mercredi, 03 juin 2020
Sur les illusions de la démocratie et le renouveau des élites
Sécession du peuple ou sécession des élites?
Ce sont là les deux extrêmes du débat en cours sur la pratique et les illusions de la démocratie.
L'exemple le plus parlant de la sécession actuelle du peuple est, en France, le mouvement des "Gilets jaunes" et l'expression la plus contestée de la sécession des élites, l'émergence et l'accès au pouvoir de Macron, il "Valentino" de la Cinquième République, le "Borgia" des temps modernes.
La sécession du peuple ou de la plèbe, autrement dit, l'auto-institution d'un sujet sans statut politique en acteur de son destin, réclamant sa participation à la liberté et à la délibération politique, n'est pas d'aujourd'hui.
Mais c' est d'aujourd'hui sa parole publique, sa recherche de "sens" et sa dénonciation de la démocratie, orpheline du débat et de l'écoute du Prince.
D'où la révolte du peuple, semblable à celle des sans culottes parisiens et des jacobins anglais du XVII anglais.
Cependant, qu'on l'appelle sécession ou retrait de la vie publique, la "sécession" est toujours un moment de contestation du pouvoir, à partir de la république romaine et du retrait de l'Aventin (de 494 a.J.C.).
C'est un changement du personnel de gouvernement qui est réclamé, plébéien ou patricien, national ou globaliste!
Ce changement est aujourd'hui en cours en France, en Italie, en Espagne et en Allemagne.
Les plébéiens ou néo-nationalistes contestent les patriciens, élitistes ou globalistes, ou encore, néo-progressistes et ce renouveau se présente, à la surface, comme un changement de la représentation politique et donc comme une crise de la démocratie moderne, tandis qu'il est, en son fond, un bouillonnement anti-système de la société en révolte et une crise de subversion, au relents violents.
Ce changement s'affiche publiquement comme une dénonciation des élites et de leur sécession.
C'est un changement de fond de l'ordre social, porteur d'insubordination et de révolte et il appartient comme tel, à l'histoire discontinue de la liberté politique.
Cependant il se range du côté des mouvances identitaires et des droites néo-conservatrices et souverainistes et il est résolument contre les "divers gauches", cosmopolites et globalistes.
Le renouvellement des élites dirigeantes, qui est en cours partout en Europe,est signalée par le refus de l'égalitarisme et du gauchisme des élites privilégiées et par la révolte contre la subordination atlantiste de la politique nationale et de celle-ci au modèle culturel de l'Amérique.
Dans le cadre de conceptions rénovées, s'affirme ainsi la conscience que les conflits ne naissent plus des idéologies désincarnées, mais de la politique d'affirmation néo-nationale et populaire.
A l'intérieur des pays occidentaux, les régimes démocratiques, laïcisés et ouverts, deviennent dépolitisés, obsolètes et totalitaires, tandis que les régimes anti-systèmes se commuent en perturbateurs ou en révolutionnaires et sont ouvertement combattus, dénigrés et déstabilisés.
La Révolte néo-nationale contre la "Révolte des Élites"
La menace à l'ordre social a été perçue autrefois, comme une des réponses à la "Révolte des masses"(Ortega y Gasset - 1930). Cette menace, venant de la social- démocratie, du marxisme théorique et de la révolution russe, fut à la racine d'une réflexion, sur la théorie des élites, représentée, autour des années 1920, par Pareto, Mosca et Michels, en réponse au dysfonctionnement du régime libéral et de son système parlementaire.
Qu'en est il aujourd'hui?
La sécession des élites precède-t-elle et explique-t-elle la "Sécession des masses"de nos jours?
Les mouvements souverainistes et populistes et les droites politiques en Europe s'inspirent elles des mêmes sources et des mêmes objectifs?
Christopher Lasch a analysé, aux États-Unis, au courant des années 1990, les raisons de fond de l'émancipation des "élites" du peuple et a essayé d'expliquer leur sécession, intellectuelle et morale, de l'ordre social existant.
En critique de fond du progressisme et d'une modernité, qui a rompu toute forme de tradition et d’enracinement au profit du "melting pot", C.Lasch tâche de comprendre pourquoi les élites occidentales se sont éloignées du peuple et ont fait sécession de leurs sociétés.
Ces élites, qui ne se limitent pas aux dirigeants politiques,se sont déconnectées de la réalité et méprisent les citoyens et les préoccupations des masses.
