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dimanche, 11 février 2024

Convulsions rurales

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Convulsions rurales

par Georges FELTIN-TRACOL

À cinq mois des élections européennes, les campagnes du Vieux Continent s’emballent dans une exaspération variée. Espagnols, Britanniques, Belges, Allemands et Français suivent avec deux à cinq ans de retard la révolte de leurs homologues néerlandais. Ces derniers protestèrent contre les normes administratives, les injonctions officielles et les oukases écologiques punitifs. La Commission européenne a, d’une part, incité à prendre ces mesures et, d’autre part, insisté à ratifier les traités déments de libre-échange au moins disant agricole avéré.

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Depuis bientôt trois semaines, les syndicats majoritaires de l’agriculture hexagonale, productiviste et mécanisée, la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) et les Jeunes Agriculteurs, rencontrent la concurrence non plus de la Confédération paysanne altermondialiste, mais de la Coordination rurale. Dissidence de la FNSEA en 1991 en réaction contre la réforme libre-échangiste de la PAC (Politique agricole commune), la Coordination rurale fusionne avec la FFA (Fédération française de l’Agriculture) dont l’une des figures marquantes fut l’infatigable défenseur de l’enracinement et grand activiste agricole à l’instar d’Henri Dorgères, Alexis Arette. Qu’on se souvienne du magnifique blocus paysan de Paris en 1992 ! Quant au MODEF (Mouvement de défense des exploitants familiaux), proche du PCF, il se met à la remorque des événements…

La présente crise agricole résulte de plus de six décennies d’« industrialisation », de « tertiarisation » et de « bureaucratisation » du secteur primaire. Les agriculteurs sont de nos jours les formidables aventuriers d’une ère moderne finissante. Certains commentateurs voient dans ces manifestations et autres blocages autoroutiers la synthèse des Bonnets rouges bretons de 2013 et des Gilets jaunes de 2018 – 2019, d’où le bonnet jaune porté avec fierté par les mécontents. D’autres y transfèrent leur nostalgie ruraliste et agrarienne alors que le monde agricole est à 100 % urbanisé dans les mentalités. La césure entre les aires rurales et les espaces urbains n’existe plus d’un point de vue psychologique.

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Photo: Jacques Ellul et Bernard Charbonneau

Ce constat, Bernard Charbonneau l’a fait dès 1973 dans son essai Tristes Campagnes (Éditions L’Échappé, coll. « Poche », 2023, 232 p., 12 €). Ami personnel du philosophe anti-technicien Jacques Ellul (1912 – 1994), Bernard Charbonneau (1910 – 1996) reste à l’écart des milieux politiques écologistes. C’est un paradoxe ! Son œuvre riche en essais édifiants constitue une belle somme intellectuelle non-conformiste. Méfiant envers le progrès technique, il clame son amour des patries charnelles. Il regardait d’un œil critique et sceptique l’entrée des écologistes dans l’électoralisme.

Amoureux des paysans du Béarn, des Landes et du Pays Basque, Bernard Charbonneau remarque qu’« autrefois maître de sa terre, le paysan béarnais n’en est plus que l’exploitant provisoire ». Il souligne que « la grande nouveauté de l’après-guerre c’est l’intégration de la campagne dans l’ensemble industriel et urbain, avec pour effet sa transformation en banlieue ». Il note en outre que « nous vivons dans une société qui n’a guère qu’une idée : produire ». Cette course au rendement explique l’endettement des exploitants agricoles, l’extension nécessaire des parcelles au grè des remembrements incessants et l’acquisition, de plus en plus en GAEC (Groupement agricole d’exploitation en commun), de machines automatisées coûteuses. L’introduction de la compétition dans le travail des champs explique le passage du paysan libre au salarié, plus ou moins direct, de l’industrie agro-alimentaire.

