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dimanche, 20 mai 2007

Quiévreux: dictionnaire du bruxellois

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Un dictionnaire du dialecte bruxellois

 

Un véritable engouement secoue actuellement la capitale belge : la redécouverte, à titre quasi posthume il est vrai, de son dialecte particulier. Après la parution de deux albums de Tintin en bruxellois, « Les bijoux de la Castafiore » et « Le secret de la Licorne », après les « Assimil » sur le bruxellois et même le bruxellois le plus corsé, sans carré blanc, les éditions de manuels ou d’histoire linguistique, qui le concerne, se succèdent. On pourrait croire qu’il s’agit d’un bel enterrement, dans le genre de celui que Charles-Quint, âgé, fit célébrer pour lui-même. En effet, les sexagénaires qui manient encore ce dialecte savoureux, ou ses variantes de banlieues, sont les benjamins des locuteurs subsistants. Les générations montantes, réduites à cause du déclin démographique et remplacées par des arabophones ou des berbérophones de souche, ne maîtrisent plus ce dialecte, ne le comprennent et ne le parlent forcément plus. Nous assistons ainsi à la disparition d’une strate importante dans la structuration linguistique, selon le Prof. Henri Gobard, grand angliciste français, soit la strate dialectale, le parler vernaculaire premier qui sous-tend tout apprentissage linguistique ultérieur et permet, par recours à ce parler forcément moins figé, d’épaissir et de « saucer » la langue, d’éviter son assèchement.

 

Ces éditions successives de livres et de lexiques du dialecte bruxellois ne sont-elles donc que pure nostalgie ? Ou y a-t-il un plus derrière cette mode ? Replaçons notamment la réédition du « Dictionnaire du dialecte bruxellois » de Louis Quiévreux, dont l’édition originale était tant recherchée chez les bouquinistes jusqu’à cet automne 2005, dans le cadre général de l’histoire de la littérature belge, qui, elle aussi, lassitude devant le piètre parisianisme des lettres françaises oblige, connaît un fameux regain d’intérêt, notamment au départ des recherches des Professeurs Paul Aron, Marc Quaghebeur, Jean-Marie Klinkenberg et d’autres. Leurs recherches nous ont rappelé, naguère, que la volonté de créer une littérature spécifiquement belge au 19ième siècle, au lendemain de l’indépendance du pays, visait aussi à sauver la langue française du naufrage, de la cangue d’un classicisme et d’un formalisme outranciers. Cette volonté s’inscrivait bien entendu dans une volonté politique de combattre l’idéologie jacobine et moderniste, qui est mortifère et n’apporte aux expressions humaines, à l’art, qu’éviscérations ; elle est à la langue ce que la taxidermie est à la faune. Pour un Charles De Coster, il s’agissait de raviver l’héritage flamand et de l’opposer à tout ce qui était français, surtout à l’époque de Napoléon III, figure universellement honnie en Belgique au 19ième siècle. Mais cette volonté de rompre avec les manies françaises n’était pas que vengeresse : elle participait également d’un projet « rabelaisien » visant à raviver une langue française anémiée depuis la normalisation de la langue si crue et si drue de Villon et Rabelais, depuis le centralisme et le formalisme qui tueront la Vieille France.

 

Ce n’est donc pas un hasard si les travaux d’un De Coster, dont on se souvient surtout de son « Tijl Uilenspiegel », et d’un Camille Lemonnier, ont été salués par les « rabelaisiens » français, dont les efforts culmineront, finalement, dans l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline. De Coster voulait retrouver des termes jugés archaïques par les formalistes parisiens. Lemonnier colorait ses romans d’expressions vives, audacieuses, parfois crues, avait le culte du mot rare ou ancien, pimentait ses romans de termes wallons, chantait les louanges d’un vitalisme flamand et germanique, appelait à écrire « welche » et non pas en « formalo-parigot », en « comme-il-faut ». Céline puisera dans l’argot du Paris de sa jeunesse. Pour leur part, les « Félibriges » provençaux, contemporains de De Coster et de Lemonnier, puiseront dans les saveurs de la langue d’oc.