Or, la menace à l'ordre social vient désormais des élites globalistes et de leurs objectifs manichéens et guère de la révolte sociale.
La menace vient du rôle des médias,de l'idéologie des universités (le gauchisme), du rapport à la religion, du sexisme,des militants LGBT (la théorie du gendre) et des fausses réponses données aux questions raciales.
"La révolte des Élites" de C. Lasch (1993), marque désormais l'avènement de l'individualisme narcissique et met à nu les illusions de la démocratie.
Ainsi le problème n'est donc plus celui du dysfonctionnement du système politique, mais d'une profonde réforme de la société.
De la "révolte" à la "faillite des élites"
En effet une époque s'achève, celle du rationalisme moderne, matérialiste, technocratique et instrumental, qui avait perdu sa relation au "sens" de la vie et au tragique, la mort, conduisant à la finitude de l'aventure humaine, imbue du destin et des valeurs ancestrales.
Cette fin d'une époque et cette dégénérescence du tragique et de la finitude humaine est bien le sentiment dominant de notre temps de crise ou d'une transition qu'il faudrait définir désormais comme "La faillite des Élites"(M. Maffesoli).
Contre cette faillite les réalités actuelles nous font présager une énième et possible révolte des masses, autrement dit des soulèvements larges et diffus, que les intellectuels et les hommes politiques de droite annoncent et prévoient depuis longtemps.
Dans ce contexte, la perte de confiance dans le progressisme matérialiste et dans le système démocratique se manifeste partout en Europe par la fragmentation des partis politiques traditionnels. On ajoutera que le rejet des élites encourage les mouvements souverainistes et populistes à approfondir leur bataille et que l'insécurité grandissante aggrave la crainte d'une perte d'identité, due à une invasion migratoire massive.
Le triomphe du néo-nationalisme et du néo-conservatisme semble ainsi assuré de succès par la montée en puissance des droites européennes.
Ernst Lohoff, analyse clairement, dans une perspective critique, le ressentiment des citoyens contre l'UE et qualifie ce ressentiment de force historique.
Il rappelle que la gauche allemande surfe contre l'UE, à l'image de Podemos en Espagne et que l'égérie de Die Linke, Sahra Wagenknecht, avant garde du néo-nationalisme de gauche, identifie l'espace démocratique à l’État Nation et prône un globalisme décentralisé, comme base d'une utopie, qui demeure au fond passive et non pro-active.
V. Orban, Salvini, Marine le Pen, Vox et AfD, interprètent collectivement, bien que différemment les sentiments de révolte qui traversent la société européenne selon des clivages ethniques et religieux, d'autant plus intenses et profonds que la société a été forcée à devenir communautaire et tribale et donc multiculturelle, multiconflictuelle et pré-moderne, encouragée et contrainte par des pouvoirs irresponsables.
La dissolution du corps politique est manifeste désormais par le vote "sur la loi d'urgence" en Hongrie, qui représenterait, au yeux de la Commission européenne,une dérive absolue des "valeurs européennes" et de l’État de droit, déjà périmées depuis longtemps.
Le grand abus, égalitariste et mondialiste de la gauche radicale et du djihadisme compassionnel se poursuivra, à l'aide des globalistes occidentaux, par un travail génocidaire et méthodique contre les peuples d'Europe, pour confiner, soumettre, traiter, uniformiser et diffuser le mal du métissage et de l'aliénation.
Restauration du passé historique et affirmations identitaires
Or, le rôle fondamental de la mémoire et des récits historiques représente une tâche politique primordiale, que les droites conduisent en Europe, pour mobiliser les "énergies vitales du passé", menacées par le modèle anglo-saxon, d'empreinte américaine et par une immigration massive, de peuplement et de remplacement.
Le temps présent est par conséquent aux résurgences et aux affirmations identitaires, que seule la pensée néo-nationale poursuit par le refus sacro-saint de l'égalitarisme politique et racial, de la subordination de la politique nationale au globalisme et de la priorité du modèle anglo-saxon sur le modèle européen.
En repensant la politique en termes de siècles et l'espace en termes de continents, la conscience historique des pays européens d'aujourd'hui ne peut occulter une même identité de civilisation et, de ce fait, les origines franques de la nation française, la germanité commune du passé carolingien, ainsi que la Chrétienté latine de l'Europe occidentale et byzantine, des Balkans, de l'aire slavo-orthodoxe et de l'espace russo-sibérien.
