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mercredi, 04 décembre 2024

De la sécurité de l'Eurasie à la sécurité du monde

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De la sécurité de l'Eurasie à la sécurité du monde

Leonid Savin

Du 31 octobre au 1er novembre 2024, Minsk a accueilli la deuxième conférence internationale sur la sécurité eurasienne, au cours de laquelle a été présentée la « Charte eurasienne de la multipolarité et de la diversité au 21ème siècle ». Le président du Belarus, Alexandre Loukachenko, et le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, y ont prononcé un discours dans lequel ils ont souligné que le monde unipolaire était révolu et qu'un nouveau système de sécurité internationale était nécessaire. Et puisque l'Occident est principalement coupable d'attiser les conflits et de proposer des « formules sans issue », une question naturelle se pose : comment et avec qui créer une nouvelle architecture de sécurité ?

L'Europe, petite pointe de l'Eurasie, comme l'a dit Nikolaï Danilevsky, ne peut prétendre à un monopole sur les questions de sécurité régionale, même si de telles tentatives sont faites dans le format euro-atlantique (le bloc de l'OTAN, ainsi que l'influence sans précédent des États-Unis sur l'UE). Néanmoins, la proposition du président russe Vladimir Poutine de créer un espace économique commun de Lisbonne à Vladivostok - le projet de la Grande Eurasie - est toujours d'actualité. Il ne fait aucun doute que la grande majorité des citoyens de l'UE aimerait entretenir des relations constructives et amicales avec la Russie, ainsi qu'avec d'autres pays d'Eurasie qui font l'objet de sanctions de la part de l'UE et des États-Unis (par exemple, l'Iran et la République populaire démocratique de Corée). Le principal problème de l'Europe aujourd'hui est donc celui des élites politiques. Dans certains pays, une terrible russophobie persiste (États baltes, Pologne), tandis que d'autres tentent de feindre la neutralité et de suivre la politique générale de Bruxelles.

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Néanmoins, certains dirigeants eurosceptiques démontrent, en paroles et en actes, l'adéquation de la voie politique qu'ils suivent. Outre la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine, la Serbie a obstinément résisté aux pressions occidentales, ce qui a valu à ses dirigeants le risque d'une nouvelle révolution de couleur. La Hongrie et la Slovaquie mènent des politiques rationnelles et équilibrées, en particulier dans le contexte de la crise ukrainienne et de leurs frontières communes. Il est révélateur qu'un autre pays ayant des frontières communes montre un penchant évident pour l'euroscepticisme. En Roumanie, par exemple, lors du premier tour de l'élection présidentielle de dimanche dernier, Calin Georgescu, anciennement associé au parti nationaliste radical AUR mais se présentant comme candidat indépendant, a obtenu le plus grand nombre de voix (23 %). La dirigeante libérale Elena Lasconi est arrivée en deuxième position avec 19,2 % des voix, tandis que l'ancien premier ministre Nicolae Ciuca et l'ancien secrétaire général adjoint de l'OTAN Mircea Gioane ont chacun obtenu moins de 10 % des voix.

Si M. Georgescu remporte le second tour, il occupera le poste le plus important de Roumanie, avec le pouvoir de nommer le premier ministre, de négocier une coalition et d'avoir le dernier mot en matière de sécurité et de politique étrangère. Par ailleurs, il s'est toujours montré favorable à la Russie et à son président.

Avec la victoire convaincante du parti Alternative pour l'Allemagne aux élections législatives allemandes, cela démontre l'évolution de l'environnement politique due à la crise multidimensionnelle croissante au sein de l'UE.

Avec des hommes politiques plus compétents, il y a plus de chances que l'UE et l'OTAN ne prennent pas de décisions farfelues dirigées contre la Russie et même contre les citoyens de l'UE.

Le fait que la Turquie, en tant que membre de l'OTAN, s'efforce de mener une politique équilibrée, consciente que les problèmes économiques ou de sécurité régionale graves ne peuvent être résolus sans la participation de la Russie, est révélateur. Mais la Turquie a une expérience syrienne et certains intérêts communs avec la Russie, notamment la création d'un centre énergétique avec l'aide de Moscou. Compte tenu de la position géostratégique de la Turquie et du contrôle qu'elle exerce sur l'entrée de la mer Noire, les pays européens devront tenir compte à la fois des ambitions d'Ankara et de l'évolution de la réalité.

Plus à l'est, des transformations notables sont également en cours. Si l'Irak est toujours instable, il y a des chances que la situation s'améliore bientôt. Les décisions relatives aux investissements et aux projets d'infrastructure en témoignent. L'Iran affiche également une dynamique positive. Compte tenu de son engagement actif en matière de sécurité avec la Russie et de la revitalisation progressive du corridor Nord-Sud, l'Iran jouera un rôle croissant en tant que pôle géopolitique, tout en servant d'élément de liaison dans la région.

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L'Afghanistan reste une tache blanche sur la carte eurasienne dans la mesure où, après l'arrivée au pouvoir des Talibans (interdits en Russie), les relations avec le nouveau gouvernement n'ont pas été correctement résolues. Une décision de principe visant à retirer le statut d'organisation terroriste aux Talibans en Russie a déjà été prise. D'autre part, l'Iran et le Pakistan tentent également de régler leurs différends et de les faire évoluer dans un sens constructif (pour le Pakistan, il s'agit de la question de la démarcation de la frontière, étant donné que, malgré son statut international accepté, la partie afghane ne reconnaît pas la ligne Durand, qui est apparue à la suite de l'occupation britannique de la région à la fin du 19ème siècle).

Dans le contexte mondial, cependant, il faut toujours se rappeler que la politique anglo-saxonne à l'égard de l'Eurasie suit les impératifs d'Halford Mackinder et de Zbigniew Brzezinski. Si l'Occident ne peut pas atteindre directement le Heartland (la Russie) de l'Eurasie, il tentera d'exercer une influence sur le Rimland (la zone côtière) et l'Europe de l'Est. C'est la raison pour laquelle la crise en Ukraine a été provoquée. C'est pourquoi les tentatives de fomenter et d'intensifier les conflits par le biais de divers mandataires se poursuivront, en particulier dans les régions que Zbigniew Brzezinski a caractérisées comme l'arc d'instabilité eurasien - le Moyen-Orient, le Caucase et une partie de l'Asie centrale jusqu'au territoire de l'Inde.

Pour contrer ces plans destructeurs, il est nécessaire d'étendre et de renforcer l'interaction entre les États par le biais des organisations existantes et, éventuellement, de créer de nouvelles structures de travail. Le format de l'OCS est unique à cet égard: l'organisation comprend plusieurs États qui ont des revendications territoriales les uns contre les autres, mais qui ne dégénèrent pas en conflit actif. Le Pakistan et l'Inde ont fait du Cachemire une pierre d'achoppement pendant de nombreuses décennies. La Chine et l'Inde, quant à elles, continuent de considérer des parties de leur territoire situées dans l'Himalaya comme leur appartenant exclusivement. Dans le même temps, ces trois États possèdent des armes nucléaires, mais ne menacent pas de les utiliser à l'instar de la politique imprudente de l'Occident.

En ajoutant à l'OCS, l'OTSC et la coopération des BRICS (y compris le statut des pays candidats, les travaux de l'Organisation de la coopération islamique et d'autres initiatives), on créerait un réseau efficace d'interaction politique au plus haut niveau en Eurasie et en Afrique (où les processus de décolonisation et de souveraineté se poursuivront également, du moins dans certains États, en particulier dans la région du Sahel). L'Eurasie et l'Afrique sont l'île mondiale dont dépend le reste du monde.

Tout cela indique qu'il est nécessaire d'ajuster le travail des mécanismes qui sont désormais dépassés et d'éviter les modèles occidentaux qui ont été imposés, y compris le développement de bases décrétées fondamentalement nouvelles en droit international.

Alors que le monde polycentrique n'a pas encore pris forme et qu'il est en transition, la multipolarité galopante exige des actions et des travaux plus actifs pour l'avenir.

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lundi, 02 décembre 2024

Turquie et Russie: concurrents dans l'espace post-soviétique

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Turquie et Russie: concurrents dans l'espace post-soviétique

par Alexandr Svaranc* (New Eastern Outlook)

Source: https://www.lantidiplomatico.it/dettnews-turchia_e_russia...

Malgré une ambiance de réel partenariat dans les relations russo-turques, la Turquie a pour objectif d'approfondir sa présence géopolitique et géo-économique dans plusieurs régions de l'ancien espace soviétique. Une telle orientation pourrait bien aigrir les rapports entre les deux puissances.

L'effondrement de l'URSS est devenu le plus grand événement géopolitique au tournant du 20ème siècle. Les manifestations de souveraineté et la formation de nouveaux États indépendants ont créé une situation d'orientation multi-vectorielle des nouvelles élites politiques des anciennes républiques soviétiques.

De leur côté, dans leurs projections géopolitiques, les pays de l'OTAN (principalement les États-Unis, le Royaume-Uni et la Turquie) ont maintenu leurs aspirations de domination dans les régions post-soviétiques de l'Eurasie, ce qui a entraîné un amoindrissement de la présence historique de la Russie. C'est précisément cette dynamique qui a sous-tendu l'avancée de l'OTAN vers l'est, ce qui a entraîné des problèmes dans les relations avec la Russie en Ukraine, en Moldavie et en Géorgie.

Parallèlement, depuis l'époque du président Türgüt Özal, Ankara n'a cessé de poursuivre une voie d'intégration globale avec les nouveaux pays de la CEI et a manifesté un intérêt soutenu pour des régions telles que la mer Noire (avec son épicentre en Crimée), le Caucase du Sud et l'Asie centrale.

La Turquie veut raviver son statut impérial en déployant une stratégie actualisée qui comprend l'entrée dans un « monde turc » indépendant, et ce, selon la doctrine du néo-ottomanisme; elle vise aussi l'établissement d'un contrôle sur certains sujets non turcs de la CEI (y compris la Géorgie et l'Arménie) toujours conformément à la doctrine du néo-ottomanisme et à la formation d'un marché commun turc. En ce qui concerne la Crimée, Ankara s'appuie sur le facteur tatare présent en Crimée et n'exclut pas que la crise politico-militaire russo-ukrainienne permette à terme l'établissement d'un protectorat turc sur la péninsule. En Moldavie, la Turquie soutient le séparatisme gagaouze.

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De l'expérience des deux guerres mondiales du 20ème siècle, la Turquie a tiré une leçon importante: la mise en œuvre de la doctrine du pan-touranisme est impossible si l'on mise sur un conflit militaire direct avec la Russie. En ce début de siècle, Ankara poursuit une tactique qui combine « petits conflits » et « partenariat actif » avec la Russie, tactique qui ne s'avère possible qu'à condition que les contradictions géopolitiques entre Moscou et l'Occident (principalement avec les États-Unis et le Royaume-Uni) s'aggravent.

De même, la Turquie a fait des progrès significatifs dans le renforcement de ses liens avec la nouvelle Russie et a reçu de nombreux dividendes de la coopération économique et politique dans les domaines de l'énergie (gaz, pétrole, centrales nucléaires), du tourisme de masse, du marché russe de la construction, de la pénétration dans le nord de la Syrie et dans le Nagorno-Karabakh, et de la formation d'une infrastructure turque commune en matière de transport, d'énergie et d'institutions.

Aujourd'hui, le corridor de transport du Caucase du Sud (SCTC) et l'Organisation des États turcs (OTS) sont devenus les principales bases de la progression géoéconomique et géopolitique de la Turquie dans les espaces post-soviétiques de Transcaucasie et d'Asie centrale. Alors que la Russie reste en conflit avec l'Occident à propos des événements en Ukraine, la Turquie avance rapidement dans la mise en œuvre du projet turc sous le couvert de l'OTS ("Organization of Turkish States").

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Les objectifs d'Ankara ne se limitent pas à l'intégration des peuples et pays turcophones, mais comprennent également des approches très pragmatiques visant à accéder aux ressources naturelles stratégiques les plus riches des pays de la CEI indépendants de la Turquie et à assurer leur transit à travers son territoire vers l'Europe, opération qui se révèle financièrement lucrative.

Sur le plan militaire et politique, Ankara compte sur la formation d'un système commun de « sécurité turque » et d'une « armée turque », où la Turquie, en tant que membre de l'OTAN, deviendra un lien entre les pays turcs et l'alliance atlantique. Enfin, la mise en œuvre de Touran créera objectivement un « corridor de division » entre la Russie d'une part et le Sud global (Chine, Iran et Inde) d'autre part. Tous ces objectifs initiaux se conjuguent avec les intérêts des Anglo-Saxons (en premier lieu le Royaume-Uni).

L'OTS a proclamé le slogan « Une nation, six États turcs » (bien que le nombre de pays puisse changer si Ankara réussit à promouvoir l'entité de Chypre du Nord en tant que membre de l'organisation). À chaque forum des dirigeants de l'OTS, la Turquie dicte un nouvel ordre du jour pour étendre l'intégration turque commune (y compris un alphabet commun, une langue commune, un hymne commun, une banque unique, une armée commune, renommer l'Asie centrale et lui donner le nom de Turkestan, créer un corridor de transport et d'énergie transcaspien, etc.)

L'instabilité d'un monde multipolaire

Dans sa confrontation avec l'Occident collectif, la Russie soutient la formation d'un monde multipolaire, où la Turquie revendique le leadership dans le monde turc. Toutefois, un monde multipolaire s'avérera aussi fragile et instable qu'un monde unipolaire sous l'hégémonie des États-Unis. La raison principale en sera les contradictions croissantes dans les intérêts des dirigeants du monde multipolaire, en particulier entre les mondes turc et russe, car la géographie des aspirations convergera dans les mêmes régions (Caucase du Sud, Asie centrale, Crimée).

En développant un partenariat économique actif avec la Turquie, la Russie a apporté aux Turcs un renforcement significatif de leur indépendance économique. Certes, cette coopération n'a pas sauvé la Turquie d'une grave crise financière et économique, mais elle ne l'a pas non plus aggravée.

La Turquie tente de rester le principal médiateur dans la crise russo-ukrainienne actuelle. D'une part, Ankara appelle à une cessation rapide des hostilités et à une solution pacifique avec la possibilité de geler le conflit le long de la ligne de front ; d'autre part, les Turcs ont déclaré leur attachement à l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans ses frontières de 2014 et fournissent une assistance militaire et technique considérable au régime de Kiev. Par conséquent, la tactique d'Ankara dans ce dossier ne se limite pas à un cessez-le-feu, mais inclut plutôt la poursuite de ce massacre entre peuples slaves frères, ce qui conduit à un affaiblissement des positions des deux pays.

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La Russie est le principal générateur et intégrateur des unions économiques et politico-militaires eurasiatiques (EAEU et OTSC). En développant le projet OTS et en planifiant la formation d'un marché commun turc, la Turquie crée une concurrence substantielle pour la Russie en Asie centrale et dans le Caucase du Sud. En outre, la Turquie fournit à l'Union turque une base idéologique dans le pan-turquisme et le pantouranisme.

Cependant, dans le conflit ukrainien, la Russie démontre de manière assez convaincante sa constance à atteindre ses objectifs déclarés (y compris par le recours à la force). Ce dernier point devrait constituer un avertissement pour les autres opposants déclarés et cachés de la Russie.

Dans le Caucase du Sud, la Russie entretient un partenariat stratégique et des liens d'alliance avec l'ami le plus proche de la Turquie, l'Azerbaïdjan. Bakou a obtenu une route de transit énergétique vers l'Europe via la Géorgie et la Turquie, en contournant la Russie, et a maintenant ramené militairement le Karabakh sous son contrôle en profitant de la non-ingérence de Moscou. La géographie de l'Azerbaïdjan est cruciale pour la progression de la Turquie et de l'OTAN dans l'Est post-soviétique. La Russie compte sur la clairvoyance des autorités azerbaïdjanaises pour éviter de provoquer de nouveaux conflits dans la région.

L'avancée de la Turquie dans l'Est post-soviétique, contraire aux intérêts russes, pourrait créer une situation conflictuelle dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. Par conséquent, l'utilisation par la Russie du missile balistique Oreshnik sans tête nucléaire pour la première fois le 21 novembre, visant une installation militaire sur le territoire de l'Ukraine, a constitué un avertissement pour les pays de l'OTAN quant à l'inadmissibilité de permettre aux forces armées de l'Ukraine d'utiliser des missiles occidentaux à l'intérieur du territoire russe. Cela a contraint le président du Kazakhstan, K. Tokayev, à envisager de renforcer le système de sécurité (même si personne à Moscou n'attaquerait le Kazakhstan ami). Toutefois, la Russie n'aurait pas utilisé ce type d'arme en Ukraine si l'OTAN n'avait pas procédé à des provocations. En outre, Moscou n'aurait pas été impliquée dans le conflit avec l'Ukraine si les autorités de Kiev avaient entretenu des relations amicales avec la Russie. Comme on dit, le temps passe et les choses changent....

Dans ces circonstances, le président turc Erdogan n'a pas tardé à mettre en garde ses alliés de l'OTAN contre une escalade des tensions militaires en Ukraine et à prendre au sérieux les changements dans la stratégie nucléaire de la Russie. Si Erdogan prend également en considération les intérêts de la Russie en Turquie, il ne pourra que développer un partenariat commun avec les Turcs sans oublier le passé. Dans le cas contraire, les intérêtsdesdeux puissances s'opposeront tôt ou tard.

(Traduction de l'Anti Diplomatico)

*Docteur en sciences politiques, professeur.

mardi, 26 novembre 2024

L'Eurasie, principal forum de la géopolitique mondiale

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L'Eurasie, principal forum de la géopolitique mondiale

L’Eurasie continue d’être le principal terrain de jeu pour régler la lutte pour la suprématie mondiale. Cela devient de plus en plus évident lorsque l’on observe les combats, chauds ou froids, qui se déroulent sur leur territoire. 

par Lic. Andrés Berazategui

Source: https://politicar.com.ar/contenido/258/eurasia-como-princ...

C’est le géographe britannique Halford Mackinder qui, dans sa conférence désormais classique de 1905, intitulée «Le pivot géographique de l’histoire», affirmait que l’Eurasie – ou plus précisément ce qu’il appelait «l’île-monde» – était la principale scène de compétition pour toutes les puissances qui cherchaient à exercer une domination mondiale. L’île-monde, composée de l’Eurasie et de la frange septentrionale de l’Afrique, possède des attributs uniques. Il s’agit d’une immense continuité territoriale dans laquelle se trouve la plus grande concentration de population et de ressources de la planète, et depuis laquelle on peut accéder directement aux principaux océans.

En général, les civilisations qui ont façonné l’histoire se sont développées sur son territoire et, aujourd’hui encore, la plupart des villes les plus dynamiques du monde sur le plan culturel et technologique se trouvent en Eurasie. Mackinder affirmait que l'espace fondamental de cette île-monde était le «Heartland», le cœur terrestre, qu'il situait dans une zone qui s'étendait depuis l'Europe de l'Est et se prolongeait vers le sud jusqu'au Moyen-Orient; à l'est, il comprenait presque toute la Russie, l'Asie centrale, la Mongolie et s'avançait même près de la côte de l'océan Pacifique, dans le nord de l'Asie de l'Est. Au fil des années, les Britanniques élargirent son argumentaire en expliquant ses thèses, même s'il reformula un peu les frontières du Heartland. Sa théorie deviendra fondamentale dans la pensée géopolitique, conditionnant une grande partie des débats théoriques ultérieurs, en particulier ceux qui relient la puissance maritime et la puissance terrestre. Dans son livre de 1919, Idéaux et réalité démocratiques, il résumait sa doctrine comme suit : « Celui qui contrôle l’Europe de l’Est dominera le Heartland ; celui qui contrôle le Heartland dominera l’Île-Monde ; "Celui qui contrôle l'Île-Monde dominera le monde."

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Brzezinski et la suprématie américaine

Plus près dans le temps, c'est l'Américain d'origine polonaise Zbigniew Brzezinski qui devait procéder à la réactualisation la plus élaborée de la pensée de Mackinder en ce qui concerne l'Eurasie. Il affirmait que la suprématie américaine - réellement existante dans les années 1990, lorsqu'il défendait les idées que nous allons évoquer ici - dépendait «directement de la durée et de l'efficacité avec lesquelles ils (les États-Unis) peuvent maintenir leur prépondérance sur le continent eurasien», et il prévoyait toute une géostratégie pour que les États-Unis parviennent à cette prépondérance.

D'une manière générale, sa réflexion repose sur l'idée fondamentale de Mackinder selon laquelle la suprématie mondiale se dispute essentiellement en Eurasie, ce qui est en accord non seulement avec le géographe anglais, mais aussi avec d'autres auteurs classiques de la géopolitique tels que Karl Haushofer et Nicholas Spykman. Cependant, il a introduit des changements et a également évité d'entrer dans des polémiques qu'il considérait comme secondaires. Ainsi, pour Brzezinski, il importe peu de savoir quelle zone de la géographie eurasienne est la plus importante comme point de départ de la domination sur le méga-continent, comme l'enseigne Mackinder qui la place en Europe de l'Est, ou comme le fait Spykman, déjà cité, qui place les zones les plus importantes à la périphérie de l'Eurasie, sur un territoire périphérique/littoral qu'il appelle le Rimland.

Pour Brzezinski, la géopolitique s'était déplacée «de la dimension régionale à la dimension globale», et par conséquent, «la prépondérance sur l'ensemble du continent eurasien est la base centrale de la primauté mondiale». Il ne considérait pas non plus comme fondamental de savoir si le pouvoir terrestre ou maritime était plus important. Or, les États-Unis ne sont pas un pays eurasiatique, ce qui amena Brzezinski à développer une pensée visant à distinguer les principales zones de l'Eurasie et à prescrire comment les États-Unis devaient les aborder afin de rester l'acteur déterminant dans la politique internationale. Ainsi, il distingua quatre zones en Eurasie : l'ouest, le sud, l'est; et, ensuite, ce qu'il appelait «l'espace moyen», constitué essentiellement de la Russie. Dans chacune de ces zones se trouvaient des problématiques à aborder, subordonnées à une stratégie globale dont l'objectif fondamental était, comme nous l'avons déjà dit, que les États-Unis deviennent la puissance prépondérante de l'Eurasie, pour laquelle, en outre, ils devaient contrer la montée possible de puissances remettant en question la domination américaine et pouvant éventuellement la défier. Pour Brzezinski, le pire scénario possible serait la formation d'une alliance anti-hégémonique composée de la Russie, de la Chine et de l'Iran.

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Maintenant, qu'est-ce qui était les principaux défis dans chacun de ces domaines et comment les Etats-Unis les abordaient-ils? En ce qui concerne l’Europe (la zone ouest), les États-Unis devraient promouvoir l’unité du Vieux Continent en favorisant l’expansion de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), ainsi que de l’Union européenne (UE). En Europe aussi, les États-Unis pourraient projeter le matériel assurant la sécurité pour les initiatives de l'OTAN (en tant qu'acteur fondamental) ; en attendant, l’Union européenne élargit le modèle constitué d’ordres internes et de multilatéralisme, de libre-échange et des «valeurs occidentales».

Par souci de motivation, Brzezinski définit l’Europe comme étant «la tête de pont démocratique». Pour la géostratégie, la zone sur laquelle elle se présente est complète en termes de sécurité en raison de la multitude de conflits latents, c'est-à-dire ce qui lui fait mériter le nom de «Balkans eurasiens». Quoi qu'il en soit, c'est la zone située dans les limites de l'Asie centrale et de la région du Caucase, sans oublier tout ce qui concerne la Méditerranée orientale, surtout l'extrême nord de l'Afrique, la péninsule arabe, la région qui s'étend du golfe Persique au Pakistan. Compte tenu des difficultés inhérentes à cette zone géographique, Brzezinski propose un pluralisme géopolitique qui lui permettra de ne plus pouvoir contrôler politiquement la région et de permettre à la «communauté mondiale» d'accéder à ses ressources économiques (principalement le pétrole) ainsi qu'à ses atouts financiers.

Brzezinski considérait que la Russie était un acteur positif potentiel dans la région et, dès lors, il fallait s'efforcer de faire d'elle un partenaire régional, sans qu'elle n'y deviennent toutefois une puissance dominante. Par rapport à l'espace central — soit le « trou noir » constitué de l'énorme vide géopolitique qui s'était constitué suite à la désintégration de l'Union Soviétique —, du fait des spécificités de la puissance qui prit le relais de l'URSS, c'est-à-dire la Fédération de Russie, une stratégie particulière à l'égard de celle-ci doit être élaborée vu l'ampleur de ses ressources énergétiques et de son gigantesque arsenal nucléaire. La Russie, en effet, est capable de développer ses propres ressources et de projeter et de démultiplier sa puissance territoriale dans toutes les régions de l'Eurasie.

Pour Brzezinski, la seule voie possible pour Moscou était l'intégration à l'Europe, en forgeant une alliance et un système de coopération transcontinentale qui aurait fait comprendre à la Russie que son destin était de coopérer avec l'Occident et non pas de jouer un rôle d'opposant systématique.

En bref, Brzezinski proposait une Russie encadrée par l'OTAN  -quiaurait même eu la possibilité de coopérer avec l'Alliance atlantique-  et quiaurait entretenu des relations étroites avec l'UE. Une Russie donc qui aurait laissé derrière elle son "passé impérial", qui se serait développée selon les règles de la démocratie libérale et de l'économie libre de marché et serait devenue "occidentale" stricto sensu.  Cette Russie aurait accepté le "pluralisme géopolitique" dans l'ancien cadre de l'impérialisme soviétique", ce qui lui aurait évité la tentation de soumettre des Etats nés de la dislocation de l'URSS. 

Enfin, Brzezinski préconisait, pour la zone orientale -c'est-à-dire l'Extrême-Orientet l'Asie du Sud-Est- une approche en trois volets: les Etats-Unis devraient, selon lui, coopérer avec leur allié traditionnel, le Japon et reconnaître simultanément la Chine montante et l'intégrer.

Avec un Japon 'non régional mais international" et une Chine "non internationale mais régionale", les Etats-Unis auraient pu se créer un "ancrage en Extrême-Orient". Brzezinski reconnaissait le fait de la montée en puissance de la Chine et sa transformation en un acteur important et incontournable mais croyait que la croissance économique chinoise déclinerait avec le temps, ce qui l'amenait à sous-entendre qu'il serait possible, à terme, de le tenir en respect sans trop de problèmes.

Comme mentionné ci-dessus, Brzezinski pensait que le pire scénario était la réalisation d'une alliance anti-hégémonique qui remettrait en question le pouvoir des États-Unis en limitant leur puissance et même en les expulsant de l'Eurasie. Une telle alliance anti-hégémonique pourrait être formée entre la Chine, la Russie et l'Iran, car ces trois pays ont des objectifs stratégiques différents, mais partagent le même rejet de l'intervention américaine dans ce qu'ils considèrent comme leurs domaines d'intérêt. C'est pourquoi les États-Unis devraient nouer des alliances et promouvoir le pluralisme géopolitique en Eurasie, tout en affrontant les concurrents potentiels en leur faisant comprendre que le coût de la défiance serait très élevé, mais en évitant en même temps de menacer les intérêts vitaux de ceux qui aspirent à une sorte d'hégémonie régionale. En bref, la recette de Brzezinski pour l'Eurasie était basée sur:

1) la recherche d'équilibres régionaux et de pluralisme géopolitique dans des zones bien définies;

2) la dissuasion des challengers, mais en évitant de menacer les revendications légitimes de ceux qui cherchent à devenir des acteurs régionaux importants ; et

3) l'empêchement de former toute alliance potentielle qui pourrait défier avec succès la puissance américaine.

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Mackinder et Brzezinski n'avaient pas si tort que cela

En examinant le paysage actuel, nous arrivons à la conclusion que les idées fondamentales de la géopolitique classique en général, et celles d'Halford Mackinder et de Zbigniew Brzezinski en particulier, restent valables dans le désordre mondial d'aujourd'hui. L'euphorie des années 1990 liée au triomphe de l'Occident dans la guerre froide est révolue. L'optimisme du projet de mondialisation, avec son expansion de la démocratie libérale, de l'économie de marché et du « monde fondé sur des règles », a également disparu. Aujourd'hui, les idées cosmopolites semblent même grossièrement caricatureales. Les théories de la paix démocratique et celles qui postulaient un monde intégré et coopérant pour des intérêts économiques ont été reléguées à l'arrière-plan. Le monde « business as usual » de la politique de puissance est revenu, avec tous les problèmes qui en découlent: méfiance à l'égard de la sécurité, concurrence pour les ressources, protectionnisme économique, primauté du calcul égoïste dans la prise de décision, « intérêt national » d'abord, etc. Un autre constat est que la structure internationale est devenue multipolaire. En effet, la Chine, les Etats-Unis et, un peu plus loin, la Russie, sont aujourd'hui les grandes puissances qui façonnent le système international. Malheureusement pour les États-Unis, la Chine et la Russie montrent de plus en plus qu'elles sont sur la même longueur d'onde en matière d'énergie et de sécurité. Comme si cela ne suffisait pas, l'Iran a également noué de bonnes relations avec les deux États, en particulier avec la Russie, ce qui a conduit à un rapprochement qui ressemble de plus en plus à l'alliance anti-hégémonique que craignait Brzezinski. Mais voyons comment les scénarios se présentent dans les zones que ce dernier avait analysées dans les années 90.

En ce qui concerne la "zone occidentale", la Russie, remise sur pied, a réagi car elle est loin d'être un "trou noir". Elle a réagi finalement contre l'élargissement de l'OTAN et contre la volonté de cette alliance d'inclure en son sein la Géorgie et l'Ukraine. A plusieurs occasions, Poutine a bien précisé que l'élargissement de l'OTAN constituait une menace pour lasécurité de la Russie et que le soutien apporté par l'Europe au processus d'intégration de l'Ukraine dans l'alliance consistait à franchir une ligne rouge et ne serait pas toléré. Donc quand l'Ukraine a manifesté clairement sa volonté d'adhérer à l'OTAN et que l'OTAN a accepté implicitement cette candidature, Poutine a réagi et a commencé la guerre qui fait toujours rage aujourd'hui. 

Les racines immédiates de cette guerre se situent dans la menace existentielle que perçoit la Russie en Ukraine si celle-ci est intégrée dans la projection militaire de l'Occident, visant les portes d'accès à son territoire propre. Les grandes puissances sont strictes quant à l'intangibilité de leurs frontières et ne veulent pas qu'une autre puissance (ou une alliance de puissances) avance ses pions dans leur proximité. 

Pourquoi les Nord-Américains ont-ils réagi énergiquement lorsque des missiles de l'Union Soviétique furent installés à Cuba? De plus, Poutine a défié les valeurs occidentales et le type de guerre internationale qui a été créé, modelé et soutenu par les États-Unis. Il défi donc un ordre mondial basé sur des sociétés ouverteset multiculturelles, avec des marchés libres, des frontières fluides et reposant sur une théologie séculière, celle des droits de l'homme et des libertés individuelles. Le président russe, lui, se base sur une vision conservatrice et statique qui postule le primat de l'intérêt national, ce qui l'amène a rejeter l'odre mondial en vigueur aujourd'hui et réclame une révision impliquant une façon nouvelle de percevoir les relations internationales, tenant compte des nouvelles réalités, soit de la redistribution des cartes en matière de puissance dans le monde. La Russie se positionne sur de telles lignes d'une manière qui sert au mieux ses intérêts. La Chine, à son tour, partage cette vision. 

Dans les "Balkans eurasiatiques", au moment où nous écrivons ses lignes, le conflit régional s'est dramatiquement accentué opposant Israël, un allié important des Etats-Unis dans la région, à ce qu'il est convenu d'appeler "l'Axe de la résistance", soit l'alliance entre l'Iran et divers groupes et milices soutenus par lui, comme le Hezbollah, le Hamas ou les Houthis du Yémen ainsi que d'autres organisations qui sont actives en Irak en Syrie  et dans les territoires palestiniens. Le prétexte direct pour l'escalade en cours a été l'attaque du 7 octobre 2023, lorsque un groupe appartenant au Hamas est parvenu, suite à une action risquée, à franchir la frontière dans le sud d'Israël, opération qui provoqua la mort de centaines de civils et de soldats à l'intérieur même des frontières de l'Etat hébreu. 

A l'évidence, cette confrontation à des racines bien plus profondes et anciennes, dont l'examen excèderait le cadre du présent article. Quoi qu'il en soit, la réaction ne se fit pas attendre et Israël commença une opération de défense dans la Bande de Gaza qui, en fait, est une opération "terre brûlée". La conséquence de cette riposte fut que le Hezbollah lança des missiles sur le nord d'Israël afin de défendre les Palestiniens; les Houthis, quant à eux, tirèrent des missiles depuisle Yémen et, ultérieurement, les Iraniens se lancèrent dans la mêlée...  

La situation au Moyen- et Proche-Orient est donc loin d'être tranquille à l'heure actuelle si bien que cette région est pls instable que jamais, avec des conséquences mondiales car les Etats qui ont des alliés et des intérêts dans la région sont concernés ou parce que la République Populaire de Chine  intervient activement aujourd'hui dans les affaires du monde, contrairement à ce qui se passait jadis: en effet, elle veut être l'un desgarants de lasécurité internationale en Eurasie, un défi qu'elle doit relever si elle veut conserver son statut de grande puissance.  Il est difficile de comprendre l’importance des principaux aspects de la région. Il est difficile de prévoir quelle tournure prendront les événements si les trois grandes puissances ont desintérêts divergents dans la région. De plus, aujourd'hui, la zone compte avec les États qui aspirent à être des puissances régionales et disposent d'un bon nombre de ressources ou d'atouts pour défendre leurs intérêts, comme l'Arabie Saoudite, l'Iran, Israël et la Turquie.

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Que dire en ce qui concerne l'Extrême-Orient ? L'un des faits les plus notoires de la politique mondiale contemporaine est l'ascension de la Chine, qui est déjà devenue le plus grand concurrent des États-Unis à l'échelle mondiale. La République populaire de Chine dispose de vastes ressources et de la volonté de défendre ses intérêts loin de ses frontières, mais elle est consciente qu'elle ne pourra pas mener sa politique étrangère sans menacer les intérêts américains. Cependant, sa stratégie repose généralement sur la capacité à générer des affaires et promouvoir des intérêts partagés. La Chine construit des infrastructures, prête de l'argent, fait preuve de diplomatie et montre peu d'intérêt à intervenir dans les affaires des pays auxquels elle accorde des avantages. Bien sûr, ce n'est pas le cas partout, comme en ce qui concerne Taïwan. De plus, la Chine aide des pays très faibles qui ont parfois beaucoup de mal à répondre aux exigences qu'elle impose. Quoi qu'il en soit, la Chine reste déterminée à construire un réseau d'infrastructures, d'affaires, de questions militaires et de diplomatie qui finit par entrer en confrontation avec les intérêts américains. De leur côté, les États-Unis réagissent par des contre-mesures pour neutraliser ce qu'ils perçoivent comme des menaces à leurs objectifs. La Chine construit des alliances, des routes et des ports, entre autres, dans le cadre de l'Initiative de la Ceinture et la Route, à travers laquelle elle investit massivement et intègre de vastes territoires; ou avec des structures économiques telles que l'Organisation de Coopération de Shanghai, le groupe BRICS ou la Banque asiatique d'investissement et d'infrastructure. Les États-Unis réagissent avec des organisations déjà existantes ou créées pour la compétition actuelle. Avec diverses fonctions dans les domaines militaire et économique, les Américains soutiennent l'OTAN, le NORAD, le QUAD, l'initiative des Cinq Yeux, l'AUKUS, la Banque mondiale, le Cadre économique indo-pacifique pour la prospérité, entre autres, et concluent des accords bilatéraux avec divers alliés et partenaires.

De ce bref aperçu, nous pouvons tirer quelques conclusions. La première d'entre elles est que l'Eurasie reste manifestement le principal échiquier dans la compétition que se livrent les puissances pour atteindre leurs objectifs. D'autre part, nous pouvons constater que les affirmations de Brzezinski concernant les principales zones de conflit en Eurasie étaient fondamentalement vraies: les fronts de conflit entre les États-Unis et leurs challengeurs se situent en Europe de l'Est, au Proche et au Moyen-Orient et en Extrême-Orient. Une autre conclusion est que la structure internationale est multipolaire, les États-Unis n'étant plus la seule superpuissance mondiale comme dans l'immédiat après-guerre froide, mais partageant le sommet de la hiérarchie internationale avec une Chine montante qui, à l'avenir, pourrait peut-être devenir le « pair concurrent » des États-Unis ; et un peu plus loin, mais avec une politique étrangère active qui n'hésite pas à aller à la guerre, une Russie revitalisée par l'action de Vladimir Poutine. Ces deux derniers États, en outre, et avec la République islamique d'Iran, ont mis au point un ensemble de mesures d'assistance mutuelle de mieux en mieux huilé, constituant quelque chose de proche de ce que craignait Brzezinski, une alliance anti-hégémonique destinée à défier la puissance américaine. Nombreux sont ceux qui incluent dans cette alliance la Corée du Nord, faible mais toujours imprévisible et secrète.

Dans un avenir prévisible, les États resteront les acteurs les plus importants du système international et les grandes puissances se disputeront l'attention, le temps et les ressources en Eurasie. Il est difficile de prédire comment la Russie sortira de la guerre avec l'Ukraine et si elle se remettra matériellement et politiquement du conflit tout en conservant son statut de grande puissance. Ou bien elle sera affaiblie, descendra de quelques échelons dans la stratification de la puissance mondiale, et le monde évoluera vers une structure bipolaire avec les États-Unis et la Chine comme concurrents égaux. Cependant, il est clair que de nouveaux enjeux et espaces de compétition s'ajouteront où chaque puissance cherchera à façonner l'ordre à venir de la manière qui lui convient le mieux: ce sera le cas sur des questions telles que le climat, le cyberespace ou les nouvelles technologies telles que l'intelligence artificielle, la biotechnologie et la nanotechnologie. Si l'on y ajoute des problèmes traditionnels comme l'accès et la régulation des espaces partagés (océans, pôles, espace extra-atmosphérique), le développement de l'exclusion, l'impact des technologies sur le monde du travail, l'hiver démographique dans les pays riches et la difficulté de faire face aux menaces transfrontalières, entre autres, on peut d'ores et déjà entrevoir un monde en pleine turbulence.

dimanche, 18 août 2024

Brendan Simms : Le retour du grand espace ? (Cours sur Carl Schmitt)

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Recension - Brendan Simms : Le retour du grand espace ? (Cours sur Carl Schmitt)

Brendan Simms, directeur du Centre de géopolitique de l'université de Cambridge, estime dans un nouveau livre que l'ordre mondial américain globalisé est menacé par la Chine et la Russie, dont les stratèges et les hommes d'État reviennent à la pensée du "grand espace". Par deux fois, en 1918 et en 1945, la lutte contre l'ordre mondial anglo-saxon s'est mal terminée pour les puissances terrestres. L'issue, cette fois-ci, est incertaine. Le docteur en sciences politiques Seyed Alireza Mousavi commente l'ouvrage du Prof. Simms.

par Seyed Alireza Mousavi

Source: https://www.freilich-magazin.com/kultur/rezension-brendan-simms-die-rueckkehr-des-grossraums-carl-schmitt-vorlesungen

Simms a publié son ouvrage chez Duncker & Humblot

L'ordre mondial dominé par les États-Unis est depuis longtemps ébranlé. Sur le champ de bataille ukrainien, les États-Unis mènent une guerre par procuration contre la Russie, tandis que Washington tire actuellement les ficelles de l'opération militaire brutale menée par Israël contre Gaza. Dans le même temps, les États-Unis, superpuissance dominante, se voient menacés par les progrès économiques et technologiques de la République populaire de Chine, qui est en train de devenir une très grande puissance. Le directeur du Centre de géopolitique de l'université de Cambridge, Brendan Simms, estime que l'ordre mondial américain globalisé est menacé par la Chine et la Russie, dont les stratèges et les hommes d'État reviennent à la pensée du "grand espace" (Grossraum).

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Les lignes de bataille mondiales sont déjà clairement visibles ici. En Ukraine, l'Occident rejette l'affirmation de Poutine selon laquelle le territoire fait partie de l'espace russe. En Asie, la Chine confronte militairement l'Occident à Taïwan et dans la mer de Chine méridionale afin d'émanciper son espace géopolitique de la domination des puissances maritimes occidentales. Au cours des 120 dernières années, nous avons observé qu'une force anglo-saxonne et universaliste dominante a été contestée par des puissances émergentes, toutes enracinées régionalement. Par deux fois, en 1918 et en 1945, ces attaques se sont mal terminées pour les adversaires des forces de l'ordre mondial anglo-saxon. Il est impossible de savoir comment cela se terminera cette fois-ci. Dans sa conférence sur Carl Schmitt à Berlin, récemment publiée sous forme d'opuscule chez Duncker & Humblot, Simms a défendu la thèse selon laquelle le concept de grand espace a de nouveau le vent en poupe dans le monde: après la bipolarité de la Guerre froide et l'unipolarité américaine après 1989, le monde s'est à nouveau tourné vers le régionalisme et la multipolarité au cours des 20 dernières années.

Le retour des grands espaces ?

La Russie parle depuis longtemps d'un espace plus vaste qu'elle souhaite dominer, tout comme la Chine. Dans ce contexte, il est régulièrement fait référence à un nom et à un concept qui ont connu une renaissance ces dernières années: Carl Schmitt et le grand espace. La pertinence actuelle de Carl Schmitt se rapporte principalement à sa critique de l'hégémonie anglo-américaine.

La pensée allemande du Großraum a toujours eu une forte coloration anti-britannique et anti-américaine, selon laquelle la principale menace pour l'Allemagne ne vient pas de la France ou de la Russie, mais de la puissance maritime et économique anglo-américaine. Les origines du concept de grand espace, l'idée que l'Europe centrale devrait être regroupée autour de son noyau allemand, remontent au début du 19ème siècle. Du côté anglo-saxon, ce débat a toujours été enregistré avec « inquiétude », à savoir qu'une autre puissance pourrait créer un système d'ordre totalement différent en Europe et en Eurasie.

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Le national-socialiste Adolf Hitler avait devancé Schmitt sur les questions géopolitiques concernant l'avenir de l'Allemagne après « le diktat de Versailles ». Les vues de Schmitt étaient largement en accord avec celles de Hitler en 1939-42. La conception de Hitler n'était cependant pas dérivée de celle de Schmitt. Hitler avait déjà développé sa conception de l'espace et réfléchi à la doctrine de Monroe depuis un certain temps, bien avant que le juriste ne l'aborde en détail. L'historien Simms cite l'interview d'Hitler au New York Times, dans laquelle il a fait part de ses projets de Monroe Doctrine pour l'Allemagne. Selon Hitler, l'Europe devait être laissée à l'Allemagne et le reste du monde aux puissances anglo-saxonnes, sur la base d'un accord de non-ingérence mutuelle dans les affaires de l'autre.

