Pentti Linkola est mort le 5 avril 2020 à l’âge de 87 ans dans la ville de Valkeakoski au Sud-Ouest de la Finlande. Né le 7 décembre 1932 à Helsinki, ce Finlandais de langue finnoise (le suédois étant l’autre langue véhiculaire du pays) est un ornithologue renommé, un naturaliste réputé, un essayiste salué, un polémiste redouté et un contempteur farouche de la modernité.
Fils du recteur de l’Université d’Helsinki, le botaniste et phytogéographe Kaarlo Linkola, Kaarlo Pentti Linkola n’a que neuf ans à sa mort. Sa mère et lui doivent quitter le logement de fonction. Il connaît alors une vie pauvre interrompue par des séjours fréquents dans la ferme de son grand-père. Il y apprend la vie en plein air.
Bon élève, Pentti Linkola suit une première année universitaire en botanique et en zoologie avant d’y renoncer. Il préfère étudier la nature en autodidacte, d’où sa réticence notoire à l’égard de la scolarité obligatoire et de tout enseignement formel. Il devient pêcheur professionnel. Assez dépité par les règlements européens, il prend sa retraite en 1995. Marié de 1961 à 1975, il a deux filles. En 2014, les lecteurs du Helsingin Sanomat, un grand quotidien finlandais, en font par leur vote le quatrième trésor national. En 1995, il lança la Fondation finlandaise du patrimoine local dans le dessein de préserver les dernières forêts primitives du pays. Aujourd’hui, cette association qui a changé de nom sauvegarde 2 600 hectares de forêts.
Une personnalité reconnue et récompensée
Homme scrupuleux qui tient chaque jour le registre de ses dépenses et de ses recettes, Pentti Linkola vit d’une manière austère sans l’électricité qu’il vomit. Ce n’est cependant pas un ermite. Ravi de raconter de nombreuses anecdotes à ses visiteurs, il sait se monter sociable et plein d’humour. En 1973, le ministre de l’Éducation et de la Culture lui décerne le Prix de l’Information publique. En 1983, il reçoit le prix littéraire Eino-Leine pour son Journal d’un dissident dans lequel il rend pourtant hommage à deux membres de la Fraction Armée rouge (RAF) ouest-allemande, Andreas Baader et Ulrike Meinhof. En 1990, on lui attribue le prix Lauri-Jäntti pour son Introduction à la philosophie des années 1990.
Grand admirateur de l’éco-terroriste étatsunien Unabomber alias Theodore Kaczynski, Pentti Linkola estime qu’« une minorité ne peut jamais avoir un autre moyen d’influencer le cours des événements à part l’usage de la violence ». Il assène cette vérité dérangeante à l’occasion d’une réunion des Verts à Turku en 1985. Têtes ahuries des Cécile Duflot et autres Yannick Jadot locaux. Il écrira plus tard que « la différence entre un terroriste et un combattant de la liberté est une question de perspective : cela dépend entièrement de l’observateur et du verdict de l’histoire ». Un point de vue entériné par les faits. D’abord terroristes, les responsables du FLN algérien ou de l’ANC sud-africaine ont ensuite occupé les ministères.
Pentti Linkola intervient chez les Verts en tant qu’écologiste résolu. Il l’est, mais sa conviction écologique achoppe vite avec celle des Verts qu’il critique durement. « La composition des Verts, dit-il ce jour-là, semble être la même que celle de la population en général – principalement des morceaux de bois à la dérive, des gens qui ne pensent jamais. » Quelques heures après sa disparition, l’actuel ministre Vert des Affaires étrangères, Pekka Haavisto, déclare qu’« il a influencé la pensée de nombreuses générations et peut-être que son absolu pour la nature restera son héritage ». Au cours de ce discours mémorable, il dénonce l’importation de nourriture, critique l’usage de l’électricité et soutient la production thermique par la combustion de bois. Biologique, sa vision conçoit l’homme comme une espèce animale parmi les autres espèces. C’est un des tout premiers animalistes !
