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mardi, 23 mai 2017

Allemagne: Intégrer les migrants ?

  • La liste ne place pas la culture allemande en position dominante et ne la considère même pas comme culture de référence (Leitkultur) ; quant au groupe de travail il n'exige pas des migrants qu'ils s'assimilent au mode de vie allemand. En réalité, les principes directeurs encouragen, les Allemands à adopter les normes culturelles que les migrants ont importées avec eux en Allemagne.

  • "Nous ne pouvons demander que nos coutumes soient respectées si nous ne sommes pas capables de les énoncer ... Notre pays est façonné par le christianisme ... L'Allemagne fait partie de l'Occident, culturellement, spirituellement et politiquement". — Thomas de Maizière, ministre allemand de l'intérieur.

  • Les partisans du Leitkultur affirment qu'il faut empêcher l'émergence de sociétés parallèles, notamment celles qui sont régies par la charia islamique.

Un groupe de travail gouvernemental mis en place pour promouvoir l'intégration des migrants dans la société allemande a établi et rendu public la liste des caractéristiques qui fondent la culture allemande.

Cette liste gomme soigneusement un certain nombre de termes politiquement incorrects comme « patriotisme » ou « culture dominante » (Leitkultur) et ramène les traditions et valeurs allemandes au plus petit dénominateur commun. Le groupe de travail fait implicitement du multiculturalisme l'expression essentielle de la culture allemande.

L'initiative pour l'intégration culturelle (Initiative Kulturelle Integration) a été créée en décembre 2016 par le gouvernement allemand pour promouvoir la « cohésion sociale » d'une société allemande qui, grâce à la chancelière Angela Merkel s'est enrichie de plus d'un million de migrants en provenance d'Afrique, d'Asie et du Moyen-Orient.

Le groupe de travail - piloté par le Conseil allemand de la culture (Deutscher Kulturrat) en étroite collaboration avec le ministère de l'Intérieur et deux douzaines d'associations spécialisées dans les médias, les affaires religieuses et l'intérêt général - a été chargé de parvenir à un consensus sur ce qui forme le cœur de la culture allemande. L'opération avait bien sûr pour but de faciliter l' « intégration culturelle » des migrants en les encourageant à adhérer à un corpus de valeurs culturelles unanimement partagées.

Après cinq mois de délibération, le groupe de travail a présenté le 16 mai une liste de ce qu'il a affirmé être les 15 principes directeurs de la culture allemande. Sous le slogan « Cohésion dans la diversité », la liste énumère surtout des idées génériques - égalité entre les sexes, liberté d'expression, liberté de religion, pluralisme et démocratie - qui n'ont rien de spécifiquement allemand.

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La liste ne mentionne pas non plus que la culture allemande est la culture de référence (Leitkultur) en Allemagne, ni que cette culture allemande est intrinsèquement liée à chacun des points évoqués ; quant au groupe de travail, il n'exige pas explicitement que les migrants s'assimilent au mode de vie allemand. Les principes directeurs énoncés produisent même le sentiment inverse : ils encourageraient en fait les Allemands à adopter les normes culturelles que les migrants ont apportées avec eux en Allemagne. L'objectif du groupe de travail qui était à l'origine d'inciter à l'intégration et à l'assimilation semble avoir évolué vers la coexistence, la tolérance et l'adoption par les Allemands de la culture de base du migrant.

Le préambule démarre ainsi :

« L'intégration affecte l'ensemble de la population en Allemagne. La cohésion sociale ne se décrète pas et ne peut faire l'objet d'une politique ... La solidarité est l'un des principes fondamentaux de notre coexistence. Elle se manifeste dans notre compréhension mutuelle et dans l'attention aux besoins des autres - nous défendons une société de solidarité ...

« L'immigration change la société et exige de l'ouverture, du respect et une tolérance mutuelle ... Il n'est pas correct d'agiter des craintes et d'afficher son hostilité - nous défendons une société cosmopolite ...

« Le processus d'intégration européen n'est pas seulement une garantie pour la paix en Europe, la prospérité et l'emploi, il incite aussi à la convergence culturelle et à l'émergence de valeurs européennes communes - nous voulons une Europe unie ».

Le ministre allemand de l'Intérieur Thomas de Maizière, partisan bien connu de l'idée d'une culture dominante (Leitkultur), a exprimé sa déception face au flou dans lequel le groupe de travail s'est cantonné pour ce qui est de la Germanité. « Nous ne pouvons exiger que l'on respecte nos coutumes si nous hésitons à les énoncer », a-t-il déclaré. Lors d'une conférence de presse donnée à Berlin le 16 mai, il a développé :

« Je suis formellement en désaccord avec le Conseil culturel allemand sur la Leitkultur : j'aime ce mot, ce qui n'est pas le cas du conseil. Je n'ai toujours pas compris si ce qui vous dérange est le mot 'noyau dur' ou le mot 'culture' ou la combinaison des deux mots. A moins qu'il ne s'agisse d'autre chose dans le passé ».