Une doctrine européenne de Monroe

Le cœur du raisonnement de Schmitt était également anti-universaliste. Au lieu d'un ordre mondial basé sur certains principes universels, qu'il ne considérait que comme un paravent de l'impérialisme anglo-américain basé sur le droit d'intervention (ndt: d'immixtion permanente et ubiquitaire), Schmitt appelait à la mise en place d'un système multipolaire basé sur de grands espaces géographiquement délimités.

Il y avait cependant des différences entre les ambitions d'Hitler et le concept de Schmitt: Schmitt ne donnait pas de définition géographique précise de la grande région à placer sous une supervision allemande. Son Großraum était davantage un espace géo-juridique qu'un espace géopolitique. En effet, Schmitt n'envisageait pas seulement un système multipolaire, mais aussi une pluralité de systèmes politiques. A cela s'ajoutent des attitudes différentes vis-à-vis de l'Union soviétique: au début, le troisième Reich a essayé d'intéresser Staline à cette idée. Le pacte germano-soviétique de 1939 semblait ouvrir la possibilité d'un bloc eurasien s'étendant de l'Atlantique au Japon. En fait, l'ouvrage Land und Meer de Schmitt a été lu plus tard, de manière plausible, comme une critique voilée de la rupture du pacte germano-soviétique par Hitler. En effet, les deux alliés temporaires étaient des puissances terrestres ayant des intérêts communs contre les « monstres marins » anglo-saxons et tout-puissants.

L'historien Simms considère Schmitt comme un précurseur de l'eurasisme. En effet, l'Union soviétique et le communisme n'étaient pas les principaux ennemis de Schmitt pendant la guerre froide. L'ennemi restait les revendications universelles de l'Occident. Dans son dialogue sur le partisan, Schmitt vantait lui aussi les Chinois comme un peuple autochtone et les opposait implicitement aux puissances maritimes occidentales.

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Schmitt en tant que penseur eurasien

Dans sa conférence de Berlin, Simms constate qu'il existe une ligne directe et puissante qui va de Carl Schmitt à Poutine et Xi Jinping.  Les eurasistes et les historiens russes se réfèrent au Grand Espace comme à une « fabrication du droit et un manifeste pour le retour à la grandeur de la Russie ». Elena Vladimirovna Panina, députée bien connue en Russie, a espéré qu'une alliance entre Moscou, Paris et Berlin s'opposerait à l'alliance des puissances maritimes menée par les États-Unis et le Royaume-Uni. Dans cette perspective, l'attaque russe contre l'Ukraine fin février 2022 sera considérée par les Eurasiens proches du Kremlin comme un acte d'autodéfense.

La pensée de Schmitt, en raison de son opposition au libéralisme, a une longue histoire de réception en Chine. Les Chinois font l'éloge de Schmitt en tant qu'historien global qui aide à comprendre la situation difficile de la Chine à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle en tant qu'« espace libre » global dominé par d'autres, et qui leur fournit, sous la forme de la théorie des grands espaces, les outils précis pour gérer cette situation au 21ème siècle.

La peur et la haine des Anglo-Saxons ne sont pas aussi prononcées en Chine qu'en Russie, mais elles constituent une part importante de « l'imaginaire politique », constate l'historien irlandais. La Chine a récemment dénoncé le pacte AUKUS entre l'Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni sur le partage de la technologie des sous-marins nucléaires comme un « bloc anglo-saxon ».

L'alliance Moscou-Pékin

Selon Simms, la racine de l'entente entre Poutine et Xi réside dans leur hostilité commune à la tentative de l'Occident d'appliquer des « principes démocratiques » à l'échelle mondiale. La Russie et la Chine ont en tête la création d'un méga-espace reliant les espaces russes et chinois. L'historien voit actuellement une confrontation entre, d'une part, le grand espace russe et le grand espace chinois, qui représentent chacun un principe particulier dans le monde, et d'autre part, l'Occident universel, qui est géographiquement ancré dans l'anglo-sphère, mais qui prétend opérer à l'échelle mondiale.

Le fait que l'historien irlandais, dans ses cours sur Carl Schmitt à Berlin, établisse un parallèle entre la coexistence des grands espaces russe et chinois et le pacte tripartite de 1940 (Allemagne nazie, Italie, Japon) témoigne de la mesure dans laquelle Simms est resté bloqué dans son analyse des rapports de force des années 40. Simms construit en effet une nouvelle bipolarité entre les Etats-Unis et le bloc Chine/Russie, puis la confond avec la multipolarité. La montée du Sud mondial et l'émergence des BRICS constituent à mon sens un contexte plus approprié pour analyser la transition de l'ordre mondial de l'unilatéralisme des puissances maritimes vers la multipolarité des puissances terrestres. Simms ignore également totalement le fait que la nouvelle puissance terrestre qu'est la Chine étend son influence au-delà de son propre espace culturel par le biais du projet de la Nouvelle route de la soie, bien qu'elle ne souhaite pas imposer ses valeurs originaires d'Asie de l'Est à des espaces étrangers. Et ce schéma s'applique aussi largement à d'autres nouvelles puissances comme la Russie, l'Inde, la Turquie, l'Iran, etc. Dans ce contexte, la pensée des grands espaces nécessite une nouvelle définition pour répondre aux évolutions géopolitiques actuelles.

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A propos de l'auteur :

Seyed Alireza Mousavi, d'origine iranienne, est docteur en sciences politiques, exégète de Carl Schmitt et journaliste indépendant, spécialisé en géopolitique et vivant à Berlin.

lundi, 12 août 2024

Comment Washington a utilisé les mouvements takfiri et l'islamophobie pour atteindre ses objectifs géopolitiques

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Comment Washington a utilisé les mouvements takfiri et l'islamophobie pour atteindre ses objectifs géopolitiques

Khamal Wakim

Source: https://geoestrategia.es/noticia/43189/geoestrategia/como-utilizo-washington-los-movimientos-takfiri-y-la-islamofobia-para-lograr-sus-objetivos-geopoliticos.html

Au cours des deux derniers siècles, l'islam a été une identité culturelle manipulée par les Anglo-Saxons, d'abord par les Britanniques, puis par les Américains. Les États-Unis d'Amérique - au cours du 19ème siècle et jusqu'aux suites immédiates de la Première Guerre mondiale - ont eu une stratégie nationale qui a éclipsé toute politique extra-américaine dans la stratégie générale des États-Unis, lesquels ont accordé à leurs affaires intérieures une priorité bien plus grande qu'aux affaires étrangères. Cette stratégie, appelée "construire la différence", s'est traduite par la mise en place d'un gouvernement national et la stabilisation du système national d'autorité politique, ainsi que par l'expansion des activités économiques et l'augmentation de la capacité industrielle du pays.

Les effets de cette stratégie se sont rapidement manifestés par le renforcement des fondements de la culture américaine et le développement de l'infrastructure nationale de l'économie américaine. La victoire américaine dans la guerre hispano-américaine tout à la fin du 19ème siècle a démontré que les États-Unis étaient devenus une puissance mondiale (1).

La concurrence entre les Britanniques et les Américains a pris une dimension géopolitique. En raison de leur concurrence avec la Russie au 19ème siècle pour obtenir une hégémonie mondiale incontestée, les Britanniques ont utilisé l'Empire ottoman, l'Empire perse et le Khanat afghan comme tampons entre leur zone de contrôle en Inde et dans l'océan Indien, d'une part, et la Russie, d'autre part, afin d'empêcher la Russie de se déplacer vers le sud en direction de l'océan Indien et de l'Inde [2]. Les Britanniques ont adopté cette stratégie au cours du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle dans le cadre de leur plan visant à séparer les Russes du monde arabo-islamique.

Quant aux États-Unis, ce n'est pas seulement l'identité islamique qui a été manipulée, mais aussi l'identité arabe, car le stéréotype négatif de la personne arabo-musulmane est l'une des images les plus importantes que le cinéma américain a véhiculée pendant plus d'un siècle et qu'il a promue à travers ses films qui, par leurs influences et leurs techniques, ne laissaient aucune place à la réflexion. Le cinéma a présenté au spectateur une image tirée d'un certain orientalisme, soit une image déformée du musulman à travers un contexte visuel très particulier qui fait que le spectateur reçoit ce qu'il voit comme une vérité qui ne laisse aucune place à la réflexion ou au doute, niant la vertu des musulmans au fil de plusieurs décennies, ignorant toute différence entre l'islam et le terrorisme, et entre le musulman et l'arabe, ignorant leur véritable référence, et mettant l'accent sur des connotations qui détruisent au lieu de construire.

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Cette vision américaine de l'identité culturelle des Arabes en particulier et de l'Islam en général a conduit à un renforcement de l'hostilité des peuples arabes et islamiques à leur égard et à la croissance constante des forces anti-américaines et anti-israéliennes face à la faiblesse de l'armée américaine en termes de présence sur le terrain pour des raisons militaires et économiques, ce qui a conduit les États-Unis et leurs alliés et affiliés régionaux à adopter une politique tridimensionnelle.

Premièrement, la nécessité de disposer d'armées alternatives capables d'accomplir des missions stratégiques ou tactiques, en application de la stratégie américaine représentée par la "guerre hybride" ou "guerre asymétrique", qui est une nouvelle génération de guerre créée par les États-Unis d'Amérique. Son contenu est basé sur des guerres par procuration et sur le fait d'attaquer les sociétés de l'intérieur et de les fragmenter sans avoir besoin d'envoyer leurs armées.

Deuxièmement, la difficulté d'une confrontation directe avec les groupes takfiri que Ben Laden a réussi à pousser temporairement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 à combattre l'ennemi lointain, et la nécessité qui est apparue après le 11 septembre de les ramener à leur idéologie préférée qui consiste à attaquer l'ennemi proche et les ennemis locaux.

Troisièmement, l'establishment occidental avait souvent besoin d'une justification pour intervenir militairement, ainsi que pour conclure des accords à long terme (sécurité, économie...) avec les pays ciblés par le terrorisme takfiri. Par conséquent, la présence de penseurs a été prise en compte pour justifier l'intervention, comme cela s'est produit en Irak en 2003, en Libye en 2010, en Syrie en 2011 et dans d'autres interventions qualifiées de "printemps arabe", sans parler de la nécessité pour l'Amérique et les pays occidentaux d'exporter et de se débarrasser des éléments intellectuels actifs sur leur territoire.

D'autre part, les alliés régionaux de l'Amérique ont trouvé dans la stratégie américaine susmentionnée un reflet de leur désir d'alléger la pression intérieure exercée par les mouvements takfiri dirigés par des putschistes, Les pays arabes et islamiques alliés des États-Unis ont jugé nécessaire de se débarrasser des structures organisationnelles takfiris ou de les affaiblir autant que possible en les poussant dans des zones stratégiques pour commettre assassinats et embuscades. La motivation ultime de ces pays pour contribuer à la stratégie de contrôle indirect a une dimension régionale, liée à l'utilisation de ces groupes pour atteindre des objectifs politiques régionaux, comme c'est le cas en Syrie depuis 2011.

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Naturellement, les groupes takfiri, par leur nature même, ont créé la capacité de pratiquer cette stratégie envers eux-mêmes. Avec leur hostilité et leurs accusations adressées à tout le monde, où tous sont campés comme des infidèles, plus leurs accusations mutuelles d'être eux-mêmes des infidèles, ils se sont trouvés capables d'être dirigés dans n'importe quelle direction possible et disponible.

Avec leur fragmentation intellectuelle et jurisprudentielle et leur perte de leadership et de stratégie unifiée, ils ont créé la capacité de pénétrer leurs propres structures et de se faire diriger séparément, et ils ont également souffert de la grave faiblesse de ne pouvoir faire de la prévention en matière de sécurité, ce qui a facilité les opérations de recrutement et de pénétration des services de renseignement, et en conséquence de la pression politique et sécuritaire à laquelle les groupes takfiris ont été exposés, ils se sont souvent retrouvés dans la position de chercher n'importe quel débouché à leur disposition, d'autant plus que leur discours comporte des objectifs très ambitieux par rapport à leur capacité réelle et au champ d'action étroit dans lequel ils opèrent.

En outre, il existe un problème majeur lié au financement, à savoir la perte d'un État islamique indépendant et solidaire pour leur fournir l'argent dont ils ont besoin, ce qui les rend dépendants de pays affiliés exclusivement aux États-Unis, tels que l'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, la Turquie et le Pakistan.

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Débarquement de troupes américaines au Liban, 1958.

La stratégie américaine pendant la guerre froide

Entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis sont peu intervenus dans les affaires de l'hémisphère oriental. Mais les considérations liées à la guerre froide ont contraint les États-Unis à modifier leur stratégie dans la région arabe, rendant plus difficile la conciliation des intérêts et des valeurs américains, ce qui a créé des dimensions négatives dans les relations américano-arabes.

Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se sont tournés vers le Moyen-Orient dans le cadre de leur stratégie intégrée visant à isoler et à bloquer l'Union soviétique et le bloc socialiste afin d'empêcher cet énorme bloc eurasien d'accéder à la Méditerranée orientale, ainsi qu'à l'océan Indien et aux routes commerciales maritimes.

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Il convient de noter que le Moyen-Orient, qui s'étend des rives de l'océan Atlantique à l'ouest jusqu'aux frontières de la Chine à l'est, a servi la stratégie américaine, qui visait également à empêcher l'Europe d'atteindre l'Afrique ou de jouer un rôle indépendant des États-Unis sur la scène internationale. À cette fin, les États-Unis ont utilisé l'islam politique radical, connu sous le nom de mouvements takfiri, comme outil de leur stratégie pour mener une guerre douce par procuration contre l'Europe, mais aussi contre la Russie, en essayant d'influencer les populations musulmanes du Caucase et de l'Asie centrale, qui étaient sous la domination de l'Union soviétique. Cela faisait donc partie de la stratégie de Washington visant à saper la stabilité de l'Union soviétique par le biais de son "soft power" en Asie centrale, dans le cadre de sa tentative de gagner la guerre froide, ce qu'il a finalement réussi à faire.

Il convient de noter que cet islam takfiri radical a également été utilisé par les États-Unis pour s'opposer aux partis nationalistes et de gauche progressistes du monde arabe qui étaient anti-impérialistes. À cette fin, nous constatons que les Américains ont utilisé des mouvements takfiri contre des régimes arabes progressistes tels que l'Égypte d'Abdel Nasser (photo) dans les années 1960, la Syrie d'Al-Assad dans les années 1970 et 1980, l'Irak ou le régime socialiste laïc d'Algérie dans les années 1990.

En outre, les États-Unis ont également adopté cette stratégie en se basant sur les enseignements du régime colonial britannique, qui a été le premier à parrainer des mouvements takfiri en Égypte et en Syrie dans les années 1930 et 1940, dans le cadre de sa stratégie visant à renforcer son influence contre les nationalistes et les gauches arabes, ainsi que contre le très populaire parti Wafd en Égypte, au cours des années 1920, 1930 et 1940.

De même, dans les années 1930 et 1940, elle a soutenu des groupes classés comme islam politique en Syrie contre les autorités du mandat français en Syrie, ce qui a conduit à la création d'une version anglo-saxonne des mouvements islamiques, qui ont opté pour un modèle takfiri et se sont formés selon une structure qui correspondait aux intérêts géopolitiques et au programme géopolitique de la Grande-Bretagne, et plus tard à celui des États-Unis, au Moyen-Orient.

Pour comprendre la stratégie américaine pendant la guerre froide, nous devons nous pencher sur l'islam radical et sur le rôle de la guerre froide dans l'émergence des mouvements radicaux Ces dernières années, un nombre croissant de chercheurs ont analysé les événements de la guerre froide à travers une lentille qui permet bien des recoupements. Le Moyen-Orient est l'une de ces régions extérieures et, bien qu'il n'y ait pas de conflits chauds visibles entre les grandes puissances de la région, un examen plus approfondi des politiques étrangères des États-Unis et de la Russie soviétique à l'égard du Moyen-Orient montre que de nombreuses batailles diplomatiques ont été menées pour subjuguer la région [3].

D'abord l'islam radical et le groupe takfiri

Le comportement contradictoire de l'Occident face aux mouvements takfiri a suscité de nombreux doutes, questions et problèmes, depuis l'investissement en Afghanistan à la fin des années 1970 jusqu'à la guerre contre eux dans la péninsule arabique dans les années 1990, en passant par la lutte contre eux en Afghanistan en 2001 et en Irak après l'invasion de 2003, jusqu'au réinvestissement en Syrie en 2011 et l'émergence de l'organisation terroriste ISIS, il y avait beaucoup de points de vue et d'analyses basés sur des modèles mentaux relativement rigides qui ne pouvaient pas suivre le rythme de la flexibilité et de la fragmentation pragmatique qui préoccupe l'esprit occidental. Les forces qui lui sont hostiles l'accusent d'être une travailleuse du sexe professionnelle.

Cet emploi fonctionnel ou ce rôle fonctionnel est joué par les groupes takfiri dans la mise en œuvre du programme occidental selon un système de gestion et de contrôle indirects dans la plupart des cas, en raison de l'agitation idéologique et stratégique que subissent ces groupes, en plus de la sensibilité de leur structure et de leur environnement nourricier et polarisant à l'égard du contact avec les Américains. Le facteur qui alimente ces doutes est la défense désespérée de ces groupes contre toute accusation de relation avec les États-Unis d'Amérique ou l'un des pays qui leur sont affiliés ou qui se trouvent dans leur orbite.

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Le Proche- et le Moyen-Orient en 1789 et en 1920.

Deuxièmement : l'importance géostratégique du Moyen-Orient

Avant la Première Guerre mondiale, la situation internationale était caractérisée par une lutte entre les principales puissances coloniales pour s'étendre hors d'Europe et contrôler la région du Moyen-Orient, y compris les pays arabes, par double avidité: 1) pour dominer leur situation géographique et 2) s'emparer de leurs richesses naturelles. À l'époque, la Grande-Bretagne disposait de la puissance militaire et économique nécessaire pour imposer sa domination sur les mers et les régions stratégiques telles que l'Égypte, le Soudan, le golfe Arabo-Persique et le sud de l'Irak. La France, quant à elle, se contentait d'imposer son influence en Syrie et au Liban, et l'Iran est partagé entre l'influence britannique au sud et l'influence russe au nord. Quant aux États-Unis d'Amérique, ils connaissent à cette époque une expansion interne vers l'Ouest (vers le Pacifique) et l'Extrême-Orient. Leurs entreprises contrôlaient la majeure partie du pétrole produit dans le monde à l'époque. Par conséquent, le Moyen-Orient n'a pas retenu l'attention des Américains, sauf pour certaines questions commerciales et politiques [4].

Malgré cela, la région du Moyen-Orient a fait l'objet d'une grande attention de la part des Américains (surtout après les découvertes de pétrole). L'importance de la région réside dans le fait qu'il s'agit d'une zone de transit internationale importante, puisque c'est la zone où les continents européen, africain et asiatique se rencontrent. Tous ces facteurs ont fait de la région du Moyen-Orient un champ stratégique vital pour les puissances industrielles capitalistes occidentales, car elle assure les flux de pétrole, d'investissements et de matières premières en temps de paix et de guerre, ainsi que des voies navigables, des mers et des bases militaires qui jouent un rôle important dans l'expansion de leur capacité à contrôler le monde.

Compte tenu de la position stratégique importante de cette région, les États-Unis ont lié leur sécurité nationale à la sécurité du Moyen-Orient, car il s'agit d'une base fondamentale de leur politique mondiale. En effet, ils considèrent que la sécurité et la stabilité du Moyen-Orient font partie intégrante du bien-être économique et de la stabilité politique du monde entier.

Bien que l'importance géographique du Moyen-Orient, ainsi que l'importance commerciale et militaire de ses abondants gisements de pétrole, aient pris une dimension stratégique pendant la guerre froide, les intérêts stratégiques, économiques et politiques vitaux des États-Unis dans la région n'ont pas changé après la guerre froide. La stratégie globale des États-Unis consiste à maintenir leur hégémonie sur le monde le plus longtemps possible, tout en empêchant l'émergence de puissances concurrentes et en préservant leur position d'unique superpuissance à la lumière de la mondialisation [5].

Troisièmement : l'histoire du conflit international sur la domination du Moyen-Orient

Il convient de noter que le conflit international concernant la région du Moyen-Orient, y compris les pays arabes, a précédé l'apparition du pétrole dans cette région, et que les raisons du conflit à l'époque se limitaient au contrôle de la situation stratégique particulière de cette partie importante du monde L'écrivain allemand Ernst Jäckh a résumé l'importance stratégique de la situation de cette région en disant : "La guerre vient de l'Est, la guerre éclatera à cause de l'Est et sera décidée à l'Est" [6]. Pendant la Seconde Guerre mondiale, un analyste du conflit dans la région a dit de même : "La guerre vient de l'Est, la guerre éclatera à cause de l'Est et sera décidée à l'Est" [7].

Pendant la Seconde Guerre mondiale, un analyste a écrit un article sur la "stratégie alliée" au Moyen-Orient dans lequel il affirme que cette région constitue aujourd'hui un centre important dans la stratégie mondiale, car les voies de transport y pénètrent par terre et par mer, facilitant le transport des armées et du matériel d'un front à l'autre. Elle est également traversée par des voies de transport qui assurent la coordination des différentes opérations des armées alliées. Le général américain Bruce Palmer (Jr.) estime quant à lui que "le Moyen-Orient est l'une des régions les plus stratégiques du monde, non seulement en raison des vastes quantités de pétrole présentes dans la région, en particulier dans le bassin du golfe Persique, mais aussi en raison de sa situation géographique [...]. Les routes aériennes et maritimes mondiales passent par la région, qui forme un pont terrestre entre la masse continentale eurasienne et le continent africain [8].

En conclusion, ces déclarations indiquent l'ampleur de l'importance extrême qui caractérise la région du Moyen-Orient en général et la région arabe en particulier, en termes de position stratégique qui constitue la principale artère de transport entre l'Orient et l'Occident, en plus des intérêts vitaux qu'elle représente, de nombreuses ressources et d'un vaste marché économique.

Quatrièmement : L'importance du pétrole dans le conflit

Les opérations de prospection pétrolière ont commencé au Moyen-Orient, son importance pour l'avenir de la renaissance industrielle en Europe et à des fins militaires devenant évidente après que des expériences pratiques eurent réussi à démontrer l'adaptabilité du pétrole et sa supériorité sur le charbon pour le fonctionnement des usines, des automobiles et des flottes militaires. Dès lors, la lutte entre les grandes puissances pour les sources de pétrole brut a commencé, car celui qui contrôle ce matériau vital a la capacité de gagner dans toute guerre future. La Grande-Bretagne a été le premier des grands pays à ouvrir la porte à un conflit mondial pour le pétrole, et elle a également été la première à rechercher des concessions d'exploration en dehors de ses frontières territoriales. La Grande-Bretagne n'était pas le seul pays dans ce domaine, puisqu'il y avait l'Allemagne et la France, ainsi que les États-Unis d'Amérique, malgré la politique d'isolement dans laquelle ils s'étaient engagés à ce stade de l'histoire.

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Mais la découverte du pétrole dans cette région a donné une nouvelle dimension à son importance stratégique. Depuis sa découverte au début de ce siècle, le conflit international autour de cette région s'est intensifié, surtout après la décision du commandant de la marine britannique Winston Churchill, en 1910, d'adopter le pétrole comme combustible alternatif au charbon pour la flotte britannique. Les années 1930 ont vu la découverte des moteurs à combustion interne pour les automobiles et les avions et de nouvelles méthodes de lubrification et de graissage. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, qualifiée à juste titre de "guerre du pétrole", la situation géographique du Moyen-Orient et de la région arabe a de nouveau confirmé son importance dans le processus de distribution du pétrole [9].

Si la valeur et l'importance stratégique du Moyen-Orient ont quelque peu diminué par rapport à son territoire en tant que foyer de conflit international en raison des progrès technologiques dans le domaine des transports, des communications et des missiles intercontinentaux, le pétrole reste le pivot le plus important de ce conflit: c'est la première marchandise du commerce international et la source de la production industrielle. Dans ce contexte, il convient de noter que le pétrole du golfe Persique attire l'attention internationale et fait l'objet de considérations politiques et stratégiques, peut-être plus que tout autre pétrole, en raison de l'abondance de ses réserves, de l'expansion de ses utilisations, des conditions de sécurité et de la dépendance croissante dont il fait l'objet.

Le pétrole du Golfe arabe reste donc la cible principale de toutes les ambitions coloniales et de tous les conflits dans la région, et sera bientôt la seule source lorsque les sources de pétrole seront sur le point de se tarir dans les principaux pays industriels. Il n'est donc pas étonnant que les nations l'attaquent et cherchent de diverses manières à le contrôler, ainsi que ses sources et ses voies d'eau.

Nixon, ancien président des États-Unis, l'a confirmé en déclarant: "Le Moyen-Orient est un point de convergence des intérêts des grandes puissances et, en raison de l'importance stratégique de la région, les pays étrangers ont continué à s'y immiscer, parfois de manière concurrentielle" [10], ce que confirme le président chinois Mao Tse Tung : "La guerre du Moyen-Orient était une guerre pour le pétrole, et la valeur économique de ce minerai continuera à être une cause de conflit international dans la région" [11], tout comme l'importance géopolitique du monde arabe au Moyen-Orient, confirmée par le président chinois Mao Tse Tung.

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L'importance géopolitique du monde arabe dans la stratégie américaine

Il semble que le monde arabe et le Moyen-Orient, riches en ressources, non seulement retiennent l'attention des États-Unis, mais détiennent également des clés essentielles dans la compétition géopolitique américano-russe. Les pays arabes dominent les détroits qui contrôlent le trafic maritime le plus important du monde, du Moyen-Orient à l'est jusqu'à l'Europe à l'ouest, c'est-à-dire les détroits qui contrôlent le trafic maritime le plus important du monde, soit Ormuz, Bab al-Mandeb et le canal de Suez, ces détroits constituent un facteur décisif important dans la réalité de la géographie politique du monde arabe, car ils occupent une position géographique à l'intersection des trois continents du vieux monde et contrôlent les routes commerciales mondiales les plus importantes par voie terrestre, maritime et aérienne, faisant du monde arabe une terre de concurrence entre les grandes puissances [12].

En raison de cette importance, les États-Unis d'Amérique ont commencé à chercher à consolider leur contrôle sur le Moyen-Orient, en commençant par le monde arabe, dans le but de construire un nouvel ordre régional fondé sur une vision politique non conventionnelle caractérisée par une présence militaire directe dans certains pays arabes, ce nouvel ordre régional cherchant à "militariser le monde arabe". Et à remodeler le système de sécurité international pour servir les intérêts américains [13].

Alors que le nouvel ordre régional tente de fonctionner dans le cadre d'une stratégie de neutralisation des forces concurrentes des États-Unis d'Amérique, cette stratégie américaine remonte à l'origine à la période précédant la fin de la guerre froide, et visait et vise toujours à maintenir l'hégémonie complète des États-Unis sur le monde arabe, pour laquelle ils se sont efforcés d'atteindre les objectifs suivants:

- Redessiner les traits et les caractéristiques politiques dans les pays du monde arabe pour les rendre plus ouverts et démocratiques, considérant que cela constitue une garantie américaine importante afin que les scénarios et les scènes des événements du 11 septembre 2001 ne se répéteront pas, et cherchant ainsi à préparer la survenue des événements du "printemps arabe", à condition que cela conduise à empêcher l'émergence de tout mouvement ou force politique hostile aux États-Unis d'Amérique, garantissant ainsi qu'aucune force concurrente n'émergera pour rivaliser avec l'hégémonie américaine sur le monde arabe [14].

- Soutenir de manière quasi absolue la présence militaire américaine dans le monde arabe, assiéger l'influence et la présence russe, empêcher son expansion et sa propagation, et œuvrer à sa réduction et à la limitation de son rôle.

- Achever le processus de rapprochement des pays du monde arabe avec l'influence américaine et œuvrer au soutien des régimes politiques qui entretiennent des relations étroites avec Washington et travaillent à la mise en œuvre de ses politiques [15].

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Les événements du printemps arabe ont inauguré une nouvelle ère dans la région du Moyen-Orient, le président américain Barack Obama ayant décrit ces transformations comme une "opportunité historique pour les États-Unis d'Amérique", qui s'inscrit parfaitement dans les nobles objectifs d'américanisation du monde [16].

Il convient de noter ici que cette opportunité historique américaine repose sur le fait que la structure des systèmes régionaux arabes a cessé d'être propice à l'accomplissement de la fonction requise par les États-Unis, ce qui nécessite de les retirer du cercle d'action en les détruisant et en introduisant leurs capacités dans le processus de "chaos califal" en tant qu'option alternative à la stabilité qui est incompatible avec la dynamique des plans américains pour la géopolitique mondiale [17]. Le rapport note que des groupes américains spécialisés ont contribué à alimenter les troubles dans les pays de la Ligue arabe grâce aux programmes de formation, de financement et de parrainage qu'ils ont fournis aux activistes démocratiques dans le monde arabe au cours des dernières années, en plus de la mobilisation et de la gestion des manifestations par le biais des réseaux de médias sociaux.

L'administration américaine avait annoncé "ouvertement et jour après jour" son intention de créer un "nouveau Moyen-Orient".

Elle se rapproche du concept de "gestion de crise" connu dans ce domaine, c'est-à-dire qu'il s'agit d'abord de créer une crise et ensuite de travailler à la gérer progressivement pour atteindre des intérêts prédéterminés. Il s'agit de démanteler le système visé de manière à accéder à ses composantes de base et à tous ses éléments durs et mous, dans le but de l'ébranler partiellement ou totalement et de le remodeler spécifiquement de manière à servir ces intérêts aujourd'hui ou dans un avenir prévisible.

Il n'est pas exagéré de dire que l'administration du président américain Joe Biden et de Donald Trump avant lui est une extension de la même politique étrangère américaine habituelle, et de la logique du chaos créatif qui y opère depuis au moins la fin du siècle dernier : mettre en œuvre le chaos pour maximiser les profits américains.

Il est vrai que les yeux de la nouvelle administration américaine sont "ouverts" à toutes les régions et destinations du monde qui rivalisent pour ses intérêts, mais ils sont plus "ouverts" au Moyen-Orient, au golfe Arabo-Persique et à l'Iran, surtout après l'opération "Déluge d'Al-Aqsa" et ses répercussions géopolitiques et sécuritaires, qui ont affecté la sécurité et l'existence d'Israël.

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La stratégie américaine de l'après-guerre froide

Après la fin de la guerre froide, les États-Unis ont voulu contrôler la région du Moyen-Orient, qui s'étend des rives de l'océan Atlantique à l'ouest jusqu'aux frontières de la Chine à l'est, afin de contrôler la région où se croisent les principales routes terrestres et maritimes internationales.

À cette fin, Washington a non seulement voulu contrôler cette région, mais a également tenté de promouvoir une certaine forme d'islamophobie dans le cadre de son plan visant à créer un mythe selon lequel l'islam représenterait une menace pour la modernité et pour les autres civilisations voisines, telles que l'Europe catholique et protestante, la Russie, l'orthodoxie, la Chine confucéenne, l'Inde hindoue et l'Afrique subsaharienne chrétienne, afin de renforcer sa stratégie de division entre l'Europe et le nord de la Méditerranée, d'une part, et l'Afrique et le sud de la Méditerranée, d'autre part, comme le montrent clairement le livre de Samuel Huntington sur le choc des civilisations et les écrits anti-islamiques de Bernard Lewis mettant en garde contre la violence inhérente à la religion islamique.

Utiliser l'islamophobie contre l'Europe

Cela aurait servi l'objectif américain d'isoler l'Europe de l'accès à l'Afrique, de sorte que l'Europe aurait dû obtenir l'approbation de Washington pour maintenir son influence en Afrique sub-saharienne.

En outre, les États-Unis voulaient utiliser le Moyen-Orient dans le cadre de leur stratégie visant à détourner l'attention des Européens de l'Ouest de l'Afrique vers l'Europe elle-même, et c'est la raison pour laquelle les États-Unis ont promu un programme qui a conduit à une guerre civile dans l'ex-Yougoslavie par l'utilisation d'islamistes radicaux dans la guerre contre la Serbie et la Yougoslavie, ce qui a finalement conduit à la désintégration de la Yougoslavie en plusieurs États et à la création de la Bosnie-Herzégovine sous la protection des États-Unis.

Par la suite, les États-Unis ont encouragé un mouvement séparatiste au Kosovo en attisant les conflits entre les musulmans albanais et les orthodoxes serbes pour construire une base militaire au Kosovo, la plus grande base américaine en Europe, afin de mettre en œuvre des politiques qui menacent la stabilité en Europe, d'une part, et celle du bassin de la mer Noire, d'autre part.

Cela faisait partie de sa stratégie visant à créer de l'islamophobie en Europe et à influencer la stabilité européenne. Cela signifie que l'Europe dépendra des États-Unis pour sa sécurité, ce qui la privera de la possibilité d'être politiquement indépendante de Washington.

Utilisation de l'islamophobie contre la Russie

En outre, les États-Unis ont utilisé l'islamophobie dans le cadre de leur stratégie visant à creuser un fossé entre les musulmans du Caucase et d'Asie centrale, d'une part, et la population russe orthodoxe, d'autre part, afin de transformer ces deux régions en bases de déstabilisation et de diviser la Russie en de nombreux petits États qui seraient faciles à contrôler depuis les États-Unis, et cela explique pourquoi les États-Unis ont soutenu le mouvement séparatiste tchétchène, qui a provoqué la première guerre de Tchétchénie au début des années 1990 et la deuxième guerre de Tchétchénie au cours de la première décennie du 20ème siècle.

Ce mouvement séparatiste a été contenu par les Russes, non seulement par l'usage de la force, mais aussi en se rapprochant de l'Islam et de la population musulmane sous la présidence de Vladimir Poutine, et en promouvant certains Frères musulmans orthodoxes dans le Caucase et en Asie centrale.

Un outil contre la Chine et l'Inde

Les Américains ont également tenté d'utiliser l'islam radical et l'islamophobie pour creuser un fossé entre le Moyen-Orient, d'une part, et la Chine, d'autre part, en encourageant l'islam radical à devenir le noyau du mouvement séparatiste dans le nord-ouest de la Chine, dans la région du Xinjiang, dans le cadre de la stratégie de Washington visant à créer de l'instabilité en Chine et à l'assiéger avec un groupe d'éléments déstabilisateurs.

En outre, ils ont créé une crise au Myanmar entre les populations bouddhistes et musulmanes dans le cadre de la stratégie américaine visant une nouvelle fois à créer de l'instabilité, non seulement au Myanmar pour empêcher l'accès de la Chine à l'océan Indien, mais aussi dans la région chinoise du Yunnan, au sud-est de la Chine, dans le cadre de la stratégie américaine visant à saper la souveraineté chinoise et à déstabiliser la région du Tibet, qui borde le Yunnan à l'est et le Xinjiang à l'ouest.

Enfin, les États-Unis ont établi une sorte de patronage du nationalisme hindou en Inde, représenté par le Bharatiya Janata Party, qui mène un programme anti-islamique, en plus du parrainage américain historique des extrémistes takfiri en Afghanistan, au Pakistan et en Inde même, dans le cadre du programme américain visant à creuser un fossé entre l'Inde d'une part et le monde arabo-musulman d'autre part.

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Les Américains tentent notamment de renforcer l'islamophobie en soutenant et en parrainant l'État islamique en Irak et au Levant (ISIS), Boko Haram et d'autres groupes terroristes qui arborent le drapeau d'une idéologie extrémiste dans les pays subsahariens, dans le cadre des efforts visant à creuser un fossé entre l'Afrique du Nord à majorité arabo-musulmane et la région subsaharienne africaine à majorité chrétienne.

Tout cela fait partie de la tentative américaine de creuser un fossé entre le monde arabo-musulman, d'une part, et les civilisations voisines telles que les catholiques et les protestants européens, l'orthodoxie russe, les Chinois confucéens, les hindous indiens et les Africains chrétiens, d'autre part. Cela sert la stratégie américaine, non seulement en créant des tensions et des fossés entre le Moyen-Orient d'une part et ces civilisations ou régions d'autre part, mais fait également partie de la stratégie visant à rendre la région du Moyen-Orient dépendante uniquement des États-Unis dans ses relations, facilitant ainsi le contrôle de Washington sur elle, et laissant ainsi les États-Unis seuls maîtres des routes commerciales internationales par lesquelles ils serviraient leur objectif ultime de rester dominants dans le monde.

Manipulation de la civilisation islamique

Tout au long de la guerre froide, les États-Unis ont utilisé les islamistes extrémistes représentés par les mouvements takfiri dans leur guerre contre les civilisations et les autres blocs qu'ils considéraient comme une menace pour leur hégémonie mondiale, Après la fin de la guerre froide, Washington a utilisé les mouvements takfiri radicaux comme prétexte pour occuper l'Afghanistan en 2002, puis a étendu ses bases dans un grand nombre de pays du Moyen-Orient sous prétexte de lutter contre le terrorisme, afin de contrôler le Moyen-Orient et de le séparer des autres civilisations.

La meilleure réponse à cette stratégie est venue des Russes, qui ont compris cette stratégie américaine et qui ont été les premiers à tendre la main pour construire un pont vers le monde arabo-musulman en établissant de bonnes relations principalement avec les populations musulmanes du Caucase et de l'Asie centrale, et en établissant de bonnes relations avec les pays arabes islamiques du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord tels que l'Algérie, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Arabie saoudite et l'Iran.

La Chine semble suivre la même voie en incluant les pays susmentionnés dans l'Organisation de coopération économique BRICS, qui est une plateforme de relations économiques et politiques parrainée par la Russie et la Chine et qui constitue une alternative aux relations internationales dominées par les États-Unis et l'Occident.

Notes:

[1]ا 4 ; 8 ; 4;ايات ا 4 ; 5;تحدة ا 4;أ 5;ير 3;ية 8 ; 5;تا 7;ة ا 4;إستراتيجية ا 4 ; 3;بر  ;، http s://www.aljazeera.net

[2) ;صةأ 5;ير 3;ا 8;ا 4;ج 5;اعات ا 4;ت 3 ; 1;يرية،https://al-akhbar.com/Opinion/1595

[3] ا 4;إس 4;ا 5;ي 8 ; 6 ; 8 ; 8;ا 4 ; 2 ; 8 ; 9 ; ا 4;عظ 5 ; 9 ;. 3;ي 1 ; أس 7 ; 5;ت ا 4;حرب ا 4;باردة 1;ي 6;شأة ا 4;تيارات ا 4;رادي 3;ا 4;ية ب 5;صر 8;إيرا 6;؟، http s://www.aljazeera.net

[4]إبرا7;ي 5 ; ص 2;ر، ا 4;بتر 8 ; 4 ; 8 ; 8;ا 4;سياسة ا 4;د 8 ; 4;ية، بحث 5 ; 6;ش 8;ر 1;ي 3;تاب "ا 4 ; 2;ا 6 ; 8 ; 6 ; 8 ; 8 ; 8 ; ا 4;ع 4 ; 8 ; 8 ; 5 ; ا 4;سياسيةص 446 - 448

[5] 5;حس 6 ; ا 4 ; 6;د 8;ي، تحديات ا 4;ت 3;ا 5 ; 4 ; ا 4;ا 2;تصادي ا 4;عربي 1;ي عصر ا 4;ع 8 ; 4 ; 5 ; 5;ة، بير 8;ت، 5 ; 6;ش 8;رات ا 4;ح 4;بي ا 4;ح 2 ; 8 ; 2 ; 2;ية، ا 4;طبعة ا 4;أ 8 ; 4 ; 9;، 2011، ص - 238

[6]زي6 ; 6 ; 6 ; 8;ر ا 4;دي 6 ; زي 6 ; "ا 4;صراع ا 4;د 8 ; 4;ي 1;ي ا 4;شر 2 ; ا 4;أ 8;سط 8 ; 8 ; 4;ادة د 8 ; 4;تي س 8;ريا 8 ; 4;ب 6;ا 6 ;"، دار ا 4 ;   6 ; 7;ار 4 ; 4 ; 6 ; 6;شر، بير 8;ت 1971، ص 14

[7] يحي 9 ; أح 5;د ا 4 ; 3;ع 3;ي "ا 4;شر 2 ; ا 4;أ 8;سط 8;ا 4;صراع ا 4;د 8 ; 4;ي، دار ا 4 ; 6 ; 7;ضة ا 4;عربية، بير 8;ت 1986، ص 15

[8] ا 4;ج 6;را 4 ; بر 8;س با 4 ; 5;ر 8;آخر 8 ; 6;، ا 4;استراتيجية ا 4;أ 5;ير 3;ية ا 4;ع 4;يا 1;ي ا 4;ث 5;ا 6;ي 6;ات، ص 12

[9]حا1;ظ برجاس، ا 4;صراع ا 4;د 8 ; 4;ي ع 4 ; 9 ; ا 4 ; 6 ; 1;ط ا 4;عربي، بيسا 6 ; 4 ; 4 ; 4 ; 6;شر 8;ا 4;ت 8;زيع 8;ا 4;إع 4;ا 5;، بير 8;ت، ا 4;طبعة ا  4;أ 8 ; 4 ; 9;، 2000، ص20

[10) س4 ; 5 ; 9 ; 9 ; حداد بع 6 ; 8;ا 6 ; ا 4 ; 5;ساعدات ا 4;أ 5;ير 3;ية ا 4;عس 3;رية 4;إيرا 6;، 5 ; 2;د 5;ة إ 4 ; 9 ; 5;ع 7;د ا 4;دراسات ا 4 ; ع 4;يا 1;ي 3 ; 4;ية ا 4;ا 2;تصاد 8;ا 4;ع 4 ; 8 ; 5 ; ا 4;سياسية 1;ي جا 5;عة 6;ي 8;ي 8;ي 8;ر 3;، دار ا 4 ; 2;دس، بير 8;ت 1974، ص 43

[11] 4 ; 4;4;د 3;ت 8;ر عبد ا 4;رؤ 8 ; 1 ; عز ا 4;دي 6 ; بع 6 ; 8;ا 6 ; "ا 4;بتر 8 ; 4 ; ا 4;عربي 8;ا 4 ; 5;عر 3 ; ة ا 4 ; 5 ; 6;ش 8;ر 1;ي 3;تاب "ا 4 ; 2;ا 6 ; 8 ; 6 ; 8 ; 8;ا 4;ع 4 ; 8 ; 5 ; ا 4;سياسية"، ا 4;جزء ا 4;أ 8 ; 4;، ص 589

[12] 6;اصي 1 ; ي 8;س 1 ; حتي، ا 4;تح 8 ; 4;ات 1;ي ا 4 ; 6;ظا 5 ; ا 4;عا 4 ; 5;ي 8;ا 4 ; 5 ; 6;اخ ا 4 ; 1 ; 3;ري ا 4;جديد 8;ا 6;ع 3 ; اسات 7 ; ع 4 ; 9 ; ا 4 ; 6;ظا 5 ; ا 4;إ 2 ; 4;ي 5;ي ا 4;عربي، بير 8;ت، 5;ر 3;ز دراسات ا 4 ; 8;حدة ا 4;عربية، 1999، ص 158

[13]س5;ير أ 5;ي 6 ; 8;8;آخر 8 ; 6;، ا 4;ع 8 ; 4 ; 5;ة 8;ا 4 ; 6;ظا 5 ; ا 4;د 8 ; 4;ي ا 4;جديد، بير 8;ت، 5;ر 3;ز دراسات ا 4 ; 8;حدة ا 4;عربية، 2004، ص 15

[14] خ 4;ي 4 ; ا 4;ع 6;ا 6;ي، ا 4;سياسة ا 4;خارجية ا 4;أ 5;ير 3;ية تجا 7 ; ا 4;عا 4 ; 5 ; ا 4;عربي : رؤية 5;ست 2;ب 4;ية، شؤ 8 ; 6 ; عربية، ا 4;عدد 123، خري 1 ; 2005، ص 6

[15] أح5;د س 4;ي 5 ; حسي 6 ; زعرب، ا 4;تغيرات ا 4;سياسية ا 4;أ 2 ; 4;ي 5;ية 8;ا 6;ع 3;اسات 7;ا ع 4 ; 9 ; ت 8;از 6 ; ا 4 ; 2 ; 8 ; 9 ; 1;ي ا 4;شر 2 ; ا 4;أ 8;سط 2003 2012، رسا 4 ; ة 4 ; 6;ي 4 ; درجة ا 4 ; 5;اجستر، 3 ; 4;ية ا 4;ا 2;تصاد 8;ا 4;ع 4 ; 8 ; 8 ; 5 ; ا 4;إدارية، 2;س 5 ; ا 4;ع 4 ; 8 ; 5 ; ا 4;سياسية، جا 5;عة ا 4;سياسية، جا 5;عة ا 4;أز 7;ر، 2013، ص 47

[16] Seth G Jones, "The Mirage of The Arab Spring Deal with the region you have not region you (3) want", Foreign Policy January-February 2013, p. 4.

