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lundi, 09 juin 2025

Chine. Inauguration de la ligne ferroviaire vers Téhéran: l'importance du détroit de Malacca se voit relativisée

 

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Chine. Inauguration de la ligne ferroviaire vers Téhéran: l'importance du détroit de Malacca se voit relativisée

par Giuseppe Gagliano

Source: https://www.notiziegeopolitiche.net/cina-inaugurata-la-ferrovia-che-arriva-a-teheran-tagliato-lo-stretto-di-malacca/

Au cœur de l'Asie, un nouveau corridor ferroviaire est en train de changer discrètement les règles du jeu mondial. L'inauguration récente de la ligne ferroviaire reliant Urumqi, dans la province chinoise du Xinjiang, à Téhéran, en passant par l'Asie centrale et le Turkménistan, n'est pas seulement un exploit logistique, mais un acte de défi stratégique qui bouleverse l'équilibre géopolitique. Avec un temps de transit de seulement 15 jours, contre 40 pour les routes maritimes, ce corridor permet à la Chine et à l'Iran de contourner le détroit de Malacca et d'autres artères maritimes qui sont sous le contrôle de la marine américaine, ouvrant ainsi une nouvelle ère pour le commerce des marchandises chinoises et du pétrole iranien vers les marchés européens. Ce projet ne se contente pas de raccourcir les distances, il redessine également les cartes du pouvoir, remettant en question l'hégémonie américaine sur le contrôle des routes mondiales.

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Le détroit de Malacca, ce goulet d'étranglement maritime qui assure le passage entre l'océan Indien et l'océan Pacifique, est depuis des décennies le talon d'Achille de la Chine. Environ 80% des importations pétrolières chinoises et 60% de son commerce maritime transitent par ce passage, rendant Pékin vulnérable à un éventuel blocus naval par les États-Unis ou leurs alliés, tels que Singapour ou l'Inde. En 2003, l'ancien président chinois Hu Jintao a qualifié cette dépendance de « dilemme de Malacca », un problème stratégique qui a poussé la Chine à rechercher des alternatives terrestres pour diversifier ses routes commerciales et garantir sa sécurité énergétique. Le nouveau corridor ferroviaire Chine-Iran, qui fait partie intégrante de l'initiative Belt and Road (BRI), est la réponse la plus audacieuse à ce défi.

Longue d'environ 4000 kilomètres, cette route relie Yiwu (Zhejiang) à Qom, en Iran, en traversant le Kazakhstan et le Turkménistan. Selon la China Railway Corporation, ce corridor pourrait transporter plus de 10 millions de tonnes de marchandises par an d'ici 2030, grâce à la demande croissante des marchés eurasiatiques et moyen-orientaux. Pour l'Iran, ce projet représente une bouée de sauvetage économique: les sanctions occidentales, qui limitent l'accès aux marchés maritimes et financiers, trouvent réponse dans l'organisation du transport terrestre, lequel constitue dès lors une alternative moins exposée aux pressions internationales. Le pétrole iranien peut désormais atteindre la Chine sans passer par les détroits d'Ormuz ou de Malacca, ce qui réduit le risque d'interruptions dues à des tensions géopolitiques ou à des sanctions.

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Ce n'est pas un hasard si ce corridor arrive à un moment où les tensions entre la Chine, l'Iran et les États-Unis s'intensifient. Washington a redoublé d'efforts pour contenir l'expansion économique de Pékin et limiter les exportations de pétrole iranien, considérées comme une source de financement pour le régime de Téhéran. La marine américaine, avec sa présence dominante dans le Pacifique et le golfe Persique, représente une menace constante pour les deux pays. Le corridor ferroviaire change toutefois la donne: non seulement il permet à la Chine d'accéder au pétrole iranien sans passer par les eaux contrôlées par les États-Unis, mais il renforce également l'Iran en tant que plaque tournante commerciale entre l'Asie et l'Europe, le rendant moins dépendant des routes maritimes vulnérables.