Dès 1973, Bernard Charbonneau écrit, visionnaire, qu’« au nom de la rentabilité on détruit l’exploitation familiale de polyculture établie ici depuis des siècles sur sa terre, pour la remplacer par la grande entreprise travaillant pour le marché européen ou mondial. Ou bien on persuade les derniers jeunes de mener un jeu pour lequel ils ne sont pas faits : Dieu – l’Économie – reconnaîtra les siens. Abandonnés dans un désert parsemé de ruines, ils vieilliront dans une angoisse de la faillite, sans pouvoir prendre femme, en attendant le jour où, liquidés par leur tracteur et les hasards de la monoculture, ils devront partir, laissant le nouveau Béarn aux mains de gros propriétaires ou de sociétés étrangères. »

la_fin_des_paysans-631328-264-432.jpgLa « fin des paysans », pour reprendre le titre d’une célèbre enquête du sociologue Henri Mendras en 1967, n’implique toutefois pas la disparition des terroirs. Au contraire, les terres arables conservent toute leur valeur. Elles deviennent plutôt la propriété de multinationales chinoises, indiennes ou moyennes-orientales, car l’agriculture demeure un enjeu crucial pour le maintien de toute communauté politique surtout à un moment où la mondialisation atteint enfin ses limites. L’autosuffisance alimentaire comme d’ailleurs l’autosuffisance énergétique auraient dû être érigées depuis bien longtemps en priorités absolues. Or cela aurait impliqué l’affirmation de l’homme de la terre aux dépens de l’individu de bitume. En fin détracteur du modèle stato-national, Bernard Charbonneau observe que la « modernisation agricole » « a été décrétée d’en haut, en vertu d’un esprit hostile aux particularités, à l’invention et à l’originalité locale, ennemi de tout pays ou patrie ». Ainsi déplore-t-il qu’« un pays, une patrie – je ne dis pas un État-nation - c’est-à-dire un paysage et un style de vie, disparaît ».

Réaliste pessimiste, Bernard Charbonneau estime aussi que « la campagne ne fait pas les révolutions; si elle subit le changement, elle ne favorise guère l’aptitude à le concevoir ». Il faut se défaire de l’envie de voir dans l’actuelle agitation agricole une répétition de la révolte paysanne du Schleswig-Holstein en 1928 - 1932 décrite dans La Ville (1932) d’Ernst von Salomon. Les conditions ne sont guère propices à un tel soulèvement. Il manque aux côtés des agriculteurs des penseurs organiques, des poètes et des artistes authentiques non subventionnés. En effet, dans un récit d’anticipation qui clôt Tristes Campagnes, Bernard Charbonneau rappelle à propos du rôle social de l’art – qu’il ne confond surtout pas avec l’art contemporain ! - qu’« une action révolutionnaire aurait la vertu de lui rendre, comme à la parole, sa dignité. L’art, ou plutôt la pensée vécue jusqu’au sang du cri, serait à nouveau force sociale, créateur de rites et de cérémonies ».

Par leurs actions coups de poing sur les autoroutes et au marché d’intérêt national de Rungis, les adhérents intrépides de la Coordination rurale et des fédérations départementales des exploitants agricoles démontrent cependant leur grand sens de la médiatisation. Hélas ! Ces convulsions rurales actuelles n’empêcheront pas la mort lente des campagnes et leur mutation en zones d’accueil permanent d’une immigration de peuplement en hausse constante. Le cosmopolitisme déteste toute pérennité. La société liquide inonde désormais les campagnes. On assiste en direct à la noyade du monde rural. Qui s’en soucie vraiment ? 

GF-T

 

  • « Vigie d’un monde en ébullition », n° 101, mise en ligne le 7 février 2024 sur Radio Méridien Zéro.

lundi, 26 juin 2023

Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul

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Qu'est-ce que la propagande? Réflexions sur un livre ancien de Jacques Ellul

par Pierluigi Fagan

Source : https://www.ariannaeditrice.it/articoli/propaganda

Ce livre de Jacques Ellul sur la propagande a été écrit en 1962, donc sans des phénomènes tels que l'Internet et les réseaux sociaux, la mondialisation, la télévision privée, les chaînes de télévision en ligne, la diffusion par satellite et par câble, la mobilité cellulaire, la segmentation statistique psychographique et le Big Data. Cependant, le livre d'Ellul reste un ouvrage de référence pour l'étude du phénomène 'propagande", tel qu'il est encore enseigné dans de nombreuses facultés (avec Bernays, Lasswell, Dobb jetant toujours un coup d'œil en privé sur Goebbels, un coup d'oeil grossier mais efficace). La première considération à faire est de savoir combien de penseurs, en Europe mais souvent aussi aux Etats-Unis, avaient dans les années 60 des idées très claires sur les contours fondamentaux de la société qui est encore la nôtre, une société devenue pire sous certains traits. Plutôt que de porter un jugement d'actualité, nous devrions nous demander pourquoi nous redécouvrons aujourd'hui mille et une fois une eau chaude qui avait déjà été chauffée pour de bon il y a soixante ans. Il est clair qu'un des problèmes majeurs qui se pose aux idées et aux systèmes mentaux critiques et donc non dominants est leur dispersion dans le temps, ils ne s'accumulent pas, ils ne font pas masse.