[17] عبدا 4;رزا 2 ; ب 8;زيدي، ا 4;ت 6;ا 1;س ا 4;جي 8;ب 8 ; 4;يتي 3;ي 8;ا 4;طا 2 ; 8;ي بي 6 ; ا 4 ; 8 ; 4;ايات ا 4 ; 5;تحدة ا 4;أ 5;ير 3;ية 8;ر 8;سيا ا 4 ; اتحادية 1;ي 5 ; 6;ط 2;ة ا 4;شر 2 ; ا 4;أ 8;سط 2010 -2016، 5;ج 4;ة ا 4;ع 4 ; 8 ; 5 ; ا 4 ; 2;ا 6 ; 8 ; 6;ية 8;ا 4;سياسية، عدد 15، 3;ا 6 ; 8 ; 6 ; ا 4;ثا 6;ي 2017، ص 266

[18] عبد ا 4;رزا 2 ; ب 8;زيدي، ا 4;ت 6;ا 1;س ا 4;جي 8;ب 8 ; 4;يتي 3;ي 8;ا 4;طا 2 ; 8;ي بي 6 ; ا 4 ; 8 ; 4;ايات ا 4 ; 5;تحدة ا 4;أ 5;ير 3;ية 8;ر 8;سيا ا 4 ; اتحادية 1;ي 5 ; 6;ط 2;ة ا 4;شر 2 ; ا 4;أ 8;سط 2010 -2016، 5;ج 4;ة ا 4;ع 4 ; 8 ; 5 ; ا 4 ; 2;ا 6 ; 8 ; 6;ية 8;ا 4;سياسية، عدد 15، 3;ا 6 ; 8 ; 6 ; ا 4;ثا 6;ي 2017، ص 266

[19] :https://www.ucis.pitt.edu/global/ArabSprin

[20] عصا 5 ; عبد ا 4;شا 1;ي، تراجع ا 4;د 8;ر ا 4;أ 5;ير 3;ي 1;ي ا 4;بيئة ا 4;استراتيجية ا 4;جديدة 5;ج 4;ة ا 4;سياسة ا 4;د 8 ; 4;ية، ا 4;عدد 186، تشري 6 ; ا 4;ثا 6;ي 2011، ص 90 3 ; 5 ; ا يرج 9; 5;5;راجعة ا 4;ت 2;رير ا 4;بر 4; 5;ا 6; ا 4;أ 8;ر 8;ر 8;بي ح 8; 4; ا 4;حيثيات 8;ا 4;ع 8;ا 4;ع 8;ا 5; 4; ا 4;أج 6;بية ا 4; 5;ساعدة ا 4;تي أدت إ 4; 9; 2;يا 5; 5;ا يس 5; 9; با 4;ربيع ا 4;عربي ع 4; 9;http: //www. europarl.euro eu ا 4;رابط ا 4;تا 4;ي .

[21] Secrétaire d'État Condoleezza Rice, Special Briefing on Secretary Condoleezza Rice's Trip to the Middle East and ( Press Conference, U.S. Department of State, Washington, D.C., 21 juillet 2006.

jeudi, 01 août 2024

Le contrôle de l'Eurasie par le sud

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Le contrôle de l'Eurasie par le sud

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/kontrol-evrazii-s-yuga

Si l'on combine la géographie politique et la géopolitique, il est facile de constater que le groupe de pays situés au nord de la mer d'Arabie présente un certain nombre de caractéristiques communes. Certaines parties de l'Iran moderne et de l'Afghanistan représentent le Khorasan historique, et la ceinture pachtoune s'étend de l'Afghanistan au Pakistan. Le Pakistan et l'Iran sont unis par le Baloutchistan (les deux pays ont des mouvements séparatistes baloutches activement soutenus de l'extérieur).

Ces trois pays sont des États islamiques: la République islamique du Pakistan a été la première à obtenir son indépendance de la Grande-Bretagne en 1947; après la victoire de la révolution islamique en Iran, cet État est également passé d'un système monarchique à une République islamique (avec l'institution spécifique du Vilayat al faqih), et l'Afghanistan est redevenu un Émirat islamique en 2021. Et dans des temps immémoriaux, ils faisaient tous partie de l'empire sassanide. Chaque pays présente de nombreuses autres caractéristiques culturelles, ethniques et religieuses intéressantes.

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Bien que l'Afghanistan soit enclavé, il jouxte organiquement la partie sud de la zone côtière eurasienne, dont le contrôle a longtemps appartenu, directement ou indirectement, aux Anglo-Saxons. Il convient de rappeler que les termes Rimland (« arc de terre ») et Heartland (« coeur de terre ») ont été introduits par le géographe britannique Halford Mackinder. Alors que le Heartland septentrional de l'« île mondiale » qui comprend l'Eurasie et l'Afrique était la Russie, le Rimland englobe les deux continents, y compris la mer Méditerranée.

Mackinder s'intéressait davantage au rôle du Heartland, tandis que le géopoliticien américain Nicholas Spykman estimait que le Rimland était plus important parce que le gros de la population des continents était concentrée le long des littoraux des grandes mers, et que le commerce extérieur et les communications se faisaient principalement par les voies maritimes. La route maritime elle-même, le long des côtes de l'Iran et du Pakistan, est la voie historique par laquelle les Arabes sont entrés en contact avec l'Inde et la Chine, établissant ainsi un système de liens assez solide.

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Il est évident que la diffusion de l'islam dans les pays d'Asie du Sud-Est s'est faite précisément par le biais de cette route maritime, avec l'aide des commerçants. Contrairement aux terres émergées, où la propagation de la religion était souvent synonyme de guerre, l'islam est arrivé en Asie du Sud-Est par des moyens pacifiques. Et, bien sûr, à l'heure actuelle, ces communications, associées aux places fortes côtières (des bases navales aux ports et terminaux en eau profonde), constituent un atout stratégique important dont le contrôle est synonyme d'avantages économiques et militaires. À cela s'ajoutent les hydrocarbures de l'Iran et les importantes réserves de minerais de l'Afghanistan.

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Aujourd'hui, la situation évolue vers l'intégration continentale et la multipolarité, et il est donc important de soutenir les processus d'intégration et la sécurité de cette région. Cela nécessite le développement d'une stratégie intégrée/équilibrée et la compréhension des intérêts des trois acteurs de la région. C'est également extrêmement important pour la Russie, car l'Iran et le Pakistan ont accès aux eaux chaudes de l'océan Indien. Et dans le contexte du conflit en cours avec l'Occident, la réorientation vers le Sud et l'Est doit se faire de manière systémique.

L'Iran, bien sûr, présente un plus grand intérêt, car le corridor de transport international Nord-Sud a déjà commencé à fonctionner, bien qu'il n'ait pas atteint son plein potentiel. La Russie étant reliée à l'Iran directement par la mer Caspienne et par la République d'Azerbaïdjan, l'interaction bilatérale est beaucoup plus facile et efficace que l'utilisation hypothétique des voies de transport passant par le Pakistan (dans ce cas, au moins deux États de transit - l'Afghanistan et le Turkménistan - se trouvent sur le chemin de la mer Caspienne, et au moins trois sur terre, qu'il s'agisse d'un passage frontalier par l'Afghanistan ou par la Chine). En outre, une route vers la péninsule arabique et la côte est de l'Afrique s'ouvre à travers l'Iran. Cela signifie un accès aux monarchies arabes économiquement puissantes et au marché africain potentiellement attractif, où la présence de la Russie s'accroît déjà, en particulier dans la partie de la ceinture du Sahel - le cœur du continent noir. Par conséquent, le maintien du niveau des relations stratégiques et leur développement pour la Russie revêtent une grande importance et offrent de bonnes perspectives.

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Le 25 juin 2024, on a appris qu'un nouvel accord de coopération global entre l'Iran et la Russie était prêt. Les parties russe et iranienne ont déclaré qu'il n'y avait aucun obstacle à sa conclusion [i]. Cela signifie que nos relations atteindront un nouveau niveau. L'Iran est également membre des BRICS et de l'OCS et a conclu un accord de zone de libre-échange avec l'EAEU, qui a finalement été ratifié en juin 2024 [ii]. Cela devrait permettre d'augmenter le volume des transactions commerciales entre les pays de 30 à 40% [iii]. En outre, l'Iran s'attend également à recevoir des livraisons de pétrole et de gaz de la part de la Russie [iv].

La continuité de la ligne de politique étrangère, ainsi que les principaux impératifs de la politique intérieure, permettent de penser que l'Irak continuera à participer activement à la construction d'un monde multipolaire et au renforcement de la sécurité régionale. Même après la mort du président et du ministre des affaires étrangères de l'Iran dans un accident de transport en mai 2024, tous les processus politiques n'ont pas été suspendus et il n'y a aucune raison qu'avec le nouveau chef du gouvernement de la République islamique, l'approche idéologique et géopolitique de ce pays à l'égard des affaires mondiales change d'une manière ou d'une autre. Ce qui est important, c'est que l'Iran, comme la Russie, est en train d'établir des relations avec l'Afghanistan.

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Pour ces trois pays, les menaces similaires actuelles sont le groupe ISIS (interdit en Russie), responsable des attaques terroristes à l'hôtel de ville de Crocus et plus récemment dans la République du Daghestan, ainsi que les puissances occidentales qui souhaitent affaiblir à la fois la Russie et l'Afghanistan. Comme nous l'avons mentionné, l'Afghanistan dispose d'un important potentiel minier et même pétrolier, gazier et nucléaire.

Presque tous les gisements connus ont été découverts à l'époque des géoscientifiques soviétiques, mais n'ont pas été exploités en raison de la situation conflictuelle complexe qui prévaut depuis des décennies. On trouve en Afghanistan de la barytine, du zinc, du plomb, de l'uranium, du charbon, du minerai de fer et de cuivre, du tungstène, de l'argent et de l'or, de l'étain, du lithium, du calcaire, de l'aluminium et bien d'autres éléments du système périodique de Mendeleïev. Leur exploitation peut commencer dans un avenir proche. En outre, l'Afghanistan est un marché pour les biens de consommation et un important producteur de produits agricoles. Nous devrions également prêter attention au potentiel de diverses autoroutes, qu'il s'agisse du corridor de transport transafghan ou du projet de longue date de l'oléoduc Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde. La participation à leur construction et à leur exploitation pourrait rapporter de bons dividendes à la Russie à l'avenir. Le Pakistan est également important pour la géopolitique du sud de l'Eurasie.

Ce n'est pas une coïncidence si les États-Unis insistent sur le contrôle politique du pays depuis les années 1950. Washington tente toujours de maintenir son influence sur le Pakistan, en partie par l'intermédiaire du FMI, qui a piégé le Pakistan avec ses prêts, et en partie en manipulant le discours sur la menace indienne (il est révélateur que pour l'Inde, les conseillers américains aient les mêmes craintes concernant la « bombe nucléaire islamique » et la menace chinoise). Le Pakistan met actuellement en œuvre un élément clé de l'initiative chinoise Belt and Road, le corridor économique Chine-Pakistan, qui part du port en eau profonde de Gwadar, dans la province du Baloutchistan, et s'étend à travers le pays vers le nord jusqu'aux chaînes de montagnes du système de l'Hindu Kush.

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Le Pakistan souhaite attirer davantage d'investisseurs russes pour ce projet et d'autres. Les dirigeants du pays ont récemment déclaré qu'Islamabad se joindrait à l'utilisation du corridor Nord-Sud et qu'il envisageait des options acceptables pour l'entrée des entreprises russes au Pakistan.

Auparavant, la Russie a signé un mémorandum pour la construction du gazoduc Pakistan Stream, bien que les négociations sur les différents détails soient toujours en cours [v]. La fringale énergétique du Pakistan peut également être satisfaite par l'énergie nucléaire, Rosatom pouvant offrir des solutions optimales en la matière.

Enfin, la médiation de la Russie pour améliorer les relations entre l'Inde et le Pakistan pourrait également porter ses fruits et Moscou a déjà offert ses services à cet égard, en particulier en cas d'escalade à la frontière. L'interaction avec le Pakistan dans le domaine de la lutte contre le terrorisme est un autre domaine où un contact constant et fiable entre les autorités compétentes des deux pays est nécessaire. Il est important de noter que le Pakistan est une puissance nucléaire et que sa participation au monde multipolaire aura une grande importance.

Et avec ces trois États du sud de l'Eurasie, il est nécessaire d'élaborer des solutions pour contourner les sanctions de l'Occident collectif. Ils sont tous plus ou moins familiers avec le blocage des fonds et les diverses manipulations pour des raisons politiques.

Une approche plus consolidée à cet égard permettra à chacun, ensemble et individuellement, de se sentir plus confiant dans le système financier mondial, l'alternative la plus correcte étant une transition vers leur propre mécanisme de transactions pour éviter la dépendance vis-à-vis du dollar/de l'euro et le passage des flux financiers par les centres de compensation occidentaux.

Il est possible qu'un tel mécanisme soit présenté lors du sommet des BRICS en octobre. En tout cas, selon certaines informations, la Russie et la Chine ont déjà mis au point les principales nuances du nouvel instrument de paiement, qui sera utilisé à la fois pour les transactions bancaires traditionnelles et les transactions en monnaie numérique.

Comme nous pouvons le constater, si les relations bilatérales avec chaque pays pris individuellement sont importantes, une vision plus globale et la prise en compte de divers aspects - de la religion et de la culture à la sécurité, en passant par l'économie et l'industrie - permettront d'élaborer une meilleure stratégie à long terme.

Notes:

i - https://ria.ru/20240626/iran-1955481840.html

ii - https://eec.eaeunion.org/comission/department/dotp/torgov...

iii — https://ria.ru/20240626/iran-1955491765.html?ysclid=lxx05...

iv - https://finance.rambler.ru/business/52990939-gazprom-mahn......

v - https://ria.ru/20231122/gazoprovod-1910966779.html

 

jeudi, 11 juillet 2024

La déception de Zelensky et le mécontentement de l'Occident. Avec quoi Modi est-il arrivé en Russie?

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La déception de Zelensky et le mécontentement de l'Occident. Avec quoi Modi est-il arrivé en Russie?

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/razocharovanie-zelenskogo-i-nedovolstvo-zapada-s-chem-modi-pribyl-v-rossiyu

Arrivé à Moscou le 8 juillet, le Premier ministre indien Narendra Modi a décrit la Russie comme "l'ami de tous les temps" de l'Inde et a salué le rôle de premier plan joué par Vladimir Poutine dans le renforcement des relations bilatérales au cours des deux dernières décennies. Le Premier ministre a également déclaré que pendant longtemps, le monde a connu un "ordre mondial centré sur l'influence". "Mais ce dont le monde a besoin aujourd'hui, c'est de fusion, et non d'influence, et personne ne peut transmettre ce message mieux que l'Inde, qui a une forte tradition de culte de la fusion", a-t-il déclaré.

Comment interpréter ces propos ? A priori, le Premier ministre indien appelle à une sorte de convergence. Cependant, l'Orient étant un sujet délicat, cette phrase peut être interprétée à la fois comme une fusion de plusieurs courants et comme une influence mutuelle.

Lors d'une rencontre avec la diaspora indienne à Moscou le 9 juillet, Modi a souligné que "les Indiens en Russie renforcent les liens bilatéraux, contribuent au développement de la société russe... Dès qu'ils entendent le mot "Russie", tous les Indiens pensent que c'est un ami fiable, un ami dans la joie et dans la peine...".

Sans aucun doute, une telle "fusion" est tout à fait louable, bien qu'il faille tenir compte de certaines subtilités mentales et spirituelles, car n'importe qui peut devenir Russe (orthodoxe ou musulman), mais pour professer l'hindouisme, il faut être né hindou.

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Et compte tenu de l'idéologie nationaliste de l'hindouisme que Modi et ses partisans suivent, il vaut probablement la peine d'examiner comment de tels amalgames ont eu lieu en Inde. Il suffit de penser à l'amendement de la constitution indienne concernant le statut de l'État du Jammu-et-Cachemire, qui a perdu son statut spécial et son autonomie en août 2019. En d'autres termes, New Delhi a lancé un mécanisme d'intégration plus stricte.

Cependant, la position de la Russie sur la crise ukrainienne et la Novorossiya a été exposée à Modi de manière assez détaillée, de sorte que même s'il a abordé les pourparlers de paix, il l'a fait plutôt délicatement, se contentant de proposer l'aide de l'Inde si cela s'avérait nécessaire.

De toutes les questions liées au conflit ukrainien, Modi était plus intéressé par le sort des citoyens indiens qui ont rejoint les forces armées russes. Selon les médias indiens, Vladimir Poutine a accédé à la demande du Premier ministre indien de renvoyer tous ceux qui souhaitent retourner en Inde. Selon des sources au fait de la décision, les ordres ont été donnés après "l'intervention directe" de Modi. "Nous nous attendons à ce que le renvoi ait lieu dans les semaines à venir dans les différents lieux où ils servent ou sont déployés", ont déclaré ces sources à The Hindu sous le couvert de l'anonymat.

Les médias indiens rapportent également que la question a déjà été discutée avec Sergey Lavrov lors du sommet de l'Organisation de coopération de Shanghai à Astana.

Il convient de noter que les États-Unis ont fait part à l'Inde de leur inquiétude concernant ses relations avec la Russie, a déclaré lundi un fonctionnaire du département d'État à la presse. L'Inde a toutefois rejeté les préoccupations du département d'État, soulignant qu'elle "a toujours appelé au respect de la charte des Nations unies, y compris l'intégrité territoriale et la souveraineté". Il n'y a pas de solution sur le champ de bataille. Le dialogue et la diplomatie sont la voie à suivre".

Cette décision ne vise pas seulement à renforcer les liens de l'Inde avec la Russie, mais aussi son influence dans les relations avec les États-Unis et d'autres pays occidentaux... La coopération de longue date en matière de défense fait qu'il est difficile de remplacer à court terme la position de la Russie dans le secteur de la défense de l'Inde. Si les États-Unis souhaitent remplacer progressivement la Russie en tant que principal fournisseur d'armes de l'Inde, il ne fait aucun doute que cette transition prendra du temps.

Mais il est crucial pour un grand pays comme l'Inde de maintenir une relation stable avec la Russie et de poursuivre la coopération dans l'industrie de la défense".

Citant Lun Xingchun, professeur à l'école des relations internationales de l'université d'études internationales du Sichuan, la publication écrit également que "Actuellement, l'Occident est plus enclin à enflammer les relations entre la Chine, la Russie et l'Inde pour tenter de semer la discorde entre les trois pays. En fait, l'Occident lui-même pourrait avoir plus de raisons de s'inquiéter, car il espère que l'Inde s'opposera à la Russie en se joignant à l'Occident, notant que la politique étrangère de l'Inde vise à maintenir un équilibre, sans pencher complètement d'un côté ou de l'autre, afin de poursuivre ses propres intérêts.

Les intérêts propres de l'Inde sont peut-être la caractérisation la plus précise de la stratégie intelligente de New Delhi. Toutefois, il est impossible d'échapper aux intérêts russes lorsqu'il s'agit de la coopération entre les deux géants eurasiens. Et dans le contexte de la transformation mondiale, il s'agit bien sûr aussi pour l'Inde de devenir un pôle plus indépendant, ce qui cadre bien avec les aspirations de la Chine et de la Russie à construire un ordre mondial multipolaire.

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Mais les médias occidentaux se sont concentrés sur le fait que l'Inde a acheté pour 46,5 milliards de dollars de pétrole russe en 2023, alors qu'en 2021 le montant n'était que de 2,5 milliards de dollars. Les évaluations politiques sont dominées par l'idée que pour la Russie comme pour l'Inde, le développement de leurs relations bilatérales est important pour faire contrepoids à l'influence de la Chine. La conclusion est que la visite de Modi a montré au monde que la Russie n'est pas aussi isolée que l'Occident le voudrait.

Le New York Times a également cité Vladimir Zelensky, qui a décrit la visite comme "une énorme déception et un coup dur pour les efforts de paix". Bloomberg n'a pas oublié de mentionner que Poutine accueille Modi après avoir lui-même déclaré que la Russie et la Chine étaient à l'apogée de leurs relations bilatérales. Et Modi lui-même s'est rendu à Moscou après une récente visite en Inde d'une délégation de hauts fonctionnaires américains intéressés par une coopération dans les domaines de la technologie, de la sécurité et de l'investissement.

Alors que les médias occidentaux déplorent que New Delhi ne suive pas Washington, l'agenda constructif de la visite de Narendra Modi se poursuit. Le 9 juillet, il a visité la tombe du soldat inconnu et l'exposition Rosatom avec Vladimir Poutine, après quoi des entretiens officiels ont débuté au Kremlin.

La délégation comprenait, outre le Premier ministre indien, le ministre des affaires étrangères Subramanyam Jaishankar, plusieurs autres hauts fonctionnaires du ministère indien des affaires étrangères et Ajit Doval, le conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre.

Du côté russe, le ministre des affaires étrangères, Sergey Lavrov, le premier vice-premier ministre, Denis Manturov, le ministre des finances, Anton Siluanov, le directeur du service fédéral de coopération militaro-technique, Dmitry Shugaev, et le PDG de Rosneft, Igor Sechin, ont participé aux discussions.

Les discussions ont débouché sur une déclaration commune, selon laquelle la Russie et l'Inde prévoient de développer leur coopération dans de nombreux domaines.

Les pays ont convenu d'atteindre un volume d'échanges mutuels de plus de 100 milliards de dollars d'ici 2030, de développer les règlements en monnaie nationale, d'optimiser les procédures douanières et d'augmenter le volume des marchandises. Il est envisagé de développer la coopération dans l'industrie nucléaire, le raffinage du pétrole, l'énergie, la construction automobile et navale, le développement et la fourniture de médicaments et d'équipements médicaux, ainsi que dans de nombreux autres domaines.

La Russie et l'Inde ont convenu de développer une sécurité indivisible en Eurasie et d'intensifier les processus d'intégration ; elles ont souligné la nécessité d'une résolution pacifique du conflit ukrainien par la diplomatie et l'implication des deux parties.

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Il a été rapporté précédemment que l'Inde était intéressée par la participation de la Russie à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en Inde et à la fourniture de combustible. Au début des années 2000, les États-Unis ont activement empêché l'entrée de la technologie nucléaire en Inde, mais ils ont ensuite assoupli leur position, en tenant compte du fait que les États-Unis seraient eux-mêmes le fournisseur. Apparemment, New Delhi a décidé de se débarrasser définitivement de cette dépendance et de s'assurer le soutien de la Russie.

Un accord similaire a été conclu sur un approvisionnement ininterrompu et garanti en pétrole au cours des prochaines années.

Le renforcement de la coopération militaro-technique a également été discuté. Il convient de noter que, selon les données du SIPRI, Israël représente la plus grande part des importations d'armes de l'Inde (48%), tandis que la Russie arrive en deuxième position (28%), alors qu'il y a dix ans, sa part était d'environ 70%. Il est donc plus juste de parler non pas de début, mais de rétablissement des relations dans ce domaine.

Les résultats de la visite du chef d'État indien peuvent être qualifiés de très fructueux pour les deux parties. Le changement de vecteur de la Russie vers l'Est et le Sud se poursuit. Et comme l'Inde est déjà la troisième économie mondiale, les projets conjoints présentés indiquent qu'au moins dans les cinq prochaines années, la coopération bilatérale atteindra de nouveaux sommets et apportera des avantages significatifs aux deux pays.

Cela sera confirmé une fois de plus lors du sommet BRICS+ à Kazan en octobre, où Modi a été invité, ainsi que lors du 23ème sommet des deux pays en Inde en 2025, où Vladimir Poutine a été invité.

jeudi, 04 juillet 2024

Corridors de transport de l'Eurasie - Perspectives et problèmes

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Corridors de transport de l'Eurasie - Perspectives et problèmes

par Imran Salim

Source: https://orientalreview.su/2024/07/02/transport-corridors-of-eurasia-prospects-and-problems/

L'importance de la route internationale de transport transcaspienne

La crise actuelle dans les relations entre les pays membres de l'UE et la Russie semble acquérir un caractère global et à long terme, et il n'est pas certain qu'elle s'achève avec la fin de l'opération militaire spéciale en Ukraine, mais il est plus que probable qu'elle se poursuivra dans un avenir prévisible.

La politique de sanctions de Bruxelles se poursuit, visant à limiter davantage les possibilités d'exportation de la Russie et à faire pression sur l'économie russe. Ainsi, Bruxelles a déjà adopté le 14ème paquet de sanctions de l'UE, qui, entre autres, restreint l'accès des pétroliers chargés de pétrole russe aux ports européens et permet d'annuler les contrats précédemment conclus pour la fourniture de GNL en provenance de Russie. Le nouveau train de sanctions de l'UE confirme la justesse et l'opportunité de la décision prise par les dirigeants russes il y a deux ans d'abandonner le modèle eurocentrique de développement des relations commerciales et économiques de la Russie qui existait depuis de nombreuses années, et de commencer à mettre en place une logistique de routes commerciales et de transport dans les directions de l'est et du sud, ainsi qu'à développer le potentiel de la route maritime du Nord (NSR).

Lors du 27ème Forum économique international de Saint-Pétersbourg, en mai 2024, une grande attention a été accordée au développement de la route maritime du Nord en tant que future alternative à la route maritime du Sud passant par le canal de Suez. Dès 2023, le volume total de marchandises transportées sur la NSR dépassera 36,2 millions de tonnes (en 2011, il s'élevait à un million de tonnes). Au cours des cinq prochaines années, il est prévu d'introduire la navigation tout au long de l'année sur la NSR grâce à la mise en service d'une série de nouveaux brise-glaces nucléaires, ainsi qu'à l'amélioration de la logistique tout au long du pilotage des navires dans l'Arctique. Tout cela permettra d'augmenter considérablement le volume de marchandises transportées par le NSR.

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L'objectif est d'augmenter d'une fois et demie la capacité des lignes dites du polygone oriental - celles du Transsibérien et du chemin de fer Baïkal-Amour - et de porter le volume de fret à 180 millions de tonnes d'ici à la fin de 2024, et à 210 millions de tonnes d'ici à 2030. Tout cela sera possible grâce à la modernisation du polygone oriental, principalement par l'augmentation de la capacité de transport, l'électrification complète de toutes les lignes, l'augmentation de la vitesse de livraison des marchandises et du poids du matériel roulant. À ces fins, la construction du tronçon ferroviaire Konovalovo-Tatarskaya a notamment commencé, contournant le territoire du Kazakhstan septentrional (à cet endroit, la ligne du Transsibérien passe par le territoire du Kazakhstan et la Russie paie un loyer pour le transit).

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Un mégaprojet est en cours de construction en Russie - l'autoroute automobile Moscou-Kazan-Ekaterinbourg-Omsk-Novosibirsk-Barnaul-Biysk-Mongolie, et de là jusqu'à la ville chinoise de Xi'an en contournant le Kazakhstan pour éviter les problèmes de transit kazakh. Un tronçon de la route menant à Kazan sera ouvert cette année, et l'ensemble du projet devrait être achevé d'ici 2030.

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Lors de la récente visite du président russe à Pyongyang, un accord a été conclu sur la construction du premier passage automobile vers la Corée du Nord dans la région de Khasan, de l'autre côté de la rivière frontalière Tumannaya, dans le kraï de Primorsky.

Afin de réduire les coûts du transport de marchandises et de diversifier sa logistique, la Russie s'efforce d'élargir les possibilités d'autres itinéraires pour l'exportation de ses biens et services, et dans cette direction, le plus prometteur est la poursuite de la mise en œuvre du projet de corridor de transport international nord-sud (ITC). Il s'agit d'une autoroute de transport unique et nécessaire pour la Russie d'aujourd'hui, qui va de Saint-Pétersbourg au port indien de Mumbai en passant par l'Iran (7209 km) en utilisant le transport maritime, fluvial et ferroviaire. L'ITC devient un lien important non seulement entre la Russie, l'Iran et l'Inde, mais aussi avec les pays du golfe Persique et l'Afrique de l'Est. Selon le président russe, les activités du CCI Nord-Sud se sont récemment intensifiées, ce qui s'explique en grande partie par la restriction de la navigation par le canal de Suez en raison des attaques des Houthis yéménites contre les navires dans le détroit d'Aden.

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Cependant, le projet est confronté à de nombreux problèmes qui ne lui permettent pas d'exploiter pleinement son potentiel. Le principal problème est la faible capacité des infrastructures de transport des pays participants, en particulier l'Iran dont le réseau ferroviaire est sous-développé. Le lien problématique reste le calendrier de modernisation des ports russes de la mer Caspienne : Astrakhan, Olya et Makhachkala, ainsi que le dragage des approches de ces ports.

Le deuxième corridor de transport méridional le plus important pourrait être un projet prometteur de voie ferrée traversant le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, l'Afghanistan et le Pakistan jusqu'au port de Karachi sur l'océan Indien. En outre, il est prévu d'installer une voie ferrée aux normes russes jusqu'à la frontière afghano-pakistanaise.

La logistique des transports en Eurasie a connu des changements importants au cours des dernières années, ce qui est dû non seulement à la guerre des sanctions occidentales contre la Russie, mais aussi à la volonté des acteurs régionaux de maximiser les bénéfices des événements qui se déroulent sur le continent. Profitant de l'intérêt de l'Occident à affaiblir la Fédération de Russie, notamment en réduisant son potentiel de transport et de logistique, un certain nombre d'États d'Asie centrale ont rejoint le processus de restructuration de leurs routes d'exportation et de leurs flux de transit contournant le territoire russe. Leur situation géographique joue un rôle particulier, leur permettant de jouer sur les contradictions des grandes puissances mondiales, y compris dans le processus de développement des corridors de transport traditionnels et de formation de nouveaux corridors. L'une des situations les plus ambiguës aujourd'hui s'est développée autour de la route internationale de transport transcaspienne (TITR ou couloir du milieu), dont le développement a été activement entrepris par Astana.

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Actuellement, il existe deux itinéraires de transport international en Asie centrale : le corridor sud, qui traverse le Kirghizstan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, et la TITR, qui passe par le Kazakhstan.

Contrairement au corridor sud, qui n'intéresse pas le Kazakhstan, le TITR a toujours été considéré par Astana comme l'un des outils de diversification de ses exportations et la possibilité d'obtenir des avantages supplémentaires grâce au transit de marchandises. La situation a commencé à changer lorsqu'en 2019, la nouvelle stratégie de l'UE pour l'Asie centrale a souligné l'importance stratégique croissante de la région, et après le début de sa mise en œuvre en 2022, l'intérêt de l'Union européenne pour le TITR a fortement augmenté. Dans le but d'isoler la Russie et de la couper des principales artères de transport du continent eurasien, les pays occidentaux ont intensifié leurs activités en Asie centrale, et le corridor du milieu a été qualifié de route alternative pour le commerce avec la Chine et les pays du golfe Persique. Dans le même temps, des investissements d'un montant de 10 milliards d'euros ont été annoncés pour le développement de projets de transport et de logistique en Asie centrale. La politique de Bruxelles montre clairement une volonté de fermer des routes supplémentaires et de les contrôler. Mais surtout, l'UE cherche à obtenir des matières premières bon marché en provenance des pays d'Asie centrale et de Transcaucasie.

Compte tenu de l'intérêt accru des pays de l'UE pour le TITR, Astana a décidé de promouvoir l'idée de développer le corridor médian sur diverses plateformes internationales. En particulier, les Kazakhs défendent l'idée que, dans les conditions actuelles, le corridor médian passant à l'extérieur de la Fédération de Russie est l'un des itinéraires les plus fiables et les plus sûrs pour les marchandises en provenance d'Asie et à destination de l'arrière-pays. Ils le présentent ainsi comme un concurrent du projet russe de corridor de transport international nord-sud (ITC) et du corridor sud. En même temps, on ne sait pas très bien comment Astana compte mettre en œuvre tous ses plans, en espérant que le chiffre d'affaires du fret augmentera plusieurs fois par TITR dans les années à venir. En fait, sa capacité est assez faible et ce n'est qu'après d'importants investissements dans l'infrastructure portuaire dans les cinq ans à venir que plus de 10 millions de tonnes de marchandises par an pourront transiter par le TITR. D'autant plus que l'UE connaît aujourd'hui de graves problèmes économiques et que Pékin n'est pas encore prêt à abandonner les moyens existants pour livrer ses marchandises à l'UE via le territoire russe.

Les pays d'Asie centrale ne disposent pas aujourd'hui de l'argent et des moyens techniques nécessaires au développement indépendant du TITR, et l'Union européenne n'est pas encore en mesure de leur fournir tout ce qui est nécessaire à l'aboutissement de ce projet.

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Après s'être entretenu avec le ministre britannique des affaires étrangères David Camerone en avril dernier à Astana, le président kazakh Tokayev a donné l'ordre d'étudier la possibilité de placer les ports d'Aktau et de Kuryk sous la gestion de sociétés européennes. En mai de cette année, le gouvernement kazakh a approuvé le transfert de 22 aéroports et de deux ports de la mer Caspienne entre les mains d'Européens avec un droit de privatisation. Ainsi, la politique multi-vectorielle de Tokayev, qui privilégie l'Occident, a joué contre le Kazakhstan lui-même et a incité Pékin à abandonner le transit de ses marchandises par le territoire kazakh en faveur d'une participation à la mise en œuvre du Corridor Sud. Il était devenu inacceptable pour la Chine que le TITR soit entièrement contrôlé par l'Occident et qu'il y ait une réelle menace de le bloquer pour les marchandises chinoises. Dans cette situation, la construction du chemin de fer Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan et Turkménistan le long du corridor sud est devenue une nécessité urgente pour les Chinois, d'autant plus qu'elle ouvre le chemin le plus court vers le golfe Persique à travers l'Iran. Et aussi vers les marchés du Moyen-Orient. Ce projet a montré la coïncidence des intérêts de Moscou et de Pékin dans la région, alors que la Russie a mis en place l'année dernière une autre voie de transport allant du Kirghizistan à l'Ouzbékistan, puis traversant le Turkménistan le long de la mer Caspienne jusqu'à Astrakhan. Son apparition est due au fait qu'Astana soutient la politique de sanctions de l'Occident en empêchant le transit et l'exportation de biens et de matériaux à double usage en provenance de Russie.

samedi, 29 juin 2024

Les ONG occidentales ne lâchent pas le Kirghizistan d'une semelle

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Les ONG occidentales ne lâchent pas le Kirghizistan d'une semelle

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/zapadnye-nko-ne-vypusk...  

Quant aux pays de l'Union économique eurasienne, chaque État possède ses propres caractéristiques, avantages et vulnérabilités, qui sont utilisés par les adversaires géopolitiques de la Russie à des fins de déstabilisation. À cet égard, il convient de prêter attention à la République du Kirghizstan, qui a récemment subi une série de lourdes épreuves. Non seulement son statut géopolitique et sa position stratégique obligent les dirigeants du pays à jouer les équilibristes (au moins entre la Russie et la Chine), mais d'autres acteurs exercent également une influence significative, de la Turquie aux pays arabes, en passant par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Union européenne (i). Et ces derniers font preuve d'une persévérance à toute épreuve.

L'année dernière a marqué un tournant dans la lutte pour la souveraineté kirghize et la limitation de l'influence occidentale. Ce n'est pas un hasard si l'on a assisté à une recrudescence de l'activité des agents étrangers et à des cas de pression directe de la part d'hommes politiques des États-Unis et de l'Union européenne. En 2023, des tentatives d'incitation à la discorde interethnique ont été observées, perpétrées par l'Occident (ii).

Selon StanRadar, la branche locale de Radio Liberty, Azattyk Media (Radio Liberty est reconnue comme agent étranger dans la Fédération de Russie), les soi-disant ressources d'information indépendantes financées par divers fonds et institutions occidentaux, telles que Kloop Media, Kaktus Media, 24. kg, "Salam Radio", "Say TV", "PolitKlinika" et d'autres, ainsi qu'un certain nombre d'organisations non gouvernementales (ONG) - "Media Polisi Institute", "Media Development Centre", "Jinomik Media" etc. L'Occident collectif n'épargne aucun "biscuit" pour entretenir son influence (iii).

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Les journalistes locaux ont également souligné que de nombreux projets opérant dans le pays sont principalement financés par des donateurs étrangers - Fondation Soros, USAID, Sigrid Rausing Trust, NED (National Endowment for Democracy) et d'autres encore. Après avoir étudié les rapports des ONG recevant des subventions de fondations étrangères, il s'est avéré que la section "Soins de santé" de la Fondation Soros occupe les positions les plus importantes, mais des chiffres significatifs dans cette section (plus de 200.000 $) sont formés, entre autres, par des organisations défendant "les droits des lesbiennes, des gays, des bisexuels et des transsexuels". En d'autres termes, la section "Santé publique" comprend des subventions accordées à des ONG travaillant sur les questions LGBT (reconnues comme participant d'un mouvement extrémiste dans la Fédération de Russie), ont déclaré les journalistes. Une autre ONG a fait la promotion d'un film insultant pour les croyants (iv). Ces déformations et falsifications délibérées sont une pratique courante dans le travail des structures occidentales, dont l'objectif est de transformer douloureusement la société selon leurs propres modèles, qui sont invariablement soutenus par des intérêts économiques (accès aux ressources naturelles, accès au marché et éviction des concurrents).

Il convient de rappeler qu'à l'automne 2022, les autorités kirghizes avaient déjà suspendu le site web d'Azattyk Media pendant deux mois. La raison en était la publication de documents inexacts sur le conflit armé entre le Tadjikistan et le Kirghizistan. Le 23 octobre, les forces de l'ordre kirghizes ont arrêté un certain nombre de politiciens et de dirigeants d'organisations non gouvernementales, et 12 personnes ont été arrêtées pour deux mois, soupçonnées d'avoir organisé des émeutes de masse (v).

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La loi sur les agents étrangers adoptée en mars 2024 a finalement mis un terme à la question de l'influence occidentale, laquelle était manifeste, mais cela ne signifie pas qu'elle disparaîtra complètement. Certains agents se réenregistreront, d'autres passeront au financement parallèle et les ambassades occidentales modifieront leur approche de la collaboration avec les autorités. Le nombre d'intermédiaires est également susceptible d'augmenter. Parfois, pour ne pas "briller", l'Occident a recours à des mandataires turcs dans la région qui engagent diverses forces en agitant les idées du pan-turquisme et de la pan-turcité (vi).

Des méthodes d'influence indirecte seront également mises en œuvre. À titre d'exemple, on peut citer les actions de la division analytique de la publication britannique The Economist, qui a publié il y a quelques mois des prévisions plutôt étranges sur la situation au Kirghizstan, en mettant l'accent sur l'attrait des investissements. En particulier, le résumé indiquait que "les risques pour la stabilité sont élevés alors que le président Sadyr Dzhaparov consolide son pouvoir" (?), "de nouvelles protestations sont probables", "la position de Dzhaparov sera minée par une structure émanant d'une élite fracturée". En outre, l'article indique que "l'activité économique en 2024 ralentira" en raison du fait que le gouvernement "suspend temporairement les exportations d'or afin d'augmenter la capacité de production et d'exportation" et que, par conséquent, "le risque de défaillance souveraine est très élevé" (vii). Étant donné que la publication est britannique et que l'or kirghize est négocié à la Bourse de Londres, il est évident que ces "prévisions" ont été motivées politiquement en fonction de certains intérêts.

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Il convient de noter que les problèmes liés aux exportations d'or ne sont pas du tout imputables à Bichkek: en fait, en 2021, la London Bullion Market Participants Association a temporairement exclu la raffinerie de Kyrgyzaltyn OJSC de la liste des fournisseurs fiables (viii).

