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jeudi, 13 mars 2025

Ellul: la foi comme résistance à la domination de la technologie

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Ellul: la foi comme résistance à la domination de la technologie

par Mauro Magatti

Source : Avvenire & https://www.ariannaeditrice.it/articoli/ellul-la-fede-come-resistenza-al-dominio-della-tecnologia

Nous publions de larges extraits de l'article "Ellul, le christianisme comme religion de la liberté", écrit par le sociologue de l'Université Catholique Mauro Magatti pour le numéro 1 de 2025 de Vita e Pensiero, revue bimestrielle de l'université. L'article fait partie d'un "Focus" thématique dans lequel le philosophe Roberto Presilla réfléchit sur la question "La société technologique sans Dieu ?", l'artiste Raul Gabriel donne sa clé de lecture sur "L'IA et le destin de l'homme", tandis que le coordinateur de la revue Roberto Righetto met au centre "Teilhard de Chardin et le destin du cosmos" à 70 ans de la mort du théologien. Parmi les autres contributions, qui couvrent des domaines allant de la géopolitique à la spiritualité, une réflexion inédite en Italie du philosophe Karl Löwith sur les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, survenus il y a 80 ans, y est publiée.

À trente ans de sa mort, Jacques Ellul (1912-1994) – philosophe, sociologue et théologien français – demeure un point de référence non seulement pour sa réflexion critique sur la société contemporaine, mais aussi pour son témoignage d'intellectuel chrétien capable de fonder sur la foi l'idée de liberté et de résistance. C'est en effet dans la foi – vue comme un espace d'autonomie intérieure et d'ouverture transcendante que la technique ne peut atteindre – qu'Ellul voit une alternative aux tendances à l'aliénation et à l'oppression typiques des sociétés avancées. Dans une époque de passions tristes, le christianisme, pour Ellul, est un acte de résistance contre l'idéologie de la société technologique.

La technique n'est jamais un fait neutre. Au contraire, il s'agit d'un phénomène qui modifie le contexte social et culturel et, avec lui, les valeurs et les comportements sociaux. Partant de cette prémisse, Ellul centre son raisonnement sur l'idée de "société technologique" pour décrire une civilisation où la technologie devient le principe organisationnel central. La société contemporaine se caractérise en effet par son "déterminisme technique", où l'efficacité et la productivité sont les critères suprêmes de valeur, trop souvent au détriment de la dimension spirituelle.

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Cette affirmation repose sur la distinction fondamentale qu'Ellul opère entre la technique – comprise comme la capacité humaine présente dès l'origine du processus d'hominisation, grâce à laquelle l'homme crée des outils pour renforcer son action – et le système technique qui se constitue seulement au cours de la modernité. En généralisant le modèle de l'usine, le "système technique" décrit cette situation dans laquelle les dispositifs individuels sont reliés à d'autres dispositifs, "devenant ainsi dépendants de l'ensemble des facteurs techniques avant d'être en rapport avec des éléments non techniques". (...)

Dans la contemporanéité, le réseau des sujets (entreprises, banques, bureaucraties, universités, associations), des dispositifs (voitures, téléphones portables, ordinateurs, cartes de crédit, appareils électroménagers) et des appareils infrastructurels (autoroutes, aéroports, bande passante, conduites électriques, codes contractuels, réseau financier) forme, bien au-delà des lieux de la sphère de la production, une configuration dans laquelle la connaissance s'organise selon une pure logique instrumentale, systémique et codifiable, sur la base de procédures standard qui rendent possible la production et l'échange entre un très grand nombre d'individus, culturellement et spatialement délocalisés (jusqu'à atteindre l'ensemble de l'espace planétaire). Un "système" qui réduit le savoir à une forme de connaissance spécialisée, à mi-chemin entre l'apprentissage opérationnel (transmissible par des langages et des procédures codifiées) et des conduites sociales de type imitateur. (...)

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Ellul considère que le message biblique – vu comme un appel à la compassion, à l'amour du prochain et au détachement des valeurs matérielles – dessine une éthique de vie qui s'oppose à la logique du pouvoir, de la violence et de la technique. Dans cette perspective, Ellul se situe dans la lignée d'autres auteurs chrétiens (Bonhoeffer, Tillich, Niebuhr, Illich, Mounier, Berdjaev, Weil, Stringfellow) qui, au cours du 20ème siècle, ont développé une approche critique de la modernité non pas sur un ton nostalgique (vers un passé perdu), mais prospectif (vers un avenir encore à atteindre) à partir des ressources de liberté et d'authenticité offertes par la foi.

Protestant, Ellul attribue une place centrale à la conscience individuelle, à la lecture directe de la Bible et à la relation personnelle avec Dieu. La foi est vue comme un engagement actif et un défi à la société et à ses structures oppressives. Le christianisme est interprété comme une réponse personnelle au sentiment d'aliénation propre à la société moderne et comme un chemin vers l'authenticité. La critique d'Ellul tourne autour de la domination du matérialisme et du vide spirituel de la société contemporaine, pour proposer le christianisme comme une alternative de sens. Ellul a une vision réaliste du péché et des limites humaines et une certaine méfiance envers les idéologies du progrès et les pouvoirs mondains. C'est pourquoi il maintient une certaine distance par rapport aux institutions typiques de la modernité, à commencer par l'État, qui promettent progrès et bien-être, mais qui réduisent souvent la liberté et l'humanité. À l'instar d'Ivan Illich, il propose une vision chrétienne qui valorise la communauté, l'authenticité et la liberté individuelle.

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Proche d'Emmanuel Mounier et du personnalisme, Ellul place l'homme au centre de sa pensée. Il est convaincu que le christianisme a un rôle important à jouer pour défendre la personne contre les forces impersonnelles. Le christianisme d'Ellul se distingue par sa nature radicale et contre-culturelle, centrée sur la liberté et l'authenticité de la foi. Au cœur de sa vision se trouve la réponse personnelle à Dieu. Être chrétien signifie répondre à l'appel de Dieu de manière unique et irremplaçable, en s'engageant dans une vie d'amour et de service. Cela exige du courage et de l'authenticité, car cela implique d'aller à contre-courant des valeurs dominantes. Ellul croit à l'importance de la responsabilité individuelle, voyant la liberté comme un bien rare et précieux. Chaque personne a le devoir de prendre position, même à travers de petits actes de résistance.

Son éthique n'est pas fondée sur le succès ou l'efficacité, mais sur la fidélité à sa propre conscience et à sa propre foi. Le christianisme n'est pas une religion conformiste ou institutionnelle, mais une force de résistance contre les puissances mondaines, notamment contre la domination de la technologie et de la société technique (...). La liberté est un pilier du christianisme d'Ellul. Non seulement parce qu'il voit la foi comme un cheminement individuel et conscient, où chacun est appelé à prendre position et à exercer sa propre conscience, mais aussi parce que cette liberté – qui rend toujours vigilant face aux normes imposées par la société ou par les institutions religieuses – (...) touche les cordes fondamentales de la sensibilité moderne. Pour Ellul, le christianisme retrouvera sa capacité à parler au cœur de l'homme et à la société toute entière lorsqu'il sera capable de se concevoir, dans l'esprit de l'Évangile, comme une "religion de la liberté".

15:35 Publié dans Philosophie | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : philosophie, théologie, jacques ellul | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Commentaires

Encore une louche de soupe obscurantiste.

Écrit par : Gaston | jeudi, 13 mars 2025

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