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L'auteur, Ellul, est un Français inclassable. Historien du droit, théologien protestant, critique de la société technique telle qu'abordée par Gunther Anders, de tendance anarcho-libertaire, marxologue non marxiste, il a anticipé les thèmes de la décroissance. Jacques Ellul est ici dans le rôle du sociologue, peut-être sa spécialité la plus complète et la plus pointue.

Compte tenu du sujet et de l'actualité récente, il convient de commencer par dire qu'"il y a propagandiste et propagandiste". Le premier est souvent un fonctionnaire du système qui doit fondre psychologiquement les individus en une masse pour qu'ils se conforment au système. Cela s'applique aussi bien aux dictatures qu'aux démocraties ou pseudo-démocraties. Selon Ellul, la propagande (qui coïncide avec la diffusion d'une image précise de l'homme et du monde qui lui donne raison et sens) est une nécessité pour les sociétés modernes et techniques, quel que soit le régime politique. Le propagandiste connaît la psychologie sociale, l'individu, la psychologie profonde, la sociologie, la mythologie, les formes religieuses, de sorte que, du haut de son pouvoir cognitif, il méprise le propagandisé, même s'il l'a bien étudié, ou peut-être à cause de cela.

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Elle implique le rationnel et l'irrationnel, le public et le privé, le conscient et l'inconscient, ainsi que tous les médias possibles et imaginables, ceux-ci étant toujours la propriété de l'État ou des capitalistes, comme en Occident. Mieux vaut un seul média, ou au moins quelques-uns et accordés entre eux.

Dans les sociétés "libérales", la liberté ,e peut se mouvoir que dans deux camps qui se détestent et sont incapables de dialoguer, d'où la mortification de la pâle prétention au pluralisme démocratique au profit d'un bipolarisme de fait. De toute façon, deux pôles font le milieu du jeu, et c'est donc finalement la structure de pouvoir qui gouverne de toute façon. Cela cristallise les images du monde à partir d'un puissant travail de simplification dont le propagandiste est l'artisan.

Que d'angoisses dues à l'impréparation et à la peur engendrées par la cascade de nouvelles incompréhensibles, inquiétantes et anxiogènes ! Puisque les pouvoirs ont toujours besoin d'une légitimité donnée par le peuple et qu'on voit mal comment des gens qui travaillent huit heures par jour, plus le temps passé dans les transports et le temps destiné aux soins personnels, peuvent savoir vaguement quoi que ce soit sur l'économie, la finance, la technologie, la géopolitique, la culture, la politique, la société, l'avenir, l'environnement, etc, Ce sont des mots à la mode, des mantras, des refrains pré-packagés, des slogans, des témoignages, des experts, des fragments de rationalité lubrifiés avec d'importantes doses d'émotivité pour des cerveaux faibles, distraits, sans mémoire, dépendants, déstabilisés et rendus incertains par une ignorance évidente, avides de Vérité et de bonnes choses à penser.

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Aujourd'hui, avec des problèmes de plus en plus complexes et globaux, la propagande devient de plus en plus exaspérante, pointilliste, des étincelles d'attention déconnectées du tout, des kaléidoscopes impressionnistes.  L'efficacité de la propagande est conditionnée par son immensité enveloppante, sa continuité, sa cohérence invisible, sa répétitivité et, de façon perverse, son utilité pour donner de la raison et du sens à ce qui n'en a pas. Plus il y a de "sens" moins il y aura de dissidence. 