L'International Republican Institute (IRI) des États-Unis a également fait son entrée en scène en présentant les résultats d'un autre "sondage national" contenant des données sur la popularité des hommes politiques. Ce faisant, il a tenté d'opposer explicitement les deux principaux hommes politiques de la république - le président Sadyr Zhaparov et Kamchybek Tashiev, chef du Comité d'État pour la sécurité nationale (GKNB). Au cours des deux dernières années, les évaluations n'ont varié que dans les limites de l'erreur statistique, mais elles ont été interprétées par les structures occidentales de manière tout à fait précise. Par exemple, il est affirmé que "le niveau de confiance en Zhaparov, depuis deux ans, aurait diminué... de 1% (de 38% à 37%), tandis que pour Tashiev, il a augmenté de 18% à 22%. Douze pour cent supplémentaires sympathisent avec le député Nurzhigit Kadyrbekov, originaire de l'Oblast d'Osh". La méfiance à l'égard de tous les hommes politiques aurait également "fortement augmenté": "en mai 2023, seuls 8% des personnes interrogées ont déclaré ne faire confiance à personne, alors qu'en janvier 2024, ce chiffre est passé à 20%" (ix).

L'intérêt de ces manipulations est évident - il s'agit de faire baisser artificiellement la cote et l'attractivité du pays, de créer l'apparence d'une situation défavorable avec les changements politiques qui s'ensuivent. Le Kirghizstan ayant connu deux révolutions de couleur, ses habitants connaissent le prix de la stabilité - et non celui de l'instabilité.

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Pour sa part, la Russie peut contribuer à renforcer la souveraineté du Kirghizstan et à fournir des incitations supplémentaires à l'intégration eurasienne. Et pas seulement au niveau des opportunités économiques, qui sont énoncées dans les traités de l'EAEU, mais aussi au niveau des récits. Dans le cas du Kirghizstan, le fondement historique de la communauté eurasienne pourrait être l'histoire des Yenisei Kyrgyz, venus de Sibérie sur les contreforts du Tien-Shan, ainsi que les motifs de valeur de l'épopée nationale kirghize Manas (photo, ci-dessous).

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Il est fondamental que ce soient des scientifiques russes qui aient apporté une contribution exceptionnelle à l'étude et à la divulgation du patrimoine culturel du peuple kirghize. Il suffit de rappeler les noms d'Ivan Unkovsky (qui a mené des recherches sur les Kirghiz d'Asie centrale dans la première moitié du 18ème siècle) et de Pyotr Rychkov (dont les recherches sur les Kirghiz de l'Altaï remontent également à la première moitié du 18ème siècle), de Philip Efremov (Osh et Kashgar) et de Vasily Radlov (qui a déchiffré les lettres de l'écriture Orkhon-Yenisei) (x), de Nikolai Aristov (fin du 19ème siècle) et de Vasily Bartold (qui a réalisé, dès l'époque soviétique, son ouvrage fondamental intitulé "Kirghiz. Esquisse historique").

Il ne fait aucun doute que Nikolai Przhevalsky, dont la tombe et le monument se trouvent dans la ville de Karakol, revêt une grande importance tant pour les Russes que pour les Kirghizes. En l'honneur de ce grand voyageur et général russe, la localité de Prystan-Przhevalsk, dans l'actuelle République kirghize, porte son nom. Les scientifiques russes de l'époque soviétique ont apporté une contribution considérable au développement de la culture kirghize. Pyotr Fedorovich Shubin est considéré comme le fondateur de la musique classique kirghize et le créateur du premier orchestre d'instruments nationaux kirghizes. Igor Alexeyevich Batmanov est le fondateur de la grammaire kirghize, l'un des chefs de file de la réforme visant à faire passer la langue kirghize du latin au cyrillique. D'ailleurs, en avril 2024, plusieurs membres du parlement de la république ont proposé de passer de l'alphabet cyrillique à l'alphabet latin (xi). Mais par la suite, ce sujet a été retiré de l'ordre du jour, même si, dans certaines conditions, des instigateurs feront à nouveau pression sur cette question.

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D'une manière générale, on peut affirmer que l'apogée des sentiments nationalistes, qui s'est produite dans les années 1990, est déjà passée au Kirghizstan. Toutefois, cela ne signifie pas qu'il faille laisser la situation suivre son cours. Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions du nouveau concept de politique étrangère de la Fédération de Russie, il est temps de passer à un niveau qualitativement différent de soutien de l'information à l'intégration eurasienne, en accordant une attention particulière à ses fondements culturels, historiques et humanitaires.

Notes:

i https://www.fondsk.ru/news/2023/01/29/amerikanskoe-lobbi-...

ii https://vz.ru/world/2023/8/29/1227954.html  

iii https://rg.ru/2023/08/16/kto-raskachivaet-lodku.html

iv https://ru.sputnik.kz/20240206/chem-zanyaty-v-teni-zapada...

v https://regnum.ru/news/3736319

vi http://berlek-nkp.com/analitics/13019-zapad-vydavlivaet-r...

vii https://country.eiu.com/Kyrgyz%20Republic

viii https://ru.sputnik.kg/20240617/kyrgyzstan-ehksport-zoloto...  

ix https://www.ritmeurasia.ru/news--2024-03-11--kyrgyzstan-z...

x https://cyberleninka.ru/article/n/russkie-vostokovedy-o-k...

xi https://ru.sputnik.kg/20230419/kyrgyzstan-centralnaya-azi...

 

dimanche, 31 mars 2024

Eurasie et Hongrie - Entretien avec Claudio Mutti

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Eurasie et Hongrie

Entretien avec Claudio Mutti

Source: https://www.4pt.su/hu/content/eurazsia-es-magyarorszag

9788897600138_0_536_0_75.jpgClaudio Mutti est le rédacteur en chef d'Eurasia, Rivista di studi geopolitici et un éminent chercheur en folklore d'Europe centrale, y compris le folklore hongrois. Nombre de ses études sont disponibles en hongrois. Il est un excellent traducteur italien du penseur traditionaliste hongrois Béla Hamvas. Son recueil d'essais, Alberi (=Arbres), a été publié il y a quelques mois, traduit par Claudio Mutti.

 - La traduction italienne de la nouvelle loi fondamentale hongroise a récemment été publiée sur le site de l'édition en ligne d'Eurasia. Selon ses rédacteurs, les changements politiques actuels sont également significatifs à certains égards. Comment voyez-vous l'évolution de la vie politique hongroise ?

 - Après l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, certaines forces politiques et idéologiques soutenues par le pouvoir bancaire occidental ont lancé un procès éhonté contre la Hongrie, créant ainsi des sentiments eurosceptiques ou europhobes au sein du peuple hongrois. Cette situation pourrait inciter les Hongrois à regarder ailleurs, et même le Washington Post envisage la possibilité que la Hongrie devienne un bastion russe. En tout état de cause, la Hongrie a la possibilité d'établir une relation constructive avec le noyau eurasien, né de l'alliance russo-biélorusse-kazak, qui inclura bientôt le territoire de l'Ukraine. La Hongrie pourrait jouer un rôle de premier plan en Europe dans la construction d'un nouvel ordre eurasiatique.

Q - Comme nous le savons, le folklore hongrois et d'Europe centrale est au cœur de vos recherches. Comment en êtes-vous venu à vous y intéresser ?

 - Alors que j'étudiais la langue hongroise et l'histoire de la littérature à l'université, j'ai commencé à m'intéresser aux chansons folkloriques hongroises. Cela m'a été inspiré par les écrits de Guénon et de Coomaraswamy, qui soutenaient que la mémoire du peuple conservait, même si ce n'était que de manière partielle et résiduelle, des éléments issus de formes traditionnelles, comme les fées et les déesses des contes de fées. La tradition ethnographique hongroise conserve des thèmes et des symboles d'origine chamanique, qui remontent à la période précédant la conquête et à une vaste aire culturelle eurasienne. Le cas du folklore roumain est analogue, comme le souligne Mircea Eliade, avec ses racines dans un univers de valeurs spirituelles anciennes qui sous-tend l'unité fondamentale non seulement de l'Europe, mais aussi du territoire qui s'étend du Portugal à la Chine.

 - Vous êtes un éminent défenseur de la vision eurasienne du monde, qui est inextricablement liée à la politique antimondialiste et anti-impérialiste (anti-américaine). Veuillez clarifier pour nous certains concepts sur cette question.

 - Les conditions d'une vision eurasienne ont déjà été énoncées par Mircea Eliade lorsqu'il nous rappelle qu'il existe une unité fondamentale non seulement au sein du territoire européen, mais aussi dans la zone allant du Portugal à la Chine et de la Scandinavie à Ceylan. Sur le plan géopolitique, ce concept correspond au projet de relier les "grands espaces". Dans ce cadre, le continent eurasiatique est structuré comme suit: le grand espace russe, le grand espace extrême-oriental, le grand espace indien, le grand espace islamique et le grand espace européen. Certains de ces méga-espaces sont déjà regroupés autour d'un "pôle géopolitique" (comme la toute nouvelle Union eurasienne), tandis que d'autres n'ont pas cette unité ou cette indépendance politique et militaire, que ce soit partiellement ou totalement. C'est le cas de l'Europe, qui entretient des liens étroits avec les États-Unis d'Amérique au sein de l'OTAN. Et en même temps, ses dirigeants politiques, en coopérant avec eux, ne peuvent exprimer qu'une unité économique et financière précaire.

 - Dans quelle mesure considérez-vous que la stratégie géopolitique et la vision du monde décrites ci-dessus sont compatibles avec l'extrême-droite ou l'ultra-droite ? Dans quelle mesure y êtes-vous opposé ?

 - L'extrême droite européenne est un mélange de tendances contradictoires. Entre 1945 et 1989, elle a cherché son principal ennemi dans le communisme et a pris position en faveur de la soi-disant "défense de l'Occident", de sorte qu'elle s'est automatiquement déclarée solidaire de l'impérialisme américain. Après la chute du communisme, l'extrême droite européenne a trouvé un nouvel ennemi à l'Est et au Sud, a concentré presque toute son énergie sur les émigrants et a ensuite lancé une campagne contre la "menace islamique" ou le "péril jaune". Valorisant inconditionnellement la "race blanche", une partie de l'extrême droite est condamnée à jouer un rôle de pion sur l'échiquier du "choc des civilisations". D'autres groupes, dans leur régression, sont passés du nationalisme mesquin au localisme, et d'autres encore ont été paralysés dans le carnaval du néo-spiritualisme ou le carnaval pseudo-païen. Il y a bien sûr des exceptions louables, mais le tableau d'ensemble est désespérant.

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Q - Compte tenu des événements récents, quel est l'avenir du Moyen-Orient? Je pense en particulier à la situation en Syrie et en Iran.

R.- L'agression contre l'Iran est depuis longtemps préconisée par le gouvernement sioniste. Elle a commencé par une attaque terroriste contre la Syrie, soutenue et patronnée par les alliés et les forces occidentales. Il s'agit en fait d'une nouvelle phase de la stratégie américaine, qui s'inscrit dans le cadre d'un plan géostratégique élaboré par Nicholas J. Spykman pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon lui, les États-Unis d'Amérique doivent contrôler le pourtour extérieur du continent eurasien (Rimland) : des côtes atlantiques et méditerranéennes de l'Europe au Japon et à la Corée, en passant par le Moyen-Orient et le Sud-Est asiatique, les Philippines et Taïwan. Ce n'est qu'en encerclant et en étouffant le "Heartland" eurasien qu'elle pourra conquérir le pouvoir mondial et s'y maintenir fermement. La crise économique actuelle, qui a gravement compromis l'hégémonie unipolaire des États-Unis, les oblige à accélérer le mouvement. En outre, ils ont eu recours à la force militaire dans le passé pour résoudre leur crise économique. Cette fois-ci, nous sommes donc au bord d'une nouvelle guerre mondiale.

Source hongroise: http://szentkoronaradio.com/kulfold/2012_05_02_eurazsia-es-magyarorszag-interju-claudi-muttival

mercredi, 25 octobre 2023

Claudio Mutti: Quelle Eurasie?

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Quelle Eurasie ?

Par Claudio Mutti

Source: https://www.eurasia-rivista.com/quale-eurasia/

Un célèbre roman dystopique [1], paru dans la deuxième année de la "guerre froide", présente le scénario fantaisiste de trois superpuissances continentales gouvernées par autant de systèmes politiques totalitaires: l'Océanie, l'Estasie et l'Eurasie. Cette dernière, soumise à un régime néo-bolchévique, englobe le vaste espace territorial qui s'étend de l'Europe occidentale et méditerranéenne au détroit de Béring. Telle est l'image de l'Eurasie modelée par un informateur au service de l'Information Research Department (IRD) du Foreign Office britannique, un "policier colonial" [2] prêté à la littérature, qui s'inspirait ouvertement des schémas de la propagande antinazie et antisoviétique [3].

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En réalité, le nom d'Eurasie circulait depuis longtemps dans les milieux scientifiques : utilisé par le géologue autrichien Eduard Suess (1831-1914) dans son ouvrage Das Antlitz der Erde [4], il avait été inventé par le mathématicien et géographe allemand Carl Gustav Reuschle (1812-1875) dans un Handbuch der Geographie [5] pour désigner le continent qui unit de manière indissociable l'Asie et l'Europe. En effet, le terme continent (du latin continēre, "tenir ensemble, garder ensemble") désigne bien une masse compacte de terre entourée d'eaux océaniques et maritimes, de sorte qu'il ne peut désigner ni l'Europe ni l'Asie, mais seulement l'ensemble continental dont l'Europe et l'Asie sont les éléments constitutifs.

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Si, en revanche, ignorant le critère géographique sur lequel repose la notion de continent, on voulait tracer une ligne conventionnelle entre l'Europe et l'Asie, on serait contraint de prendre comme ligne de démarcation l'Oural, une chaîne de montagnes qui n'atteint même pas 2000 mètres d'altitude (le sommet le plus élevé, Narodnaja, culmine à 1895 mètres au-dessus du niveau de la mer). Il faudrait ensuite poursuivre cette ligne de partage le long de l'Oural et de la côte nord-ouest de la mer Caspienne ; mais c'est là que commenceraient les problèmes et les désaccords, car selon certains, la frontière entre les deux supposés continents européen et asiatique serait la ligne de partage des eaux du Caucase, selon d'autres, la dépression de Kuma-Manyč au nord du Caucase.

Tout cela ne fait que mettre en évidence le caractère unitaire de la réalité géographique dont font partie l'Asie et l'Europe. Et que ce caractère unitaire ne concerne pas que la géographie physique devait déjà être pensé par les Grecs, puisqu'entre le 8ème et le 7ème siècle av. J.-C. la Théogonie d'Hésiode mentionne l'Europe et l'Asie comme deux sœurs, filles d'Okéanos et de Thétis, appartenant à la "lignée sacrée des filles [θυγατέρων ἱερὸν γένος] qui sur terre / élèvent les hommes à la jeunesse, avec le Seigneur Apollon / et les Fleuves : ils tiennent ce destin de Zeus" [6] ; et Eschyle, qui avait lui aussi combattu les Perses à Marathon (et probablement aussi à Salamine), parlait de la Grèce et de la Perse - représentatives de l'Europe et de l'Asie - comme de "deux sœurs de sang de la même lignée [ϰασιγνήτα γένους ταὐτοῦ]" [7].

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Mais venons-en à des temps plus récents. L'orientaliste, explorateur et historien des religions Giuseppe Tucci (1894-1984), qui a mené plusieurs expéditions archéologiques au Tibet, en Inde, en Afghanistan et en Iran, et qui a fondé en 1933 avec Giovanni Gentile l'Institut italien pour le Moyen-Orient et l'Extrême-Orient, insistait encore peu avant sa mort sur la nécessité d'une conception qui n'opposerait plus l'Asie et l'Europe, mais qui les verrait comme deux réalités complémentaires et inséparables. Il a d'ailleurs fait référence à une sorte d'unité culturelle eurasienne dans sa dernière intervention publique, une interview parue le 20 octobre 1983 dans la Stampa de Turin. Je ne parle jamais d'Europe et d'Asie, mais d'Eurasie", déclarait-il à cette occasion. Il n'y a pas un événement qui se produit en Chine ou en Inde qui ne nous influence pas, et vice versa, et il en a toujours été ainsi". Les déclarations de ce type ne sont pas rares dans l'œuvre de Tucci. En 1977, il avait qualifié de grave l'erreur commise lorsque l'Asie et l'Europe sont considérées comme deux continents distincts l'un de l'autre, car, selon lui, "il faut parler d'un seul continent, l'Eurasie: tellement uni dans ses parties qu'il n'y a pas d'événement d'importance dans l'un qui n'ait eu son reflet dans l'autre"[8]. Plus tôt encore, en 1971, à l'occasion de la commémoration de Cyrus le Grand, fondateur de l'Empire perse, Tucci avait déclaré que "l'Asie et l'Europe forment un tout unique, uni par les migrations des peuples, les vicissitudes des conquêtes, les aventures du commerce, dans une complicité historique que seuls les ignorants ou les incultes, qui pensent que le monde entier se conclut en Europe, s'obstinent à ignorer" (9).

Samelre.jpgUn autre grand savant du 20ème siècle, l'historien des religions Mircea Eliade (1907-1986), a documenté dans toute son œuvre ce qu'il appelle lui-même "l'unité fondamentale non seulement de l'Europe, mais de tout l'écoumène qui s'étend du Portugal à la Chine et de la Scandinavie à Ceylan" [10]. Au plus fort de la "guerre froide", alors qu'il résidait en exil en France, de ce côté-ci du "rideau de fer" qui le séparait de son pays d'origine, Eliade refusait de concevoir l'Europe dans les termes étroits que les défenseurs de la soi-disant "civilisation occidentale" auraient voulu lui imposer. Il a d'ailleurs rejeté avec sarcasme la conception occidentaliste, écrivant textuellement: "Il existe encore d'honnêtes Occidentaux pour qui l'Europe se termine sur le Rhin ou, tout au plus, à Vienne. Leur géographie est essentiellement sentimentale : ils sont arrivés à Vienne en voyage de noces. Plus loin, il y a un monde étranger, peut-être fascinant, mais incertain : ces puristes seraient tentés de découvrir, sous la peau du Russe, ce fameux Tartare dont ils ont entendu parler à l'école ; quant aux Balkans, c'est avec eux que commence cet océan ethnique confus d'indigènes, qui s'étend jusqu'à la Malaisie"[11].

Eliade's_Chamanisme.jpgDe son étude de l'ethnographie roumaine, qui s'inscrit dans un contexte géographique qui transcende largement les Carpates et le cours du Danube, Eliade a tiré la conviction que l'Europe du Sud-Est constitue le "véritable pivot des liens stratifiés entre l'Europe méditerranéenne et l'Extrême-Orient" (12). Dans le riche patrimoine folklorique roumain, Eliade a en effet identifié plusieurs éléments qui renvoient à des thèmes mythiques et rituels présents en divers endroits du continent eurasien. Ainsi, en soumettant l'une des plus célèbres ballades folkloriques roumaines, celle de Maître Manole, à une analyse comparative, le savant a mis en lumière toute une série d'analogies qui s'entrecroisent dans une zone située entre l'Angleterre et le Japon. En effet, il constate que le thème du sacrifice humain nécessaire à l'achèvement d'une construction est non seulement attesté en Europe ("en Scandinavie et chez les Finlandais et les Estoniens, chez les Russes et les Ukrainiens, chez les Allemands, en France, en Angleterre, en Espagne" [13]), mais que son aire de diffusion comprend également la Chine, le Siam, le Japon et le Pendjab. Enfin, Eliade a montré que divers phénomènes étudiés dans ses études, comme l'alchimie ou le chamanisme, se retrouvent répartis sur une vaste zone du continent eurasiatique, parfois jusqu'à ses régions les plus éloignées.

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Outre Tucci et Eliade, on peut citer un autre chercheur, Franz Altheim (1998-1986), qui a encadré les gravures du Val Camonica dans ce qu'il a appelé "le monde chevaleresque eurasien" [14] et qui, considérant les processus historiques qui ont marqué le passage de l'âge antique à l'âge médiéval, nous a invités à regarder au-delà des frontières de l'Empire romain. Rappelant explicitement la perspective historiographique de Polybe, qui embrassait l'écoumène politiquement unifié par Rome - "tout l'espace entre les piliers d'Hercule et les portes de l'Inde ou les steppes de l'Asie centrale" [15] -, Altheim a souligné la nécessité pour l'historiographie de prendre en compte l'unité substantielle du continent eurasiatique.

31410391562.jpgIl accorde une attention particulière à la Völkerwanderung des Huns, protagonistes d'une cavalcade transeurasienne qui les a conduits des rives du lac Baïkal, au nord de la Mongolie, jusqu'aux Champs catalauniques, dans le nord de la France. Si, en Asie, les Huns ont conditionné le destin de l'Empire du Milieu pendant des siècles, en Europe - souligne Altheim - ils ont ouvert la voie aux invasions et à la colonisation de toute une série de peuples apparentés: Avars, Bulgares, Kazaars, Cumans, Pechenegs, Hongrois, de sorte que - écrit le chercheur dans son livre sur Attila et les Huns - "le couronnement a été l'avancée des Mongols" [16]. À l'intérêt pour la figure d'Attila, le chef d'origine centrasiatique qui a fondé un empire en Europe, Altheim a associé son intérêt pour Alexandre le Grand, qui a amené la civilisation grecque jusqu'à l'Indus, le Syr-Darya, Assouan et le golfe d'Aden, inaugurant une nouvelle phase dans l'histoire de l'Eurasie.

Les eurasistes des années 1920

L'idée de l'Eurasie qui émerge des travaux de chercheurs tels que Giuseppe Tucci, Mircea Eliade et Franz Altheim [17] est très différente de celle qui inspire l'eurasisme ou eurasiatisme dit "classique" [18], caractérisé par une aversion radicale pour la culture européenne, identifiée comme "romano-germanique" [19].

L'eurasisme "classique" [20] est représenté par un groupe d'intellectuels russes émigrés après la défaite des armées blanches et actifs dans les années 1920, parmi lesquels il convient de citer les plus éminents : le prince Nikolaï S. Trubeckoj (1890-1938), célèbre dans le domaine linguistique pour avoir élaboré, avec les autres savants du Cercle de Prague, la "nouvelle phonologie" [21], l'historien Georgii V. Vernadskij (1887-1973), le géographe et économiste Pyotr N. Savickij (1895-1965), le musicologue Pyotr P. Suvčinskij (1892-1985) et le théologien Georgij V. Florovsky (1893-1973). Dans ce qui est considéré comme le "manifeste" du mouvement, à savoir dans le recueil d'essais intitulé Ischod k Vostoku ["Chemin vers l'Est"] et publié à Sofia en 1921 par une maison d'édition russo-bulgare [22], les eurasistes "classiques" ont exprimé l'idée fondamentale que les peuples de Russie et des régions adjacentes d'Europe et d'Asie forment une unité naturelle, car ils sont liés par des affinités historiques et culturelles. Fondée non seulement sur l'héritage byzantin, mais aussi sur la conquête mongole et donc identifiable comme "eurasienne", l'identité culturelle russe avait été niée, selon les auteurs d'Ischod k Vostoku, à la fois par les réformes de Pierre le Grand et de la classe politique qui avait ensuite gouverné la Russie, et par le courant slavophile, qu'ils accusaient de vouloir imiter l'Europe. Quant à la révolution bolchevique, s'ils l'évaluent négativement, les "eurasistes" de Sofia cherchent néanmoins à en étudier la signification dans le contexte de l'histoire russe ; Savicky, en particulier, voit dans la révolution d'Octobre un développement de la révolution bourgeoise des années 1880, mais observe d'autre part qu'elle déplace l'axe de l'histoire universelle vers l'Est.

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Dans un essai de 1925 intitulé Nasledie Čingis Chana ["L'héritage de Gengis Khan"], Trubeckoj entend souligner la relation étroite entre la culture russe authentique et l'élément turco-mongol, en se référant à un événement historique spécifique: l'unification de l'espace eurasien par Gengis Khan et ses successeurs. L'Eurasie", écrit Trubeckoj, "constitue un ensemble unitaire en termes géographiques et anthropologiques. (...). Par conséquent, en vertu de sa nature même, elle est historiquement destinée à constituer une entité étatique unique. Dès le début, l'unification de l'Eurasie s'est avérée historiquement inévitable, et la géographie elle-même a indiqué les moyens de sa réalisation" [23].

Il est évident que par le nom d'Eurasie, Trubeckoj et les autres "eurasistes" des années 1920 n'entendaient pas, comme l'aurait exigé le contenu sémantique du terme, le grand continent situé entre les océans Atlantique et Pacifique et entre les océans Arctique et Indien, mais se référaient à un grand espace intermédiaire entre l'Europe et l'Asie, distinct à la fois de l'Europe et de l'Asie. Pour eux, l'Asie était l'ensemble des régions périphériques orientales, sud-orientales et méridionales du grand continent : le Japon, la Chine, l'Indochine, l'Inde, l'Iran et toute l'Asie mineure. Quant à l'Europe, elle coïncidait avec le "monde romano-germanique", se réduisant essentiellement à l'Europe occidentale et centrale, tandis que ce qu'ils appelaient habituellement "l'Europe orientale", jusqu'à l'Oural, était pour eux une partie de l'Eurasie. D'autre part, ils considéraient que la division de la Russie en une partie européenne et une partie asiatique était erronée et trompeuse. Dans l'essai intitulé Povorot k Vostoku ["Tournez-vous vers l'Est"], Pyotr Savicky est explicite : "La Russie n'est pas seulement l'Ouest, mais aussi l'Est, pas seulement l'Europe, mais aussi l'Asie ; en fait, elle n'est pas l'Europe, mais l'Eurasie" [24]. En substance, pour les auteurs du "manifeste" de 1921, l'Eurasie était identifiée à l'Empire russe, plus ou moins le même grand espace historiquement délimité par les frontières de l'Union des républiques socialistes soviétiques.

L'historien, ethnologue et anthropologue Lev N. Gumilëv (1912-1992) [25], dont les travaux [26] ont réévalué la contribution des peuples turcs, mongols et tatars à la naissance de la Russie, en reconnaissant le caractère multiethnique et la multiplicité des racines culturelles de cette dernière, s'apparente dans une certaine mesure aux "eurasianistes" des années 1920. Gumilëv a également identifié l'Eurasie à la zone géographique de l'Empire russe et de l'Union soviétique. Divisée du nord au sud en quatre ceintures horizontales caractérisées respectivement par la toundra sans végétation, la taïga forestière, la steppe et enfin le désert, cette aire géographique se situe entre deux ceintures climatiques, la séparant d'une part du climat européen plus doux et, d'autre part, du climat de mousson typique des zones périphériques de l'Asie. Une telle conformation, selon Gumilëv, a conduit à la formation d'une civilisation autonome fortement distincte des autres qui l'entouraient.

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Le néo-eurasisme

D'une refonte de l'eurasisme dit "classique", enrichie des apports de la géopolitique et d'éléments de la pensée traditionaliste (René Guénon, Julius Evola, etc.), le "néo-eurasianisme" est né en Russie à la fin des années 1980. Son principal théoricien et représentant est Aleksandr G. Douguine (1962-), fondateur du Mouvement eurasien international (Meždunarodnoe Evrazijskoe Dviženie) et, au fil des ans, collaborateur ou partisan de différents sujets politiques: d'abord du parti communiste de Gennadij Zjuganov, puis du parti national bolchevique d'Eduard Limonov, ensuite du parti libéral-démocrate de Vladimir Žirinovskij et enfin du parti Russie unie (Edinaja Rossija) de Vladimir Poutine.

La vision de Douguine diffère de l'eurasisme "classique", car à l'incompatibilité de la Russie avec l'Europe "romano-germanique", il substitue (du moins dans la première phase de sa pensée) l'antithèse radicale entre les intérêts continentaux de l'ensemble de la masse eurasienne et l'Occident hégémonisé par les États-Unis. L'Europe, le monde musulman, la Chine et le Japon ne sont plus considérés comme des adversaires irréductibles entourant la Russie, mais plutôt comme ses alliés potentiels, au nom de l'opposition de type schmittien entre puissances terrestres et maritimes.

L'Eurasie, qui de Trubeckoj à Gumilëv avait été identifiée à l'espace correspondant d'abord à la Russie impériale puis à l'Union soviétique, n'a pas, dans le néo-eurasisme de Douguine, un profil univoque et défini. Parfois, en effet, Douguine appelle l'Eurasie le continent tout entier ; parfois, il affirme que "ni l'idée eurasienne ni l'Eurasie en tant que concept ne correspondent strictement aux limites géographiques du continent eurasien" [27] ; parfois encore, il considère l'Eurasie et l'Europe comme deux civilisations distinctes [28].

Dans la perspective géopolitique de Douguine, qu'il a largement exposée dans le premier numéro d'Eurasia [29], l'ancien continent, c'est-à-dire la masse terrestre de l'hémisphère oriental, est divisé en trois grandes "ceintures verticales", qui s'étendent du nord au sud, chacune d'entre elles étant constituée de plusieurs "grands espaces". La première de ces "ceintures" est l'Eurafrique, formée par l'Europe, le grand espace arabe et l'Afrique transsaharienne. La deuxième "ceinture" est la zone Russie-Asie centrale, constituée de trois grands espaces qui se superposent parfois : le premier est la Fédération de Russie avec les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale, le deuxième est le grand espace de l'Islam continental (Turquie, Iran, Afghanistan, Pakistan), le troisième grand espace est l'Inde. Enfin, la troisième "ceinture verticale" est la zone Pacifique, condominium de deux grands espaces (Chine et Japon) qui comprend également l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines et l'Australie.

Cette subdivision constitue une reprise des Panideen de Karl Haushofer (1869-1946), qui avait théorisé un hémisphère oriental géopolitiquement subdivisé en un espace eurafricain, un espace panafricain s'étendant jusqu'à l'océan Indien mais sans débouché sur le Pacifique, et enfin un espace extrême-oriental comprenant le Japon, la Chine, l'Asie du Sud-Est et l'Indonésie [30]. Au schéma haushoferien, Douguine a apporté quelques changements requis par la situation internationale actuelle, en assignant le Proche-Orient et la Sibérie jusqu'à Vladivostok à la deuxième ceinture (la zone Russie-Asie centrale).

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La perspective géopolitique "verticale" théorisée par Douguine a fait l'objet, dans les pages d'"Eurasia", de remarques critiques de Carlo Terracciano (1948-2005) [31]. L'Eurasie, observait Terracciano, "est un continent "horizontal", par opposition à l'Amérique, qui est un continent "vertical"" [32]; en effet, toute la masse continentale de notre hémisphère, l'hémisphère oriental du globe, est constituée d'unités homogènes disposées horizontalement. Traduisant cette vision géographique en termes géopolitiques, Terracciano envisage "l'intégration de la grande plaine septentrionale de l'Eurasie de la Manche au détroit de Béring" [33]. Cette première bande horizontale est flanquée, par bandes horizontales successives, des autres unités géopolitiques de l'Eurasie et de l'Afrique : le grand espace arabe de l'Afrique du Nord et du Proche-Orient, le grand espace transsaharien, le grand espace islamique entre le Caucase et l'Indus, etc. Dans une telle perspective, il est naturel que l'Europe s'intègre dans une sphère de coopération économique, politique et militaire avec la Russie, faute de quoi, écrit Terracciano, l'Europe sera utilisée par les Américains "comme un fusil pointé sur Moscou" [34]. Pour sa part, la Russie ne peut se passer de l'Europe, au contraire, elle en a besoin. Du point de vue russe, "la seule sécurité pour les siècles à venir ne peut être représentée que par le contrôle, sous quelque forme que ce soit, des côtes du nord de la masse continentale eurasienne, ces côtes qui bordent les deux principaux océans du monde, l'Atlantique et le Pacifique" [35]. La nécessité de l'intégration géopolitique de l'Europe et de la Russie impose aux Européens comme aux Russes la révision définitive de certaines oppositions, à commencer par l'"opposition "raciale" entre Euro-Allemands et Slaves" [36]. Mais les Russes doivent aussi éliminer les résidus de cette europhobie qui, née du juste besoin de revaloriser leur composante turco-tatare, les a parfois conduits à opposer radicalement la Russie à l'Europe germanique et latine. Par conséquent, "si l'on peut et doit encore parler d'Occident et d'Orient, la ligne de démarcation doit être placée entre les deux hémisphères, entre les deux masses continentales séparées par les grands océans" [37], de sorte que le véritable Occident, la terre du couchant, se révélera être l'Amérique, tandis que l'Orient, la terre de la lumière, coïncidera avec l'ancien Continent.

Selon la perspective géopolitique qui caractérisait la pensée de Douguine jusqu'en 2016, l'Eurasie - l'ensemble du continent eurasiatique - est l'objet de l'agression des États-Unis d'Amérique, qui sont poussés à la conquête du Heartland et donc de la puissance mondiale par leur propre nature thalassocratique (et pas simplement par l'orientation idéologique d'une partie de leur classe politique). Mais au moment de la campagne électorale de Donald Trump et de son élection à la présidence des États-Unis, la pensée de Douguine subit un changement radical : adoptant un critère plus idéologique que géopolitique et désignant l'"ennemi principal" non plus dans la puissance nord-américaine mais dans la faction libérale et mondialiste, Douguine salue l'élection de Trump avec un enthousiasme fervent et écrit textuellement: "Pour moi, il est évident que la victoire de Trump a marqué l'effondrement du paradigme politique mondial et, simultanément, le début d'un nouveau cycle historique (...). À l'ère de Trump, l'antiaméricanisme est synonyme de mondialisation (...). En d'autres termes, dans le contexte politique actuel, l'antiaméricanisme devient partie intégrante de la rhétorique de l'élite libérale elle-même, pour qui l'avènement de Trump a été un véritable coup dur". Pour les opposants à Trump, le 20 janvier 2017 était la 'fin de l'histoire', alors que pour nous, il représentait une passerelle vers de nouvelles opportunités et options" [38]. Trois ans plus tard, le 3 janvier 2020, le jour même où Trump revendiquait fièrement l'assassinat du général iranien Qasem Soleimani, Douguine lui a souhaité - dans un message posté sur Facebook - quatre années supplémentaires en tant que président: "Four more years". En 2021, Douguine réitère sa position pro-Trump dans un Manifeste du Grand Réveil [39], dans lequel il affirme que le Grand Réveil " vient des États-Unis, de cette civilisation dans laquelle le crépuscule du libéralisme est plus intense que partout ailleurs" [40], ne manquant toutefois pas de reconnaître le " rôle important joué dans ce processus par l'agit-prop américain d'orientation conservatrice Steve Bannon" [41]. La conclusion est que "notre lutte n'est plus contre l'Amérique. L'Amérique que nous avons connue n'existe plus. La division de la société américaine est désormais irréversible. Nous sommes partout dans la même situation, aux États-Unis et à l'extérieur. La même bataille se joue à l'échelle mondiale" [42].

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"L'Empire européen est, par postulat, eurasien"

Dans la perspective "horizontale" de Carlo Terracciano, l'influence de la pensée de Jean Thiriart (1922-1992) est évidente, qui en est venu à théoriser, après une longue élaboration, la fusion politique de l'Europe et de la Russie en une seule république impériale. En 1964, dans une Europe divisée entre deux blocs, Thiriart avait publié dans les principales langues européennes un livre intitulé Un empire de 400 millions d'hommes : l'Europe, dans lequel il affirmait la nécessité historique de construire une Europe unitaire, indépendante à la fois de Washington et de Moscou. Dans le cadre d'une géopolitique et d'une civilisation communes, écrit-il, l'Europe unitaire et communautaire s'étend de Brest à Bucarest. (...) Aux 414 millions d'Européens s'opposent les 180 millions d'habitants des États-Unis et les 210 millions d'habitants de l'URSS" [43].

Conçu comme une troisième force souveraine et armée, l'"empire de 400 millions d'hommes" imaginé par Thiriart devra établir une relation de coexistence avec l'URSS basée sur des conditions précises: "La coexistence pacifique avec l'URSS ne sera possible qu'après que toutes nos provinces orientales auront recouvré leur indépendance. La coexistence pacifique avec l'URSS commencera le jour où l'URSS reviendra à l'intérieur des frontières de 1938. Mais pas avant : toute forme de coexistence qui impliquerait la division de l'Europe n'est qu'une supercherie" [44]. Selon Thiriart, la coexistence pacifique entre l'Europe unifiée et l'URSS trouverait son développement logique dans "un axe Brest-Vladivostok. (...) Si l'URSS veut garder la Sibérie, elle doit faire la paix avec l'Europe, avec l'Europe de Brest à Bucarest, je le répète. L'URSS n'a pas, et aura de moins en moins, la force de conserver Varsovie et Budapest d'une part, Tchita et Khabarovsk d'autre part. Elle devra choisir, sous peine de tout perdre. (...) L'acier produit dans la Ruhr pourrait bien servir à défendre Vladivostok" [45]. L'axe Brest-Vladivostok théorisé par Thiriart à l'époque semble avoir davantage le sens d'un accord visant à définir les sphères d'influence respectives de l'Europe unie et de l'URSS, puisque "dans la première moitié des années 1960, Thiriart raisonne encore en termes de géopolitique "verticale", ce qui l'amène à penser selon une logique plus "eurafricaine" qu'"eurasienne", c'est-à-dire à esquisser une extension de l'Europe du Nord au Sud et non d'Est en Ouest.

Le scénario esquissé en 1964 a été développé par Thiriart au cours des années suivantes, de sorte qu'en 1982, il pouvait le définir ainsi : "Nous ne devons plus raisonner ou spéculer en termes de conflit entre l'URSS et nous, mais en termes de rapprochement puis d'unification. (...) nous devons aider l'URSS à se compléter dans la grande dimension continentale. Cela triplera la population soviétique qui, de ce fait, ne pourra plus être une puissance à dominante "russe". (...) C'est la physique de l'histoire qui obligera l'URSS à chercher des rivages sûrs : Reykjavik, Dublin, Cadix, Casablanca. Au-delà de ces limites, l'URSS ne sera jamais en sécurité et devra vivre dans une préparation militaire incessante. Et coûteux" [47]. La vision géopolitique de Thiriart est alors devenue ouvertement eurasienne : "L'empire euro-soviétique", écrit-il en 1987, "s'inscrit dans la dimension eurasienne" [48]. Ce concept a été réitéré dans le long discours qu'il a prononcé à Moscou trois mois avant sa mort : "L'Empire européen", a-t-il déclaré à cette occasion, "est, par postulat, eurasien" (49).

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L'idée d'un "Empire euro-soviétique" a été exposée par Thiriart dans un livre écrit en 1984 et publié à titre posthume. En 1984, l'auteur écrivait : "L'histoire donne aux Soviétiques l'héritage, le rôle, le destin qui avait été brièvement attribué au [Troisième] Reich : l'URSS est la principale puissance continentale en Europe, c'est le cœur de la géopolitique. Mon discours s'adresse aux chefs militaires de ce magnifique instrument qu'est l'armée soviétique, un instrument qui manque d'une grande cause" [50]. Partant du constat que dans la mosaïque européenne composée de pays satellites des Etats-Unis ou de l'URSS, le seul Etat véritablement indépendant, souverain et militairement fort était l'Etat soviétique, Thiriart assignait à l'URSS un rôle analogue à celui joué par le Royaume de Sardaigne dans le processus d'unification italienne ou par le Royaume de Prusse dans le monde allemand; ou, pour citer un autre parallèle historique proposé par Thiriart lui-même, par le Royaume de Macédoine dans la Grèce du 4ème siècle av. J.C.: "La situation de la Grèce en 350 av. J.C., divisée en cités-états rivales et partagée entre les deux puissances de l'époque, la Perse et la Macédoine, présente une analogie évidente avec la situation de l'Europe occidentale actuelle, divisée en petits États territoriaux faibles (Italie, France, Angleterre, Allemagne fédérale) soumis aux deux superpuissances" [51]. Par conséquent, de même qu'il existait un parti macédonien à Athènes, il aurait été opportun de créer en Europe occidentale un parti révolutionnaire collaborant avec l'Union soviétique qui, en plus de se libérer des entraves idéologiques d'un dogmatisme marxiste handicapant, aurait dû éviter toute tentation d'établir une hégémonie russe sur l'Europe, faute de quoi son entreprise aurait inévitablement échoué, tout comme avait échoué la tentative de Napoléon d'établir une hégémonie française sur le continent. Il ne s'agit pas, précise Thiriart, de préférer un protectorat russe à un protectorat américain. Non. Il s'agit de faire découvrir aux Soviétiques, qui l'ignorent probablement, le rôle qu'ils pourraient jouer: s'élargir en s'identifiant à l'ensemble de l'Europe. Tout comme la Prusse, en s'élargissant, est devenue l'Empire allemand. L'URSS est la dernière puissance européenne indépendante dotée d'une force militaire significative. Elle manque d'intelligence historique" [52].

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L'échiquier eurasien

L'échiquier eurasien est le titre du deuxième chapitre d'un livre écrit en 1997 par Zbigniew Brzezinski (1928-2017) [53], qui fut conseiller à la sécurité nationale de 1977 à 1981, sous la présidence de Jimmy Carter. S'inspirant des thèses de Sir Halford Mackinder (1861-1947), dont il ne manque pas de citer la célèbre formule [54], Brzezinski explique aux milieux de l'impérialisme nord-américain la nécessité d'adopter une "géostratégie pour l'Eurasie" [55], estimant indispensable que les Etats-Unis, s'ils veulent dominer le monde, exercent leur contrôle sur le continent eurasiatique. "Pour l'Amérique, écrit-il, l'Eurasie est le principal butin géopolitique. Pendant un demi-millénaire, les affaires mondiales ont été dominées par les puissances eurasiennes (...) Aujourd'hui, une puissance non eurasienne domine l'Eurasie, et la primauté mondiale de l'Amérique dépend directement de la durée et de l'efficacité de sa prépondérance sur le continent eurasien" [56]. Brzezinski attire l'attention sur un fait : "L'Eurasie est le plus grand continent du globe et est géopolitiquement axiale" [57], de sorte qu'une puissance capable de la dominer contrôlerait deux des trois régions les plus avancées et économiquement productives du monde. D'autre part, "un simple coup d'œil sur la carte montre également que le contrôle de l'Eurasie impliquerait presque automatiquement la subordination de l'Afrique, ce qui rendrait l'hémisphère occidental et l'Océanie géopolitiquement périphériques par rapport au continent central du monde" [58]. En outre, "l'Eurasie abrite également les États les plus dynamiques et les plus affirmés sur le plan politique. Après les États-Unis, les six plus grandes économies et les six plus grands acheteurs d'armes se trouvent en Eurasie. Les deux pays les plus peuplés qui aspirent à l'hégémonie régionale et à l'influence mondiale sont eurasiens. Tous les adversaires politiques et/ou économiques potentiels de la primauté américaine sont eurasiens. Au total, la puissance de l'Eurasie dépasse de loin celle de l'Amérique. Heureusement pour l'Amérique, l'Eurasie est trop grande pour être politiquement unie. L'Eurasie est donc l'échiquier sur lequel la lutte pour la primauté mondiale continue de se dérouler" [59].