Favorable à une écologie profonde et survivaliste, il assume des positions radicales anti-humanistes. « Dans l’histoire de l’humanité, nous assistons au combat désespéré de la Nature contre une erreur de sa propre évolution », à savoir l’être humain. Dès 1992, il affirme que « le pire ennemi de la vie est l’excès de vie, l’excès de vie humaine ». Ses détracteurs le qualifient de théoricien de l’« éco-fascisme ». En 1960, ce sous-officier de l’armée finlandaise s’affirmait pourtant pacifiste et objecteur de conscience dans un ouvrage auto-édité, Pour la patrie et l’homme mais pas contre personne. L’écologiste franco-britannique Édouard Goldsmith, fondateur de la revue The Ecologist (L’Écologie est sa version française), se présentait toujours comme un « conservateur paléolithique ». Favorable à la renaissance de sociétés agricoles et rurales, Pentti Linkola appartiendrait plutôt selon les critères de la médiasphère politiquement correcte aux réactionnaires du Paléolithique supérieur.
Contre le Progrès, l’égalité et le surpeuplement
Très hostile au christianisme en général et au catholicisme en particulier, il dénonce plus largement la croyance rationaliste dans le Progrès. « La foi la plus centrale et la plus irrationnelle parmi les gens est la foi en la technologie et en la croissance économique. Ses prêtres croiront jusqu’à leur mort que la prospérité matérielle apporte la joie et le bonheur – même si toutes les preuves dans l’histoire ont montré que seule la frustration rend une vie digne d’être vécue, que la prospérité matérielle n’apporte rien d’autre à part le désespoir. Ces prêtres croiront encore à la technologie lorsqu’ils s’étoufferont dans leurs masques à gaz. » Il se prononce pour un néo-malthusianisme radical, décroissant et eugéniste. On pourrait penser qu’il verse dans une forme de nihilisme, surtout quand il assure devant un auditoire Vert médusé que « tout ce que nous avons développé durant les cent dernières années devrait être détruit ».
Son approche de l’humain encastré dans le monde du Vivant contribue à une certaine osmose de soi avec son environnement naturel immédiat. « Ne voyez-vous pas que l’homme n’est pas une fourmi ou une abeille – autant que des liens avec d’autres gens, il a besoin de solitude et de paix, d’obscurité et de silence pour pouvoir vivre une vie équilibrée ? » Svelte et énergique, lui qui prend soin de sa forme physique s’inquiète de l’obésité généralisée : « Avoir des milliards de gens d’un poids supérieur à 60 kilos sur cette planète est de la témérité. »
Pentti Linkola réclame la désindustrialisation globale ainsi que la sortie du capitalisme et de la société de consommation. Il exige par ailleurs l’arrêt de toute immigration, l’euthanasie pour les déficients et la fin des aides financières à un Tiers Monde en croissance démographique exponentielle. Il récuse enfin cette idée folle et meurtrière qu’est l’égalité. « Comment peut-on penser si stupidement que la vie humaine a la même valeur et la même humanité, la même moralité, indépendamment du nombre ? Il me semble clair que chaque fois qu’un nouvel enfant naît, la valeur de chaque humain dans le monde diminue légèrement. Il me semble évident que la moralité de l’explosion de population est complètement différente de celle de l’époque où l’homme était une espèce clairsemée et noble à ses débuts. » Son point de vue se rapproche de la vision de Julius Evola, lui aussi fort critique envers la politique nataliste du Ventennio fasciste. Dans son dernier entretien du 4 février 2020 avec Erkki Kiviemi pour le site Kulttuuritoimitus, il estime que « le coronavirus peut ralentir légèrement la destruction de la terre, mais une fois vaincu, le même mode de vie continuera. Tant que le progrès économique et le développement sont des objectifs humains clés, sauver la planète est perdue ».