Les tenants de la Leitkultur affirment qu'il faut empêcher qu'en Allemagne, se constituent des sociétés parallèles, notamment quand elles sont régies par la charia islamique. Ces opposants proclament qu'énoncer le principe de Leitkultur obligerait les migrants à abandonner certains éléments de leur identité pour se conformer aux us et coutumes de la majorité – soit le contraire de l'idéal multiculturel qui autorise les migrants à reproduire en Allemagne toutes les composantes de leur identité.

Le 29 avril, De Maizière a publié une tribune dans Bild qui a provoqué un torrent de critiques. Il exigeait des migrants qu'ils acceptent la Leitkultur allemande, affirmant que sans l'adhésion de tous à un « noyau culturel de base, la société perdrait ce fil conducteur d'autant plus nécessaire que les mouvements migratoires et la société ouverte nous rendent plus diversifiés ».

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Dans son article, de Maizière a énuméré les dix caractéristiques qui sont à la base de la culture allemande, y compris la méritocratie et le respect de la culture et de l'histoire allemandes. Il a ajouté: « au-delà de notre langue, de notre constitution et du respect des droits fondamentaux, quelque chose nous lie dans nos cœurs, et ce quelque chose nous rend différents et nous distingue des autres».

Concernant la religion, de Maizière a écrit que « notre Etat est neutre, mais amical envers les églises et les communautés religieuses ... Les clochers d'église structurent notre paysage. Notre pays est façonné par le christianisme ... L'Allemagne fait partie de L'Occident, de manière culturelle, spirituelle et politique ». Il a ajouté :

« En Allemagne, nous disons notre nom et pour nous saluer nous nous serrons la main. Nous sommes une société ouverte. Nous marchons visage dévoilé. Nous ne portons pas de burqas ».

Les réflexions de De Maizière ont été largement tournées en dérision. Martin Schulz, candidat des sociaux-démocrates (SPD) à la chancellerie, a déclaré que la « culture dominante » de l'Allemagne, c'était la liberté, la justice et la coexistence pacifique, lesquelles étaient au cœur de la constitution ».

Jamila Schäfer du Parti Vert, a déclaré :

« Dès que vous définissez votre identité par le pays auquel vous appartenez, vous tendez à adopter une attitude de supériorité. C'est dangereux et antidémocratique car c'est une attitude d'exclusion. Une société est toujours en évolution et les mouvements migratoires sont un facteur de changement. Je ne crois pas qu'un vivre ensemble pacifique passe par la préservation de sa propre culture ».

Poussé à l'extrême, le point de vue de Schäfer indique aux Allemands qu'ils auraient intérêt à renoncer à la culture allemande en échange d'une paix sociale chimérique : le patrimoine judéo-chrétien allemand serait ainsi lentement remplacé par la charia islamique. De nombreux élus allemands sont d'accord avec Schäfer.

Le leader des démocrates libres, Christian Lindner, a accusé de Maizière de rouvrir un débat « vieux et obsolète »: « encore une fois, il s'agit de religion ».

« Une certaine conception de l'islam suggère, voire même interdit, aux hommes de serrer la main des femmes. Ce n'est pas une bonne chose, mais cela ne fait de mal à personne. Le débat sur la Leitkultur n'a rien à voir ici ».

La commissaire allemande à l'intégration, Aydan Özoğuz, a jugé « ridicule et absurde » le débat sur la Leitkultur. Dans une tribune du Tagesspiegel, elle a soutenu :

« Au-delà de la langue, une culture spécifiquement allemande n'est tout simplement pas identifiable. Historiquement, les cultures régionales, l'immigration et la diversité ont façonné notre histoire. La mondialisation et la pluralisation ont amplifié plus encore la diversité. Les immigrants ne peuvent tout simplement pas être régis par une culture majoritaire ».

En dépit de la critique des politiciens allemands, de Maizière semble avoir le soutien de l'opinion publique allemande. Un sondage Insa-Focus du 5 mai, a indiqué que 52.5% des Allemands interrogés estiment que l'Allemagne a besoin d'une Leitkultur. Seuls 25.3% des personnes interrogées ont déclaré qu'elles y étaient opposées.

Les arguments de de Maizière surgissent au beau milieu d'une campagne destinée à rallier à la CDU les votes conservateurs. Une partie de cet électorat, ulcéré par la politique migratoire de Merkel, a rallié Alternative pour l'Allemagne (AfD) un parti d'opposition qui se donne comme objectif de réduire les flux migratoires.

Un sondage Forsa-Stern-RTL du 17 mai a montré que si les élections fédérales de septembre avaient lieu aujourd'hui, la CDU de Merkel gagnerait avec 38% des voix, loin devant le SPD avec 26%. Le FDP obtiendrait 8% des voix, suivi des Verts et de l'AfD qui auraient chacun 7%. Si les Allemands devaient choisir leur chancelier directement, sans passer par les listes d'un parti, Merkel gagnerait avec 50%, contre 24% pour son principal challenger, Martin Schulz, du SPD. Les électeurs allemands, du moins pour l'instant, semblent se satisfaire du statu quo, avec ou sans Leitkultur.

Soeren Kern est Senior Fellow du Gatestone Institute basé à New York.