Ces rappels ethno-linguistiques et religieux opposent l'aire européenne à l'aire anglo-saxonne. Cette dernière, orientée par la stratégie globale d'hégémon, exercée en termes de Sea Power (ou pouvoir de la mer), comme modèle culturel fondé sur l'individualisme et l'échange, contribue au déracinement de nos sociétés, fondées sur les traditions anciennes de la terre et de ses mythes ancestraux.
L'issue de cette opposition entre modèles culturels contrastants, peut conduire tout droit à l'annihilation de l'histoire continentale et à la négation de toute renaissance. Or, le rôle fondamental de la mémoire et des récits nationaux représente une tâche politique primordiale, que les droites conduisent en Europe, pour mobiliser les "énergies vitales du passé", menacées par le modèle anglo-saxon d'empreinte américaine.
Le temps présent est donc aux résurgences, aux affirmations identitaires et à la revendication des pays d'antan du vieux continent, de vouloir dessiner un nouvel avenir du monde, bien ancré, moderne et à nouveau mythique.
10:51 Publié dans Actualité, Théorie politique | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : actualité, révolte des élites, révolte des masses, irnerio seminatore, théorie politique, politologie, sciences politiques | | del.icio.us | | Digg | Facebook
mercredi, 25 mai 2011
Ortega y Gasset: un européiste critique de la révolte des masses et de la désertion des élites
Ortega y Gasset : un européiste critique de la révolte des masses et de la désertion des élites
par Arnaud IMATZ
« “Avant moi le néant, après moi le déluge” semble être devenu la devise préférée d’une nouvelle classe dirigeante dont le style de vie est marqué par le rejet des valeurs communautaires, le mépris des traditions populaires, la fascination pour le marché, la tyrannie de la mode, le nomadisme, l'insatisfaction assouvie dans la consommation de la marchandise, l'obsession de l'apparence physique, le culte du spectacle, du succès et de la renommée. Ortega disait que la désertion des minorités n'est que l'envers de la révolte des masses. »
Polémia livre à ses lecteurs une belle analyse critique d’Arnaud Imatz consacrée à Ortega y Gasset et à la « Révolte des masses ». Nos lecteurs trouveront ci dessous la critique de l’œuvre maitresse d’Ortega y Gasset et en PDF (voir en fin d’article) l’intégralité de l’article d’Arnaud Imatz.
Polémia
La révolte des masses : une vision aristocratique de la société
Dans La rebelión de las masas Ortega soutient que la société, organisation hiérarchique normale et spontanée de la vie humaine, est fondée sur l'inégalité psycho-vitale des membres qui la composent. La société est toujours aristocratique parce que l'aristocratie n'est pas un État ou une classe mais un principe spirituel, indestructible par nature, qui agit dans le monde sous différente forme. « Une société sans aristocratie, sans minorité éminente, n'est pas une société ». L'homme exemplaire n'est pas un homme né avec des privilèges et des droits refusés aux autres, c'est simplement l'homme capable d'une plus grande vision et d'un plus grand effort que le reste du genre humain. C'est celui qui rejette les croyances et usages insatisfaisants, qui se rebelle pour construire et non pas pour détruire.
Avec une pléiade d'auteurs traditionalistes, nationalistes, conservateurs-révolutionnaires, anarcho-syndicalistes, libéraux et socialistes élitistes, Ortega partage une même confiance en la vertu des minorité « éclairées », « éminentes » ou « sélectives ». « Contrairement à ce que l'on croit habituellement, écrit-il, c'est l'être d'élite et non la masse qui vit "essentiellement" dans la servitude. Sa vie lui paraît sans but s'il ne la consacre au service de quelques obligations supérieures. Aussi la nécessité de servir ne lui apparaît-elle pas comme une oppression, mais au contraire, lorsque cette nécessité lui fait défaut, il se sent inquiet et invente de nouvelles règles plus difficiles, plus exigeantes qui l'oppriment ». La liberté c’est au fond la possibilité de choisir ses chaînes.
Pour Ortega, le nivellement par le bas à partir de l'élimination des meilleurs n'a rien à voir avec la démocratie. Il ne reflète au contraire que hargne et ressentiment. L'idée que l´égalité politique doit s'accompagner d'égalité dans tout le reste de la vie sociale est erronée et dangereuse. Une société vraiment démocratique doit tenir compte des différences individuelles pour ne pas sombrer dans le règne de la vulgarité et de la médiocrité.