Il ne cesse de rechercher une sérénité intérieure ravagée par « l’homme, homo destructivus, [qui] a toujours détruit les conditions de vie au maximum, dans la mesure où le permet la technologie de l’époque ». Dans Les rêves d’un monde meilleur (1972), il s’attaque au mode de vie occidentale et à l’exploitation accélérée des ressources naturelles. Il ne cesse jamais de dénoncer les États-Unis d’Amérique qui « symbolisent les pires idéologies dans le monde : croissance et liberté ». Il perçoit l’entité yankee d’une extrême justesse comme « l’État le plus misérablement infâme de tous les temps. Quiconque est conscient des questions mondiales peut facilement imaginer combien la haine envers les États-Unis – une entité politique corrompue, bouffie d’orgueil, paralysante et suffocante – doit être immense dans tout le Tiers Monde, et parmi la minorité pensante de l’Occident aussi ».
Un engagement politique radical
Considérant la démocratie moderne comme un despotisme ploutocratique et une « religion de la mort », cet anti-populiste assumé avance en 1999 que « notre seul espoir réside dans un gouvernement central fort et un contrôle inflexible du citoyen individuel ». Ses propositions politiques s’apparentent à la trilogie uchronique, L’Altermonde, du romancier français Jean-Claude Albert-Weil. Pentti Linkola juge que « n’importe quelle dictature serait meilleure que la démocratie moderne. Il ne peut y avoir de dictateur assez incompétent pour montrer plus de stupidité qu’une majorité populaire. La meilleure dictature serait celle où les têtes rouleraient en grand nombre et où le gouvernement empêcherait toute croissance économique ». Ce gouvernement dictatorial de salut éco-national fermerait de manière unilatérale ses frontières et ordonnerait aux gardes-frontières de tirer sur tous ceux qui tenteraient de les franchir dans un sens ou dans un autre. « Que faire, lorsqu’un navire transportant une centaine de passagers chavire soudain et qu’il n’y a qu’un seul canot de sauvetage ? Quand le canot de sauvetage est plein, ceux qui haïssent la vie tenteront de le charger avec plus de gens et le feront couler. Ceux qui aiment et respectent la vie prendront la hache du canot et couperont les mains en trop qui s’accrochent aux flancs du canot. » Cette réflexion de bon sens est plus que valable à l’heure du néo-matriarcat féministe. Au discriminatoire « Les femmes et les enfants d’abord » s’applique désormais le « Chacun pour soi ».
Pour mettre en pratique ce programme, a-t-il eu l’intention de s’emparer du mouvement Vert finlandais ? Dans son discours de Turku, il lance que « nous devrons […] apprendre de l’histoire des mouvements révolutionnaires – les nationaux-socialistes, les staliniens finlandais, les nombreuses étapes de la révolution russe, les méthodes des Brigades Rouges – et oublier nos égos narcissiques » avant de prévenir que « nous devrons former une organisation très stricte et disciplinée avec une politique clairement définie et astreignante, et de préférence avec des signes extérieurs uniformes. [Le membre] doit apprendre à endurcir son cœur si nécessaire. Nous devrons apprendre à ignorer les intérêts mineurs au profit des intérêts supérieurs. Nous devrons apprendre à être craints et haïs. […] Le mot “ doux ” doit être effacé du vocabulaire des Verts une fois pour toutes. […] [Nous avons besoin] d’une élite stricte avec une forte figure de leader ». Sa franchise incite ses « camarades » environnementalistes à s’écarter de lui. Quelle bande de crétins « escrologistes » !
Pentti Linkola a écrit une dizaine d’ouvrages dont un traduit en anglais, La Vie peut-elle prévaloir ? Une approche radicale de la crise environnementale, publié par Arktos Media. C’est grâce à Rodolphe Crevelle et aux anarcho-royalistes du Lys noir que le public de langue française découvre au début des années 2010 ce maître de l’écologie réelle. Hyper-réaliste et favorable au déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale, si possible nucléaire, qui « serait une heureuse occasion pour la planète », il avertit ses congénères que « nous avons encore une chance d’être cruels. Mais si nous ne sommes pas cruels aujourd’hui, tout est perdu ». Par cette assertion de bon sens, Pentti Linkola représente vraiment le contraire de l’égérie médiatique bien-pensante, la Suédoise Greta Thunberg. Raison supplémentaire pour saluer le retour à la terre d’une figure altière de l’écologie concrète.
Georges Feltin-Tracol.