Pour donner une idée de "cet immense échiquier eurasien aux formes étranges qui s'étend de Lisbonne à Vladivostok" [60], sur lequel se joue "le grand jeu", Brzezinski insère une carte du continent divisé en quatre grands espaces, qu'il nomme respectivement Espace médian (correspondant approximativement à la Fédération de Russie et aux territoires adjacents d'Asie centrale), Ouest (Europe), Sud (Proche et Moyen-Orient), et Est (Extrême-Orient et Asie du Sud-Est). "Si l'espace médian, écrit Brzezinski, peut être attiré de plus en plus dans l'orbite expansive de l'Occident (où l'Amérique est prépondérante), si la région méridionale n'est pas soumise à la domination d'un seul acteur et si l'Extrême-Orient n'est pas unifié de manière à provoquer l'expulsion de l'Amérique des bases qu'elle maintient en dehors de son territoire, alors on peut dire que l'Amérique l'emporte. Mais si l'espace moyen rejette l'Occident, devient une entité affirmée et prend le contrôle du Sud ou établit une alliance avec le principal acteur oriental [la Chine, ndlr], on peut dire que l'Amérique l'emporte. Il en irait de même si les deux grands acteurs d'Extrême-Orient [la Chine et le Japon, ndlr] s'unissaient d'une manière ou d'une autre" [61].

La "géostratégie pour l'Eurasie" élaborée par Brzezinski identifie l'Europe comme le principal moyen pour les États-Unis de projeter leur puissance sur le continent eurasien. Selon la définition brutalement réaliste utilisée par l'ancien conseiller de Carter, l'Europe est la "tête de pont géopolitique fondamentale de l'Amérique sur le continent eurasien" [62] ; en outre, il s'agit d'une "tête de pont démocratique" [63] puisque "les mêmes valeurs" [64] qui ont été exportées de l'Amérique vers l'Europe en 1945 et 1989 ont fait de cette dernière "l'allié naturel [sic !] de l'Amérique" [65]. Par conséquent, Brzezinski nous assure que l'élargissement de l'Union européenne, politiquement non pertinente et militairement soumise, ne devrait pas inquiéter outre mesure la Maison Blanche, au contraire: "Une Europe plus large élargira le rayon de l'influence américaine (...) sans créer en même temps une Europe politiquement si intégrée qu'elle puisse immédiatement défier les États-Unis ailleurs dans des affaires géopolitiques de grande importance pour l'Amérique, en particulier au Moyen-Orient" [66].

En ce qui concerne le rôle géopolitique de la Russie, le grand pays au centre de la masse continentale eurasienne, Brzezinski se réfère aux éventualités envisagées par les analystes à la fin des années 1990. De toutes les théories formulées à l'époque, celle qui a été pratiquement réalisée était que la Russie, tôt ou tard, formerait un ensemble eurasien avec l'Iran et la Chine : "la puissance islamique la plus militante du monde et la puissance asiatique la plus peuplée et la plus forte" [67].

NOTES:

[1] George Orwell, Nineteen Eighty-Four, Secker & Warburg, London 1949.

[2] Roderigo Di Castiglia (pseudonimo di Palmiro Togliatti), Hanno perduto la speranza, “Rinascita”, anno VI, n° 11-12, novembre-dicembre 1950.

[3] Giulio Meotti, Ecco perché ho scritto 1984, “Il Foglio” (versione digitale), 26 agosto 2013.

[4] Eduard Suess, Das Antlitz der Erde, 3 vol., F. Tempsky, Prag-Wien-Leipzig 1885-1909.

[5] Carl Gustav Reuschle, Handbuch der Geographie oder Neueste Erdbeschreibung mit besonderer Rücksicht auf Statistik, Topographie und Geschichte, Schweizerbart, Stuttgart 1859.

[6] Esiodo, Teogonia, 346-348.

[7] Eschilo, Persiani, 185-186.

[8] Raniero Gnoli, Ricordo di Giuseppe Tucci, ISIAO, Roma 1985, p. 9.

[9] Giuseppe Tucci, Ciro il Grande. Discorso commemorativo tenuto in Campidoglio il 25 maggio 1971, ISIAO, Roma 1971, p. 14.

[10] Mircea Eliade, L’épreuve du labyrinthe. Entretiens avec Claude-Henri Rocquet, Pierre Belfond, Paris 1978, p. 70.

[11] Mircea Eliade, L’Europe et les rideaux, “Comprendre”, 3, 1951, p. 115.

[12] Roberto Scagno, Mircea Eliade: un Ulisse romeno tra Oriente e Occidente, in: AA. VV., Confronto con Mircea Eliade, Jaca Book, Milano 1998, p. 21.

[13] Mircea Eliade, Struttura e funzione dei miti, in Spezzare il tetto della casa, Jaca Book, Milano 1988, pp. 74-75.

[14] Franz Altheim, Storia della religione romana, Settimo Sigillo, Roma 1996, p. 30.

[15] Franz Altheim, Attila et les Huns, Payot, Paris 1952, p. 5.

[16] Franz Altheim, Attila et les Huns, cit., p. 225.

[17] Onpourrait ajouter quelques autres figures exemplaires: cfr. C. Mutti, Esploratori del Continente. L’unità dell’Eurasia nello specchio della filosofia, dell’orientalistica e della storia delle religioni, Effepi, Genova 2011.

[18] Eurasisme ou eurasiatisme? Eurasiste ou eurasiatiste? Il est vrai que les termes eurasisme et eurasiste (sont) désormais entrés dans l'usage commun" (Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa. Il mito dell’Eurasia nella cultura russa, Libri Scheiwiller, Milano 2003, p. 197, n. 89). Toutefois, si nous nous basons sur un critère analogique et sinous retenons comme préférable les formes eurasiatisme et eurasiatiste puisque il existe des termes similaires comme le montrent les exemples d'européisme, d'africanisme, d'américanisme, etc., ainsi que les adjectifs correspondants formés par l'ajout des suffixes -isme, -iste (pour les adjectifs) et non au substantif. Autrement nous aurions "europiste", "afriquiste", "amériquiste".

[19] "La cultrure européenne (...) est la résultante de l'histoire d'un groupe ethnique déterminé. Les tribus germaniques et celtiques, ayant subi en diverses mesures l'influence de la culture romaine et s'étant fortement mélangées entre elles, ont, au départ d'éléments propres à leurs cultures nationales et d'éléments issus de la culture romaine, créé un mode particulier de vie commune. En vertu des conditions ethnographiques et géographiques communes, ils ont vécu pendant longtremps des formes de vie commune et dans leurs coutumes et dans leurs histoire, grâce à des rapports réciproques continus, les éléments communs se sont avérés tellement pertinents que le sentiments d'unité romano-germanique est pour toujours présents, inconsciemment, en eux" (Nikolaj Trubeckoj, L’Europa e l’umanità, Einaudi, Torino 1982, p. 12).

[20] Pour accéder à un panorama de la pensée eurasiatiste "classique", outre l'étude déjà citée d'Aldo Ferrari, La Foresta e la Steppa, on consultera Otto Böss, La dottrina eurasiatica. Contributi per una storia del pensiero russo nel XX secolo, Società Editrice Barbarossa, Cusano Milanino, s.d.

[21] Nicolas S. Troubetzkoy, Principes de Phonologie traduits par J. Cantineau, Paris 1949.

[22] AA. VV., Ischod k Vostoku. Predčuvstrija i sverženija. Utverždenie evrazijcev, Rossijsko-Bolgarskoe izdatel’stvo, Sofija 1921.

[23] Nikolaj Sergeevič Trubeckoj, L’eredità di Gengis Khan, Società Editrice Barbarossa, Milano 2005, p. 24.

[24] Pëtr Savickij, Povorot k Vostoku, in AA. VV., Ischod k Vostoku, cit., pp. 1-13.

[25] Martino Conserva – Vadim Levant, Lev Nikolaevič Gumilëv, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2005; Luigi Zuccaro, La geofilosofia con Lev Gumilëv, Anteo, Cavriago 2022.

[26] In italiano: Lev Gumilëv, Gli Unni. Un impero di nomadi antagonista dell’antica Cina, Einaudi 1972.

[27] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2004, p. 9.

[28] Alain De Benoist – Aleksandr Dugin, Eurasia. Vladimir Putin e la grande politica, Controcorrente, Napoli 2014, p. 100.

[29] Aleksandr Dugin, L’idea eurasiatista, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, cit., pp. 7-23.

[30] Cfr. Karl Haushofer, Il blocco continentale. Mitteleuropa-Eurasia-Giappone, Anteo, Cavriago 2023.

[31] Claudio Mutti, Carlo Terracciano redattore di Eurasia, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2021, pp. 19-24.

[32] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2005, p. 181.

[33] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 191.

[34] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.

[35] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 184.

[36] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 186.

[37] Carlo Terracciano, Europa-Russia-Eurasia: una geopolitica “orizzontale”, cit., p. 190.

[38] “For me it is obvious that Trump’s victory marked the collapse of the global political paradigm, and simultaneously the beginning of a new historical cycle. (…) in the ‘Age of Trump’ anti-Americanism is already synonymous with globalization (…) In other words, anti-Americanism in the current political context is becoming an integral part of the rhetoric of the very same liberal elite for whom the arrival of Trump was a real blow. For the opponents of Trump, January 20 was the ‘end of history’, while for us it represented a window for new opportunities and options” (“Les Amis d’Alain de Benoist”, 28 marzo 2017, alaindebenoist.com). Pour une analyse de l'erreur d'évaluation commise par Douguine quant au phénomène trumpiste,  cfr. Daniele Perra, La visione strategica di Aleksandr Dugin, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 1/2020, pp. 19-26.

[39] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, Ars Magna, 2021. Ed. it.: Aleksandr Dugin, Contro il Grande Reset. Manifesto del Grande Risveglio, AGA Editrice, Cusano Milanino 2022.

[40] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 47. Sulla rinnovata fortuna del tema evangelico del “Grande Risveglio”, cfr. Claudio Mutti, Le sètte dell’Occidente, “Eurasia. Rivista di studi geopolitici”, 2/2021, pp. 9-17.

[41] Alexandre Douguine, Contre le Great Reset. Le Manifeste du Grand Réveil, cit., p. 37. Sur le rôle de Steve Bannon, cfr. Claudio Mutti, Sovranisti a sovranità limitata, in AA. VV., Inganno Bannon, Cinabro Edizioni, Roma 2019, pp. 83-102.

[42] “Our fight is no more against America. America we knew doesn’t exists anymore. The split of American society is henceforth irreversible. We are in same situation everywhere – inside of US and outside. So the same combat on global scale” (Alexander Dugin, Great Awakening: the future starts now, “Katehon”, 9 gennaio 2021, katehon.com).

[43] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, Volpe, Roma 1965., pp. 17-18.

[44] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., p. 21.

[45] Jean Thiriart, Un impero di 400 milioni di uomini: l’Europa, cit., pp. 26-29.

[46] Lorenzo Disogra, L’Europa come rivoluzione. Pensiero e azione di Jean Thiriart, Prefazione di Franco Cardini, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2020, p. 30.

[47] Jean Thiriart, Entretien accordé à Bernardo Gil Mugurza [rectius: Mugarza] (1982), in: AA. VV., Le prophète de la grande Europe, Jean Thiriart, Ars Magna 2018, p. 349.

[48] Jean Thiriart, La Turquie, la Méditerranée et l’Europe, “Conscience européenne”, n. 18, luglio 1987.

[49] L'essai L’Europe jusqu’à Vladivostok, diffusé en sa tradution russe par le périodique “Den’” a été publié en français dans le n°9 de “Nationalisme et République” en septembre 1992, est une reprise dela conférence de presse que tint Jean Thiriart à Moscou le 18 août dela même année. La traduction italienne est parue dans Eurasia: la première partie dans le n°4/2013 (pp. 177-183), la seconde partie dans le n°4/2017 (pp. 131-145).

[50] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, Edizioni all’insegna del Veltro, Parma 2018, p. 204.

[51] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 190.

[52] Jean Thiriart, L’Impero Euro-sovietico da Vladivostok a Dublino, cit., p. 191.

[53] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard. American Primacy and Its Geostrategic Imperatives, Basic Books, New York 1997. Ed. it.: La grande scacchiera, Longanesi, Milano 1998.

[54] “Who rules East Europe commands the Heartland; Who rules the Heartland commands the World-Island; Who rules the World-Island commands the world” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 38).

[55] “A geostrategy for Eurasia” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 197).

[56] “For America, the chief geopolitical prize is Eurasia. For half a millennium, world affairs were dominated by Eurasian powers (…) Now a non-Eurasian power is preeminent in Eurasia – and America’s global primacy is directly dependent on how long and how effectively its preponderance on the Eurasian continent is sustained” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 30).

[57] “Eurasia is the globe‘s largest continent and is geopolitically axial” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).

[58] “A mere glance at the map also suggests that control over Eurasia would almost automatically entail Africa’s subordination, rendering the Western Hemisphere and Oceania geopolitically peripheral to the world’s central continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).

[59] “Eurasia is also the location of most of the world’s politically assertive and dynamic states. After the United States, the next six largest economies and the next six biggest spenders on military weaponry are located in Eurasia. The world’s two most populous aspirants to regional hegemony and global influence are Eurasian. All of the potential political and/or economic challengers to American primacy are Eurasian. Cumulatively, Eurasia’s power vastly overshadows America’s. Fortunately for America, Eurasia is too big to be politically one. Eurasia is thus the chessboard on which the struggle for global primacy continues to be played” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 31).

[60] “This huge, oddly shaped Eurasian chessboard – extending from Lisbon to Vladivostok” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).

[61] “If the middle space can be drawn increasingly into the expanding orbit of the West (where America preponderates), if the southern region is not subjected to domination by a single player, and if the East is not unified in a manner that prompts the expulsion of America from its offshore bases, America can then be said to prevail. But if the middle space rebuffs the West, becomes an assertive single entity, and either gains control over the South or forms an alliance with the major Eastern actor, then America’s primacy in Eurasia shrinks dramatically. The same would be the case if the two major Eastern players [Cina e Giappone] were somehow to unite” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 35).

[62] “America’s essential geopolitical bridgehead in Eurasian continent” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).

[63] “The Democratic Bridgehead” est le titre du troisième chapitre de The Grand Chessboard, cit., p. 57.

[64] “the same values” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 59).

[65] “America’s natural ally” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 57).

[66] “A larger Europe will expand the range of American influence (…) without simultaneously creating a Europe politically so integrated that it could soon challenge the United States on geopolitical matters of high importance to America elsewhere, particularly in the Middle East” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 199).

[67] “the world’s most militant Islamic power, and the world’s most populated and powerful Asian power” (Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard, cit., p. 116).

mardi, 17 octobre 2023

La crise au Moyen-Orient et les voies de transport

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La crise au Moyen-Orient et les voies de transport

Leonid Savin

Source: https://katehon.com/ru/article/krizis-na-blizhnem-vostoke-i-transportnye-marshruty-evrazii

Sur fond de nouveau conflit en Palestine, l'annonce de la suspension des négociations entre l'Arabie saoudite et Israël a donné lieu à une interprétation plus large des événements affectant les intérêts de l'Inde, de l'Iran, de l'UE, de la Russie et de la Chine. Alors que les guerres au Moyen-Orient ont toujours affecté le monde entier, en particulier la région Eurasie, d'une certaine manière, cette affaire est en effet liée aux projets de plusieurs États à l'égard d'Israël et de l'Arabie saoudite.

Quelques jours avant l'attaque du Hamas, la Maison Blanche a confirmé que presque toutes les questions relatives à la normalisation des relations entre l'Arabie saoudite et Israël avaient déjà été résolues, quelques nuances concernant l'Iran restant à convenir.

Du côté saoudien, il y avait deux conditions: l'accès à la technologie nucléaire et l'amélioration des conditions socio-économiques des Palestiniens, qui dépendaient directement d'Israël. La question palestinienne est devenue la pierre angulaire de ces négociations et le Hamas a pratiquement fait capoter l'accord. Dans le même temps, l'Occident collectif était intéressé par un autre projet géoéconomique - la création d'un autre corridor de transport, avec l'Arabie saoudite et Israël comme acteurs clés.

Corridor Inde-Moyen-Orient-UE

Cet accord a été conclu lors du sommet du G20 à New Delhi. Selon une lettre d'information de la Maison Blanche, les dirigeants des États-Unis, de l'Inde, de l'Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Union européenne ont signé un protocole d'accord portant sur la création d'un nouveau corridor économique Inde-Moyen-Orient-UE (IMEC).

Outre les liaisons ferroviaires et les lignes maritimes, des câbles de données à haut débit et des pipelines énergétiques sont envisagés. Ceux-ci viendraient compléter les réseaux maritimes et routiers existants afin d'améliorer la circulation des biens et des services vers et entre ces pays.

D'un point de vue géopolitique, le corridor Inde-Moyen-Orient-UE est désormais considéré comme un concurrent de l'initiative chinoise Belt and Road. Les États-Unis et les pays de l'UE ont probablement caressé un tel espoir, bien que l'initiative chinoise implique plus de 150 pays et qu'une trentaine d'organisations internationales y aient adhéré. L'Arabie saoudite et Israël sont également membres de l'initiative chinoise. Il n'y a donc pas de véritable concurrence.

Quant à l'Inde, elle s'est d'abord opposée à la Ceinture et la Route parce que sa principale composante, le corridor économique Chine-Pakistan, passe par un territoire contesté. Il était important pour New Delhi de créer une route alternative vers les pays de l'UE, car aujourd'hui l'ensemble du flux de marchandises passe par le canal de Suez. En outre, en 2003, le conglomérat indien Adani Group a acquis le port de Haïfa en Israël, et les relations entre l'Inde et Israël ces dernières années ont été très productives dans divers domaines.

Le retrait de l'Italie de l'initiative chinoise témoigne en revanche du scepticisme des pays européens, qui se méfient de plus en plus de la puissance croissante de la Chine, suivant en cela la ligne politique de Washington.

Entre-temps, outre le projet Inde-Moyen-Orient-Europe, qui a échoué jusqu'à présent, et la Ceinture et la Route, il existe d'autres alternatives pour l'organisation des routes et de la logistique. Elles ont leurs propres acteurs et opposants, comme dans le cas des deux projets susmentionnés.

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Couloir médian

La veille, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev s'est rendu en Géorgie où, lors d'une rencontre avec le Premier ministre Irakli Garibashvili, il a confirmé l'importance du corridor du milieu et de la participation à celui-ci. La question de la reprise de la construction d'un nouveau port en eau profonde à Anaklia a été soulevée, ainsi que le développement d'autres infrastructures de transport.

Cette initiative a été officiellement créée en 2013 par le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan et la Géorgie, mais a commencé à prendre de l'ampleur relativement récemment. Il existe une association internationale "Trans-Caspian International Transport Route", qui est l'opérateur de ce projet.

Lors de la réunion régulière des 28 et 29 septembre 2023 à Aktaou, un accord sur l'interaction et les mesures de responsabilité dans l'organisation du transport de marchandises dans des trains de conteneurs le long de la route TMTM avec l'utilisation de navires d'apport et un accord sur l'organisation du transport de conteneurs dans la communication internationale directe rail-mer avec la participation de navires d'apport entre les ports de la mer Caspienne (Aktaou - Bakou-Alyat) ont été signés. Les sociétés suivantes ont également été acceptées comme membres : Alport (Azerbaïdjan), BMF Port Burgas (Bulgarie), Semurg Invest (Kazakhstan), LTG Cargo (Lituanie), Global DTC Pte.Ltd (Singapour) et Istkomtrans LLP (Kazakhstan). L'association compte désormais 25 entreprises membres, représentées par 11 pays.

Bien que le corridor médian représente actuellement moins de 10 % du volume total de marchandises transportées le long de la route du Nord (c'est-à-dire à travers le territoire de la Russie), en raison de la capacité limitée des ports maritimes et des chemins de fer, de l'absence d'une structure tarifaire unifiée et d'un opérateur unique, les pays membres de l'association TMTM ont mis en place un système de gestion de la chaîne logistique. Actuellement, les pays membres de TMTM se sont fixé pour objectif de porter la capacité du corridor médian à 10 millions de tonnes par an d'ici à 2025.

L'un des avantages du corridor médian est qu'il est plus court de 2000 kilomètres que le corridor septentrional qui passe par la Russie. Le temps de trajet entre la Chine et l'Europe est ainsi ramené à 12 jours, contre 19 jours pour le corridor nord. En outre, le corridor médian permettra de réduire les risques de sanctions associés au transit par la Russie. Bien entendu, il ouvre l'accès à de nouveaux marchés, avec une population d'environ 80 millions d'habitants le long de l'itinéraire.

Le corridor médian offre également la possibilité d'augmenter les exportations d'énergie de l'Asie centrale vers l'Europe. Par exemple, le Kazakhstan a l'intention d'expédier 1,5 million de tonnes de pétrole (2 à 3% de ses exportations de pétrole) vers l'Europe via le corridor du milieu cette année.

Les deux initiatives ont un point commun. Comme le corridor Inde-Moyen-Orient-UE, cet itinéraire contourne la Russie. Cependant, le corridor du milieu inclut la Chine. Le 19 mai 2023, Xi Jinping a rencontré cinq dirigeants d'Asie centrale lors du sommet Chine-Asie centrale pour discuter du lancement du chemin de fer Chine-Kirghizistan-Ouzbékistan et de la construction de plusieurs autoroutes qui feront partie intégrante du corridor du milieu.

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La Turquie, quant à elle, tente de tirer parti de son importance géostratégique pour devenir un pont entre l'UE, d'une part, et les pays du Caucase et d'Asie centrale et la Chine, d'autre part.

Dans un scénario optimiste, le corridor médian devrait porter la capacité de transit à 50 millions de tonnes, ce qui complète la vision chinoise d'une route de la soie en fer, ainsi que l'influence régionale croissante de la Turquie. Par ailleurs, la Turquie joue également un rôle crucial en tant qu'intermédiaire dans la chaîne de valeur européenne en raison de sa structure géographique.

Toutefois, le président turc Erdogan a récemment annoncé des plans pour un corridor commercial alternatif et envisage de partager le projet de la route de développement irakienne comme itinéraire alternatif. Aujourd'hui, la part de la Turquie dans l'économie irakienne est déjà très importante.

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Du nord au sud

Enfin, il y a le corridor de transport international Nord-Sud, dans lequel l'Inde est également impliquée. Les autres acteurs clés sont l'Iran et la Russie, dont le territoire est traversé par cette route.

Cet itinéraire fait l'objet de discussions depuis un certain temps, mais ce n'est que cette année que des résultats concrets ont été observés, à la fois en termes de services de ferry à travers la Caspienne et d'achèvement de la section ferroviaire Azerbaïdjan-Iran. Il pourrait comporter plusieurs branches, en particulier une section maritime de l'Iran à l'Arabie Saoudite (des marchandises en provenance de Russie y ont déjà été transportées), ainsi qu'une direction ferroviaire de l'Iran au Turkménistan et, plus loin, aux pays d'Asie centrale. Une dimension horizontale supplémentaire couvrant l'Afghanistan et le Pakistan (y compris la réactivation du gazoduc énergétique TAPI) est également envisageable à l'avenir.

La Turquie, qui partage une frontière avec l'Iran, pourrait également rejoindre ce corridor, mais elle n'est pas pressée de le faire.

La position russe sur la mise en œuvre de cette route est optimiste (même le corridor du milieu peut être mutuellement bénéfique), mais pas assez proactive. Après tout, ce n'est que maintenant, dans le cadre du régime de sanctions, que nous sommes parvenus à des décisions et à des résultats concrets, alors qu'il aurait été beaucoup plus facile de le faire plus tôt.

En outre, compte tenu de la crainte du Kazakhstan de tomber sous le coup de sanctions secondaires, il est peu probable que les intérêts de la Russie soient pris en compte dans ce pays. Au contraire, le Kazakhstan tentera de promouvoir le corridor médian afin de diversifier ses capacités logistiques.

En résumé, nous pouvons conclure que la Ceinture et la Route continuera à se développer selon la trajectoire prévue. Le corridor du milieu peut représenter un certain risque pour la Russie de perdre une partie de son transit. Le corridor Inde-Moyen-Orient-UE reste irréalisable. Le corridor Nord-Sud est le plus prometteur du point de vue des intérêts de la Russie. Les économies iranienne et russe sont de plus en plus interconnectées (et à la veille de l'adhésion de l'Iran à l'EAEU, c'est important). Les contacts avec l'Inde continuent de se développer, ce qui contrebalance le vecteur chinois. Le développement de ce corridor de transport incitera d'autres pays de la région à l'emprunter. En outre, il ne comporte pas de risques graves, comme dans le cas de la plaque tournante proposée au Moyen-Orient. La Russie et l'Iran sont des partenaires stratégiques intéressés par la formation d'un ordre mondial multipolaire. L'Inde souhaite également modifier l'ordre actuel. Les clients de Washington, tels qu'Israël, ou les acteurs ambitieux, tels que la Turquie, ne sont pas présents en tant que participants clés à ce projet. Il convient toutefois de tenir compte du fait que l'Occident tentera par tous les moyens de mettre des bâtons dans les roues pour entraver le fonctionnement du corridor Nord-Sud. Les tentatives de brouiller l'Azerbaïdjan et l'Iran, ainsi que les diverses accusations portées par les États-Unis contre Téhéran, sont directement liées à cette situation et visent à isoler l'Iran.

vendredi, 18 août 2023

L'Inde et la Russie s'activent pour réaliser le grand chemin de fer Nord-Sud

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L'Inde et la Russie s'activent pour réaliser le grand chemin de fer Nord-Sud

Pour l'Italie, même la Tav demeure un mirage

Augusto Grandi

Source: https://electomagazine.it/india-e-russia-per-la-grande-ferrovia-nord-sud-per-litalia-e-un-miraggio-anche-la-tav/

La guerre en Ukraine ralentit l'économie mondiale et pénalise le tourisme italien en provoquant une hausse intolérable des prix. Telle est la version des médias italiens, perpétuellement occupés à se regarder le nombril. Mais surtout engagés à cacher les retards et les erreurs de la classe dirigeante de ce pays. Tant dans le domaine politique et que dans le domaine entrepreneurial. C'est ainsi que le reste du monde avance, en pensant qu'il y aura un avenir même après la fin du conflit et malgré les guerres que Washington prépare en Afrique et en Asie.

L'Inde et la Russie, par exemple, ont décidé de relancer des projets de liaisons ferroviaires Nord-Sud. Comme alternative à la Route de la Soie chinoise, mais aussi avec l'opportunité évidente de faire fonctionner les deux projets ensemble. En modernisant les infrastructures de toute l'Asie et en créant les conditions pour s'affranchir du trafic maritime via le canal de Suez.

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Le projet indo-russe implique évidemment d'autres pays qui, en théorie, sont des adversaires toujours prêts à recourir aux armes. Pensez à l'Azerbaïdjan et à l'Arménie. Mais le réseau ferroviaire Nord-Sud concerne aussi l'Iran. Car, à côté de la liaison principale entre Saint-Pétersbourg et Bombay (plus de 7000 km), il y aura deux autres itinéraires qui toucheront le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan ainsi que l'Azerbaïdjan et l'Arménie.

Et si d'un côté ils atteindront les ports indiens, de l'autre il y aura des débouchés sur les ports iraniens. Un engagement colossal. Mais dont la réalisation pourrait prendre moins de temps qu'il n'en a fallu à l'Italie pour NE PAS achever la ligne ferroviaire à grande vitesse (TAV) ou pour moderniser le réseau portuaire.

En fonction de l'évolution de la politique de l'OTAN, on verra si l'Europe bénéficiera également à l'avenir de ce grand réseau d'infrastructures asiatiques. Et si les retards italiens pénaliseront l'économie de la péninsule. D'autre part, l'Italie, pour plaire à la famille Agnelli, avait démantelé une partie de son réseau ferroviaire après la guerre. Et aujourd'hui, les coûts pour le restaurer sont élevés et certainement pas payés par les héritiers Elkann.

mercredi, 09 août 2023

Un hymne à l'idéologie, au renouveau social et à la rotation des élites

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Un hymne à l'idéologie, au renouveau social et à la rotation des élites

Natalia Melentieva

Source: https://katehon.com/ru/article/gimn-ideologii-obnovleniyu-obshchestva-i-rotacii-elit?fbclid=IwAR1Cs9o39cRvK4_0pz11XwJrPjQA3Tq0CSzdoYdYvCbJ-X6gUORVM6NYtxM

L'idée fait bouger les mondes

Aujourd'hui, les experts occidentaux ne cessent d'examiner les années d'avant-guerre et d'après-guerre en URSS comme une période fantastique et particulière dans l'histoire de la civilisation slavo-russe soviétique. Les stratèges occidentaux s'intéressent à la question principale: comment, en quelques années seulement, après les guerres écrasantes et les luttes intestines du début et du milieu du 20ème siècle, le parti au pouvoir en URSS est parvenu, malgré la répression, voire grâce à elle, à unir le peuple multinational qui a gagné la Grande Guerre patriotique, puis à restaurer en quelques années l'économie et à lui conférer une place sans précédent dans le monde? La réponse n'est pas surprenante: tout dans le monde est régi par des idées; et notre société avait dans ces années-là l'idéologie la plus puissante, un beau projet humaniste, qui unissait la société, faisait naître l'enthousiasme, élevait les gens vers de grandes œuvres; allumait l'étincelle dans les yeux, mobilisait la volonté de chacun.

Seule une idée, seule une pensée, seul un concept et un projet idéaux inspirent les peuples à des exploits de guerre et de paix, activent le point de résistance au mal au plus profond du cœur de chacun, poussent les peuples à surmonter tout malheur insurmontable. C'est l'idée qui est le point de départ du succès de l'économie, de la croissance économique, de la construction d'un pays (la construction d'un pays, et non la recherche du profit, ce qui a été parfaitement compris par les dirigeants avisés depuis l'époque d'Aristote). Le succès de l'économie et de la politique d'un peuple (ethnos, nation) est assuré par une pensée, une idée incarnée dans la volonté solidaire et unie du peuple qui partage les principes communs de sa propre civilisation, ses normes culturelles, ses préférences et stratégies politiques, ses valeurs morales. S'il n'y a pas d'idée - unificatrice, inspiratrice, correspondant au sens du parcours historique du peuple, une idée bien comprise, actualisée, exprimée, comprise et acceptée par la communauté, alors il n'y a pas d'inspiration créatrice, pas de feu en chacun de nous, pas de confiance dans les capacités et la force de notre peuple. Lorsque les significations de la société ne sont pas articulées ou inarticulées, cachées, non comprises par les gens ou en contradiction avec leurs espoirs, la logique de l'histoire, les spécificités de leur destin, l'histoire se fige, la société se désagrège.

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"Si les idées ne s'envolent pas, elles meurent !"

Les anciens savaient que les idées gouvernent le monde ! Et comme le disait Platon, si les idées ne s'envolent pas, ne volent pas dans les airs comme les oiseaux, elles meurent. Aujourd'hui, nous assistons à une situation où les partis et les groupes publics en Russie ont peur d'exprimer des idées, peur de parler d'idées qui leur sont proches, qui peuvent les inspirer, les encourager et les organiser. Aujourd'hui, les institutions de l'État russe et leurs dirigeants préfèrent passer sous silence les fondements idéologiques de notre pratique étatique et garder secrets les principes théoriques de l'économie du pays. Mais sans clarté sur les principes théoriques et idéologiques de l'organisation de la société, de sa politique, de son économie et de son éducation, il n'y aura pas d'amélioration de la situation dans le pays. Il faut appeler les choses par leur nom. En occultant les principes théoriques du libéralisme adoptés par la société russe dans les années 1990, en occultant les coûts du modèle démocratique occidental qui protège la minorité plutôt que la majorité, en occultant les conséquences de la théorie occidentale du genre qui veut qu'un enfant mineur choisisse son sexe, nous ne ferons que détruire les fondements de notre santé mentale. Ce n'est pas non plus en faisant des petites affaires et en colmatant les brèches de l'économie que nous réglerons la situation. L'état d'esprit dominant dans le pays aujourd'hui est celui exprimé par un certain nombre de penseurs-économistes à orientation sociale qui suggèrent un mélange proportionné d'initiative privée et de planification étatique. La délibéralisation et le Gosplan sont d'actualité dans le pays. "La délibéralisation dans le système russe de gouvernance et dans le système russe de l'État n'est pas moins importante que la démilitarisation et la dénazification de l'Ukraine. En même temps, nous pouvons dire sans risque que puisque ce sont les libéraux qui nazifient l'Ukraine, le mot "déliberalisation" peut être combiné avec le mot "dénazification"", affirme à juste titre Mikhaïl Khazin.

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La rotation des élites se fait attendre

Quand les véritables porteurs de la puissante idée civilisationnelle de notre projet russo-eurasien prendront-ils la parole dans l'arène politique, dans les forums publics ouverts, dans les discussions sur les pages et les écrans des médias de masse ? Quand les leviers de commande de l'idéologie, de l'éducation et de l'économie seront-ils transférés des privatiseurs aléatoires d'industries entières dans les années 1990, qui ont appris, en même temps que les biens d'autrui dont ils s'appropriaient, les schémas de gestion coloniale occidentaux, à des théoriciens et praticiens à l'esprit national, reconnus publiquement, qui ont mérité devant la science russe, avec des études en plusieurs volumes sur l'histoire des civilisations, la philosophie sociale et l'économie, avec des calculs convaincants, des stratégies et des tactiques, et des calculs théoriques visant au succès de notre mère patrie ? Les fonctionnaires qui font échouer en permanence la croissance économique de notre société, qui ruinent l'éducation, la culture, le système financier, qui marmonnent en matière d'idéologie et de culture, restent assis dans leur fauteuil, à un moment où le pays a besoin de changements rapides et intelligents dans tous les secteurs de la vie. Ces règles de "vie" pernicieuses seront-elles changées, par qui et dans quel délai ?

Il est évident qu'un renouvellement des élites s'impose dans le pays. Un renouvellement géré, calme, intelligent et non violent est souhaitable. L'État devrait poliment inviter les intellectuels, les scientifiques et les penseurs russo-eurasiens à diriger l'État. Les pragmatiques à court terme et les gestionnaires efficaces, les start-uppers sans éducation qui ignorent la théorie, la science, l'histoire et la culture, ont fait beaucoup de mal à notre pays - ils manquent d'intelligence et de culture pour penser à l'avenir holistique de notre grande civilisation russe (russo-eurasienne). Après tout, c'est lorsque l'esprit épanoui de notre classe pensante deviendra la base de l'idéologie, c'est-à-dire articulée, déclarée vision ouverte du monde de notre civilisation (fixation d'objectifs, plans, projets et ensuite seulement actions), que les forces de notre peuple se multiplieront, que tout convergera vers une seule aspiration et que nous gagnerons la bataille civilisationnelle dans laquelle les États libéraux moribonds et corrompus de l'Occident nous ont entraînés. L'essentiel est que, tout en procédant au changement des élites, les représentants de l'État au pouvoir ne fassent pas un autre faux, une substitution. Il s'agit de nommer des personnes dignes de ce nom, intelligentes, hautement éduquées, pensantes, idéologiques, morales, désintéressées, non liées par des liens patrimoniaux ou criminels à la génération précédente de dirigeants, aimant sincèrement la patrie, prêtes à donner le meilleur d'elles-mêmes pour elle. C'est alors que nous gagnerons le choc des civilisations auquel nous a conduits l'Occident agonisant, qui s'en prend à notre terre, à nos richesses spirituelles et matérielles. Sinon, c'est la guerre civile et la catastrophe de perdre la troisième guerre mondiale. Soit la Russie sera idéologique, soit il n'y aura pas de Russie du tout.

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vendredi, 23 juin 2023

Cinématographie: Un cours pour la souveraineté cinématographique

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Cinématographie:

Un cours pour la souveraineté cinématographique

Mark Datnov

Source: https://www.geopolitika.ru/article/kurs-na-suverenizaciyu-kinematografa

Sur la proposition de Nikita Mikhalkov de créer un festival du film eurasien

Le 26 mai 2023, lors du Forum économique eurasien de Bichkek, Nikita Mikhalkov, président de "l'Union russe des directeurs de la photographie", a proposé de créer le Festival du film eurasien comme alternative aux festivals occidentaux similaires, tels que les Oscars, la Berlinale Leo, le Festival de Cannes, etc.

"Aujourd'hui, nous sommes confrontés à un problème où les idées disparaissent, où l'art nous est présenté comme quelque chose qui n'est pas de l'art. La seule protection des valeurs morales et culturelles est la civilisation eurasienne. Il n'y en a pas d'autre. Le doux mot d'indépendance en est venu à signifier que rien ne dépend de nous. Dans le monde civilisé, l'immunité est perdue, la tolérance est lâcheté et incapacité à défendre ses intérêts. Nous devons sauver ce que nous avons de plus cher, en nous appuyant sur les traditions culturelles et morales qui nous unissent, nous protéger de tout ce qui pourrait conduire le monde au désastre".

Et, comme cela arrive souvent avec des propositions et des déclarations tout aussi radicales (et vous devez comprendre qu'étant donné les changements socioculturels actuels dans le contexte des récents événements en Ukraine, de telles propositions, si elles aboutissent, signifieront sinon un passage complet, du moins un passage virtuel du marché cinématographique occidental à un marché oriental similaire, avec toutes les difficultés et les conséquences que cela implique), la déclaration de Mikhalkov a été immédiatement suivie d'une multitude de réactions plus ou moins acerbes et sévères, qui, une fois de plus, se sont succédées à un rythme effréné.

Mais nous ne sommes pas là pour juger de l'éthique que recèle la proposition de Nikita Sergeyevich ou de la dureté des mots qu'il a choisis. Et notre but n'est certainement pas d'évaluer les commentaires des "accusateurs" de M. Mikhalkov. Notre tâche consiste à répondre à deux questions essentielles qu'il convient de poser dans le cadre de cette initiative, comme l'ont fait jadis Herzen et Tchernychevski.

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La première question est la suivante: "Qui est responsable ?"

Bien sûr, des idées comme celles proposées par Mikhalkov pourraient être mises sur le compte d'une baisse de la qualité du marché du film en Russie. Dans le passé, le cinéma pouvait aisément rivaliser avec les films occidentaux et remporter des prix, mais maintenant qu'il n'en est plus question, les cinéastes sont prêts à tout pour créer l'illusion de la compétitivité. Et oui, bien sûr, il y a une baisse de la qualité du marché intérieur, et personne ne le cache (bien qu'il faille se rappeler qu'à l'époque soviétique, cela ne pouvait pas se produire à cause, curieusement, de la censure préalable, de sorte qu'il n'était pas possible de voir toute la gamme de contenus produits à l'époque soviétique). Cependant, on ne peut pas mettre cela sur le compte d'une concurrence accrue. De plus, si l'on suit de près l'histoire de ce même Oscar, on constate que même à l'époque soviétique, les films nationaux étaient loin d'être toujours inclus dans la liste des nominés pour les grands prix, et encore moins d'être gagnants, ce qui est compréhensible puisque, toutes choses égales par ailleurs, admettre que le bloc socialiste avait gagné quoi que ce soit revenait à porter atteinte à son propre prestige, ce qu'il s'efforçait d'éviter à l'excès. Et si la photo soviétique a gagné, c'est plutôt comme une exception à la règle, en dehors de la qualité évidemment exceptionnelle de la photo elle-même.

En d'autres termes, il n'est pas exact de parler d'une concurrence accrue dans l'ère post-soviétique ; d'ailleurs, dans un sens, les films nationaux ont eu plus d'occasions de figurer sur les listes de prix après la chute du bloc soviétique. Mais si la concurrence a diminué, qu'est-ce qui a changé radicalement, au point que les cinéastes nationaux envisagent sérieusement de changer de marché ?

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Pour répondre à cette question, il convient de rappeler qu'en Union soviétique comme en Fédération de Russie, il était très difficile d'entrer en contact avec des valeurs qui n'étaient pas inhérentes à notre culture et à notre mentalité. C'est un phénomène normal qui n'a rien de criminel - il suffit de se rappeler les nombreux scandales des studios occidentaux à la suite de l'interdiction de leurs productions en Chine ou d'une sorte de censure de celles qui étaient approuvées par le Parti pour être projetées. Et oui, le cinéma en tant que forme d'art peut traiter et a toujours traité de questions qui, pour un certain groupe de personnes, peuvent être taboues. Les relations non conventionnelles, les différences de frontières, les diverses déviations sociales et culturelles et les questions raciales n'ont pas été inventées hier, et la réflexion sur ces sujets a eu lieu dans le cinéma presque depuis sa création. Cependant, il est faux de penser que si ce genre de choses s'est produit auparavant, il se produit aujourd'hui dans la même mesure. Au contraire, la présence de ces questions dans les images du passé était plus susceptible d'être perçue de manière adéquate, car il y en avait peu, et, pour la plupart, elle était conditionnée avant tout par la tâche du cinéaste de montrer un phénomène particulier de notre vie. Mais le cinéma, malgré son statut d'art, n'a pas pu échapper à la surveillance du monde des affaires et de l'argent. Et là où les affaires et l'argent commencent, l'accent est invariablement mis sur le marché de masse. Le "point de non-retour" devrait être focalisé sur deux années, 1975 et 1977, lorsque deux films destinés exclusivement au grand public (Les Dents de la mer et La Guerre des étoiles) ont ouvert la voie à un véritable cinéma de masse. Mais même cela ne serait que la moitié du problème - après tout, les marchés de masse existaient et existent toujours dans le secteur du livre, du théâtre, de la musique et dans bien d'autres secteurs. Mais il ne faut pas oublier que le cinéma, en raison de sa gamme audiovisuelle, est capable d'influencer la conscience de masse bien plus que d'autres domaines artistiques, et que son coût d'obtention relativement faible lui ouvre l'accès à un public plus large.

Avec toutes ces données en main, le dernier point, et probablement le plus important, concerne les courants politiques qui se sont superposés au cinéma en tant que forme de divertissement de masse.