La connaissance et l'exploitation scientifique des mécanismes de contagion et de synchronisation des masses, du fait que, comme le disait Durkheim, "le groupe pense et agit d'une manière complètement différente de celle dont ses membres individuels penseraient et agiraient s'ils étaient isolés", de l'isolement mutuel actuel entre des personnes qui ne transmettent pas réciproquement des informations et des connaissances (elles ne débattent pas) mais proposent des données et des interprétations provenant d'une source unique, le public qui se fait une opinion ou plutôt acquiert l'opinion qu'on lui donne puisqu'il n'a pas le temps ou les outils pour se faire sa propre opinion, créent la situation idéale.  La propagande, comme la publicité, n'invente presque rien, elle pêche parmi les préjugés, les stéréotypes, les catégorisations, les modèles, les traditions, les conformismes, les mythes profonds (il y a une faim primitive de mythe, surtout du côté masculin), qui existent déjà (la Nation, le travail, le Héros, le bonheur, la liberté).

Un mythe éternel est celui du Grand Homme que l'on adore tout en le manipulant et en l'entubant; un autre de ces grands hommes (Berlusconi) vient de mourir, un "grand homme" qui a recodé nos codes socioculturels, éthiques, moraux et politiques sous les applaudissements convaincus de ses adorateurs propagandistes. Je me suis mis en tête de faire la liste des orphelins éplorés à son enterrement, de Boldi à Razzi, un instantané sociologique du niveau de l'imaginaire national de ces trois dernières décennies, puis j'ai laissé tomber, c'est de toute façon inutile par les temps qui courent. Si l'imbécile était capable de se rendre compte qu'il en est un, il n'en serait pas un.

La taxonomie d'Ellul est élaborée. Il y a la propagande politique et sociologique, verticale et horizontale, l'agitation et l'intégration (modèle de lutte des partis, puis de gouvernement qui change radicalement d'arguments et de ton), le rationnel et l'irrationnel. En Occident, elle tend à s'adapter à une société de masse individualiste et abrutissante après la destruction ou l'affaiblissement de toute structure intermédiaire. Les allusions au prototype américain de son époque donnent l'idée d'un véritable "rayonnement social", ce sont les formes, les modes, les symboles mêmes de notre société environnante qui communiquent avant qu'on leur ordonne de parler.

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Un autre sociologue plus récent, George Ritzer (2005), a publié dix livres en anglais jusqu'à il y a deux ans, avec un livre sur la "forme McDonal"d de nombreuses structures sociales: efficacité, calculabilité, prévisibilité, uniformité dans un univers de McUniversité, McMedia, McChildren et, en fin de compte, une McConscience de soi. Tout cela rayonne avec cohérence directement de la société, le discours propagandiste ne devenant qu'un simple accompagnement. La nécessité de simplifier le discours correspond à la nécessité de simplifier la société. Ses effets ne sont pas superficiels et transitoires, ils façonnent l'esprit avant le contenu par les formes, par exemple en dichotomisant tout (bien-mal, juste-mal), en jugeant avant même d'analyser, en ordonnant la pensée dans les chemins déjà tracés (dont on sait déjà où ils aboutissent de toute façon), en étant obsédé névrotiquement par le présent pour que les causes s'échappent, en ne se demandant jamais "pourquoi"... en essayant bien sûr de dépasser les réponses de pacotille des historiettes qui nous sont assénées.

Dernièrement, pousser compulsivement des boutons sur un parallélépipède plat à tenir devant ses yeux. L'efficacité de la propagande a pour condition préalable l'immensité enveloppante, la continuité, la cohérence invisible, la répétitivité.

L'autre soir, je suis tombé sur une soirée Rampini sur la 7, avec pour thème les Etats-Unis d'Amérique (et dont le decorum reproduisait les couleurs et les formes du drapeau) suivie d'une autre sur la Chine. Selon Rampini, qui revendiquait fièrement sa nouvelle citoyenneté américaine, les Etats-Unis sont forts, inatteignables et gagnants dans tous les grands domaines de la puissance (armes, dollar, PIB, technologie, démographie) et le resteront, heureusement pour nous, encore longtemps. Le seul problème, c'est que ces derniers temps, ils semblent manquer de confiance en eux (zut !).

