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jeudi, 18 janvier 2007

Sur l'état actuel de la Russie (3)

Sur l'état actuel de la Russie (3)

Les médias occidentaux ont attribué la paternité des violences ethniques survenues en Carélie, dans la ville de Kondopoga, à un mystérieux mouvement russe contre les migrations illégales, le DPNI. Qui se cache derrière cette organisation et quelle force représente-t-elle concrètement ? Le DPNI semble jouir d’une certaine sympathie auprès de la population russe, est-ce le cas ?

 

 

 

L’affaire de Kondopoga est évidemment un fait divers tragique, comme nous en connaissons à profusion en Belgique et en France. Cette année, à Arlon et à Ostende, des bandes tchétchènes ont tué un jeune, rançonné des fêtards, ravagé une discothèque. Les brigades spéciales de la police fédérale de Bruges ont dû intervenir à la côte. Ces énergumènes ont évidemment un sentiment de totale impunité : ils se posent comme les victimes de Poutine et de l’armée russe. Ils sont des résistants intouchables, adulés par un journal comme le Soir. A Arlon, à la suite de l’assassinat sauvage d’un jeune homme tranquille de 21 ans, une « marche blanche » de plus de 2000 personnes a défilé, réclamant la dissolution des bandes tchétchènes. La presse n’en a pas dit un mot !

 

 

 

Des diasporas agressives et déboussolées

 

 

 

En Russie, et surtout dans cette zone excentrée de la Carélie, la foule n’a pas eu recours à une « marche blanche », mais s’est exprimée d’une autre façon, plus musclée.

 

 

 

Je ne peux évidemment juger du capital de sympathie ou d’antipathie dont bénéficie le DPNI en Russie. On peut simplement constater en Europe comme en Russie une lassitude de la population face à des exactions commises par des diasporas agressives et déboussolées.

 

 

 

L’antenne russe du site internet « Indymedia », qui se revendique un média alternatif et dont la tonalité est clairement altermondialiste, a récemment suscité la polémique. Certains militants anti-globalisation accusaient son animateur, Vladimir Wiedemann, de sympathie avec la « Nouvelle Droite ». Plus largement, existe-t-il en Russie des connexions entre la mouvance anti-globalisation et des éléments d’obédience nationale-identitaire ?

 

 

 

Vladimir Wiedemann est l’un des hommes les plus charmants, que j’ai rencontré. J’ai fait sa connaissance dans le Fichtelgebirge en Allemagne et nous nous sommes promenés, avec le Dr. Tomislav Sunic venu de Croatie, dans les rues de Prague. C’était à l’occasion d’une Université d’été allemande en 1995. Depuis, Vladimir Wiedemann a participé à plusieurs universités d’été et à des séminaires de « Synergies européennes » ou de la « DESG/Deutsch-Europäische StudienGesellschaft », organisation sœur en Allemagne du Nord. Wiedemann a ensuite négocié avec les altermondialistes d’Indymedia l’ouverture, sous sa houlette, d’une antenne russe de ce réseau de sites contestataires. C’est bien sûr ce qui a déclenché le scandale après quelques mois.

 

 

 

Une théologie impériale de facture byzantine

 

 

 

Je ne sais pas si l’on peut qualifier Vladimir Wiedemann d’exposant de la ND. Ses positions sont bien différentes. Surtout quand il évoque la nécessité de retrouver des racines byzantines et orthodoxes pour refonder l’impérialité russe. La renaissance russe passe donc, à ses yeux, par une théologie impériale, de facture byzantine, où l’Empereur est simultanément chef de guerre et « pontifex maximus ».

 

 

 

Cette position orthodoxe pure met évidemment Wiedemann en porte-à-faux avec une ND, du moins en France, qui valorisait l’Empereur, et surtout Frédéric II de Hohenstaufen à la suite de Benoist-Méchin, mais un empereur qui s’était débarrassé au préalable de tous les oripeaux du christianisme et ne régnait que par son charisme personnel et par la gloire de ses actions, sans référence à un au-delà ou à une métaphysique quelconque. Wiedemann va même plus loin : cette théologie impériale byzantine doit être capable, à terme, de générer un « espace juridique et impérial unitaire et grand continental », expliquait-il lors de l’Université d’été du Fichtelgebirge. Nous n’avons plus affaire, comme chez Douguine, à une référence à l’eurasisme des années 20, d’inspiration scythique ou panmongoliste, complétée par une réflexion sur les thèses ethnogénétiques de Goumilev, ni à un futurisme technocentré et technomorphe comme chez Thiriart ou Faye, mais à une tradition religieuse romaine, dans l’expression qu’elle s’était donnée à Byzance, au temps de sa plus grande gloire. Wiedemann prend très au sérieux, et sans nul doute plus au sérieux que tous les autres exposants du non conformisme identitaire russe contemporain, le rôle dévolu à la Russie après la chute de Constantinople en 1453 : celui d’être une « Troisième Rome », qui reprendrait intégralement à son compte le système traditionnel de l’impérialité incarnée par le Basileus byzantin (cf. V. Wiedemann, « Russie : arrière-cour de l’Europe ou avant-garde de l’Eurasie ? », in : Vouloir, n°6, 1996).

 

 

 

Convergences et divergences entre altermondialistes et identitaires

 

 

 

Quant aux connexions entre altermondialistes et identitaires, elles existent de facto potentiellement, à défaut d’exister in concreto sur le plan organisationnel, car une hostilité au déploiement néo-libéral planétaire actuel est plus conforme aux discours, épars aujourd’hui encore, des identitaires qu’à ceux des altermondialistes de gauche. Ceux-ci rejettent tout autant les obligations et les devoirs qu’implique une identité, ou, plus exactement, une imbrication dans une continuité historique particulière et non interchangeable, que les capitalistes globalistes contre lesquels ils s’insurgent. Au discours globaliste de Davos, ils opposent un autre discours globaliste, également sans frontières, sans ordre, sans garde-fou. Quand des militants de l’antenne wallonne de « Terre & Peuple », de concert avec des militants de « Nation », m’avaient demandé de parler de l’Europe et de la globalisation en novembre 2005 à Charleroi, j’ai utilisé, pour parfaire et étayer ma démonstration, les nombreux petits ouvrages diffusés par ATTAC, en en corrigeant les outrances ou les dérapages ou les insuffisances, mais aussi en montrant tous les points de convergence qui pouvaient exister entre eux et les positions de « Synergies européennes ».

 

 

 

Wiedemann a dû poser exactement la même analyse en Russie : il s’est présenté et est devenu tout naturellement l’animateur d’Indymedia-Russie. Sa haute intelligence doit rendre ce site-là bien plus intéressant que les autres émanations d’Indymedia. Wiedemann ne doit publier que des textes pertinents, en expurgeant toute la phraséologie post-soixante-huitarde, tous les dégoisements gnangnan que cet altermondialisme officiel produit. D’où les colères impuissantes qu’il a suscitées.

 

 

 

Fait à Forest-Flotzenberg, octobre 2006.

 

 

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