La troisième vague du féminisme qui a débuté en Occident dans les années 90, la cancel culture qui a émergé dans les mêmes années mais qui a commencé à se répandre activement dans les années 2010, avec BLM et "Me too" (en 2013 et en 2017 respectivement) - tous ces mouvements ont certainement des pensées et des idées sensées à la base, similaires aux idées des suffragettes qui se battaient dans les années 20 du vingtième siècle. Mais, sous l'influence de l'entreprise multipliée par l'ultimatisme, tous ces efforts sociaux ont pris une tournure extrême et produisent exactement l'effet inverse dans de nombreux pays. Et maintenant, au moment où nous écrivons ces lignes, nous nous trouvons dans une situation où la présence de tel ou tel "agenda" n'est pas seulement et pas tellement le désir du cinéaste d'éclairer un problème particulier, mais plutôt une "mode" et un désir de gagner des points politiques supplémentaires en s'adressant à une minorité opprimée. Et nous n'avons pas encore abordé les événements qui ont commencé en février 2002, lorsqu'une véritable "culture de l'abolition" a commencé à se mettre en place et que tout ce qui passait par là était perçu dans la mère patrie comme rien de moins que du sabotage et de la trahison.

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Et, parmi tous ces facteurs, le désir de réorienter la production cinématographique vers quelque chose de plus créatif au détriment des marchés dans des pays où des idéaux similaires sont prêchés est tout à fait raisonnable et a sa place. Comme les parents qui essaient de garder leurs enfants dans un cadre précis qui influencera les enfants et leur sera bénéfique plutôt que de les corrompre.

"Certains d'entre vous diront que la possibilité même d'exister dans des marchés aussi destructeurs est préjudiciable à notre cinéma, mais cela vaut-il vraiment la peine d'aller en Eurasie pour cela ? Et en général, y a-t-il quelqu'un avec qui coopérer et auprès de qui améliorer la qualité de son propre produit ? Et, aussi étrange que cela puisse paraître, la réponse sera positive.

Il convient tout d'abord de mentionner la liste des pays autour desquels le festival du film eurasien, proposé par Mikhalkov, sera construit. Parmi les principaux, il convient d'en citer trois: l'Inde, la Chine et la Turquie. Nous sommes surpris de découvrir que ces marchés ne sont pas aussi vides qu'il n'y paraît à première vue et que leur accès aux marchés occidentaux est déjà en cours. Par exemple, la Turquie est d'ores et déjà le deuxième exportateur mondial. Ensuite, la Turquie est désormais le deuxième exportateur de contenu sériel après les États-Unis, et ses produits sont activement diffusés depuis longtemps, y compris en Russie. Il est inutile de parler du marché chinois - il suffit de rappeler que pour passer la censure et recevoir un certificat de distribution, les studios occidentaux entrent de plus en plus souvent en contact avec le gouvernement local et créent et montent leurs films en fonction non seulement de leurs normes mais aussi des normes de la RPC, ce qui fait que les idées occidentales tombent dans le piège du business, et je préfère de plus en plus souvent non pas la première version, mais la seconde.

En ce sens, le marché indien peut sembler un exemple étrange, car il s'agit davantage d'une affaire nationale que d'une affaire d'exportation, malgré son taux gigantesque de production du contenu et de la diffusion. Cependant, là aussi, il convient de noter une évolution vers un public potentiel plus large. Et non, ces exemples ne signifient pas que seuls ces pays et la Russie participeront au festival du film si l'initiative de Mikhalkov se concrétise. Les pays de l'UEE (Union Economique Eurasienne), l'Iran, d'autres pays d'Asie et du Moyen-Orient, peut-être rejoints par des pays fidèles d'Amérique latine, tout cela, avec une approche et un équilibre appropriés, multiplié par la trajectoire générale de la pensée culturelle, peut délier les mains des cinéastes, leur évitant d'avoir à travailler uniquement pour des marchés qui pourraient ne pas leur rendre la pareille, mais en se concentrant encore plus sur l'amélioration de la qualité de leur produit et des idées qu'ils peuvent transmettre au public à travers eux.

Deuxième question - Que faire ?

Il faut bien comprendre que ce processus, s'il doit avoir lieu, ne sera pas simple. Tout d'abord en raison de la nécessité de respecter des normes élevées de production de contenu dans les pays décrits ci-dessus, ce qui, malheureusement, n'est pas si facile dans notre pays, mais il est possible d'y remédier, si vous le voulez. En outre, il faut comprendre que cette réorientation vers un monde culturel complètement différent ne se fera pas sans laisser de traces. Certains peuvent la percevoir comme un pas en arrière, comme un blocage des processus d'unification avec le monde culturel occidental, qui viennent à peine de commencer.

Et bien sûr, ce changement d'orientation aura un effet immédiat sur tout ce qui se passe dans le cinéma, en particulier dans la partie de celui-ci à laquelle l'argent public sera alloué.

Cela vaut-il la peine d'aborder le problème de manière aussi radicale ? La question est intéressante et la réponse n'est pas aussi simple qu'il n'y paraît à première vue, même en dépit des arguments exposés ci-dessus. Ce qui est certain, c'est que si telle ou telle partie du monde refuse ouvertement et avec véhémence de vous accepter dans ses rangs, fait tout pour vous laisser isolé, la question d'un changement de cap se posera au moins. Reste à savoir comment la changer pour qu'elle fonctionne.

Notes:

1. https://forum.eaeunion.org/news/nikita-mikhalkov-predlozhil-sozdat-na-prostranstve-eaes-evraziyskuyu-kinoakademiyu/

2. www.forbes.ru/forbeslife/482824-tysaca-serij-lubvi-i-dramy-kak-tureckie-serialy-stanovatsa-vse-bolee-popularnymi

3. https://trends.rbc.ru/trends/social/62b4dbd19a794756552bd246

4. https://dtf.ru/cinema/13858-nacionalnaya-ideya-i-globalizaciya-kinematograf-kitaya

5. https://prc.today/istoriya-kinematografa-kitaya-kitae-istoriya-kinematografa/

jeudi, 15 juin 2023

Géographie et Asie centrale: nouveaux défis géopolitiques

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Géographie et Asie centrale: nouveaux défis géopolitiques

Peter W. Logghe

Source : Nieuwsbrief Knooppunt Delta, no 181, juin 2023
 
Il n'est pas fréquent que je parle en termes élogieux d'émissions de télévision. Mais la série "Along the New Silk Road" du radiodiffuseur néerlandais VPRO - également diffusée sur notre chaîne - en fait partie. Comme l'indique la VPRO elle-même, "les grandes puissances du monde s'intéressent à nouveau à cette région, que certains appellent même le 'nouveau centre du monde'". Dans le grand jeu géopolitique mondial, la Chine et la Russie tentent de resserrer leur emprise sur des pays comme le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. La Chine, en particulier, mise beaucoup sur de grands projets énergétiques et d'infrastructure pour renforcer la nouvelle route de la soie.

L'histoire de l'Asie centrale est marquée par deux éléments : sa situation géographique et son climat ont fait de cette vaste région un biotope pour les peuples nomades, pour faire simple. De même, sa situation géographique - en tant que lien entre l'ouest et l'est - en a fait un espace de choix pour la première route de la soie.

Cette région d'Asie centrale en tant que région distincte a été présentée pour la première fois par le géographe allemand Alexander von Humboldt au 19ème siècle. Elle a longtemps été connue sous le nom de Turkestan, et ce terme a perduré jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Staline. La région a été l'enjeu du Grand Jeu entre les empires russe et britannique et a été incorporée à l'Union soviétique après la révolution russe de 1917. Après la chute de l'Union soviétique, les cinq anciennes républiques soviétiques (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan) ont d'abord continué à se concentrer sur leurs liens avec la Russie et la Chine, même si certaines ont tenté de s'ouvrir à l'Europe et aux États-Unis. Les cinq pays sont membres du traité de coopération de Shanghai (Chine) et de l'Organisation de sécurité collective (Russie).

Ils sont bordés par la Russie au nord, la Chine à l'est, l'Inde, l'Afghanistan et l'Iran au sud et à l'ouest. La géographie détermine donc en quelque sorte la politique étrangère d'une partie (importante ?) de ces pays.
 

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Kazakhstan : craintes pour une importante minorité russe
 
Dans un numéro récent de l'hebdomadaire allemand Junge Freiheit (26.05.2023), Mathias Hofer brosse un tableau pénétrant des subtiles manœuvres d'équilibre de certains pays d'Asie centrale, comme le Kazakhstan. Après son indépendance en 1991, l'ancien secrétaire du parti communiste du Kazakhstan, Nazarbaïev, a dirigé le pays d'une main de fer. Il a maintenu des liens avec la Russie, mais a également établi de bons contacts économiques avec l'Occident, ce qui s'est traduit, entre autres, par un accord bilatéral sur les matières premières avec l'Allemagne.

Les habitants du pays n'ont reçu que très peu des revenus tirés de ces matières premières. En 2022, des émeutes ont éclaté suite à l'augmentation des prix de l'énergie, le gouvernement a déployé la police et l'armée: 225 personnes ont été tuées, selon des sources officielles. Tokaïev, le successeur du premier président, est contraint de demander l'aide militaire de la Russie. Poutine a justifié le déploiement de l'armée russe comme suit: "Le Kazakhstan est la cible de terroristes internationaux". Nazarbaïev est parti et Tokaïev est arrivé. En matière de politique étrangère, ce dernier a poursuivi la ligne de son prédécesseur en maintenant de bons contacts avec la Chine et la Russie.


Cependant, même dans ce lointain pays d'Asie centrale, la politique eurasienne a été soumise à une forte pression par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. La guerre russe a réveillé de vieux démons kazakhs. En effet, une importante minorité russe vit dans le nord du Kazakhstan, représentant environ un cinquième de la population totale. Il semble peu probable que Poutine envahisse le Kazakhstan aujourd'hui (pour protéger la minorité russe, par exemple), compte tenu de la politique étrangère de Tokaïev favorable à la Russie, mais les Kazakhs semblent de plus en plus mettre l'accent sur leurs propres traditions, leur propre identité et prendre leurs distances par rapport à l'héritage soviétique.

Sur le plan économique, la Chine domine le Kazakhstan depuis un certain temps. Son voisin oriental est le principal marché d'exportation du Kazakhstan et les investisseurs chinois y sont très présents. Tout en maintenant de bonnes relations avec l'Union européenne, avec ses voisins géographiques, avec la Russie et la Chine, restent des politiques déterminantes.

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Ouzbékistan - crainte de la montée de l'islamisme
 
Un autre pays important d'Asie centrale, l'Ouzbékistan, a connu une évolution similaire, bien qu'avec ses propres priorités. En 1991, Islam Karimov (du Parti démocratique libéral) est arrivé au pouvoir. Sa dictature a été encore plus dure que celle de Nazarbaïev. Karimov, qui est décédé en 2016, a tenté de s'affranchir de la dépendance à l'égard de la Russie sur le plan extérieur et a permis aux États-Unis d'installer une base de soutien militaire sur le territoire ouzbek (que les États-Unis ont toutefois dû évacuer avant 2005). Dans le même temps, Karimov a refusé d'adhérer à l'Union eurasienne, dominée par la Russie.

Le pays est resté longtemps isolé sur le plan international. La situation a changé avec son successeur, Shavkat Mirziyoïev, qui s'est davantage engagé en faveur de l'interpénétration internationale. Plusieurs accords économiques ont été signés avec la Russie, par exemple. Cependant, l'Ouzbékistan n'a pas soutenu l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ce qui l'a mis sur un pied d'égalité avec le Kazakhstan.

L'Ouzbékistan partage avec le Tadjikistan, le Kirghizstan et le Kazakhstan la crainte d'une montée de l'islamisme dans la région. Jusqu'à présent, les forces islamistes n'ont pris le pouvoir qu'au Tadjikistan, dans les années 1990. La guerre civile a alors éclaté dans ce pays d'Asie centrale. Et si l'Ouzbékistan tente de nouer des relations avec l'UE et les États-Unis, il se trouve lui aussi dans une constellation géographique qui est ce qu'elle est: l'Ouzbékistan évite toute confrontation avec la Chine et la Russie. Pour l'instant ( ?), l'Europe joue un rôle secondaire dans cette région, avec une importance économique croissante.
 
Peter Logghe

mercredi, 07 juin 2023

Alexandre Douguine et la géopolitique de l'opération spéciale en Ukraine

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Alexandre Douguine et la géopolitique de l'opération spéciale en Ukraine

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/06/02/aleksandr-dugin-ja-ukrainan-erikoisoperaation-geopolitiikka/

"La géopolitique se construit autour de l'éternelle confrontation entre les puissances maritimes (thalassocraties) et les puissances terrestres (tellurocraties)", affirme Alexandre Douguine.

Dans l'Antiquité, ces prémisses s'exprimaient de manière éclatante dans les affrontements entre "la Sparte de la terre et l'Athènes des ports, la Rome terrestre et la Carthage maritime".

"Ces deux civilisations diffèrent non seulement en termes de stratégie et de géographie, mais aussi dans leur orientation principale", explique Douguine. L'empire terrestre est fondé sur une "civilisation de l'esprit", "la tradition sacrée, le devoir et une hiérarchie verticale dirigée par un empereur".

Les empires maritimes sont des oligarchies, "des systèmes commerciaux dominés par le progrès matériel et technologique". Pour Douguine, ce sont "essentiellement des États pirates". Leurs valeurs et leurs traditions sont "conditionnelles et en constante évolution - comme l'élément marin lui-même". D'où leur caractéristique de "progrès, surtout dans la sphère matérielle". En revanche, la puissance terrestre, la "Rome éternelle", se caractérise par "la permanence de son mode de vie et la continuité de sa civilisation".

Lorsque la politique est devenue globale et s'est emparée de l'ensemble du globe, les deux civilisations ont fini par acquérir leurs propres sphères d'influence : "La Russie et l'Eurasie sont devenues le noyau de la civilisation terrestre, et le pôle de la civilisation maritime s'est fixé dans la sphère d'influence anglo-saxonne, de l'Empire britannique aux États-Unis et au bloc de l'OTAN", conclut Douguine.

L'Empire russe, l'Union soviétique et la Russie moderne ont hérité du bâton de la civilisation terrestre. Dans le contexte de la géopolitique, la Russie est la Rome éternelle, la troisième Rome, et l'Occident moderne est la Carthage classique".

L'effondrement de l'Union soviétique a été un grand triomphe pour la civilisation thalassocratique de l'Occident et de l'OTAN et un terrible désastre pour la civilisation de la puissance terrestre russe. Cette faille dans l'histoire est toujours en cours de réparation, comme le reflète l'"opération militaire spéciale" de la Russie ; comme l'a dit l'initié de l'élite américaine Zbigniew Brzezinski, "sans l'Ukraine, la Russie cessera d'être un empire".

Pour Douguine, la thalassocratie et la tellurocratie sont "comme deux vases communicants, de sorte que les territoires qui ont échappé au contrôle de Moscou se sont retrouvés sous le contrôle de Washington et de Bruxelles". Cela a touché l'Europe de l'Est et les républiques baltes, qui se sont détachées de l'Union soviétique, puis ce fut le tour des États post-soviétiques.

Dans ce cas, la défaite de Moscou a conduit à la mise en place d'un système colonial en Russie dans les années 1990 - les atlantistes ont créé un "déluge", avec leurs agents aux plus hauts postes de l'État. C'est ainsi que s'est formée "l'élite moderne de la Russie, prolongement de l'oligarchie occidentale", sous le contrôle d'une civilisation maritime.

Plusieurs anciennes républiques soviétiques ont commencé à se préparer à une intégration complète dans la civilisation maritime occidentale. D'autres (comme la Hongrie ?) ont suivi une stratégie plus prudente, ne se précipitant pas pour rompre les liens géopolitiques historiquement établis avec Moscou.

Deux camps ont émergé : le camp eurasien (Russie, Belarus, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Ouzbékistan et Arménie) et le camp atlantique (Ukraine, Géorgie, Moldavie et Azerbaïdjan). "L'Azerbaïdjan s'est toutefois éloigné de cette position extrême et a commencé à se rapprocher de Moscou", affirme Douguine.

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Tout cela a également conduit aux "événements en Géorgie en 2008, puis, après le coup d'État pro-OTAN en Ukraine en 2014, à la sécession de la Crimée et au soulèvement dans le Donbass". Certaines régions des entités nouvellement créées ne voulaient pas rejoindre la "civilisation maritime" et se sont rebellées contre ces politiques, cherchant le soutien de Moscou.

Moscou, en tant que civilisation terrestre, "s'est suffisamment renforcée pour s'engager dans une confrontation directe avec la civilisation maritime en Ukraine et pour inverser la tendance croissante de la thalassocratie et de l'OTAN" vers la tellurocratie du monde russe.

C'est ainsi qu'est né le conflit géopolitique d'aujourd'hui: la Russie, comme Rome, luttant contre la Carthage anglo-américano-juive et ses satellites coloniaux. Le porte-parole des néoconservateurs de Washington, Antony Blinken, sait tout cela, mais, s'exprimant aujourd'hui à Helsinki, il a encore laissé entendre que l'Ukraine "ne fera jamais partie de la Russie" (l'Ukraine cessera-t-elle d'être ?).

Ce qui est nouveau dans cette géopolitique, selon Douguine, c'est que la "Russie-Eurasie" ne peut pas être la seule représentante de la civilisation des puissances. C'est pourquoi le penseur russe évoque le concept de "heartland décentralisé". Outre la Russie, "la Chine, l'Inde, le monde islamique, l'Afrique et l'Amérique latine" deviendront également des "pôles de civilisations terrestres" dans les nouvelles circonstances.

Douguine suggère que les "grands espaces" thalassocratiques, de l'Europe aux Amériques, pourraient également devenir des "heartlands" tellurocratiques. "Aux États-Unis, Trump et certains républicains qui s'appuient sur les États du centre du continent appellent presque ouvertement à cela. En Europe, les populistes et les partisans de la 'Forteresse Europe' s'orientent intuitivement vers ce scénario", confirme l'homme politique russe.

lundi, 29 mai 2023

L'Eurasie dans un monde multipolaire

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L'Eurasie dans un monde multipolaire

Markku Siira

Source: https://markkusiira.com/2023/05/25/euraasia-moninapaisessa-maailmassa/

Le Forum économique eurasien s'est réuni à Moscou. Le Forum est un événement annuel de l'Union économique eurasienne (EAEU), qui se tient alternativement dans chacun des États membres de cette Union. L'année dernière, la réunion s'est tenue à Bichkek, au Kirghizstan, et cette année, la Russie a présidé la réunion. L'objectif du forum est de "renforcer la coopération sur le continent eurasien".

Le thème de cette année était l'intégration eurasienne dans un monde multipolaire. Des représentants de plus de cinquante pays ont participé à cet événement de deux jours, qui ne peut donc pas être décrit comme un huis clos de la "Russie isolée du reste du monde".

Au total, le Forum économique a accueilli quelque trente-cinq sessions sur la région eurasienne et ses enjeux: le capital humain, la coopération, la technologie, le marché intérieur, le rôle de l'Union dans un monde en mutation et les orientations stratégiques de développement.

Le président chinois Xi Jinping a également envoyé des salutations par voie virtuelle aux participants et a accueilli l'Union économique eurasienne dans le projet d'infrastructure "la Ceinture et la Route". À la déception de l'Occident, M. Xi avait déclaré auparavant que la Chine et la Russie "renforceraient leur coopération dans de nombreux domaines et continueraient à se soutenir mutuellement sur les questions importantes pour leurs pays".

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Bien que la "Communauté eurasienne" et ses forums aient été qualifiés en Finlande, par exemple, d'"intérêts" russes, l'Union semble servir ses États membres riches en ressources peut-être mieux que l'Union européenne ne sert les siens ? Poutine a rappelé que la Russie a toujours respecté ses engagements envers ses partenaires.

L'événement a abordé des sujets à consonance technocratique mais typiques de notre époque de crise, tels que "la souveraineté technologique comme garantie de la sécurité énergétique et alimentaire", "la réglementation environnementale", "l'organisation des marchés alimentaires", "l'élimination des obstacles au commerce", "le développement de l'esprit d'entreprise dans le nouvel environnement", et même "les leçons tirées de l'ère pandémique" (étonnamment, le test c oro na était encore utilisé par les participants au forum).

Les sessions ont porté sur la numérisation, les TIC, les monnaies numériques et le commerce électronique. La "Stratégie EAEU 2030+" a également été discutée, ce qui a soudainement ressemblé à un parallèle à l'Agenda 2030 de l'ONU pour le développement durable. Il a également été question de l'"Eurasie verte", avec tous ses objectifs en matière de climat. Peut-être la direction prise par la Russie n'est-elle pas si différente de celle de l'Occident, après tout ?

Les principaux objectifs de développement de l'Union jusqu'en 2045 ont été précisés : quelles actions spécifiques devraient être entreprises pour atteindre les "objectifs de développement de l'intégration" et quelles devraient être les "nouvelles orientations pour le développement stratégique" de l'UEEA. En fin de compte, chaque pays s'efforcera de suivre le rythme de ce que l'on appelle la "quatrième révolution industrielle".

Conformément aux thèmes de l'unité et de la multipolarité, les participants aux sessions réfléchiront également à la coopération entre l'EAEU, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les pays BRICS, ainsi qu'à la transition vers de nouvelles formes de règlement dans le commerce mutuel. Un dialogue a également eu lieu sur l'interaction de l'Eurasie avec l'Indonésie et les pays d'Amérique latine.

Le président russe Vladimir Poutine a été invité à s'exprimer lors de l'événement de mercredi. Il a déclaré que le thème du forum était "très actuel". Selon M. Poutine, des "changements vraiment profonds et fondamentaux" sont en train de se produire sur la scène mondiale, de plus en plus de pays cherchant à "suivre leur propre modèle de développement", sans tenir compte des diktats de l'Occident.

Poutine a de nouveau évoqué la "construction d'une nouvelle architecture plus équitable des relations économiques internationales" et d'un "réseau élargi de partenariats fondés sur le bénéfice mutuel, le respect et la prise en compte des intérêts de chacun". L'importance de ce nouvel ordre est déjà partagée par de nombreux acteurs internationaux, selon le chef d'État russe.

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Poutine n'a pas pu s'empêcher de mentionner la manière dont les "adversaires occidentaux" de la Russie tentent de "persuader ou de faire chanter nombre de ses partenaires pour qu'ils réduisent leur coopération avec la Russie". "Dans ce processus, ils ne se soucient pas le moins du monde des pertes que subiront ces États et leurs peuples", a déclaré M. Poutine.

Malgré tout, M. Poutine a déclaré que l'Union eurasienne "consolidait sa position en tant que centre indépendant et autosuffisant dans un monde multipolaire émergent". Il a également tenu à souligner que la coopération au sein de l'alliance, qui n'a été créée qu'en 2015, "se déroule déjà très bien".

Selon le président biélorusse Alexandre Loukachenko, "de plus en plus de gens prennent conscience que l'ordre mondial unipolaire doit être remplacé par de nouveaux centres de décision qui prennent en compte les intérêts de toutes les parties dans les relations internationales".

Le président kazakh Kassym-Jomart Tokaïev considère que la tâche prioritaire de l'Union est de "créer une zone de marché unique et véritablement sans barrières". Il est convaincu que l'Union deviendra à terme, grâce aux nouvelles voies de transport, "un lien entre l'Europe et l'Asie, entre le Sud et le Nord du monde".

Au vu des résultats du Forum économique, il semble que l'internationalisation et la mondialisation progressent également dans le contexte eurasien. Le "monde multipolaire" de l'avenir ne sera pas dirigé par l'Occident, mais constituera un réseau géopolitique et géoéconomique de plusieurs grandes régions, en concurrence et en compétition les unes avec les autres, parfois en coopération.

mercredi, 19 avril 2023

Alexandre Douguine: Poutine grand dirigeant et "l'après-Poutine"

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Poutine grand dirigeant et "l'après-Poutine"

Alexandre Douguine

Source: https://katehon.com/ru/article/putin-kak-velikiy-pravitel-i-posle-putin

Poutine ne dépend pas de l'élite russe, des partis politiques, des cartels oligarchiques, des mouvements sociaux, des institutions et de toute instance administrative en Russie. Ils dépendent tous de lui. Mais, en revanche, il dépend certainement de la géopolitique, du peuple et de la civilisation.

Tendances politiques au cours de la première année de l'Opération militaire spéciale (OMS)

L'analyse des transformations politiques en Russie au cours de la période de l'OMS est assez claire. Après des fluctuations initiales - avancée/recul - une tendance régulière et facilement vérifiable s'est dessinée, tant dans les combats eux-mêmes que dans la politique intérieure. Le lien entre la campagne militaire en Ukraine et dans les territoires de la "Nouvelle Russie"/Novorossiya et les processus politiques internes en Russie est évident. Cela ne correspond guère à l'opposition trop marquée "loyal/traitre" reflétée dans l'image "avancée/retraite", mais il existe certainement une corrélation directe entre les événements sur les fronts et le degré et l'intensité du patriotisme au sein de l'État et de la société. En fait, nous devrions parler de traîtres au sens plein du terme au sein des dirigeants de la Fédération de Russie avec une grande prudence, et seulement lorsque nous avons des certitudes, et non pas lorsque nous n'avons que certains soupçons à ce sujet. Dans des conditions de guerre, de telles étiquettes ne doivent pas être lancées à tout bout de champ. À en juger par les fuites du Pentagone, l'ennemi est trop bien informé de l'état des choses au sein de la direction de l'armée russe elle-même pour que les choses soient claires ici. Mais cette question devrait être traitée par d'autres structures spécialement conçues à cet effet, à savoir le contre-espionnage. Il serait plus correct d'exclure les traîtres directs de l'équation, du moins dans cette analyse de la situation. Bien sûr, il y a des gens au pouvoir, surtout les partisans directs du rapprochement inconditionnel avec l'Occident, préconisé par Gorbatchev et Eltsine, qui voudraient mettre fin à la guerre pour n'importe quelle raison. Mais ils ne peuvent pas en parler directement et s'ils commencent ouvertement à faire quelque chose dans ce sens, les conséquences seront assez dures. Tous ceux qui pensent de manière responsable au pouvoir se rendent compte qu'il est tout simplement impossible d'arrêter l'OMS dans l'état où elle se trouve. Et ce, pour plusieurs raisons. L'Occident est farouchement opposé à cet arrêt et le régime nazi de Kiev le percevra comme une capitulation. En outre, la société le percevra comme un discrédit total des autorités, et le système politique s'effondrera tout simplement. Par conséquent, seul un traître, un ennemi de la Russie - du peuple et de l'État - voudrait la paix dans de telles circonstances.

Cependant, le processus de patriotisation de la société est extrêmement lent. Et encore une fois, tout aussi lent que notre avancée vers l'Occident. Il existe une interconnexion étonnante: le début de l'OMS - un élan de patriotisme, puis des tentatives de repli - une mobilisation retardée, puis un recul général - puis un changement de relations publiques, puis une percée (l'acceptation de quatre nouvelles entités territoriales en Russie, la mobilisation, la nomination de Sourovikine) et, enfin, la stabilisation de la situation. Ainsi, après une période d'hésitations, de retards et même de reculs, nous avons atteint, après plus d'un an d'OMS, un vecteur stable de patriotisme cohérent, bien qu'encore extrêmement lent et modéré.

Dans un avenir proche, la Russie sera apparemment confrontée à un test sérieux - une contre-offensive du régime de Kiev dans une ou plusieurs directions à la fois. Et tout naturellement, le courant patriotique risque de porter un coup symétrique à la Russie elle-même. Une fois que nous aurons résisté à l'attaque et l'aurons repoussée, le processus de patriotisation de la société et les réformes idéologiques et politiques de grande ampleur prendront un nouvel élan. Il est probable que notre propre offensive contre l'ennemi s'accélérera de la même manière. Par conséquent, l'année décisive 2023 sera déterminée par l'image de notre avenir : ce que la Russie devrait être au prochain tournant de son existence historique.

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Les étapes de l'histoire moderne de la Russie : de la colonie à la grande puissance

La Fédération de Russie a émergé des ruines d'une grande puissance en 1991. Au cours de la première décennie, le pays a été soumis à un contrôle étranger et a commencé à s'effondrer complètement. Les pires - pilleurs, traîtres, agents de l'influence occidentale, généralement appelés "libéraux" - ont pris le pouvoir. C'est la première phase de l'histoire récente de la Russie.

Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, a ralenti le processus de désintégration et a insisté de plus en plus sur la souveraineté. Pour une raison ou une autre, il a laissé intact le noyau principal de l'élite des années 1990, n'éliminant que les personnes les plus odieuses et les plus turbulentes. Les 23 années de règne de Poutine qui ont précédé l'OMS ont constitué la deuxième phase.

Après le début de l'OMS, la troisième phase a commencé: un véritable tournant patriotique où l'on est passé de la souveraineté de l'État à la souveraineté de la civilisation (russe). Poutine a tracé cette voie, mais elle ne s'est pas encore pleinement concrétisée. Elle mûrira et s'établira définitivement après l'épreuve d'une probable contre-attaque des nazis de Kiev. À ce moment-là, les élites seront inévitablement purgées et remplacées - les vrais héros viendront du front et remplaceront naturellement le noyau libéral corrompu.

Le cap de Poutine et les facteurs objectifs : géopolitique, société, civilisation

De nombreux observateurs ont l'impression que l'orientation vers la souveraineté de l'État, dès le début du règne de Poutine, et l'orientation qu'il a définie après le début de l'OMS pour affirmer l'identité de la civilisation russe eurasienne, ont été des décisions exclusivement prises par Poutine lui-même, par Poutine en tant qu'individu. Sa décision a été soutenue par la société, par la majorité, et l'élite n'a eu d'autre choix que de suivre le président. Certains ont fui, d'autres se sont cachés, espérant survivre au désastre et revenir à l'algorithme habituel, mais la majorité a tout de même accepté les conditions et exprimé - certains plus bruyamment et plus clairement, d'autres plus discrètement et plus confusément - sa loyauté envers le nouveau cours.

Cette personnification de la décision de lancer l'OMS a donné lieu à un certain nombre d'attitudes politiques, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Russie. Si l'OMS = Poutine, alors tout peut se reproduire après Poutine. Il peut rester au pouvoir "indéfiniment", le peuple et la société ne peuvent que le soutenir dans cette démarche. Mais il peut aussi remettre le pouvoir - et encore - à qui il veut. Il est totalement libre de faire ce qu'il veut. Cette souveraineté absolue du chef suprême génère un cercle d'espoir pour l'ennemi associé à l'ère "post-Poutine", et à l'intérieur - parmi les élites russes elles-mêmes - elle alimente également les attentes, dans lesquelles chacun place ses propres intérêts.

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C'est ici qu'il convient de faire quelques ajustements. Oui, Poutine est absolument et infiniment libre par rapport au système politique russe. Il ne dépend de personne et a concentré tous les pouvoirs entre ses mains. Mais il n'est pas libre

- d'ignorer les lois de la géopolitique et, en particulier, celles de la stratégie de l'Occident qui cherche désespérément à maintenir l'unipolarité et à priver la Russie de son statut de pôle du monde multipolaire;

- d'ignorer aussi la structure des attentes et des valeurs des grandes masses populaires;

- d'ignorer la logique civilisationnelle de l'histoire russe elle-même.

C'est précisément la raison pour laquelle Poutine poursuit le type de politique étrangère qu'il mène, en répondant symétriquement par la géopolitique eurasienne aux pressions de l'atlantisme géopolitique (OTAN, Occident collectif). C'est la première démarche à parfaire. Il ne dispose pas de tous les pouvoirs, il lutte désespérément pour que la Russie ne soit que l'un des pôles du monde multipolaire et non un nouvel hégémon. Mais même cela est nié par l'Occident, ce qui explique la consolidation de la cohésion entre les pays de l'OTAN (à l'exception de la Hongrie et de la Turquie) contre la Russie dans la guerre d'Ukraine. Et il n'y a là rien de personnel: la géopolitique n'a pas été inventée par Poutine, il a dirigé le Heartland, le noyau de la civilisation terrestre, l'Eurasie, et il est obligé de suivre la logique géopolitique de cette partie du monde. Toute tentative de se plier à l'atlantisme, comme nous l'avons vu dans les années 1990 sous l'ère Eltsine, ne conduirait qu'à une plus grande désintégration de la Russie. Par conséquent, l'État russe, qui veut être un sujet de la géopolitique et non son objet, n'a tout simplement pas d'autre choix que de se confronter à l'Occident. Poutine a retardé cette confrontation autant qu'il le pouvait, et s'y est engagé ouvertement au tout dernier moment. Il n'a pas pris la décision de lancer une OMS, la Russie y a été contrainte par le comportement de l'Occident.

Deuxièmement, Poutine n'est pas exempt du soutien de la population. S'il s'est imposé au pouvoir, c'est précisément parce que sa ligne de conduite - du moins en matière de souveraineté et de patriotisme - a été parfaitement cohérente avec les principales priorités et aspirations des grandes masses populaires. Oui, le peuple voulait aussi la justice sociale, mais comparé à Eltsine, où il n'y avait ni justice ni patriotisme, il y avait généralement assez de patriotisme. Poutine a correctement et très rationnellement calculé que le fait de s'appuyer sur les larges masses lui apporte un soutien inconditionnel et lui permet de se délier les mains en matière de politique intérieure. En revanche, miser sur les libéraux, c'est-à-dire sur la population urbaine (principalement métropolitaine) tournée vers l'Occident et misant sur l'oligarchie, le rendrait complètement dépendant des groupes rivaux, des lobbies, des segments politiques et, en fin de compte, de l'Occident. Le peuple, quant à lui, n'exige personne en particulier. Mais il demande légitimement à Poutine de rendre à la Russie son indépendance et sa grandeur. Ce que fait Poutine.

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Troisièmement : Poutine ne gouverne pas dans le vide, mais dans le contexte et la logique de l'histoire russe. Celle-ci suggère que la Russie est une civilisation indépendante, qui ne fait pas partie du monde occidental, ce que Poutine a partiellement accepté au début de son règne. Les penseurs conservateurs de la Russie tsariste, des slavophiles et de Tioutchev aux idéologues de l'âge d'argent, en passant par les bolcheviks eux-mêmes, ont toujours opposé la Russie à l'Occident, que ce soit à droite ou à gauche, pour des raisons différentes. Les conservateurs insistaient sur l'identité russe, tandis que les bolcheviks insistaient sur les oppositions de deux systèmes socio-économiques irréconciliables. Dès que Poutine cite Dostoïevski ou Ilyine, ou dit quelque chose de neutre et de positif sur Staline, tout en critiquant sévèrement l'Occident - jusqu'à affirmer qu'il s'agit d'une "civilisation satanique" - il apparaît comme un maillon légitime de la chaîne des grands dirigeants du monde russe. Les tentatives d'élaboration d'une politique alternative - pro-occidentale et libérale - suscitent une profonde haine populaire, que l'on retrouve dans l'attitude de l'opinion publique à l'égard de Gorbatchev et d'Eltsine.

Poutine ne dépend pas de l'élite russe, des partis politiques, des cartels oligarchiques, des mouvements sociaux, des institutions et de toute instance administrative en Russie. Ils dépendent tous de lui. Mais il dépend bel et bien de la géopolitique, du peuple et de la civilisation. Et tout à fait en accord avec leurs attentes, leur logique et leurs structures sous-jacentes.

L'après-Poutine

Dans cette perspective, l'horizon futur, que l'on peut classiquement qualifier d'"après Poutine", se présente sous des traits très différents. Le statut de Poutine - précisément en raison de la cohérence avec les trois facteurs cruciaux, et sur la base des mesures réelles qu'il a prises et des résultats réels qu'il a obtenus - est pratiquement inébranlable. Il est tellement en résonance avec ces paramètres objectifs qu'il s'en affranchit en partie lui-même. Le cas de la "justice", qui fait manifestement défaut sous Poutine, en dit long: le peuple est prêt à fermer les yeux même sur ce point (même si cela lui fait de la peine), face à d'autres aspects du régime de Poutine fondés sur des principes. Même avec l'Occident, Poutine peut calibrer la chaleur de l'hostilité, parce que le public lui fait confiance et qu'il n'a pas besoin de prouver son patriotisme à chaque fois - personne n'a plus de doutes à ce sujet.

Mais l'"après Poutine" - et avec n'importe quel successeur - il n'en sera pas ainsi. Le pouvoir de Poutine suffira à remettre n'importe qui à sa place. Cela sera accepté par tous. Mais au-delà, la figure de cet "après-Poutine" sera beaucoup moins libre d'agir que lui.

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En même temps, il est absolument impossible d'imaginer que l'hypothétique successeur - quel qu'il soit - tente de s'écarter du cap géopolitique, du patriotisme et de l'identité civilisationnelle de la Russie. C'est Poutine qui est encore un peu libre à cet égard. Mais son successeur ne sera pas libre du tout. Dès qu'il relâchera un tant soit peu ses efforts dans cette direction, ses positions seront immédiatement affaiblies, sa légitimité sera ébranlée, et les figures et les forces qui seront plus en phase avec les défis historiques émergeront naturellement à ses côtés, plutôt qu'un successeur hésitant. Le "post-Poutine" doit encore faire ses preuves en tant que digne successeur de Poutine et gagner sa légitimité en matière de géopolitique, de patriotisme (incluant cette fois la justice sociale) et de renaissance du monde russe. Poutine a gagné ses guerres, ou les a déclenchées de manière décisive. L'"après-Poutine", en revanche, ne l'a pas encore fait. Le successeur devra donc non seulement devenir un géopoliticien eurasien à part entière, mais aussi gagner la guerre avec l'Occident collectif en Ukraine de manière décisive et à n'importe quel prix, et précisément pour que personne ne puisse remettre en question la victoire. Poutine peut encore théoriquement s'arrêter quelque part (bien qu'il soit peu probable que l'Occident le laisse faire), mais son successeur ne pourra s'arrêter nulle part avant la frontière avec la Pologne.

Il en va de même pour la population. Les gens acceptent Poutine, ils l'ont déjà accepté. L'"après-Poutine" devra mériter cette acceptation. Et c'est là qu'il ne peut s'empêcher de faire des pas conséquents vers la justice sociale. L'influence du grand capital, des oligarques et du capitalisme en général répugne profondément aux Russes. Poutine peut pardonner cela, mais pourquoi son successeur devrait-il le faire ? L'"après-Poutine" aura besoin non seulement de patriotisme, mais aussi d'un patriotisme orienté vers la société. Et à cet égard, il ne doit pas se contenter de maintenir la barre, mais l'élever. Cela implique de réformer le système des partis et les structures gouvernementales. Partout, les patriotes, et surtout ceux qui sont passés par le creuset d'une juste guerre de libération - véritablement de la patrie - occuperont les postes les plus élevés. Il n'y aura en aucun cas de rotation complète de l'élite "post-Poutine".

Enfin, la civilisation russe. Les 23 années de règne de Poutine ont eu pour but de renforcer la Russie en tant qu'État souverain. En même temps - surtout au début - Poutine a admis que cette souveraineté russe pouvait être défendue et renforcée dans le cadre d'une civilisation européenne occidentale commune - "de Lisbonne à Vladivostok". Et en termes de civilisation occidentale, cela comprenait le capitalisme, la démocratie libérale, l'idéologie des droits de l'homme, le progrès technologique, la division internationale du travail, la numérisation, l'adhésion au droit international, etc. Il est progressivement devenu évident que ce n'était pas le cas, et c'est après le début de l'OMS que ses discours ont commencé à inclure des paroles sur la civilisation russe et ses différences de valeurs fondamentales par rapport à l'Occident moderne. Le décret 809 sur la politique d'État visant à protéger les valeurs traditionnelles a été signé, et la nouvelle version du concept de politique étrangère présentait la Russie non seulement comme un pôle d'un monde multipolaire, mais aussi comme une civilisation totalement distincte de l'Occident et de l'Orient. C'est le monde russe, et il est explicitement mentionné dans ce concept.

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L'"après-Poutine" ne peut même pas revenir à la formule d'un État souverain, tant le conflit avec l'Occident collectif et la vague de russophobie sont aujourd'hui énormes. La route vers une Europe unie de Lisbonne à Vladivostok - du moins jusqu'à un changement révolutionnaire en Europe même - est coupée. Le successeur de Poutine devra simplement aller encore plus loin dans cette direction. Cela nécessitera une réinitialisation culturelle sous la bannière du "logos russe".

À partir de là, les choses vont se corser.

Nous pouvons en tirer une conclusion paradoxale. Tant que Poutine sera au pouvoir en Russie, une sorte d'accord avec l'Occident, ralentissant les processus patriotiques dans la politique et l'idéologie, restera possible. L'Occident ignore totalement que la seule personne avec laquelle il est encore possible de nouer des relations est Poutine lui-même. L'idée maniaque de l'écarter, de l'éliminer, de le détruire, témoigne de la perte du sens des réalités de l'Occident collectif. Avec le dirigeant de "l'après-Poutine", il sera impossible de négocier. Lui - quel qu'il soit - n'aura aucun mandat, aucun pouvoir pour le faire. La seule chose qu'il sera libre de faire, c'est de faire la guerre à l'Occident jusqu'à la victoire, et de ne pas freiner, mais d'accélérer les réformes patriotiques - peut-être pas à la manière douce de Poutine, mais à la manière dure (Priginsky).

Quel que soit le successeur désigné par Poutine - et il peut désigner n'importe qui - ce "n'importe qui" devra immédiatement adopter non seulement le langage du patriotisme, mais aussi celui de l'ultra-patriotisme. Et il n'y aura pas beaucoup de temps pour apprendre un tel langage, très probablement il n'y aura pas de temps du tout pour l'apprendre. C'est ainsi qu'un certain schéma se dessine : l'"après-Poutine" sera très probablement celui qui aura déjà maîtrisé ce nouveau système d'exploitation - la géopolitique eurasienne, le patriotisme de puissance constante (avec un biais de gauche dans l'économie) et la civilisation russe d'origine, le Logos russe.

mardi, 04 avril 2023

Géopolitique des infrastructures 

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Géopolitique des infrastructures 

Source: https://katehon.com/ru/article/infrastrukturnaya-geopolitika

Plusieurs pays tentent d'utiliser les projets d'infrastructure pour exercer leur influence géopolitique. Les initiatives récentes les plus importantes sont celles de la Chine, des États-Unis et de l'Union européenne.

Projet américain Build Back Better

Le plan Build Back Better est un cadre législatif proposé par le président américain Joe Biden entre 2020 et 2021. Il est considéré comme un projet ambitieux par sa taille et sa portée. Il vise à réaliser le plus grand investissement public à l'échelle nationale dans des projets sociaux et d'infrastructure, ainsi qu'à s'appuyer sur des programmes environnementaux qui existent depuis la Grande Dépression.

Si une grande partie du public sait que Build Back Better a les objectifs les plus vastes, tels que la décarbonisation nationale et la réduction des coûts des médicaments, les analystes estiment que le plan constitue également une étape importante dans le développement de l'infrastructure américaine. M. Ricketts, chercheur au Center for American Progress, a expliqué à CNBC que le plan Build Back Better s'appuie sur un projet de loi bipartisan sur les infrastructures d'un montant de 1000 milliards de dollars, que M. Biden a promulgué en novembre 2021.

