réflexe plébéien d'une bassesse répugnante, sont une arme efficace dans les mains des puissances de l'argent. L'individu exploité, et qui considère son humiliation comme une injustice, sera soulagé - et, partant, verra sa douleur décroître - s'il distingue, au-dessous de sa misérable condition, un état encore pire que le sien, et d'autant plus exécrable, qu'il est attaché à des signes extérieurs de disqualification, comme l'origine ethnique, la couleur de la peau, la langue etc. Et son émotion grandira lorsqu'il trouvera parmi ceux qui lui ressemblent des complices dans cette détestation, qui se traduira dans une sorte de communion: on aimera le compatriote comme on aime soi-même, on se fondra dans un magma fébrile, qui n'est que l'expansion hyperbolique du moi hystérique. Les manifestations tapageuses des patriotes enfiévrés ne sont guère différentes des hourvaris des supporters glapissant dans les stades de football.
En admettant que le monde soit un combat - mais il est aussi méditation, paix, rêve, enchantement, amour, poésie ! - il n'est pas fatal qu'il devienne une rixe de vilains où tous les coups soient permis. On laissera ces plaisirs aux voyous, aux chemises brunes, noires, ou rouges. Il y a des luttes politiques qui semblent des querelles de chiens. Il n'est pas interdit, tout en montrant sa bravoure (et, soit dit en passant, je ne connais pas de plus haut courage que d'affronter, seul, ou en petit groupe, en happy few, une masse ignare et haineuse soudée par les instincts les plus sales), de garder la tête haute, ne serait-ce que pour voir plus loin ! et de respecter, comme l'expression de la loi la plus sacrée du Cosmos, un comportement qui soit digne d'un homme.
Être homme, ce n'est pas si facile ! Et si la noblesse a disparu de la scène historique, en tant qu'Ordre social et politique, le flambeau brûle encore, que l'on peut encore ramasser.
15:18 Publié dans Philosophie, Réflexions personnelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : noblesse, nationalisme, xénophobie | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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