 

Face aux nouvelles tentatives de formalisation de la pensée avec deux censeurs à tronche débonnaire comme Ferry et Renaut, qui voient dans la « pensée 68 » une sorte de revival discret du nazisme ou du fascisme ( !!) et perçoivent dans l’engouement écologique une dangereuse dérive « völkisch » ( !!!), ou avec un assommant et oléagineux pondeur de navets et de banalités comme ce raseur de Comte-Sponville à la bobine de bon apôtre et de faux derche, eh bien, face à des éviscérateurs de cet acabit, la pensée doit se dresser à nouveau et conjuguer les démarches des rabelaisiens, de De Coster, de Lemonnier et de Céline. Et comme les salades de la nouvelle idéologie républicaine se veulent universelles et panmixistes, immigrophiles jusqu’à faire des voyous de banlieues sans langue définie, sans argot vivant, rien qu’avec des beuglements de haine, de nouvelles figures emblématiques de l’humanité en marche vers la parousie laïque, il est évidemment impératif de mobiliser les richesses inépuisables des terroirs comme le firent et le font Vincenot et Ragon (auteur, il est vrai, d’une très belle introduction à Rabelais), de développer une philosophie critique telle qu’il s’en profile une dans les pamphlets corrosifs d’un Philippe Muray (auteur d’une thèse magistrale sur Céline). Dans une telle entreprise, la réédition de dictionnaires comme celui de Quiévreux, ou d’autres, ont toute leur place.

 

Bien sûr, le germaniste et le dialectologue trouveront le lexique de Quiévreux trop succinct, trop faible sur le plan de la recherche étymologique, trop rédigé pour les rieurs qui perdaient le dialecte de leurs aïeux et tentaient de le sauver par une simple compilation. Les dialectologues se disputent sur la graphie et l’orthographie du bruxellois : en effet, quels signes phonétiques utiliser ? Comment reproduire par des caractères latins des sonorités très particulières que l’on retrouve parfois en danois ou en anglais ? Et quid des diphtongaisons très complexes dont abonde ce dialecte d’Hergé ?

Quiévreux était journaliste, c’est-à-dire un spécialiste de tout et de rien, du superficiel et du clinquant sans profondeur, surtout quand,comme lui, on travaille au « Soir ». On n’échappe pas aux défauts de ce métier de vulgarisateur, surtout après la seconde guerre mondiale qui, sous prétexte de « collaboration », nous a ôté nos meilleurs journalistes, assassinés (Colin, Falony), fusillés (Lhost, Meulenijzer), embastillés, bannis (Poulet, Marceau, partiellement Simenon et Hergé). Quiévreux, anglophile et angliciste, a forcément échappé à cette épuration calamiteuse, mais a œuvré dans les stupides années 50, où l’américanisation la plus vulgaire progressait à vue d’œil, où l’idéologie consumériste se mettait en place. Néanmoins, son « dictionnaire », qui date de 1951, est un lexique utile, auquel il faut recourir, comme il faut aussi recourir à des compilations homologues, rédigées par d’autres auteurs. Cet angliciste a orthographié le bruxellois selon les critères en usage en néerlandais. Il a parfois effectué des recherches étymologiques mais insuffisantes. Les termes qu’il aligne dans ce dictionnaire pourraient émailler des romans du terroir, aussi denses, aussi exportables que ceux de Lemonnier jadis, qui, rappelons-le, a tout de même inauguré des thématiques vitalistes et sexualisées, que l’on retrouvera chez David Herbert Lawrence en Angleterre et dans le monde, British Empire oblige.

La publicité en Belgique fait appel désormais aux accents locaux. Demain, la bande dessinée, où Bruxelles est déjà très présent, le théâtre et le roman pourront retrouver des termes plus savoureux, plus réels, dans ce lexique de Quiévreux, exactement comme Marcel Pagnol avait apprécié, chez nous, le « Mariage de Mademoiselle Beulemans » et « Bosmans et Coppenolle », avant de faire vivre un théâtre marseillais inoubliable avec « Marius », « Fanny », etc.

Affaire à suivre.

Références: Louis Quiévreux, Dictionnaire du dialecte bruxellois, Editions de l’arbre, Bruxelles, 2005, ISBN 2-9600568-0-9.    

04:45 Publié dans Terroirs et racines | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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