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Ce projet de loi bipartisan compense le manque d'investissements durables dans les infrastructures traditionnelles des États-Unis: autoroutes, routes et ponts, lignes électriques, infrastructures hydrauliques. Les responsables affirment que "Build Back Better" est un projet de loi sur les infrastructures non seulement pour le 21ème siècle, mais aussi pour l'avenir.

"Nous avons besoin d'un réseau électrique stable et fiable. Mais nous avons également besoin d'un réseau électrique stable, sûr et propre pour éviter les pires effets du changement climatique et construire une véritable économie de l'énergie propre au 21ème siècle, et non l'économie polluante des combustibles fossiles du siècle dernier", a déclaré M. Ricketts.

Les fabricants américains doivent poser des centaines de kilomètres de nouvelles lignes électriques et les producteurs d'énergie doivent repenser leurs modèles économiques pour se concentrer sur les batteries et le lithium. Les sociétés d'ingénierie doivent également tenir compte de l'élévation du niveau de la mer et de l'érosion lorsqu'elles décident de l'endroit où construire des infrastructures de transport plus efficaces.

Pour Wall Street, tout cela signifie plus de revenus, d'emplois et de profits pour les entreprises qui construisent les infrastructures.

Bien que le projet de loi soit susceptible d'être modifié, l'une des principales dispositions de l'actuel projet "Build Back Better" est un ensemble de crédits d'impôt et de réductions d'environ 300 milliards de dollars en faveur de l'énergie propre, des voitures électriques, des bâtiments propres et de la décarbonisation.

Selon la Maison Blanche, une telle structure permettrait, par exemple, de réduire d'environ 30 % le coût de l'installation de panneaux solaires sur le toit d'une maison et de réduire de 12.500 dollars le coût d'une voiture électrique fabriquée aux États-Unis, avec des matériaux américains et une main-d'œuvre syndiquée.

Malgré la surenchère qui règne au Capitole, les investisseurs ne s'inquiètent pas des perspectives du projet de loi et de son potentiel pour les fabricants et les entreprises de construction américains. Les économistes américains divergent dans leurs prévisions du prix final de Build Back Better.

"Le Sénat a toujours été le plus grand obstacle à la législation BBB, et nous nous attendons à ce que la législation soit modifiée avant de passer à la Chambre", a écrit Jan Hatzius, économiste en chef chez Goldman Sachs.

Feroli, de JP Morgan, s'attend à ce que le Build Back Better soit de l'ordre de 1000 à 1500 milliards de dollars. Il a également déclaré que l'impact des événements récents serait plus étendu que les mesures d'urgence prises pour lutter contre le Covid-19 (en référence à la loi CARES et au plan de sauvetage américain).

Mais tout n'est pas rose. Les analystes estiment que les consommateurs sont plus susceptibles de tolérer l'impact de la prolongation du crédit d'impôt pour enfants de l'année prochaine que de rendre les routes plus fluides ou d'augmenter le nombre de stations de recharge pour les voitures électriques. Il pourrait s'écouler des années avant que la plupart des Américains ordinaires ne conduisent des voitures électriques.

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Une ceinture, une route

La première route de la soie a vu le jour lors de l'expansion vers l'ouest de la dynastie chinoise Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.), qui a établi des réseaux commerciaux à travers l'Asie centrale actuelle (Afghanistan, Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan et Ouzbékistan), ainsi qu'à travers l'Inde et le Pakistan actuels au sud. Ces routes s'étendaient sur plus de quatre mille kilomètres jusqu'en Europe.

Le président Xi a annoncé cette initiative lors de ses visites officielles au Kazakhstan et en Indonésie en 2013. Le plan se compose de deux parties: la ceinture économique terrestre de la route de la soie et la route de la soie maritime. Les deux projets ont d'abord été désignés sous le nom d'initiative "Une ceinture, une route", avant de devenir l'initiative "La ceinture et la route".

La vision de M. Xi prévoyait un vaste réseau de chemins de fer, de pipelines énergétiques, d'autoroutes et de passages frontaliers ordonnés, à la fois vers l'ouest - à travers les anciennes républiques soviétiques montagneuses - et vers le sud, en direction du Pakistan, de l'Inde et du reste de l'Asie du Sud-Est. Selon M. Xi, un tel réseau permettrait d'étendre l'utilisation internationale de la monnaie chinoise, le yuan, et de "supprimer le goulet d'étranglement de la connectivité asiatique".

Les motivations de la Chine pour cette initiative sont à la fois géopolitiques et économiques. Xi a promu l'idée d'une Chine plus affirmée, à un moment où le ralentissement de la croissance et les relations commerciales difficiles avec les États-Unis ont contraint les dirigeants du pays à ouvrir de nouveaux marchés pour leurs produits.

Dans le même temps, la Chine souhaite renforcer les liens économiques mondiaux avec ses régions occidentales, qui ont été historiquement négligées. La promotion du développement économique dans la province occidentale du Xinjiang, où un mouvement séparatiste est en plein essor, est une priorité absolue, tout comme la sécurisation des approvisionnements énergétiques à long terme en provenance d'Asie centrale et du Moyen-Orient, en particulier via des routes que l'armée américaine ne peut pas bloquer.

L'initiative "Une ceinture, une route" a également suscité de l'opposition. Pour certains pays qui s'endettent lourdement pour financer la modernisation de leurs infrastructures, l'argent investi dans le projet est perçu comme un potentiel cadeau empoisonné. Selon certains experts, le recours à des prêts à faible taux d'intérêt plutôt qu'à des subventions est une opération trop risquée. Certains investissements dans le projet ont fait l'objet d'appels d'offres non transparents et ont nécessité la participation d'entreprises chinoises. En conséquence, les entrepreneurs ont gonflé les coûts, ce qui a conduit à l'annulation de projets et à des réactions politiques négatives.

Les États-Unis partagent les inquiétudes de certains pays quant aux intentions de la Chine. Le développement des économies de l'Asie du Sud et de l'Asie centrale est un objectif de longue date des États-Unis, qui s'est intensifié depuis le début de la guerre menée par les États-Unis en Afghanistan et le pivot vers l'Asie du président Barack Obama.

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L'Inde a tenté de convaincre les pays que le JCPOA est un plan de domination en Asie, mettant en garde contre ce que certains analystes ont appelé la stratégie géoéconomique du "collier de perles", selon laquelle la Chine crée un fardeau de dettes insoutenable pour ses voisins de l'océan Indien afin de prendre le contrôle de la région. 

Tokyo poursuit une stratégie similaire, en conciliant son intérêt pour le développement des infrastructures régionales et ses soupçons de longue date à l'égard de la Chine.

Plusieurs pays d'Europe centrale et orientale financent l'OSDP, et des États d'Europe occidentale comme l'Italie, le Luxembourg et le Portugal ont même signé des accords de coopération préliminaires sur des projets de l'OSDP. Leurs dirigeants considèrent la coopération comme un moyen d'attirer les investissements chinois et d'améliorer potentiellement la qualité des offres de construction compétitives des entreprises européennes et américaines.

D'autres pays non membres de l'UE sont d'accord avec cette politique. Le président français Emmanuel Macron a appelé à la prudence, déclarant lors d'un voyage en Chine en 2018 que l'OPOP pourrait faire des pays partenaires des "États vassaux".

Moscou est devenu l'un des partenaires les plus enthousiastes de l'OPOP, bien qu'il ait initialement réagi avec prudence à la déclaration de Xi, craignant que les plans de Pékin n'éclipsent la vision de Moscou d'une "Union économique eurasienne" et n'empiètent sur sa sphère d'influence traditionnelle.

Toutefois, les relations de la Russie avec l'Occident s'étant détériorées, le président Vladimir Poutine a décidé, selon les analystes, de lier sa vision eurasienne à l'initiative chinoise.

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L'Europe unie

Le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) est un réseau de routes, de voies ferrées, d'aéroports et d'infrastructures hydrauliques dans l'Union européenne. Le RTE-T fait partie d'un réseau transeuropéen (RTE) plus vaste, comprenant le réseau de télécommunications (eTEN) et le projet de réseau énergétique (RTE-E ou Ten-Energy).

Les orientations du RTE-T ont été initialement adoptées le 23 juillet 1996 par la décision n°1692/96/CE du Parlement européen et du Conseil de la Communauté sur les orientations pour le développement d'un réseau transeuropéen de transport. En mai 2001, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la décision n°1346/2001/CE modifiant les orientations RTE-T pour les ports maritimes et intérieurs.

En avril 2004, le Parlement européen et le Conseil ont adopté la décision n°884/2004/CE modifiant la décision n°1692/96/CE sur les orientations communautaires pour le développement du réseau transeuropéen de transport. La révision d'avril 2004 a constitué un changement plus fondamental dans la politique du RTE-T, conçu pour prendre en compte l'élargissement de l'UE et les changements subséquents dans les flux de transport.

En 2017, il a été décidé que les réseaux transeuropéens de transport seraient étendus à l'Europe de l'Est pour inclure les États membres du partenariat oriental. L'extension la plus à l'est du réseau transeuropéen de transport atteindra l'Arménie en février 2019.

Axes prioritaires et projets de développement:

Corridor Baltique-Adriatique (Pologne-République tchèque/Slovaquie-Autriche-Italie) ;

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Corridor nordique-baltique (Finlande-Estonie-Lettonie-Lituanie-Pologne-Allemagne-Pays-Bas/Belgique) ;

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Corridor méditerranéen (Espagne-France-Italie du Nord-Slovaquie-Croatie-Hongrie) ;

Corridor Est/Est-Méditerranéen (Allemagne-République Tchèque-Hongrie-Roumanie-Bulgarie-Grèce-Chypre) ;

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Corridor Scandinavie-Méditerranée (Finlande-Suède-Danemark-Allemagne-Autriche-Italie) ;

Corridor rhénan-alpin (Pays-Bas/Belgique-Allemagne-Suisse-Italie) ;

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Corridor Lisbonne-Strasbourg (Portugal-Espagne-France) ;

Corridor mer du Nord-Méditerranée (Irlande-Royaume-Uni-Pays-Bas-Belgique-Luxembourg-Sud de la France, transformé en Irlande-Belgique-Pays-Bas et Irlande-France en raison du Brexit) ;

Corridor Rhin-Danube (Allemagne-Autriche-Slovaquie-Hongrie-Roumanie, axe de la voie navigable) ;

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Corridor Strasbourg-Danube (Strasbourg-Mannheim-Francfort-Würzburg-Nürnberg-Regensburg-Passau-Wels/ Linz-Vienne-Budapest-Arad-Brasov-Bucharest-Constanta-Sulina).

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Le RTE-T comprend deux niveaux : un réseau global et un réseau central. Le réseau central doit être achevé au plus tard en 2030, et le réseau global en 2050.

Dix corridors ont été identifiés comme étant le réseau central, reflétant les principaux itinéraires interurbains du marché national. Six de ces corridors traversent l'Allemagne. Ils sont multimodaux par nature et sont conçus, entre autres, pour renforcer les liaisons transfrontalières au sein de l'Union.

Le réseau global comprend l'infrastructure ferroviaire, l'infrastructure fluviale, l'infrastructure de transport routier, l'infrastructure maritime et les autoroutes, l'infrastructure de transport aérien ainsi que l'infrastructure de transport multimodal. Le réseau central fait partie du réseau global et contient ses nœuds et connexions les plus importants d'un point de vue stratégique. L'ensemble du réseau de voies navigables fait partie du réseau central.

Conformément au règlement RTE, chaque corridor se voit attribuer un coordinateur de l'UE. Il existe en outre des coordinateurs pour les autoroutes de la mer et le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). En consultation avec les États membres, les coordinateurs élaborent des plans de travail pour les corridors et contrôlent leur mise en œuvre.

Le nouveau règlement (CE) n°2021/1153 du Connecting Europe Facility (CEF2), adopté le 7 juillet 2021, définit le niveau de financement de certaines mesures/projets. Dans certains États, comme l'Allemagne, le financement peut couvrir jusqu'à 50% des coûts.

Toutefois, les récents développements liés à la crise croissante de l'économie de l'UE ont quelque peu modifié ces plans ambitieux.

dimanche, 05 mars 2023

La tournée de Blinken en Asie centrale

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La tournée de Blinken en Asie centrale

Source: https://katehon.com/ru/article/centralnoaziatskoe-turne-blinkena

Le secrétaire d'État américain Anthony Blinken a effectué une visite en Asie centrale du 28 février au 3 mars. Le 28 février, il a rencontré à Astana le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokayev. Il a également eu des entretiens avec son homologue, le ministre des Affaires étrangères du Kazakhstan, Mukhtar Tleuberdi. En outre, il a rencontré les ministres des Affaires étrangères des cinq pays d'Asie centrale à Astana (format C5+1). Le 1er mars, M. Blinken a rencontré le ministre ouzbek des Affaires étrangères Bakhtiyor Saidov et s'est entretenu avec le président ouzbek Shavkat Mirziyoyev à Tachkent.

Contre la Russie et la Chine

La rhétorique de Blinken et les déclarations officielles à la presse ne laissaient aucun doute. Le chef de la diplomatie américaine est venu en Asie centrale pour persuader les plus proches voisins de la Russie de soutenir les sanctions anti-russes ou au moins de condamner ses actions en Ukraine, creusant ainsi un fossé entre Moscou et ses partenaires d'Asie centrale. Au Kazakhstan, par exemple, il a remercié la république d'avoir fourni une aide humanitaire à l'Ukraine et d'avoir hébergé les 200.000 personnes qui ont fui la Russie après l'annonce de la mobilisation partielle. En Ouzbékistan, il a exhorté les médias locaux à ne pas diffuser la "propagande russe". Partout, il a exprimé son soutien à la souveraineté des pays de la région et approuvé les "réformes".

Lors d'une conférence de presse au Kazakhstan le 28 février, il a qualifié la Russie d'agresseur plus de dix fois. Au même moment, le chef du ministère des Affaires étrangères du Kazakhstan a déclaré qu'il ne voyait aucune menace de la part de la Russie. L'invité américain a également critiqué la Chine depuis Astana, menaçant de problèmes "non seulement dans les relations avec les États-Unis, mais aussi avec d'autres pays" si Pékin soutenait Moscou dans le conflit ukrainien. Lors d'une conférence de presse à Tachkent, Blinken a critiqué le plan de paix de la Chine dévoilé la veille. Le secrétaire d'État a accusé Pékin de "continuer à attiser les flammes du feu que Vladimir Poutine a allumé".

Lors d'une conférence de presse à l'issue d'une réunion avec les ministres des affaires étrangères du Kazakhstan, du Kirghizistan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan et du Tadjikistan, Blinken a également déclaré que les Etats-Unis étaient prêts à dédommager les pays d'Asie centrale pour les dommages causés par les sanctions anti-russes.

La question des sanctions

Pour les États-Unis, le problème est que le commerce de la Russie avec les pays d'Asie centrale augmente malgré les sanctions. Il s'agit en partie d'"importations parallèles". Les États-Unis ont déjà discuté avec les pays d'Asie centrale de la mise en œuvre de sanctions anti-russes. Il est bénéfique pour les pays de la région d'agir comme des ponts de la Russie vers le monde et les États-Unis devraient offrir quelque chose de valable (ou des sanctions sévères) pour contrebalancer les avantages évidents de la coopération avec la Russie et la Chine. Jusqu'à présent, l'aide que Washington promet - 25 millions de dollars pour tous les pays de la région, même si elle s'ajoute aux 25 millions de dollars promis en septembre dernier - ne correspond pas aux coûts d'une éventuelle adhésion aux sanctions anti-russes. Les Américains, cependant, pourraient utiliser la méthode de la carotte et du bâton en menaçant les économies locales de sanctions. Auparavant, Washington a imposé des sanctions à l'oligarque russo-ouzbek Alisher Usmanov, mais a ensuite retiré ses actifs des restrictions de blocage. Les Etats-Unis n'ont pas expliqué dans quel but ce geste de bonne volonté avait été fait.

Après la visite de Blinken aux États d'Asie centrale, le ministre kazakh des affaires étrangères a déclaré que, grâce aux consultations avec les Américains, Astana a pu éviter des sanctions secondaires.

Questions de sécurité

Comme l'a noté le ministre ouzbek des affaires étrangères par intérim, Bakhtiyor Saidov, les États-Unis et l'Ouzbékistan "partagent les mêmes priorités pour une Asie centrale prospère, stable et pacifique". La question de la sécurité - avec en toile de fond la situation problématique en Afghanistan où le gouvernement des Talibans ne peut faire face aux radicaux, y compris les terroristes de l'ISIS* (*organisation terroriste interdite en Russie) - inquiète les pays d'Asie centrale.

Les États-Unis pourraient bien profiter de ce problème (créé en grande partie par leurs propres actions et inactions en Afghanistan) en promettant de l'aide aux pays d'Asie centrale.

Les États-Unis ont un autre intérêt sécuritaire au Kazakhstan : les armes et munitions soviétiques qui pourraient être transférées en Ukraine. Auparavant, il a été signalé que des munitions étaient vendues depuis le Kazakhstan via des pays du Moyen-Orient. Il a été signalé que le Royaume-Uni supervisait ce projet.

Un autre problème non moins important est la sécurité biologique.

On sait qu'un nouveau laboratoire biologique américain est en cours de construction au Kazakhstan, dans le village de Gvardeyskiy, dans la région de Zhambyl. Un autre laboratoire de ce type est situé à Almaty. Selon les experts, les questions de fonctionnement des installations biologiques des États-Unis au Kazakhstan pourraient également être discutées à huis clos. En Ouzbékistan, un laboratoire similaire a été ouvert en 2021.

Les États-Unis ont positionné ces installations comme visant à lutter contre le bioterrorisme et à répondre de manière adéquate aux menaces naturelles. L'Asie centrale est un réservoir naturel pour un certain nombre de maladies dangereuses, notamment la peste.

Cependant, au cours de l'opération spéciale en Ukraine, les autorités russes ont déclaré à plusieurs reprises que ces installations auraient pu être utilisées pour créer des armes biologiques. Moscou a une attitude négative à l'égard du placement près de ses frontières de biolaboratoires américains liés à l'Agence américaine de réduction de la menace bioterroriste (DTRA) dirigée par le Pentagone.

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Propager la démocratie

Lors de son séjour au Kazakhstan, M. Blinken a déclaré que les États-Unis soutenaient les réformes du système politique du pays vers une plus grande "démocratie". En Ouzbékistan, il a également été question de "réformes". Le ministère ouzbek des Affaires étrangères a exprimé sa reconnaissance pour le soutien américain aux réformes du président Mirziyoyev. Au cours de sa tournée en Asie centrale, M. Blinken a accordé une attention particulière aux programmes humanitaires américains dans la région. A Tachkent, par exemple, il a rencontré des écoliers participant au programme "US Embassy Access".

Hisser les drapeaux

La visite du secrétaire d'État américain en Asie centrale a coïncidé avec la visite du secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolay Patrushev, au Venezuela et à Cuba. Au Venezuela, Patrushev a rencontré le dirigeant du pays, Nicolas Maduro, et a discuté officiellement de la coopération entre les services de renseignement et les forces de l'ordre. À Cuba, une réunion a eu lieu avec le chef du ministère de l'Intérieur du pays, ainsi qu'avec le leader de la révolution cubaine, Raul Castro, et le président du pays, Miguel Diaz-Canel. Les "priorités stratégiques" de la coopération entre les deux pays ont été discutées.

Les États-Unis et la Russie hissent leur drapeau dans les domaines d'intérêt prioritaires de chacun. Ce faisant, Moscou peut compter sur ses alliés dans la région, tandis que Washington doit trouver des échappatoires pour convaincre les partenaires de Moscou d'écouter sa position. Cependant, les États-Unis disposent d'un potentiel de déstabilisation de la région, notamment des biolaboratoires non responsables devant les autorités locales, des institutions et fondations de la "société civile" et des instruments de pression des sanctions. Dans le cadre des "consultations" avec les Américains sur les sanctions, les États d'Asie centrale leur donnent de facto le droit d'influencer leurs propres économies, sapant ainsi leur propre souveraineté.

 

mercredi, 01 février 2023

La notion de Touran dans les conceptions géopolitiques des eurasistes des années 1920

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La notion de Touran dans les conceptions géopolitiques des eurasistes des années 1920

par Maxim Medovarov

Source: https://www.ideeazione.com/la-nozione-di-turan-nelle-concezioni-geopolitiche-degli-eurasiatisti-degli-anni-20/

La notion combinée d'Iran et de Touran a subi de nombreuses modifications au cours de l'histoire. Son utilisation classique est associée aux épopées médiévales persanes, en particulier Firdausi. Dans ce cas, l'Iran est compris comme un état d'agriculteurs sédentaires et le Touran comme un monde de nomades d'Asie centrale (dans les temps anciens iranophones, à partir du 6ème siècle après J.-C. turcophones et mongolophones). Dans l'Antiquité, il s'agit donc de la confrontation entre les mondes iranien occidental et oriental (au sens linguistique).

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Au début du 20ème siècle, la signification du terme "Touran" a été radicalement modifiée par des pan-turcs tels que Yusuf Aktchourin et Ziya Gökalp. À partir de 1911-1912, dans le sillage de la révolution Jeune Turque, le terme "Touran" a commencé à être compris comme couvrant tous les peuples turcophones bien au-delà du Touran historique (Asie centrale). En 1923, Gökalp publie le livre Les principes fondamentaux du touranisme, achevant ainsi le processus de création du mythe du touranisme en opposition au monde aryen et arabe.

À cette époque, le mouvement eurasien avait émergé et gagnait en force dans l'émigration russe, dont les leaders N. S. Trubetskoy et P. N. Savitsky s'opposaient au panturquisme, lui opposant l'idée de l'unité historique et géographique des peuples de la Russie-Eurasie. Avec cette approche, les nomades des steppes (Kazakhs) et les Turcs sédentaires de la région de la Volga (Tatars) étaient inextricablement liés au monde russe [1] et les Turcs d'Anatolie aux mondes grec, balkanique et méditerranéen.

Cependant, la position intermédiaire de l'Asie centrale dans ce schéma restait indéfinie, ce qui mettait les Eurasiens mal à l'aise. Lorsque les républiques de l'Union soviétique, principalement le Turkménistan et l'Ouzbékistan, ont été fondées en 1924, il a fallu déterminer si la région appartenait à la Russie-Eurasie, au Touran ou à l'Iran en tant que source de leur développement. Cependant, au début, il n'y avait pas d'experts de l'Iran et de l'Asie centrale parmi les Eurasiens. Ils pouvaient s'appuyer sur les anciens travaux de V. I. Lamansky sur les frontières du "monde moyen de l'Asie et du continent européen", mais même dans ces travaux, la frontière sud du monde russo-eurasien était définie de manière très vague, principalement le long de la frontière de l'Empire russe avec l'Afghanistan, le long des crêtes de l'Hindu Kush et du Tibet [2].

Par conséquent, une heureuse acquisition pour les Eurasiens fut l'arrivée dans leurs cénacles d'un orientaliste expérimenté, diplomate, iraniste Vassily Petrovitch Nikitine (ou Basile Nikitine en français) (1885-1960). De 1912 à 1919, il a travaillé dans les consulats russes en Perse, les a même dirigés, a connu de première main la vie des Kurdes et des Assyriens et de leurs dirigeants, et a participé aux événements de la Première Guerre mondiale sur ce front. Après la révolution, il a émigré à Paris et n'est jamais rentré chez lui. Il a travaillé pendant trente ans dans une banque française et consacrait son temps libre à la rédaction d'ouvrages scientifiques sur l'orientalisme, était reconnu parmi les orientalistes français et devint membre de diverses académies et sociétés scientifiques. Alors qu'il était encore en Russie, il avait épousé une Française, ce qui lui permit d'entrer facilement dans les réseaux sociaux de l'ultra-droite et des traditionalistes français. Il fut le premier parmi les émigrés russes à lire et à populariser les œuvres de René Guénon.

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Basile Nikitine: portrait. Ouvrage de l'auteur sur le peuple kurde en langues kurde et française.

Nikitine a parfois dû écrire sur l'Inde, la Chine, le Japon et même la Pologne, mais son attention s'est toujours portée sur le peuple iranien. Après sa mort, son ouvrage fondamental sur les Kurdes a été publié ultérieurement en Union soviétique [3]. Par conséquent, les Eurasiens se sont immédiatement intéressés à lui en tant qu'iraniste. Lors de sa première rencontre avec Nikitine le 24 septembre 1925, le leader du mouvement eurasien N. S. Trubetskoy lui a commandé un important article sur la Russie, l'Iran et le Touran pour définir les frontières existant entre ces entités territoriales. Nikitine a émis la thèse suivante, après sa conversation avec Trubetskoy: "Notre touranisme dérange l'iranisme et l'effraie (le grand et le petit Touran)" [4]. Les Eurasiens avaient besoin d'une clarification du concept de Touran afin de répandre leur idéologie parmi les peuples turcophones de l'URSS. Nikitine s'est aussitôt engagé activement à satisfaire les Eurasistes réfugiés en France, a terminé l'article avant la fin de l'année et, le 4 janvier 1926, il a reçu la visite de P. P. Suvchinsky, qui a fait son éloge [5]. D'autres Eurasistes se sont également intéressés au sujet: L. P. Karsavin a notamment demandé à Nikitine: "Un Persan peut-il devenir russe? Qu'arriverait-il au christianisme si les Perses l'adoptaient? Après tout, ce n'est pas sans raison que le zoroastrisme a été dévié en manichéisme "satanique" [6].

Entre janvier 1926 et septembre 1929, Nikitine a publié un texte d'inspiration eurasiste sur les Perses. Nikitine a publié 24 de ses articles dans des publications eurasistes. Beaucoup d'entre ceux-ci étaient consacrés à une justification générale de la nécessité d'activer la politique de la Russie soviétique dans les pays asiatiques, mais un certain nombre d'ouvrages traitaient spécifiquement de la Perse, de ses relations avec la Russie avant la révolution, pendant la Première Guerre mondiale et à l'heure actuelle sous le régime de Reza-Shah Pahlavi [7]. En outre, Nikitine a donné des présentations orales sur des sujets iraniens lors de séminaires eurasistes à Paris [8].

Dans le contexte de ces écrits, l'article susmentionné "Iran, Touran et Russie", préfacé par P. N. Savitsky [9], se distingue de tous les autres. Sa popularité était telle que le succès s'est même encore confirmé plus de trente ans plus tard. Nikitine donne désormais son accord pour toutes les réimpressions et se montre ravi lorsque P. N. Savitsky envoie des copies aux étudiants d'URSS en novembre 1959 [10].

Comment le problème de la définition du Touran s'est-il posé dans ce travail? Savitsky a rappelé la coopération entre la Russie et l'Iran au Moyen-Âge, mais a en même temps refusé d'inclure l'Iran dans le développement de la Russie-Eurasie. Selon lui, l'"Iran intérieur" est un pays asiatique qui, pendant des siècles, a combattu les nomades scythes/sarmates des steppes eurasiennes parce qu'ils représentaient l'"Iran extérieur". Tout en reconnaissant une certaine contribution iranienne à la formation du peuple russe, Savitsky la considère néanmoins comme faible [11].

Nikitine avait une vision très différente du problème. Selon lui, la Russie et l'Iran se trouvent dans une position similaire au carrefour des civilisations et le caractère national russe combine à la fois des caractéristiques touraniennes et iraniennes. Le caractère touranien est connu par les œuvres de N. S. Trubetskoy (ce caractère est celui d'un guerrier, étranger à la philosophie abstraite, résilient, loyal, passif), mais Nikitine a également signalé l'autre pôle de l'âme russe, l'âme iranienne représentée dans l'individualisme et le mysticisme des vieux croyants, des sectaires, des clercs, des prédicateurs en général [12]. Le scientifique voyait l'histoire de l'Eurasie comme une dialectique de lutte entre l'Iran et le Touran, comme l'histoire de leurs flux et reflux. Il a ensuite accompagné son article de trois cartes dessinées à la main montrant comment le concept de Touran s'est étendu au fil des siècles pour inclure aussi la zone des steppes et l'Asie centrale agricole (Maverannahr) [13]. Nikitin fait référence aux travaux d'un autre Eurasiste, P. M. Bitsilli, sur la tentative de Byzance de s'allier avec le Kaganat turc contre l'Iran sassanide comme une manifestation typique de la lutte de deux princes eurasiens [14]. Considérant l'histoire des guerres de l'Iran avec les nomades au cours des siècles, le chercheur a attiré l'attention sur le manque d'études existant sur les liens et les influences mutuelles entre la Russie et l'Iran [15]. "Il y a un fil touranien dans ce canon irano-russe", a-t-il conclu [16].

Nikitin a particulièrement attiré l'attention sur la facilité de compréhension mutuelle entre les paysans et les marchands russes et perses, sur l'"osmose" entre eux et sur la rapidité de l'implantation russe en Iran.

Il a résumé: "Nous avons également indiqué la place de la Russie entre l'Iran et le Touran. <...> Sous le joug mongol, la Russie et l'Iran étaient tous deux dans une position d'égalité, étant subordonnés à l'ulus turan ; après la libération du joug, la Russie et l'Iran ont suivi leur propre voie, à la suite de quoi la Russie a repris par rapport à l'Iran la position géographique de Touran, alors que sur le Bosphore, l'État a accordé un statut déterminant à la racine touran, ce qui n'a cessé d'être renforcé" [17]. Nikitine a consolidé cette conclusion politique par une réflexion sur la nécessité de l'autodécouverte du caractère russe avec sa dualité de caractéristiques touraniennes et iraniennes: "Le touran dans notre bagage mental est le début articulé, 'casher', tandis que l'Iran est l'individualisme, dans une forme qui atteint la rébellion, l'anarchie" [18].

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Marlène Laruelle, analysant les raisons pour lesquelles Trubetskoy et Savitsky avaient chargé Nikitine de faire une étude détaillée de l'Iran et du Touran, suggère que "l'Asie centrale sédentaire... posait un problème à la pensée eurasiste", que "les frontières avec l'Asie restaient... floues, et que le mouvement ne parvenait pas à saisir tout le potentiel original et imaginatif que portaient les revendications de l'héritage timouride et mongol" [19]. Par conséquent, selon Laruelle, "l'eurasisme sera toujours indécis en ce qui concerne les peuples sédentaires d'Asie centrale" [20]. Ces conclusions, à la lumière de ce qui a été dit, ne semblent pas tout à fait exactes et la formule proposée par Laruelle peut difficilement être dérivée directement des travaux analysés de Nikitine, Savitsky, Trubetskoy et Bicilli: "La Chine incarne l'Asie, la Perse est l'Orient extérieur par rapport à la Russie, Touran est son Orient intérieur"[21].

Dans le plus récent de ses articles sur l'Eurasie, "La Renaissance persane" (1929) [22], Nikitine avance la thèse selon laquelle, contrairement à la prétendue apathie qu'on lui prêtait, la vie culturelle en Iran n'est jamais morte, a entamé une renaissance rapide à partir du milieu du 19ème siècle et a atteint un nouveau niveau après 1925 sous Reza Shah Pahlavi. L'universitaire a évoqué le rythme général de l'histoire russe et iranienne, de la chute des Safavides et de la campagne de Perse de Pierre le Grand aux événements révolutionnaires du premier quart du 20ème siècle dans les deux pays. Nikitine a exprimé l'espoir que la période pétersbourgeoise de l'histoire russe, avec son intelligentsia occidentalisée peu encline à comprendre l'Asie, était terminée. Les devoirs de l'homme envers Dieu au lieu des droits, le collectivisme du peuple au lieu de la démocratie et de la citoyenneté étaient ce qui, selon Nikitine, unissait la Russie au monde islamique. Il espérait que "les efforts conjoints des nationalités eurasiennes et perses et des autorités de Moscou et de Téhéran ouvriraient la voie à une politique et une culture nouvelles, au-delà de l'imitation et de la dépendance à l'égard de l'impérialisme et du capitalisme de l'Occident et de l'Amérique" [23]. Dans le même temps, Nikitine n'a pas abandonné les slogans eurasistes "sur le démoticisme, l'idéocratie, l'État ouvrier et la "cause commune" [24]. L'érudit a anticipé les idées futures de Khomeini et de la révolution islamique, soulignant la nécessité pour l'Iran de développer un nouveau système d'État: ni parlementarisme, ni absolutisme, mais une combinaison du principe chiite de l'imamat "porteur de lumière" et des conditions modernes [25].

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Nikitine prévoyait "une augmentation de l'énergie nationale" en Perse, qui s'est exprimée à la fin des années 1920 par la réalisation d'une indépendance politique totale, la construction active de chemins de fer, l'amélioration de l'agriculture et le développement de nouveaux domaines, le tout avec le soutien allemand et soviétique. Dans le domaine de la religion et de la culture, l'universitaire a noté dans l'Iran contemporain une vague "fiévreuse" d'enthousiasme pour le zoroastrisme, la reconstruction néo-païenne de l'ère sassanide, le babisme et le chiisme renouvelé. Il a noté l'inclinaison de la pensée iranienne vers l'originalité, par opposition à la nature imitative du Touran, décrite précédemment par N. S. Trubetskoy [26].

Ainsi, selon les Eurasistes des années 1920, l'Iran (peuples iraniens occidentaux) était opposé aux Tourans (peuples iraniens orientaux et plus tard turcs), nomades de la steppe. La Russie est un héritier direct de Touran, mais elle devrait choisir la voie de la politique étrangère active et de la coopération sur un pied d'égalité, de l'harmonisation du rythme de développement et du renouveau révolutionnaire de la Russie et de l'Iran, au lieu d'affronter l'Iran (ainsi que l'Inde et la Chine), comme c'était le cas à l'époque des incursions nomades.

Selon cette interprétation, le Touran, qui comprenait non seulement les steppes kazakhes, mais aussi l'Asie centrale colonisée, a été inclus dans le développement de l'espace eurasien et est devenu une partie intégrante de la Russie.

De cette façon, les eurasistes, avec leurs arguments historiques et géographiques, ont éliminé tout fondement à la vision pan-turque du mythe touranien, vu, chez elle, comme un ensemble de "descendants de loups" turcophones opposés à toutes les autres nations d'Eurasie. Nikitine a spécifiquement affirmé que l'"idée pan-touranienne" en Turquie et en Hongrie était "un phénomène de déséquilibre mental, propre de l'intelligentsia et d'une certaine mode littéraire" [27]. Cette question ne présente pas seulement un intérêt académique, mais est également très pertinente aujourd'hui, alors que l'idéologie du panturquisme a été soutenue par les élites de Turquie et du Royaume-Uni et que le rapprochement entre l'Union eurasienne dirigée par la Russie et la République islamique d'Iran a atteint un stade qualitativement nouveau.

Notes:

[1] Trubetskoy N.S. Sull’elemento turanico nella cultura russa // Trubetskoy N.S. History. Cultura. Lingua. M.: Progress, 1995. С. 141-161.

[2] Lamansky V.I. Sullo studio storico del mondo greco-slavo in Europa // Lamansky V.I. Geopolitica del panslavismo. Mosca: Istituto della civiltà russa, 2010. С. 86.

[3] Nikitin V.P. Curdi. Mosca: Progress, 1964.

[4] Sorokina M.Y. Vasily Nikitin: la testimonianza nel caso dell’emigrazione russa // Diaspora: nuovi materiali. Vyp. 1. Parigi – SPb.: Athenaeum-Phoenix, 2001. С. 603.

[5] Ibidem. С. 606.

[6] Ibidem. С. 602.

[7] Nikitin V.P. 1) La Persia nel problema del Medio Oriente // Eurasian Chronicle. Vol. 5. Parigi, 1926. С. 1-15; 2) Ritmi dell’Eurasia // Cronaca Eurasiatica. Vol. 9. Parigi, 1927. С. 46-48; 3) Attraverso l’Asia. La Persia di oggi // Cronaca eurasiatica. Vol. 9. Parigi, 1927. С. 55-60; 4) [Recensione:] Sventitsky A.S. Persia. RIOB NKVT. M., 1925; Koretsky A. Trade East and USSR. Prometeo, 1925 // Cronaca eurasiatica. Vol. 10. Parigi, 1928. С. 86-88; 5) Russia e Persia. Schizzi del 1914-1918 // Eurasia. 1929. 6 aprile. № 20. С. 5-6; 13 aprile. № 21. С. 5; 20 aprile. № 22. С. 5; 27 aprile. № 23. С. 6-7; 4 maggio. № 24. С. 6; 1 giugno. № 28. С. 7-8; 6) Rinascimento persiano // Eurasia. 1929. 29 giugno. № 30. С. 5-6; 10 agosto. № 33. С. 6; 7 settembre. № 35. С. 6-7.

[8] Tatishchev N. Seminario eurasiatico a Parigi // Eurasian Chronicle. Vol. 7. Parigi, 1927. С. 44.

[9] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia // Eurasian Times. Libro 5. Parigi: Casa editrice Eurasian, 1927. С. 75-120.

[10] Sorokina M.Y. op. cit. p. 643.

[11] Nota editoriale di P.N. Savitsky. Vedi: Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 75-78.

[12] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 79-80.

[13] Ibidem. С. 118-120.

[14] Bicilli P.M. Oriente e Occidente nella storia del Vecchio Mondo // Sulle strade: la fondazione degli Eurasiatici. Libro 2. Berlino, 1922. С. 320-321.

[15] Nikitin V.P. Iran, Turan e Russia. С. 103-115.

[16] Ibidem. С. 113.

[17] Ibidem. С. 115.

[18] Ibidem. С. 116.

[19] Laruelle M. Ideologia dell’eurasiatismo russo, o Pensieri sulla grandezza dell’impero. Mosca: Natalis, 2004. С. 172-173.

[20] Ibidem. С. 173.

[21] Ibidem. С. 177.

[22] Nikitin V.P. Rinascita persiana // Eurasia. 1929. 29 giugno. № 30. С. 5-6; 10 agosto. № 33. С. 6; 7 settembre. № 35. С. 6-7.

[23] Ibidem. № 30. С. 5.

[24] Ibidem. С. 6.

[25] Ibidem. № 33. С. 6.

[26] Ibidem. № 35. С. 7.

[27] Nikitin V.P. Attraverso l’Asia (Fatti e pensieri) // Versty: Vyp. 1. Parigi, 1926. С. 241.

Elenco dei riferimenti

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vendredi, 20 janvier 2023

Risques pour l'intégration eurasienne

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Risques pour l'intégration eurasienne

Leonid Savin

Source: https://www.geopolitika.ru/article/riski-dlya-evraziyskoy-integracii

Le sommet informel des chefs d'État de la CEI à Saint-Pétersbourg les 26 et 27 décembre 2022 a démontré la volonté de tous les participants de coopérer et d'interagir sur un large éventail de questions. Les discours de nombreux présidents ont inspiré de l'optimisme quant au développement d'initiatives communes telles que l'OTSC et l'EAEU. En même temps, ces dernières années, et surtout depuis le début de l'opération spéciale en Ukraine, il y a eu des actions de la part des partenaires qui peuvent pour le moins être qualifiées d'attentistes. Parfois, comme dans le cas du Premier ministre arménien, il y avait un chantage pur et simple.

À l'avenir, de telles "oscillations" dans les relations de partenariat pourraient commencer à générer des mouvements plus nets si nous ne prenons pas le temps d'analyser les défis et menaces possibles provenant d'acteurs extérieurs. Et ils ne feront que s'intensifier, car la zone des intérêts géopolitiques naturels de la Russie (y compris l'Asie centrale et le Caucase du Sud) relève également de la sphère d'intérêt d'autres puissances. Et pas seulement des intérêts, mais aussi des initiatives actives de politique étrangère et des projets économiques.

Dans ce contexte, l'Institut espagnol d'études stratégiques observe discrètement que l'Asie centrale est une zone d'intérêt pour la sécurité russe, mais aussi qu'elle a toujours relevé de la sphère d'influence de puissances étrangères, en premier lieu la Grande-Bretagne et l'Empire ottoman. Puis les États-Unis sont arrivés, et l'Empire ottoman a changé son nom en Turquie. Un nouveau "Grand Jeu" émerge, qui, avec le radicalisme religieux, montre une lutte claire pour la région.

L'auteur Pedro Sanchez tire des conclusions ambiguës selon lesquelles des scénarios tant positifs que négatifs sont possibles. Toutefois, le contexte général est lié à la géographie stratégique.

"L'histoire de la planète nous montre périodiquement un certain nombre de voies et de carrefours dans le monde. L'Asie centrale est l'une d'entre elles. Et dès que des forces importantes entrent en jeu pour contrôler ou empêcher une autre de contrôler cette zone, la probabilité d'un conflit est assurée. Ainsi, une zone enclavée, séparée de la mer et apparemment au milieu de nulle part, se profile comme un espace où la géographie, la richesse naturelle, la population et la situation entre des visions du monde différentes et puissantes lui confèrent un rôle clé dans le remodelage de la planète et dans la lutte contre les forces exogènes.

Si à ces tensions externes s'ajoutent d'importantes faiblesses internes, ainsi qu'une hétérogénéité et un déséquilibre significatifs entre les nations qui composent la région, il est certain que le potentiel de conflit est à un niveau élevé, surtout si une tension externe ou interne dépasse une ligne rouge et génère une cascade de forces induites. Dans ce cas, le conflit peut être inévitable.

Certes, une reconfiguration du pouvoir à l'échelle mondiale, peut-être vers un monde multipolaire ou polycentrique, comme le note la Russie, ne va pas sans tensions qui obligent les grands intérêts à s'affronter dans la recherche d'un nouvel équilibre. Mais cette reconfiguration est également le résultat de l'évolution des acteurs, des réalités et, ne l'oublions pas, des nouvelles menaces mondiales qui, dans la plupart des cas, sont communes.

 

Ainsi, cette situation, au lieu d'être perçue en termes de crise potentielle, de conflit latent, peut être comprise en se souvenant davantage de ce qui unit que de ce qui divise, dans la clé de l'opportunité, afin que certains aspects et certains domaines clés restent en dehors des jeux à somme nulle et soient structurés de manière à pouvoir être utilisés à leur avantage, afin que tout le monde en profite, ce qui est faisable. Et l'une de ces régions pourrait certainement être l'Asie centrale"[i].

Oui, la Russie est intéressée à la fois par la création d'un monde multipolaire et par le maintien du calme dans la région. Mais étant donné la spécificité culturelle et historique des pays d'Asie centrale, il est tout à fait logique que non seulement la Russie mais aussi d'autres voisins regardent danscette direction avec intérêt. Et ces voisins lanceront leurs propres projets dans la région.