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J'ajouterai encore quelques remarques sur cette Nathalie Tocci, "experte" convoquée pour nous expliquer les choses. La dame semble diriger un think tank italien de politique internationale. Mais l'on découvre sur son site qu'il reçoit près de 50% de ses fonds d'"organismes et fondations étrangers" (pas de honte). La dame avait tendance, lorsqu'elle parlait des Etats-Unis, à hausser les pointes intérieures de ses sourcils puis à les abaisser, comme si elle parlait sous les traits d'un pauvre petit chaperon rouge en proie aux mille embûches de la forêt mondiale. Lorsqu'elle parlait de la Russie et de la Chine, elle faisait l'inverse, abaissant les pointes intérieures et relevant les pointes extérieures, comme si elle parlait du grand méchant loup qui s'apprêtait à dévorer la pauvre grand-mère. Après tout, il était tard dans la soirée et les histoires à dormir debout ont leur public. Je me suis senti nostalgique de Luttwak. 

Nous en sommes à la régression infantile des opinions publiques, qui va de pair avec un autre concept de la sociologie contemporaine, la "gamification", c'est-à-dire l'introduction de mécanismes de jeu dans des environnements non ludiques tels que l'internet, les systèmes sociaux, d'apprentissage ou d'entreprise, en sollicitant une participation active et "spontanée". Le récent déclin qualitatif des propagandistes correspond à celui des propagandistes et, plus généralement, à l'esprit du temps.

Je termine sur une note positive, que faire, quels antidotes, comment surmonter cette condition de servitude psycho-intellectuelle volontaire, propédeutique à la servitude volontaire de participation à la termitière sociale au rythme des tambours joués pour nous par les propagandistes du système ? Le temps. Passer du travail sur les choses au travail sur soi, gagner du temps à consacrer à l'auto-formation de sa mentalité. Une mentalité, formée a maintenir une distance critique par rapport à la propagande, brise la magie, l'enchantement, devient immunisée, regarde de haut le fatras propagandiste, rompant ainsi la servitude volontaire. Mais au milieu de plus de tradition, plus de travail, plus d'ordre, plus de justice, plus de liberté, plus d'innovation, plus de sécurité, plus d'opportunités, la propagande politique semble unanime à éviter de promettre le seul plus dont vous avez besoin pour décider pour vous-mêmes, juger par vous-mêmes, agir avec le plein sens de vous-mêmes: le plus de temps.

Moins de travail, plus de temps, moins de propagande. C'est l'utopie ultime et irréalisable.

jeudi, 09 juillet 2020

Le travail, c'est la liberté ! Exégèse des nouveaux lieux-communs - Jacques Ellul

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Le travail, c'est la liberté !
Exégèse des nouveaux lieux-communs
Jacques Ellul

9782710306467.jpg« Le travail c’est la liberté. C’est bien la formule idéale de ce lieu commun. Ce qu’il faut qu’il y tienne quand même à la liberté, le bonhomme, pour formuler de si évidentes contre-vérités, pour avaler de si parfaites absurdités, et qu’il y ait de profonds philosophes pour l’expliquer « phénoménologiquement », et qu’il ait d’immenses politiciens pour l’appliquer juridiquement ! Mais bien sûr, c’est exactement dans la mesure même où le bonhomme est encaserné dans les blocs, lié à la machine, enserré dans les règlements administratifs, submergé de papiers officiels, tenu sous l’œil vigilant des polices, percé à jour par la perspicacité des psychologues, trituré par les implacables tentacules des Mass Media, figé dans le faisceau lumineux des microscopes sociaux et politiques, dépossédé de lui-même par toute la vie qu’on lui apprête pour son plus grand bonheur, confort, hygiène, santé, longévité, c’est dans la mesure même où le travail est son plus implacable destin, qu’il faut bien (qu’il faut bien sans quoi ce serait intolérable et porterait immédiatement au suicide) qu’il faut bien croire à ce lieu commun, se l’approprier avec rage, l’enfouir au plus profond de son cœur, et credo quia absurdum, le transformer en une raison de vivre. Ce que les gardiens vigilants espéraient précisément. » (158)

« L’expérience concrète de l’homme dans le monde technicisé est celle de la nécessité, d’une contrainte qui n’est pas seulement celle du travail ; mais de chaque relation et de chaque instant. Mais il faut sauver les apparences. Il faut convaincre cet homme qu’il est plus libre que jamais, et que la nécessité où il se trouve, c’est la vertu même ; le bien en soi, que jamais l’humanité n’a été si heureuse, si pacifique, si équilibrée, si vertueuse, si intelligente ; que la technique qui le contraint, c’est exactement ce qui le libère ! » (174)