Ce projet s'inscrit dans un contexte plus large de coopération sino-iranienne. En 2021, les deux pays ont signé un accord de partenariat stratégique d'une durée de 25 ans, qui prévoit des investissements chinois de 400 milliards de dollars dans les infrastructures, l'énergie et la technologie en Iran. Le chemin de fer est un élément clé de cette stratégie, financée en partie par la China Development Bank et l'Export-Import Bank of China, avec la participation de géants tels que la China Railway Construction Corporation (CRCC). Du côté iranien, la Islamic Republic of Iran Railways (RAI) a coordonné l'expansion des infrastructures internes, en harmonisant les normes ferroviaires avec les normes internationales afin de garantir un flux continu de marchandises.

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Cette évolution inquiète Washington. Les États-Unis ont investi des ressources considérables pour maintenir le contrôle des principales routes maritimes mondiales, avec des bases navales stratégiques telles que celles de Singapour et de la Cinquième Flotte à Bahreïn. La capacité d'interdire le commerce chinois ou iranien par le biais de points de contrôle tels que Malacca ou Hormuz a longtemps été une arme géopolitique. Cependant, le nouveau corridor réduit l'efficacité de ce levier, offrant à la Chine et à l'Iran une alternative terrestre qui échappe au contrôle américain. Ce n'est pas un hasard si des publications sur des plateformes telles que X décrivent le projet comme une « révolution géopolitique », capable de réviser la théorie de Halford Mackinder sur l'importance du contrôle du cœur de l'Eurasie pour la domination mondiale.

Malgré son potentiel, ce corridor n'est pas sans obstacles. La route traverse des pays comme le Kazakhstan et le Turkménistan, où les infrastructures ferroviaires nécessitent des mises à niveau constantes et où la stabilité politique n'est pas toujours garantie. La gestion transfrontalière nécessite des accords complexes en matière de douanes, de sécurité et de normes techniques, et toute tension régionale pourrait compromettre le flux de marchandises. En outre, le volume du transport ferroviaire, bien que significatif, reste une fraction des 144 millions de tonnes annuelles qui transitent par le détroit de Malacca, ce qui fait de ce corridor, à court terme, un complément, et non un substitut, aux routes maritimes.

Il y a ensuite la question de la réponse internationale. Les États-Unis et leurs alliés, tels que l'Inde et le Japon, promeuvent des projets alternatifs, comme le corridor Inde-Moyen-Orient-Europe, afin de contrer l'influence chinoise. La Turquie, avec son projet Development Road, vise à concurrencer le golfe Persique et l'Europe en tant que plaque tournante commerciale. Ces développements suggèrent une concurrence croissante pour le contrôle des routes commerciales, l'Eurasie étant au centre d'un nouveau « grand jeu ».

Le corridor ferroviaire Chine-Iran n'est pas seulement une infrastructure, mais un symbole du monde multipolaire qui prend forme. En réduisant leur dépendance vis-à-vis des routes maritimes contrôlées par les États-Unis, la Chine et l'Iran construisent une alternative qui renforce leur autonomie stratégique et celle des pays d'Asie centrale. Pour l'Europe, ce corridor offre des opportunités commerciales, mais aussi des dilemmes: comment concilier un accès plus rapide aux marchandises et les pressions géopolitiques de Washington ?

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À une époque de tensions mondiales croissantes, ce projet rappelle que le contrôle des routes commerciales est toujours au cœur de la concurrence entre les puissances. La Chine, avec sa vision de la Nouvelle Route de la Soie, et l'Iran, avec sa résilience face aux sanctions, parient sur un avenir où l'Eurasie redeviendra le centre du monde. Reste à voir si les États-Unis, gardiens de l'ordre maritime mondial, trouveront une réponse efficace à ce défi terrestre. Une chose est sûre: le train parti d'Urumqi ne transporte pas seulement des marchandises, mais aussi un message clair au monde entier.

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