"Les républiques d'Asie centrale ne constituent pas un élément homogène et cohérent, s'efforçant plus ou moins de mener, selon les termes du président kazakh, une politique "multi-vecteurs" qui se réduit à essayer d'équilibrer de manière pragmatique les intérêts des puissances de la région, en cherchant à maximiser les avantages du pays, mais certainement avec une orientation progressive vers l'Asie."[ii]

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La Chine occupe une place particulière dans cette politique de multi-vectorisme.

En 2013, Xi Jinping a annoncé la possibilité de faire revivre l'ancienne route de la soie. Cette idée s'est ensuite concrétisée sous la forme de l'initiative "Belt and Road", qui a immédiatement commencé à englober les pays d'Asie centrale. Bien que la Russie et la Chine soient des puissances amies, certains risques subsistent. Le jumelage de l'UEE et de l'initiative "Belt and Road", qui a été discuté lors du sommet d'Ufa en 2016, n'a pas encore eu lieu. Et objectivement, c'est impossible, car l'EAEU constitue un processus d'intégration, où la tarification, la qualité des services et des biens doivent être amenés à une norme unique, tandis que la Ceinture et la Route est la stratégie de politique étrangère de la Chine et il n'est pas question d'une quelconque intégration. Pékin a ses propres objectifs, même si elle investit dans les infrastructures de plusieurs pays de la région.

L'Iran ne mène pas une politique étrangère très active, même s'il renforce ses liens avec les pays d'Asie centrale et a des intérêts dans le Caucase du Sud. Cependant, les relations entre la Russie et l'Iran se développent de manière assez dynamique et positive (notamment l'adhésion de l'Iran à la zone de libre-échange de l'UEE), et nos points de vue sur la sécurité régionale et la géopolitique sont presque identiques.

L'Afghanistan après le changement de gouvernement en 2021 ne représente qu'une menace indirecte, mais il n'y a pas encore de signaux de sécurité visibles pour les États voisins d'Asie centrale. Après la panique qui a suivi le retrait américain du pays et le contrôle des provinces par les talibans, les nouvelles autorités ont montré qu'elles n'avaient aucune intention d'empiéter sur l'intégrité territoriale des États d'Asie centrale. Le Pakistan ne sera pas abordé, car il ne fait pas partie de la zone d'intégration eurasienne active.

Après la Chine, le prochain acteur voisin actif est peut-être la Turquie.

Sinem Adar, du Centre for European Policy Studies (Bruxelles), note qu'en raison de l'implication de la Russie en Ukraine, la Turquie tente de tirer parti de cette situation non résolue en intensifiant davantage la coopération avec une région qu'elle a longtemps considérée comme proche d'elle-même en raison de sa proximité linguistique et culturelle. Ces efforts s'alignent sur les tentatives de reconstruction de l'économie turque, qui ne cesse de se détériorer, en vue des prochaines élections de 2023, et acquiertde ce fait une importance historique.

 "Au-delà de ces déclencheurs immédiats de la politique renouvelée d'Ankara, l'intérêt pour la région découle d'une volonté stratégique de positionner la Turquie comme une plaque tournante logistique et énergétique reliant l'Europe et l'Asie après la fin de la guerre froide. Pourtant, le scepticisme abonde en Europe quant à l'orientation stratégique d'Ankara à une époque de confrontation et de concurrence géopolitiques intenses. Ainsi, il est nécessaire de réfléchir sobrement à la place de la Turquie dans l'espace eurasiatique émergent, ainsi qu'aux coûts et aux avantages de l'interaction avec la Turquie."[iii]

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En dehors des projets notoires de Panottomanisme et de Panturquisme, il existe des initiatives bien spécifiques qu'Ankara a lancées.

En particulier, en août 2019, elle a annoncé le projet Asia Revisited pour "tirer parti des opportunités et du potentiel de coopération créés par les développements en Asie."[iv]

Le Conseil turc, fondé en 2009 et comprenant l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Turquie et l'Ouzbékistan en tant qu'États membres, ainsi que la Hongrie (à partir de 2018) et le Turkménistan (à partir de 2021) en tant qu'États observateurs, a récemment été rebaptisé "Organisation des États turcs", ce qui, selon les responsables turcs, reflète les efforts déployés pour "diversifier et renforcer la coopération en matière d'économie et de commerce". La République turque de Chypre du Nord, non reconnue par la Turquie, s'est également vu accorder le statut d'observateur au sein de l'Organisation.

Il est clair que le regain d'intérêt de la Turquie pour le Caucase du Sud et l'Asie centrale est renforcé par la perception qu'a Ankara de la Russie comme un acteur pas assez fort, comme le démontrent certains épisodes des combats qui ont été menés en Ukraine. Dans le même temps, la Turquie critique régulièrement la gestion de l'opération spéciale par Moscou. Bien qu'elle mène depuis des années des opérations extraterritoriales en Irak et en Syrie au cours desquelles des civils sont tués. Mais les partenaires de la Turquie au sein de l'OTAN prétendent qu'il ne se passe rien.

En Turquie, les décideurs et diverses forces politiques pensent que le Kremlin est en train de perdre le contrôle de la région de la Transcaucasie, donnant ainsi à l'armée azerbaïdjanaise (que la Turquie soutient) l'occasion de se venger militairement. Le dernier point culminant a été le blocus du corridor de Lachin. 

L'activité diplomatique d'Ankara dans la région s'est également intensifiée depuis le début de l'opération spéciale. En mars 2022, les gouvernements d'Azerbaïdjan, de Géorgie, du Kazakhstan et de Turquie ont signé une déclaration sur l'amélioration des voies de transport dans le Caucase du Sud et en Asie centrale comme alternative à la route du Nord via la Russie.

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Il a été décidé de développer le corridor transcaspien est-ouest, également appelé corridor du milieu, reliant la Chine et l'Europe par un réseau de chemins de fer et d'autoroutes reliant la Turquie, la Géorgie, l'Azerbaïdjan, la mer Caspienne et l'Asie centrale. Un groupe de travail composé de la Turquie, de l'Azerbaïdjan et du Kazakhstan a été mis en place en juin 2022 pour traiter cette question.

Toutefois, les efforts de la Turquie pour s'engager dans le Caucase du Sud et en Asie centrale ne se limitent pas à la coopération économique et à la logistique. Avec l'évolution de l'équilibre des pouvoirs dans la région et le désir des différents États d'agir de manière autonome, la Turquie a également essayé de se positionner comme un fournisseur de sécurité alternatif sur ce marché spécifique.

Par exemple, la Turquie a élevé ses relations avec l'Ouzbékistan et le Kazakhstan au rang de partenariats stratégiques. Le membre de l'OTAN (Turquie) et le membre de l'OTSC (Kazakhstan) en tant que tels ont mutuellement convenu de renforcer la coopération en matière de défense et l'échange de renseignements militaires [vi]. Les deux pays ont également convenu que les drones de combat turcs ANKA seront produits au Kazakhstan [vii].

De manière révélatrice, cette nouvelle a suscité des critiques à la fois en Russie contre le Kazakhstan (parce qu'il est membre de la CEEA, de l'OTSC et de l'OCS) et en Occident contre la Turquie en raison de l'absence de consultation par Ankara de ses partenaires de l'OTAN.

Bruxelles a renouvelé son intérêt pour le Caucase du Sud et l'Asie centrale. En juillet, par exemple, l'UE et l'Azerbaïdjan ont signé un protocole d'accord sur un partenariat énergétique stratégique dans le cadre de la tentative de l'UE de réduire sa dépendance au gaz russe. La présidente de l'UE, Ursula von der Leyen, l'a dit ouvertement: "Aujourd'hui, avec ce nouveau protocole d'accord, nous ouvrons un nouveau chapitre de notre coopération énergétique avec l'Azerbaïdjan, un partenaire clé dans nos efforts pour nous éloigner des combustibles fossiles russes. Non seulement nous cherchons à renforcer notre partenariat existant, qui garantit un approvisionnement en gaz stable et fiable à l'UE par le biais du corridor gazier méridional. Nous jetons également les bases d'un partenariat à long terme en matière d'efficacité énergétique et d'énergie propre, alors que nous poursuivons tous deux les objectifs de l'Accord de Paris. Mais l'énergie n'est qu'un domaine dans lequel nous pouvons étendre notre coopération avec l'Azerbaïdjan, et je suis impatient d'exploiter tout le potentiel de notre relation."

Et le commissaire à l'énergie Kadri Simson a déclaré : "Le nouveau protocole d'accord souligne le rôle stratégique du corridor gazier du Sud dans nos efforts de diversification. L'Azerbaïdjan a déjà augmenté ses livraisons de gaz naturel à l'UE, et cette tendance va se poursuivre: jusqu'à 4 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires seront livrés cette année, et les volumes devraient plus que doubler d'ici 2027. Mais notre coopération va au-delà, en accélérant l'introduction des énergies renouvelables et en s'attaquant aux émissions de méthane; ces mesures amélioreront la sécurité de l'approvisionnement et contribueront à atteindre nos objectifs climatiques" [viii].

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Bien que l'Azerbaïdjan ne soit pas membre de l'UEE et de l'OTSC, les efforts de l'UE pour s'insérer dans la région sont évidents.

De même, l'évolution des exigences de la chaîne d'approvisionnement a incité l'UE à repenser les itinéraires logistiques pour éviter le transit par la Russie. En mai de cette année, par exemple, la compagnie maritime danoise Maersk a dévoilé un nouveau service rail-mer reliant l'Asie et l'Europe via le même corridor du Moyen-Orient, en passant par le Caucase du Sud et l'Asie centrale [ix].

Tout ceci est mis en œuvre dans le cadre de l'ancienne initiative TRACECA (Corridor de transport Europe-Caucase-Asie) [x].

Un regard rétrospectif sur les intérêts de l'UE en Asie centrale et dans le Caucase du Sud montre que Bruxelles a préparé le terrain depuis des années. Des programmes tels que TACIS (Technical Assistance for the Commonwealth of Independent States, Assistance technique pour la Communauté des États indépendants, TACIS), l'assistance technique pour la Communauté des États indépendants, y travaillaient.  Puis l'accord de partenariat et de coopération (APC) a été mis en œuvre. L'UE a ensuite intensifié sa politique à l'égard des États d'Asie centrale. L'instrument de coopération au développement (ICD) a été lancé en 2007.

De 2007 à 2013, la stratégie de l'UE pour un nouveau partenariat avec l'Asie centrale (officiellement appelée "Stratégie de l'Union européenne et de l'Asie centrale", soit la stratégie de l'UE pour un nouveau partenariat avec l'Asie centrale) était en vigueur. Leur budget s'élevait alors à 775 millions d'euros. L'Asie centrale a également été en partie l'objet du programme de "l'instrument européen de stabilité" (IfS).

Une autre initiative - l'instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP) - mise en place depuis janvier 2007 a fait entrer la région dans la politique européenne de voisinage (PEV).

Les investissements financiers dans la région ont été réalisés par l'intermédiaire de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. L'implication de la BERD est géopolitiquement significative, tout comme un certain nombre de projets qui sont à la fois de nature économique appliquée et de nature humanitaire.

Par exemple, INOGATE (Interstate Oil and Gas Transportation to Europe) est un programme de coopération énergétique entre l'UE et les pays partenaires: les États riverains de la mer Noire et de la mer Caspienne et leurs voisins. Le programme comprend l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Belarus, la Géorgie, la Moldavie, l'Ukraine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan. Jusqu'à la fin 2006, le programme INOGATE a été mis en œuvre dans le cadre de TACIS, mais depuis janvier 2007, il est mis en œuvre sous l'égide de l'Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). Bien que l'IEVP ne soit pas formellement lié directement aux États d'Asie centrale, il a néanmoins été étendu aux pays d'Asie centrale depuis 2007.

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Le programme de mobilité transeuropéenne pour les études universitaires, TEMPUS, est cependant un programme visant à construire une zone de coopération en matière d'enseignement supérieur impliquant les États membres de l'UE et les pays partenaires. En outre, un autre programme européen, Erasmus Mundus, pour l'échange d'étudiants, d'universitaires et d'enseignants, a été lancé en Asie centrale en 2007. Et en 2009, l'UE a lancé le programme CAREN (Central Asia Research Education Net) pour soutenir la coopération entre les institutions de recherche de l'UE et de l'Asie centrale.

Puis en 2014, les programmes TEMPUS et Erasmus Mundus ont été remplacés par le programme Erasmus+ pour la mobilité académique, la coopération pour l'innovation, l'échange de bonnes pratiques et le soutien aux réformes éducatives. 

Il existe également la Fondation européenne pour la formation (pour soutenir la formation professionnelle) et l'Initiative européenne pour l'éducation en Asie centrale (pour renforcer la capacité des individus et des organisations à moderniser le secteur de l'éducation par le dialogue, l'échange et la discussion entre les pays de l'UE et d'Asie centrale).

Comme nous pouvons le constater, les programmes de Bruxelles ont le potentiel et la possibilité de concurrencer l'EAEU, d'autant plus que leurs initiatives sont de nature systémique.

En outre, l'UE mène une politique ciblée de coopération bilatérale, ce qui affecte également la perception des projets européens et eurasiens.

Alors qu'elle était auparavant positionnée comme un élément de coopération constructive, Bruxelles tente désormais de faire en sorte que la présence de l'UE se fasse nécessairement au détriment de la Russie. Directement ou indirectement.

Les analystes occidentaux ont précédemment suggéré d'utiliser l'outil de la "géopolitique hybride". Ce terme a des connotations inquiétantes car il est associé à la guerre hybride, une technologie perturbatrice développée dans l'armée américaine et au sein de l'OTAN.

Richard Youngs, professeur à l'université de Warwick au Royaume-Uni, affirme que "les demi-mesures de la nouvelle politique orientale de l'UE ont été à moitié efficaces". À cet égard, il propose un modèle de géopolitique libérale-réductive à plus long terme (synonyme de géopolitique hybride) à mettre en œuvre dans divers domaines de la politique étrangère de l'UE. Il est considéré comme relevant d'une doctrine européenne appliquée et délibérément non séquentielle, mais il disposera d'une plus grande marge de manœuvre. Il s'agit davantage d'un style géopolitique de l'UE, plutôt que d'une stratégie d'action claire, avec toutefois les ajustements nécessaires à la doctrine actuelle [xii].

Les actions de l'UE dans la zone d'intégration eurasienne doivent donc être suivies et analysées de près.

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Les États-Unis s'insinuent également dans la région avec leur projet C5+1, c'est-à-dire les États d'Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Tadjikistan, Ouzbékistan, Turkménistan) et les États-Unis eux-mêmes qui tentent d'imposer unilatéralement leurs propres règles du jeu.

Leur présence et leurs initiatives ne sont pas nouvelles non plus. Auparavant, Washington a proposé de nombreux projets équivalant à la "Nouvelle route de la soie" et relatifs à la "Grande Asie centrale" (ces concepts ont été spécifiquement promus par Frederick Starr) [xiii].

Il y a eu des initiatives plus importantes, telles que les tentatives de patronner le gazoduc TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde), mais sa construction a été retardée pour des raisons objectives.

La question du fonctionnement des laboratoires biologiques du Pentagone en Asie centrale et dans le Caucase du Sud reste aiguë [xiv].

Les mots de Jeffrey Mankoff, du CSIS, basé à Washington, qui estime que "Moscou accélère activement le déclin de son influence à travers l'Eurasie, y compris dans les anciens pays soviétiques du Caucase du Sud et de l'Asie centrale... Depuis le lancement de l'"opération militaire spéciale" contre l'Ukraine, les voisins concernés, comme le Kazakhstan, rejettent la Russie par défi. Ces dernières semaines ont également vu une résurgence des conflits en Eurasie, ce qui pourrait être le signe avant-coureur d'une plus grande instabilité à venir. Les puissances régionales, notamment la Chine et la Turquie, se sont montrées de plus en plus franches contre l'influence russe. Et maintenant, la mobilisation de la Russie a déclenché un flux migratoire vers d'autres États eurasiens - notamment l'Arménie, la Géorgie et le Kazakhstan. Cela renverse une tendance de longue date de la migration vers la Russie et met de nombreux Russes ordinaires face au mécontentement toujours ressenti dans de nombreuses sociétés post-coloniales.

Ces développements sont les premiers signes de ce qui sera probablement l'un des résultats les plus durables de la guerre: un affaiblissement de l'influence russe dans toute l'Eurasie post-soviétique et l'émergence d'un ordre régional plus dynamique, bien que complexe. En d'autres termes, c'est le résultat exactement inverse que Moscou espérait obtenir avec son invasion de l'Ukraine et l'inclusion effective du Belarus dans sa sphère d'influence. Comme le montre la reprise des hostilités dans le Caucase du Sud et en Asie centrale, un affaiblissement de l'influence russe pourrait exacerber les différends qui couvent et causer davantage de souffrances aux populations de la région. À long terme, cependant, cela peut contribuer à l'émergence d'États plus forts et plus efficaces - surtout si les États-Unis et leurs alliés européens peuvent offrir une alternative plus libérale à l'influence croissante de pays comme la Chine et la Turquie.

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Les conflits arméno-azerbaïdjanais et kirghizo-tadjiks montrent comment un affaiblissement de l'influence russe pourrait entraîner davantage de violence et de souffrance dans le Caucase du Sud et en Asie centrale. À long terme, cependant, l'affaiblissement du pouvoir russe pourrait ouvrir la voie à l'émergence d'États plus forts et plus stables dans ces régions, car les élites régionales devront assumer davantage de responsabilités pour résoudre leurs propres problèmes. Le pluralisme géopolitique émergent de la région donnera également aux petits États eurasiens une plus grande liberté d'action, car ils pourront choisir entre une multitude de partenaires extérieurs. Ils bénéficieraient de la possibilité d'obtenir une part plus importante des revenus du commerce et du transit, ainsi que d'éventuels investissements dans leurs secteurs énergétiques.

L'influence croissante de la Chine et de la Turquie ne sera probablement pas particulièrement libérale et ne contribuera guère, à elle seule, à résoudre les nombreux problèmes de gouvernance dans la région. Cependant, la faiblesse de la Russie crée également une opportunité que des acteurs plus libéraux tels que les États-Unis et l'Union européenne peuvent exploiter, d'autant plus que la génération d'élites post-soviétiques se retire progressivement de la scène. Aujourd'hui encore, alors que les États-Unis et leurs alliés s'efforcent d'aider l'Ukraine à vaincre l'invasion russe, ils devraient également réfléchir à la manière d'encourager davantage les petits États eurasiens à sortir progressivement de l'ombre de la Russie. La poursuite des investissements, les partenariats avec la société civile et le développement de mécanismes de coopération régionale peuvent tous jouer un rôle essentiel pour que l'Asie centrale devienne plus démocratique et plus sûre après la défaite de la Russie" [xv].

Ce message clairement invraisemblable mais politiquement émouvant a été écrit dans la première moitié d'octobre 2022. Évidemment, les analystes et les politologues américains continuent à émettre des "prédictions" similaires avec les résultats qu'ils souhaitent pour eux-mêmes.

Dans le même temps, de nombreux centres traitant des questions relatives à l'Eurasie ont été créés aux États-Unis même. Il existe des unités structurelles au sein du SCRS et de la RAND Corporation. Le Centre pour l'Eurasie, basé à Washington [xvi], a lancé une série de programmes allant de l'Université de l'Eurasie à la Coalition des entreprises de l'Eurasie [xvii].

Il ne faut pas se faire d'illusions sur le fait que les États-Unis et l'Occident vont devenir complaisants et cesser de poursuivre activement les pays individuels d'Asie centrale et du Caucase du Sud ainsi que l'intégration eurasienne comme cible de leurs opérations. Au contraire, leurs actions ne feront que s'intensifier, ce que Mankoff propose de faire.

Le budget américain pour 2023 prévoit 59,7 milliards de dollars de dépenses pour les opérations à l'étranger et les programmes connexes. Sur ce montant, 6,8 milliards de dollars sont destinés aux besoins humanitaires, où est désigné "l'impact global de l'agression russe en Ukraine". Un autre montant de 2,5 milliards est répertorié comme un fonds humanitaire supplémentaire. 2,9 milliards d'euros iront à la promotion de la démocratie. L'USAID recevra 2,1 milliards de dollars pour poursuivre de telles fins.

Un total de 500 millions de dollars et 350 millions de dollars supplémentaires sont alloués à divers programmes visant à soutenir les partenaires américains en Europe de l'Est, en Eurasie et en Asie centrale. En outre, 300 millions de dollars sont transférés au Fonds d'influence anti-russe (un fonds similaire pour la Chine s'élève à 350 millions de dollars) [xviii].

La Russie doit se préparer aux défis à venir et non seulement réagir aux actions des pays inamicaux, mais aussi anticiper leurs tentatives de provocation visant à perturber l'intégration eurasienne.

Notes:

[i]               Pedro Sánchez Herráez. Asia Central, el disputado puente entre Asia y Europa. 07/10/2022

                https://www.ieee.es/Galerias/fichero/docs_analisis/2022/D...

[ii]              Contessi, Nicola P., “Central Asia in Asia: charting growing trans-regional linkages”, Journal of Eurasian Studies, volume 7 nº 1, Jan 2016, pp 3-13. http://ac.elscdn.com/S1879366515000329/1-s2.0-S1879366515...

[iii]             https://www.ceps.eu/ceps-publications/turkeys-eurasian-am...

[iv]            https://www.mfa.gov.tr/yeniden-asya-girisimi.tr.mfa

[v]             https://www.tccb.gov.tr/en/news/542/133467/-we-are-changi...

[vi]            https://caspiannews.com/news-detail/kazakhstan-approves-m...

[vii]           https://eurasianet.org/kazakhstan-seals-deal-to-produce-t...

[viii]       https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/IP_...

[ix]            https://www.maersk.com/news/articles/2022/05/16/maersk-la...

[x]             http://www.traceca-org.org/en/home/

[xi]            Парамонов В.В., Строков А.В., Абдуганива З.А. (под общей редакцией и руководством Парамонова В.В.). Влияние Европейского Союза на Центральную Азию: обзор, анализ и прогноз. – Алматы: Фонд им.Фридриха Эберта, 2017. С. 1.

[xii]           Richard Youngs. Is ‘hybrid geopolitics’ the next EU foreign policy doctrine?

                http://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2017/06/19/is-hybrid-ge...

[xiii]          https://www.geopolitika.ru/article/novyy-shelkovyy-put-i-...

[xiv]          https://www.geopolitika.ru/article/gibridnaya-biologiches...

[xv]           https://warontherocks.com/2022/10/as-russia-reels-eurasia...

[xvi]          https://www.eurasiacenter.org/

[xvii]         https://www.usebc.org/

[xviii]        https://appropriations.house.gov/sites/democrats.appropri...

lundi, 14 novembre 2022

Le choc épochal entre l'Occident et l'Eurasie

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Le choc épochal entre l'Occident et l'Eurasie

Luciano Lago

Source: https://www.geopolitika.ru/it/article/lo-scontro-epocale-occidente-versus-eurasia

La succession rapide des événements cruciaux se fait à un rythme soutenu, jour après jour en Europe, et la possibilité d'une confrontation directe entre l'Occident dirigé par les Anglo-Américains et la Russie semble inévitable après les attaques en Crimée menées, comme cela semble confirmé, par les forces spéciales britanniques. La Russie a promis une réponse aux actions secrètes de la Grande-Bretagne, notamment celle que constitue sabotage des gazoducs Nord Stream dans la Baltique, effectué par les forces spéciales sous-marines de la Royal Navy britannique.

D'après les dernières informations ayant fuité dans les cercles du Pentagone, il semble que la manœuvre que Washington prépare consiste à mettre sur pied une force multinationale extra-OTAN qui sera utilisée en Ukraine pour attaquer la Russie sur son territoire. Cette proposition a été avancée par l'ancien chef d'état-major américain David Petraeus et tout porte à croire qu'elle a été acceptée par les cercles du Pentagone pour éviter une défaite en Ukraine. Comme l'avait déclaré le Secrétaire de l'OTAN, M. Stoltenberg, une défaite en Ukraine serait une défaite pour l'OTAN et aurait des conséquences fatales pour l'Alliance.

Toute la question réside dans les objectifs ultimes de l'entreprise, qui sont extrêmement vagues. Quel devrait être le résultat ? Serait-ce d'expulser les forces russes d'Ukraine, de renforcer les défenses ukrainiennes et de parvenir à un cessez-le-feu avec une post-transition pour maintenir une position forte dans les négociations ?

On ne sait pas encore comment les États-Unis se positionneraient dans cette coalition, étant donné que, s'ils y sont, la Russie déterminera qui en prend la tête dans un avenir immédiat et agira en conséquence.

On peut s'attendre à ce que Moscou réponde à la menace en se concentrant sur la destruction de la structure militaire américaine, y compris le commandement spatial, le centre de commandement et de contrôle, le renseignement et la surveillance. L'initiative occidentale semble donc comporter des risques de déclencher un conflit majeur dont l'issue serait impossible à prévoir. Les États-Unis ont besoin de ce stratagème pour des raisons politiques ou veulent simplement transférer une partie de la responsabilité et de l'engagement à leurs alliés, tandis que la question se pose de savoir comment les forces américaines et alliées pourront protéger les nombreuses voies de transport, les aéroports et les bases en Europe contre les attaques des forces russes. En outre, dans ce type d'opération, il est nécessaire de préciser dans quelle mesure le risque est justifié ; le manque de clarté sur l'objectif spécifique peut avoir de graves conséquences.

Il n'est pas difficile de prévoir quelle serait la réaction de la Russie si sa sécurité était menacée, et l'utilisation d'armes nucléaires tactiques ne peut être exclue dans ce cas, conformément à la doctrine militaire russe.

D'autre part, les États-Unis ne peuvent accepter une nouvelle débâcle en Ukraine qui les exposerait à une perte de prestige et de leadership auprès des alliés et à la possibilité d'une rupture de l'Alliance atlantique. Par conséquent, Washington serait prêt à prendre le risque d'un conflit direct avec la Russie, qui a jusqu'à présent été reporté. Cela explique pourquoi le haut commandement du Pentagone y voit une issue possible à l'impasse.

Le conflit imminent entre l'OTAN et la Russie découle d'un contraste entre les deux parties, l'Occident dirigé par les Anglo-Américains et la Russie, qui n'est pas seulement géopolitique et militaire, mais aussi par essence un contraste idéologique et systémique. L'opposition se situe entre le monde occidental arc-bouté sur le totalitarisme libéral-mondialiste et les pays qui veulent garder leur souveraineté et leur identité nationale intactes, refusant de se soumettre aux règles dictées par les États-Unis et leurs alliés.

Le président Biden et son secrétaire d'État Antony Blinken ont tenté à plusieurs reprises de qualifier ce contraste de "division entre les démocraties et les autocraties". En réalité, cette terminologie relève d'un double langage typiquement orwellien.

Par "démocraties", les propagandistes de Washington entendent les États-Unis et les oligarchies financières occidentales qui sont ses alliées. Leur objectif est de centraliser la planification économique entre les mains de gouvernements élus par Wall Street et par d'autres centres financiers sous contrôle américain.

Sous la couverture rhétorique des exposants américains, par "autocraties", Biden et Blinken entendent les pays qui résistent à cette prise de contrôle visant la financiarisation et la privatisation. Dans la pratique, la propagande américaine accuse la Russie et la Chine d'être des régimes autocratiques dans la régulation de leurs propres économies et la promotion de leur propre croissance économique et de leur niveau de vie, c'est en particulier la cas de la Chine dans le maintien de la finance et de la banque comme services publics pour soutenir l'économie réelle de production et de consommation.

Il est bien connu que les diplomates américains utilisent les organismes supranationaux qu'ils contrôlent, tels que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, pour appeler sans cesse à la privatisation des infrastructures, des entreprises minières et des sociétés de services du monde entier, et pour rendre les pays émergents dépendants des exportations de technologies, de pétrole et de nourriture par l'intermédiaire des multinationales américaines.

Cette approche est appelée "démocratie libérale" et "société ouverte" mais elle cache en réalité une forme de néocolonialisme déguisé imposé par la pression économique, le chantage et les menaces de sanctions pour les gouvernements qui ne se conforment pas.

Tout se résume à la fracture entre la vision unipolaire du monde par les Etats-Unis et la vision multipolaire vers laquelle tendent non seulement la Russie et la Chine, mais aussi l'Inde et une série de pays des différents continents qui adhèrent à ce nouveau bloc émergent organisé dans les BRICS et l'accord de Shanghai. Des accords qui unissent une majorité de pays dans le monde, marquant le détricotage de l'ordre mondial préfiguré par les Etats-Unis et ses vassaux.

Ce qui se passe en ce moment historique est un tournant historique qui suggère qu'il sera impossible de revenir en arrière, alors que nous assistons au démantèlement, pièce par pièce, de l'ancien système et de l'ordre mondial qui était fondé sur la suprématie impériale des États-Unis.

Ce sont les mois à venir qui détermineront si le tournant sera pacifique ou si le monde sera soumis à un conflit majeur suite aux initiatives de la puissance anglo-saxonne qui ne se résigne pas au changement et au nouvel équilibre des forces.

mardi, 01 novembre 2022

Les rivalités entre grandes puissances en Eurasie

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Les rivalités entre grandes puissances en Eurasie

Shane Quinn

Source: https://www.geopolitika.ru/en/article/major-power-rivalries-eurasia

Le "programme pour la liberté" du président George W. Bush pourrait être défini comme de la subversion, c'est-à-dire la tentative de saper la structure d'une nation étrangère afin d'obtenir un changement de régime ou certains objectifs politiques. La propagande est un élément central des actions subversives, et comprend la diffusion de matériel largement faux afin de discréditer des régimes à l'étranger.

Ce fut le cas il y a 20 ans, lors de la préparation de l'invasion de l'Irak par les États-Unis en mars 2003, lorsque Saddam Hussein a été accusé à tort de posséder des armes de destruction massive (ADM) ou d'avoir des liens avec Al-Qaïda. La propagande peut être diffusée assez facilement par les médias corporatifs occidentaux, comme on l'a vu à propos de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Serbie, etc.

Les organisations américaines comme la National Endowment for Democracy (NED), le National Democratic Institute (NDI), l'USAID, Freedom House, les groupes Open Society de George Soros et, bien sûr, la CIA, sont également très utiles pour attiser les troubles.

Nombre de ces organisations ont soutenu et financé les "révolutions de couleur" qui ont eu lieu dans des États tels que la Géorgie (2003), l'Ukraine (2004) et le Kirghizstan (2005). Ces pays partagent une frontière avec la Russie ou sont d'anciennes républiques soviétiques, et ce n'est pas une coïncidence. Les révolutions de couleur étaient, tout simplement, un moyen commode pour l'administration Bush de poursuivre sa politique d'encerclement de la Russie.

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Par exemple, en février 2005, le Wall Street Journal a reconnu que, dans l'État d'Asie centrale du Kirghizstan, des organisations comme l'USAID, la NED et l'Open Society de Soros finançaient l'opposition antigouvernementale dans cet État, un instigateur clé de la "révolution des tulipes" du Kirghizstan. Au cours des années précédentes, la seule USAID avait dispensé des centaines de millions de dollars pour de telles activités. Des Etats comme le Kirghizstan ont été identifiés par le président Bush comme importants non seulement pour empiéter sur la Russie, mais aussi comme rampe de lancement pour les offensives militaires américaines.

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À partir de décembre 2001, les Américains ont commencé à arriver au Kirghizstan, utilisant la capitale Bishkek comme centre logistique pour soutenir leur invasion de l'Afghanistan. Washington tente également d'accroître sa présence dans les régions très convoitées de la mer Caspienne et de la mer Noire, ainsi que dans les zones environnantes que se disputent encore la Russie et les puissances occidentales.

Malgré l'ingérence de Washington dans des territoires comme l'Ukraine et la Géorgie, les Américains ne souhaitaient pas particulièrement semer l'instabilité dans l'État du Caucase du Sud qu'est l'Azerbaïdjan, une autre ancienne république soviétique qui borde la Géorgie au nord. En Azerbaïdjan, les Américains avaient besoin d'un environnement stable, car ils avaient des intérêts dans l'infrastructure pétrolière reliant les champs de production de Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, au port méditerranéen en eau profonde de Ceyhan, dans le sud de la Turquie, qui pouvait recevoir des pétroliers transportant chacun plus de 300.000 tonnes de pétrole.

Bakou avait fourni à la Russie soviétique au moins 80 % de la totalité de son pétrole pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a été crucial dans la victoire de l'Armée rouge contre l'Allemagne nazie. Aujourd'hui, l'Azerbaïdjan contient encore des quantités considérables de pétrole, et son importance stratégique reste évidente. L'Azerbaïdjan partage un vaste littoral avec la mer Caspienne, tandis qu'il constitue une route énergétique vitale reliant le Caucase et l'Asie centrale, comme l'avait souligné Zbigniew Brzezinski lorsqu'il était conseiller américain à la sécurité nationale (1977-81). Plutôt que de dépêcher des soldats américains pour sauvegarder les objectifs de Washington en Azerbaïdjan, le Pentagone a envoyé des "entrepreneurs civils" de sociétés militaires privées comme Blackwater. L'un de leurs principaux objectifs était de protéger les gisements de pétrole et de gaz de la mer Caspienne, contrôlés historiquement par la Russie dans la plus large mesure.

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La mer Caspienne, le plus grand lac de la planète, est extrêmement riche en ressources naturelles et "est l'une des plus anciennes zones de production de pétrole au monde" et "une source de plus en plus importante de la production énergétique mondiale", selon l'Administration américaine d'information sur l'énergie (EIA). L'EIA a estimé en 2012 que la mer Caspienne et ses environs contiennent des quantités prouvées de pétrole de 48 milliards de barils, soit plus que ce qui est présent en Amérique ou en Chine. L'US Geological Survey a calculé que les réserves réelles de pétrole de la Caspienne sont nettement supérieures aux quantités prouvées, contenant peut-être 20 milliards de barils supplémentaires de pétrole non découvert.

En 2012, la région de la Caspienne a produit, en moyenne, 2,6 millions de barils de pétrole brut par jour, soit environ 3,4 % de l'offre mondiale. Une grande partie du pétrole est extraite près des côtes de la Caspienne. Au total, la production de pétrole de la Caspienne aurait dépassé celle de la mer du Nord, et les forages pétroliers exploratoires dans cette dernière étendue d'eau ont chuté de 44 puits en 2008 à seulement 12 en 2014. Pourtant, il existe encore 16 milliards de barils de pétrole récupérables au large des côtes de la ville écossaise d'Aberdeen et à l'ouest des îles Shetland, plus au nord.

La US Energy Information Administration a estimé que la mer Caspienne contient des "réserves probables" de 292 trillions de pieds cubes de gaz naturel. L'US Geological Survey pense qu'en plus de cela, il y a 243 trillions de pieds cubes supplémentaires de gaz non découvert dans la Caspienne, dont la plupart sont situés dans le bassin sud de la Caspienne. La Russie et son voisin le Kazakhstan ont contrôlé la plus grande partie de la Caspienne.

Lors du quatrième sommet de la Caspienne, qui s'est tenu à Astrakhan, en Russie, le 29 septembre 2014, les cinq nations qui partagent une côte avec la mer Caspienne - la Russie, l'Iran, l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan - ont décidé à l'unanimité qu'elles préserveraient la sécurité de la région et l'empêcheraient d'être pénétrée par des puissances extérieures. Cet accord visait à protéger le cœur de l'Eurasie contre l'OTAN expansionniste, c'est-à-dire en fait les États-Unis, dont la présence militaire a été considérablement réduite ces dernières années en Asie centrale.

L'accord conclu, lors du quatrième sommet de la Caspienne, a fermé la mer Caspienne aux desseins du président Barack Obama. Les États-Unis auront du mal à progresser dans une région où ils entretenaient auparavant des relations étroites avec l'Azerbaïdjan, le Turkménistan et le Kazakhstan depuis l'attaque militaire de 2001 contre l'Afghanistan, soutenue par les pays de l'OTAN (Allemagne, Grande-Bretagne, Italie et Canada). Les États-Unis avaient déformé le rôle de l'OTAN pour en faire un instrument militaire offensif à la portée étendue. L'une des ambitions de Washington était d'assurer une présence à cheval sur les chaînes de montagnes de l'Hindu Kush et du Pamir en Asie centrale et du Sud, ainsi que dans le Caucase.

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En mai 2005, le président Bush avait visité la capitale géorgienne Tbilissi, après avoir déclaré que la Géorgie était devenue un "phare de la liberté". Bush considérait que le contrôle du Caucase du Sud et de l'Asie centrale était vital pour obtenir la victoire en Afghanistan, plus à l'est. La Maison Blanche de Bush avait obtenu des bases militaires américaines en Asie centrale, comme dans le sud de l'Ouzbékistan, non loin du Tadjikistan, et la base aérienne de Manas dans le nord du Kirghizstan.

Washington a tenté de positionner sa puissance militaire au centre de l'Eurasie, notamment en Géorgie et en Azerbaïdjan, d'où les troupes de l'OTAN pourraient être envoyées en Afghanistan et en Irak. Les bases militaires américaines en Géorgie serviraient d'appui aux bases du Pentagone en Turquie, à courte distance de la Géorgie ; tandis qu'une présence militaire américaine en Azerbaïdjan donnerait à l'administration Bush la possibilité de lancer une attaque contre l'Iran, ce qui a longtemps été évoqué à Washington.

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La plupart des élites américaines ont depuis compris qu'une invasion de l'Iran serait très risquée et aurait peu de chances de réussir. L'armée américaine n'a pas réussi à vaincre l'Irak, un pays beaucoup plus petit et plus faible que l'Iran. En effet, l'Irak, une nation largement sans défense, avait été sévèrement minée par des années de sanctions occidentales avant l'offensive anglo-américaine de 2003.

L'intervention militaire russe réussie de 2008 en Géorgie a rappelé à l'Occident que le Caucase, tout comme les environs de la mer Noire et de la Caspienne, fait partie de la sphère d'influence de la Russie. Moscou ne permettrait pas aux Américains de poursuivre leur expansion. Parmi les ex-républiques soviétiques, la Géorgie s'était alignée le plus étroitement sur les États-Unis, après la "révolution des roses" de fin 2003, qui avait été soutenue par le Pentagone et financée par des groupes liés au gouvernement américain (NED, Freedom House, etc.) et l'Open Society du milliardaire Soros.

L'attaque géorgienne infructueuse de 2008 contre l'Ossétie du Sud a été planifiée par le régime de Mikhail Saakashvili, soutenu par les États-Unis - seulement après que l'administration Bush ait sanctionné l'action militaire - selon l'ancien ambassadeur de Géorgie en Russie, Erosi Kitsmarishvili, qui a fourni ce témoignage au parlement géorgien. Le vice-président américain Dick Cheney a également informé le dirigeant géorgien Saakashvili que "vous avez notre soutien", en cas de conflit entre la Russie et la Géorgie. Il s'est avéré que les Américains ne pouvaient pas faire grand-chose.

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On peut rappeler que l'Union soviétique n'avait pas été battue militairement par les Etats-Unis. Au début du 21ème siècle, la Russie comptait 1,2 million de soldats dans ses forces armées et possédait 14.000 ogives nucléaires, dont 5.192 étaient opérationnelles. Les Etats-Unis, quant à eux, possédaient 9.962 ogives nucléaires en 2006, dont 5.736 étaient opérationnelles, et l'armée américaine comptait 1,3 million de membres actifs. Il n'y a pas beaucoup de disparité entre ces chiffres et la Russie possède plus que suffisamment d'armement pour rivaliser avec l'Amérique.

Le président Bush, comme son prédécesseur Bill Clinton, a continué à provoquer inutilement la Russie. Peu après son entrée en fonction en 2001, Bush a retiré les Etats-Unis du traité sur les missiles antibalistiques (ABM) qui avait été signé en 1972 avec l'Union soviétique, afin de mettre en place le système de défense antimissile et de réduire ainsi la menace de guerre nucléaire.

Bush a poursuivi ses actions dangereuses en établissant une infrastructure de missiles dans les États de l'OTAN, la Pologne et la République tchèque, et a conduit l'OTAN aux frontières de la Russie en incorporant les États baltes dans l'organisation militaire. Bush a refusé de ratifier le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (1996) ainsi que les modifications apportées à l'accord SALT 2 sur la réduction des armements stratégiques.

Cependant, la Russie n'a pas pu être soumise comme l'a été l'Allemagne, car le sol de la Russie n'a jamais été capturé par des puissances étrangères, comme l'a été le territoire allemand à partir de 1945. Contrairement à l'Allemagne également, la Russie est un État riche en ressources, situé dans une zone pivot de l'Eurasie. La Russie a la capacité d'utiliser son influence, en outre, pour dicter des accords commerciaux avec l'Union européenne concernant d'importantes livraisons de pétrole et de gaz. Les Européens sont beaucoup plus dépendants des Russes que l'inverse.

La Russie s'est renforcée sur le plan interne après les bouleversements des années 1990. En 1998, plus de 35 % des Russes vivaient sous le seuil de pauvreté ; mais en 2013, ce chiffre avait été ramené à 11 %, un chiffre inférieur à celui des États-Unis où au moins 15 % des Américains étaient frappés par la pauvreté en 2014.

La Russie a bénéficié des prix élevés du pétrole et du gaz sur le marché international, et sa croissance industrielle a fortement augmenté. Les investissements nationaux et étrangers de la Russie ont également augmenté, notamment dans l'industrie automobile, qui a progressé de 125 %, tandis que le PIB du pays a augmenté de 70 %, plaçant la Russie parmi les plus grandes économies du monde.

Notes:

Administration américaine d'information sur l'énergie, "La production de pétrole et de gaz naturel augmente dans la région de la mer Caspienne", 11 septembre 2013.

Andrew Cockburn, "The Bloom Comes Off the Georgian Rose", Harper's Magazine, 31 octobre 2013

Wall Street Journal, "In Putin's backyard 'democracy' stirs - with U.S. help", 25 février 2005.

Luiz Alberto Moniz Bandeira, The World Disorder : Hégémonie américaine, guerres par procuration, terrorisme et catastrophes humanitaires (Springer ; 1ère éd., 4 fév. 2019)

Guardian, "Bush hails Georgia as 'beacon of liberty'", 10 mai 2005.

Administration américaine d'information sur l'énergie, " Aperçu du pétrole et du gaz naturel dans la région de la mer Caspienne ", 26 août 2013.

Daily Telegraph, "North Sea oil production rises despite price fall", 3 août 2015

PBS, "Who counts as poor in America ?", 8 janvier 2014