« J’admets fort bien que l’on suive la nécessité. La corde au cou et le pied au cul. Vous ne pouvez faire autrement. Soit ; c’est la simple condition humaine, et la première expérience véritable est celle de l’obstacle auquel je me heurte, de la limite de ma force et de ma résistance, du sommeil invincible, de la peur du lendemain ou du gendarme. Je suis contraint par l’État, par le travail ; je suis conditionné par mon corps et par le corps social : telle est ma faiblesse, telle est ma lâcheté. Il n’y a pas à en faire de drames ni de complexes : elles nous sont communes. Mais ce qui devient inadmissible, c’est, dans cette situation-là, de lancer un glorieux cocorico : voyez comme j’ai vaincu et voyez comme je suis libre ! ou de faire un clin d’œil à la ronde : voyez comme je suis malin, et combien j’ai joué cette nécessité ! Car ici commence le règne du Menteur. » (177)

« Il ne leur suffit pas d’avoir l’avenir à eux, et à eux seuls, que la partie soit gagnée et que le seul avenir prévisible soit « davantage de technique, toujours davantage de technique ; davantage de pouvoirs aux techniciens, toujours davantage de pouvoirs aux techniciens » [...] Il leur faut encore une chose : la palme du martyre et la consécration de la Vertu triomphant du dragon tout-puissant et venimeux. Voyons, vous ne le savez pas ? [...] Il y a toujours des imbéciles de philosophes qui prétendent mettre des bâtons dans les roues du progrès avec des déclamations de sophistes et des arguments aussi vicieux qu’inexacts, en vertu d’une conception de l’homme radicalement périmée. » (233)

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jeudi, 13 juin 2013

Anarchie et Christianisme de Jacques Ellul

"Anarchie et Christianisme" de Jacques Ellul

Ex: http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

anarchie et christianisme.jpgAnarchie et Christianisme, deux gros mots pour certains, deux mots inconciliables pour d’autres. Jacques Ellul ne s’y trompe pas et l’écrit lui-même en introduction:

« La question ici posée est d’autant plus difficile que les certitudes à ce sujet sont établies depuis longtemps, des deux côtés, et jamais soumises à la moindre interrogation. Il va de soi que les anarchistes sont hostiles à toutes religions (et le christianisme est de toute évidence classé dans la catégorie), il va non moins de soi que les pieux chrétiens ont horreur de l’anarchie, source de désordre et négation des autorités établies. » (p.7)

Jacques Ellul aborde ici deux sujets qui lui tiennent à cœur. L’auteur est surement un des plus brillants intellectuels d’après-guerre. Spécialiste de Marx il prend pourtant parti pour la mouvance anarchiste. Protestant, il brosse une vision d’un christianisme qui se rapproche du christianisme des origines, ce « bolchevisme de l’Antiquité » qu’a tant fustigé la Nouvelle Droite. Il demeure aussi un spécialiste du droit romain et un critique de la pensée bourgeoise et de la technique. Il est l’auteur, à la suite de Léon Bloy, d’Exégèse des nouveaux lieux communs (1966).

Anarchie et Christianisme est un livre assez court, 160 pages environ dans l’édition dont je dispose. Encore une fois, il est assez appréciable de pouvoir lire des livres synthétiques, sans que cela dénature la pensée ou le propos de l’auteur. Deux grandes parties structurent cet ouvrage. Tout d’abord le Chapitre Ier : L’anarchie du point de vue d’un chrétien puis le Chapitre II : La Bible, source d’anarchie.

L’auteur commence par poser les bases de son anarchisme : « Si j’écarte l’anarchisme violent, reste l’anarchisme pacifiste, antinationaliste, anticapitaliste, moral, antidémocratique (c'est-à-dire hostile à la démocratie falsifiée des Etats bourgeois), agissant par des moyens de persuasion, par la création de petits groupes et de réseaux, dénonçant les mensonges, les oppressions, avec pour objectif le renversement réel des autorités quelles qu’elles soient, la prise de parole par l’homme de la base, et l’auto-organisation. Tout cela est très proche de Bakounine. » (p.24)