L’homme masse
Selon Ortega, l'Europe traverse la plus grave crise que les nations, les peuples et les cultures puissent pâtir: la révolte des masses. L'homme-masse est un type d'homme qui apparait dans toutes les classes d'une société. Il représente à la fois le triomphe et l'échec de l'ethos bourgeois. C'est l'individu qui refuse toute forme de supériorité et se sent le droit inné d'exiger toutes sortes de commodités ou d'avantages de la part d'un monde auquel il n'estime ne rien devoir. Il ne se croit pas meilleur que les autres, mais il nie que les autres soient meilleurs que lui. C'est l'« homme moyen », qui « n'a que des appétits », « ne se suppose que des droits » et « ne se croit pas d'obligations ». C'est « l'homme sans la noblesse qui oblige ». C'est l'homme en qui « manque tout simplement la morale, laquelle est toujours, par essence, un sentiment de soumission à quelque chose, la conscience de servir et d'avoir des obligations ». A l'opposé de l'homme masse, Ortega affirme que l'homme noble ou exemplaire vit au service d'un idéal. Il est celui qui exige d'abord tout de lui même. « L'homme d'élite, dit-il, n'est pas le prétentieux qui se croit supérieur aux autres, mais bien celui qui est plus exigeant pour lui que pour les autres, même lorsqu'il ne parvient pas à réaliser en lui ses aspirations supérieures ».
Indiscipline des masses, démission des élites
Venons en enfin à son diagnostic de la crise historique que l'altération de la hiérarchie des valeurs et le désordre de la structure sociale manifestent. La raison en est double: d'une part, l'indiscipline des masses, d'autre part, la démission des élites. C'est parce que les minorités échouent dans leurs tâches d'orientation, d'éducation, de découverte et de direction que les masses se rebellent ou refusent toute responsabilité historique. Tôt ou tard l’aristocratie engendre une philosophie de l'égalité et la philosophie de l'égalité conduit au règne de nouveaux seigneurs.
Publié au début des années trente du siècle passé, La révolte des masses contient une étonnante et « prophétique » défense de l’Europe unie, communauté de destin dans laquelle les diverses nations peuvent fusionner sans perdre leurs traditions et leurs cultures. Ortega voit dans l’union de l’Europe la seule possibilité d’éviter la décadence, car le vieux continent a perdu son hégémonie historique au bénéfice des États-Unis et de l’URSS. Homogénéité et diversité sont, selon lui, les deux faces de la société européenne. L’Europe est à l’évidence une société plurielle, elle est une pluralité de peuples et de nations, non pas du fait d’inévitables flux migratoires, comme on le dit aujourd’hui, mais en raison de racines historico-culturelles. Pour Ortega, les racines européennes sont avant tout gréco-latines, chrétiennes et germaniques.
De la révolte des masses à la révolte des élites
Plus de soixante ans après la première publication de La révolte des masses, l'historien et politologue américain Christopher Lasch a complété et renouvelé la thèse d'Ortega y Gasset. Dans un ouvrage fondamental, The Revolt of the Elites and the Betrayal of Democracy (La révolte des élites et la trahison de la démocratie) (1994), Lasch a montré que les attitudes mentales de l'homme masse sont désormais plus caractéristiques des classes supérieures que des classes moyennes et basses.(*) « Avant moi le néant, après moi le déluge » semble être devenu la devise préférée d’une nouvelle classe dirigeante dont le style de vie est marqué par le rejet des valeurs communautaires, le mépris des traditions populaires, la fascination pour le marché, la tyrannie de la mode, le nomadisme, l'insatisfaction assouvie dans la consommation de la marchandise, l'obsession de l'apparence physique, le culte du spectacle, du succès et de la renommée. Ortega disait que la désertion des minorités n'est que l'envers de la révolte des masses.
Arnaud Imatz
12/03/2011
(*) Le livre de Christopher Lasch a été traduit et publié en France en 1996 (voir : La révolte des élites et la trahison de la démocratie, Avant-propos de Jean-Claude Michéa, Castelnau-le-Lez, Climats, 1996).
Voir le texte intégral de l’analyse d’Arnaud Imatz :
Ortega y Gasset : un européiste critique de la révolte des masses et de la désertion des élites, en PDF en cliquant ici.
00:10 Publié dans Philosophie, Révolution conservatrice | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ortega y gasset, philosophie, espagne, révolte des masses, masses, élites, théorie politique, sciences politiques, politologie | | del.icio.us | | Digg | Facebook