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samedi, 22 mars 2014

1914 : Caillaux, l’homme qui n’aimait pas la guerre

1914 : Caillaux, l’homme qui n’aimait pas la guerre

 

par Dominique Jamet
 
Ex: http://www.bvoltaire.fr
 
La France s’apprête à célébrer le centenaire du plus grand attentat-suicide de son histoire.

 

 

 

 

 

1313385-Joseph_Caillaux.jpgEn ce début 2014, la France s’apprête à célébrer le centenaire du plus grand attentat-suicide de son histoire, de l’immense, de la monstrueuse, de l’imbécile tuerie de masse qui marqua le début de son déclin et la fin de l’hégémonie européenne sur le monde. De pieux discours, des cérémonies devant les monuments aux morts, des défilés, des reconstitutions, des livres et des films commémoreront le sacrifice de notre jeunesse, l’héroïsme de nos poilus, la gloire de nos grands-pères, et l’on rendra l’hommage rituel, sinon aux « grands chefs » de nos armées qui n’ont plus tellement la cote, du moins aux deux principaux fauteurs français de l’hécatombe : Poincaré, qui présida à la déclaration de guerre, Clemenceau qui, avec une obstination sénile, la fit jusqu’au bout avec le sang des autres et concourut, avec le traité de Versailles, à mettre au point le détonateur de l’explosion à venir.

C’est à Sarajevo, comme on sait, que furent tirés par un nationaliste serbe les trois coups de feu qui donnèrent le signal du départ aux chevaux de l’Apocalypse qui piaffaient d’impatience dans leurs starting-blocks peints aux différentes couleurs nationales. Mais l’écho s’est perdu dans le tumulte des événements, des cinq coups de revolver qui, tirés par une femme au siège d’un grand quotidien parisien, préludèrent à l’hécatombe, et Le Figaro – puisque c’est de ce journal, toujours vivant, qu’il s’agit – a omis, ces jours derniers, d’évoquer et même de mentionner l’assassinat de son directeur d’alors, Gaston Calmette, par Mme Caillaux.

Lorsque l’épouse de Joseph Caillaux, qui est le tout-puissant ministre des Finances et l’homme fort du cabinet Doumergue, tire sur le journaliste, elle entend simplement – si l’on peut dire – mettre un terme à la campagne féroce que celui-ci mène depuis trois mois contre son mari, se substituer à l’époux outragé et éviter la publication – qu’elle redoute – de correspondances privées qui porteraient atteinte à sa propre réputation. Elle ne mesure en aucune manière (et pour cause) les conséquences incalculables de son acte.

Encouragé, informé et instrumentalisé par les trois personnalités politiques de premier plan que sont Raymond Poincaré, Louis Barthou et Aristide Briand, Le Figaro, en prenant pour cible Joseph Caillaux, n’a pas seulement entendu servir les ambitions et les rancunes personnelles de ses rivaux, mais voit dans le partisan de l’apaisement entre la France et l’Allemagne, adversaire résolu de la loi des trois ans et de la course aux armements et initiateur de l’impôt sur le revenu, l’homme à abattre.

Le coup semble raté lorsqu’aux élections législatives d’avril 1914, l’alliance du Parti radical (formation hégémonique présidée par Caillaux) et du Parti socialiste de Jean Jaurès (qui franchit pour la première fois la barre des cent députés) sort largement victorieuse du scrutin. Les conditions sont réunies pour la mise en place d’un gouvernement de coalition réunissant toute la gauche française et bien décidé à mettre en échec le parti de la revanche. Caillaux saura apaiser et même liquider tous les contentieux qui peuvent opposer les deux puissances qui dominent le continent, l’Allemagne de Guillaume II et notre pays.

Oui, mais… La plus élémentaire décence interdit au vainqueur des élections de prendre la direction du gouvernement tant que Mme Caillaux, incarcérée depuis le 16 mars, n’a pas été jugée. Caillaux va donc consacrer toute son énergie – qui est grande – et son influence – qui l’est plus encore – à préparer, voire à organiser, le procès et l’acquittement de sa femme. Ce sera chose faite… le 28 juillet 1914, cinq jours avant le déclenchement du conflit.

À cette date, c’est le pâle et novice René Viviani, choisi par Caillaux lui-même pour exercer l’intérim, qui, chef nominal d’un gouvernement dominé par Poincaré, accompagne le président de la République dans sa fatale visite d’État à Saint-Pétersbourg. Le président du Conseil n’a ni l’expérience, ni l’envergure, ni le caractère qui lui permettraient de tenir tête au chef de l’État, ardent partisan de la revanche et de tout ce qui s’ensuit. À sa place, c’est-à-dire à la place qui aurait dû être la sienne, Caillaux aurait su – comme il l’avait déjà fait en 1911, lors de la crise d’Agadir – claquer les portes du temple de Janus au bec des rossignols et des corbeaux du carnage. Caillaux n’aimait pas la guerre.

Le revolver de Mme Caillaux, s’il se fût enrayé, la face du monde était changée…