Cette partie est d’ailleurs remarquablement intéressante car Jacques Ellul plaide pour des actions de rupture avec la société. L’auteur donne un certain nombre de domaines : refus de l’enseignement obligatoire, du service militaire, des vaccinations, de la police, retour à la terre, … et donne l’exemple d’un ami à lui, persécuté par l’administration pour avoir refusé de vacciner son bétail… Lorsque nous voyons le chemin parcouru depuis, avec les normes toujours plus drastiques de l’UE, soutenu par les lobbies pharmaceutiques, chimiques, etc…, on ne peut que saluer la clairvoyance de ces quelques lignes. D’ailleurs, la profondeur de sa pensée s’exprime en ces quelques mots : « Bien attendu, ce ne sont que des petites actions, mais si on en mène beaucoup, si on est vigilant, on peut faire reculer l’omniprésence de l’Etat. Compte tenu que la « décentralisation » menée à grand bruit par Defferre a rendu la défense de la liberté beaucoup plus difficile. Car l’ennemi ce n’est pas l’Etat central aujourd’hui, mais l’omnipotence et l’omniprésence de l’administration. » (p.28). Décédé en 1994, Jacques Ellul n’aura pas eu le temps de mesurer les effets dévastateurs du traité de Maastricht soutenu par la gauche (y compris Mélenchon). Lui le pourfendeur de l’administration et des techniciens… traité qui rajoute des contraintes à celles dénoncées par Ellul dans l’action des mouvements dissidents. Par ailleurs, comme le rappelle l’auteur « qui paie, commande ! » (p.29). Une phrase qui devrait restée gravée dans les esprits, car elle est non seulement au cœur du rapport de domination capitaliste, mais également plus largement dans la plupart des rapports de domination entre les hommes.

Ces quelques pages sur l’anarchisme sont très vivifiantes pour accroître certaines réflexions quant aux façons d’agir. Jacques Ellul aura écrit avant l’avènement d’internet, qui constitue aujourd’hui un formidable moyen de contournement de l’Etat et de diffusion des idées comme le sont les radios internet (Méridien Zéro) ou les différents blogs (Novopress, Zentropa, …). La technologie peut avoir du bon…

La deuxième partie, La Bible, source d’anarchie défend la thèse selon laquelle le message du Christ, puissamment révolutionnaire, s’oppose aux différentes formes de domination de l’homme par l’homme selon le sens composé à partir du grec an-arkhé. Cette partie se présente donc comme une forme d’exégèse et s’attarde aussi sur la Bible hébraïque, problématique de ce point de vue, en raison de l’omniprésence des figures royales. Jacques Ellul fait aussi œuvre d’historien, en replaçant le message christique dans son contexte et particulièrement dans celui de l’affrontement avec le pouvoir romain et le pouvoir hérodien, dépendant des Romains. Un élément est particulièrement intéressant dans cette partie du livre, la réflexion sur le Diable, bâti sur le terme grec diabolos, qui signifie « le diviseur ». Pour Ellul, « l’Etat et la politique sont facteurs de division entre les hommes ». Cette réflexion pourrait faire écho à cet extrait de l’Epitre aux Galates de Paul de Tarse : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ. » Un chrétien doit donner sa priorité à la Foi et tenter de rompre les barrières qui divisent l’humanité. La sous-partie Apocalypse est d’ailleurs très claire sur ces différents points d’après l’auteur : « […] il y’a une opposition radicale entre la Majesté de Dieu et toutes les puissances et pouvoirs de la terre (d’où l’erreur considérable de ceux qui disent qu’il y’a continuité entre le pouvoir divin et les pouvoirs terrestres, ou encore, comme sous la monarchie, qu’à un Dieu unique, tout-puissant, régnant dans le ciel, doit correspondre sur Terre un Roi unique, également tout-puissant ; l’Apocalypse dit exactement le contraire !) »

Nous ne doutons pas que cette seconde partie, dont nous vous laissons découvrir l’intégralité de la réflexion, pour éviter les raccourcis, suscitera des débats autant au sein des Chrétiens, qu’au sein de tous ceux qui sont attachés à leur terre, à leur patrie.

