dimanche, 11 février 2007
Sur Paul de Lagarde
Robert STEUCKERS :
Petite note sur Paul de Lagarde
Né à Berlin le 2 novembre 1827, le grand orientaliste et théologien allemand Paul Anton Bötticher est mieux connu sous le nom de Paul de Lagarde. Il a commencé ses études des langues orientales et de théologie à Berlin en 1844 puis a travaillé des textes coptes et araméens. Paul de Lagarde se penche ensuite sur les textes de l’Ancien Testament, sur la Septuaginta, sur la Patristique et d’autres écrits en langues orientales anciennes.
Ce travail d’investigation en profondeur amène tout naturellement Paul de Lagarde à percevoir l’histoire religieuse du Proche-Orient antique et de l’Europe christianisée comme une dynamique dont il faut cerner et capter les racines. La théologie devient pour lui, non pas une spéculation sub specie aeternitatis, mais une discipline historique comme le droit selon Savigny et Eichhorn, ou l’économie à partir de Sismonde de Sismondi et de l’école historique allemande.
Pour comprendre le message pur du Christ, pensait Paul de Lagarde, il ne faut pas retourner à une pureté évangélique, posée comme telle sans argumentation historique, mais relire les textes antiques et dépouiller le christianisme primitif de tous les apports pauliniens, postérieurs à la disparition de Jésus, ce qui laisse apparaître une vision religieuse originale, axée sur le rapport direct de l’homme à Dieu et sur une éthique rigoureuse. Ces constats premiers conduisent Paul de Lagarde à critiquer les institutions confessionnelles existantes, les églises, véhicules de vérités figées, non vérifiées à la lumière des textes orientaux anciens.
De ce fait, vu la juxtaposition d’églises aux doctrines boiteuses et incomplètes dans l’Allemagne de son temps, Paul de Lagarde préconise la séparation des églises et de l’Etat et suggère une politique vigoureuse, où les institutions confessionnelles se verraient contraintes de mettre un terme à leurs querelles, qui divisent le peuple, et d’unir leurs efforts au sein d’une « église nationale allemande », qui reviendrait à la doctrine de Jésus, dans la mesure où celle-ci correspond au sens germanique de la liberté, de la dignité de l’homme et d’un rapport immédiat et non médiat avec le divin. Dans certains milieux catholiques, en dehors d’Allemagne, on a souvent tendance à penser que Paul de Lagarde est l’exposant prussien et protestant (sa famille est effectivement protestante et piétiste) d’une réforme religieuse visant à affaiblir l’Eglise catholique en Europe du Nord.
Cette interprétation est erronée : Paul de Lagarde avait une vision liturgique plus catholique que protestante ; de plus, il n’a jamais ménagé ses critiques à l’encontre de Luther et du protestantisme, accusant ceux-ci de réintroduire de forts éléments de paulinisme dans le christianisme, alors que l’ère médiévale les avait oblitérés et étouffés sous la masse d’apports européens (et germaniques en Europe centrale). D’autres critiques estiment que Paul de Lagarde introduit dans la pensée religieuse allemande de son temps des linéaments d’antisémitisme, alors que sa vision n’est nullement raciste : l’adhésion à une foi ne dépend d’aucun facteur racial ; tout citoyen juif qui adhère à une vision grecque, germanique ou européenne du divin est de facto grec, germanique ou européen (« Deutschsein ist nicht eine Sache des Geblüts, sondern des Gemüts »).
Sur le plan politique, Paul de Lagarde critique la vision prussienne et petite-allemande (c’est-à-dire avec exclusion de l’Autriche et de sa sphère d’influence pannonienne, danubienne, adriatique et balkanique), vision qu’il décrète « constructiviste » et dangereuse par son pangermanisme étroit, qui exclurait les peuples non allemands de l’espace centre-européen. Paul de Lagarde voulait une « Mitteleuropa » forte et puissante, solidement charpentée sur le plan territorial, et débarrassée de la rivalité stérile entre Hohenzollern et Habsbourg. L’influence de ce théologien et orientaliste méticuleux n’a guère été significative de son vivant ; c’est dans la postérité que ses idées ont été exploitées, remises en perspectives diverses, vulgarisées, et cela, à partir de Nietzsche, de Friedrich Naumann (penseur de l’organisation de la Mitteleuropa) et de Thomas Mann, du moins celui des « Considérations d’un apolitique ». Paul de Lagarde meurt le 22 décembre 1891 à Göttingen, où il avait enseigné les matières qui lui étaient si chères.
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