Ce qui me frappe dans la lecture de ce petit livre, c’est qu’on y trouve une pensée qui s’oppose en bien des points à ce qui fut celle de la Nouvelle Droite et en particulier de celle de Dominique Venner qui notait dans le Choc de l’histoire ou encore dernièrement dans son testament politique que l’Europe n’avait pas de religion identitaire (à l’inverse, par exemple, de l’Inde). La ND proclame une pensée très marquée par le paganisme et l’importance de la hiérarchie (aristocraties), là où Ellul en chrétien sincère s’y oppose. Pourtant, je dois bien admettre que la pensée d’Ellul est fortement « séduisante » car elle présente un christianisme qui s’oppose dans ses bases au monde dans lequel nous vivons et qui offre l’espérance.

Que l’on s’intéresse à la pensée anarchiste, au christianisme ou qu’on cherche quelques « cartouches intellectuelles », la lecture d’Anarchie et Christianisme s’impose. C’est aussi un moyen d’entrer en contact avec la pensée de Jacques Ellul avec ce qu’elle a de plus profonde : sa foi chrétienne.

Jean

Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.

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mardi, 26 mars 2013

Contre le totalitarisme technicien...

Contre le totalitarisme technicien...

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Les éditions Le passager clandestin publient cette semaine un essai de Serge Latouche intitulé Jacques Ellul contre le totalitarisme technicien. Principal penseur français de la décroissance, Serge Latouche est l'auteur, notamment, du Pari de la décroissance (Fayard, 2006) et de Sortir de la société de consommation (Les liens qui libèrent, 2010). Il a aussi récemment publié aux éditions Les Liens qui Libèrent Bon pour la casse - les déraisons de l'obsolescence programmée.

 

Jacques ellul.jpg

" Jacques Ellul a, dès l’origine, été perçu par le mouvement de la décroissance comme l’un de ses principaux précurseurs. Sa critique de la démesure technicienne et son analyse du « totalitarisme technicien », comptent parmi les pièces maîtresses du projet, en l’alimentant aussi bien sur le plan théorique que sur celui des propositions concrètes.

Jacques Ellul a dénoncé en maints endroits et avec la plus grande fermeté la démesure de la société occidentale, la croissance et le développement. Il a montré que la société économique de croissance ne réaliserait pas l’objectif de bonheur proclamé de la modernité, et que les évolutions de la technique étaient incompatibles avec les rythmes de l’homme et l’avenir du monde naturel.

Cette relecture par Serge Latouche de la pensée de Jacques Ellul, rappelle aussi que la virulence de la critique sociale du maître bordelais s’accompagnait toutefois d’une conception minimale de l’action politique, définie comme dissidence individuelle. Lire Ellul à l’ère de l’anthropocène, c’est aussi rappeler, avec les objecteurs de croissance, que les temps sont désormais aux métamorphoses radicales."

 

samedi, 24 novembre 2012

Citation de Jacques Ellul

jacques-ellul.jpgCitation de Jacques Ellul

« La pensée qui domine l’ensemble de la société, c’est justement l’existence d’un cours de l’histoire, implacable, nécessaire, qui suppose que tout effort est vain s’il ne se situe pas dans le bateau qui suit le courant… Or, le lieu commun du sens de l’histoire correspond exclusivement à l’idéal du chien crevé. Bon petit chien bien gonflé (nécessaire pour surnager) qui s’installe au filet le plus fort du courant et descend le fil de l’eau en se dandinant gravement avec des airs de docteur ès sciences politiques et qui oscille à droite ou à gauche selon les vaguelettes (ses opinions mûrement pensées); parfois un remous lui fait perdre la bonne direction, il hésite en tournoyant (ce sont les scrupules de conscience), il dérive vers un banc de sable (c’est la manifestation de la liberté de sa personne); il se trouve aspiré par un entonnoir vers les fonds (c’est l’angoisse); mais il surmonte bientôt bravement ces tentations, une vague le remet à flot et il poursuit victorieusement son chemin ayant enfin retrouvé la bonne ligne, qui le porte, évidemment, vers la fin nécessaire. Et plus il avance, plus il se gonfle orgueilleusement d’horribles certitudes sur sa liberté et le sens de l’histoire, qui le font s’affirmer plus turgide chaque fois, jusqu’au moment où l’imprégnation de l’âme par cette corruption le fait s’en aller en lambeaux de matières affreuses, à jamais décomposées. »

Jacques Ellul, «  Exégèse des nouveaux lieux communs », Ed. La Table Ronde.

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