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mardi, 09 octobre 2007

Vision négative de l'Europe chez les neocons

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Prof. Dr. Paul GOTTFRIED :

La vision négative de l'Europe chez les néo-conservateurs américains

L'anti-américanisme en Europe se développe, tout comme, par ailleurs, l'anti-européisme aux Etats-Unis. De­puis quelques années déjà, mais surtout depuis les attentats terroristes du 11 septembre 2001, la droite américaine orchestre une campagne de moqueries contre l'Europe et les Européens. La visite de George Bush en Allemagne, en France et en Italie n'a rien résolu et ne l'a nullement endiguée, au contraire. Rien que le fait que Bush ait choisi de passer par Berlin pour aller y déclarer qu'il avait abandonné tous les plans conçus pour attaquer immédiatement l'Irak, n'a fait qu'accroître le ressentiment des droites américaines contre les "nabots" européens. Si les faucons n'obtiennent pas leur guerre, alors ils attribueront sûrement une bonne part de la responsabilité au cynisme des Européens, à leur lâcheté et… à leur antisémitisme pathologique…

Nous trouvons certes aux Etats-Unis des conservateurs traditionnels qui cultivent beaucoup de sympathies à l'égard de l'Europe. Cependant, la droite de l'établissement, qui donne aujourd'hui les mots -d'ordre politique et a l'oreille du Président, n'est nullement une droite qualifiable de traditionnelle, mais une droite que je nommerai "néo-conservatrice". Elle diffuse ses messages via des organes très influents comme le Weekly Standard de Rupert Murdoch, la National Review et le Wall Street Journal. L'élément qui unifie ce camp néo-conservateur est une foi en la nécessité morale d'établir un empire américain; cette foi est assortie d'une méfiance profonde à l'endroit des Européens, qui pourraient contrecarrer ce projet.

L'accusation que portent les néo-conservateurs contre l'Europe est sous-tendues par une conviction bien établie : les Européens ne comprennent rien à la démocratie. Pour cette raison, ils ne sont pas en mesure de participer à la lutte globale contre les terroristes, ils ne font pas montre du zèle requis. Nous avons affaire là à une nouvelle version du manichéisme, que l'on entend en écho dans l'avertissement lancé par Bush : celui qui n'est pas en faveur de "sa" guerre contre le terrorisme doit y être opposé et, par conséquent, se place, le cas échéant, dans le collimateur de l'alliance anti-terroriste.

La France, cible favorite des "Europhobes"

C'est la France qui essuie le plus de mépris de la part des Europophobes, en dépit des liens puissants qui ont existé jadis entre les Etats-Unis, jeune puissance venant tout juste d'accéder à l'indépendance, et la France. Effectivement, les Etats-Unis n'auraient jamais accédé à l'indépendance si la puissance militaire française de l'époque ne leur avait apporté son appui et si les Français n'avaient pas été leurs généreux "mécènes". Jonah Goldberg, une des principaux rédacteurs de la National Review, qui est aussi une célébrité étiquetée conservatrice de la télévision, exprime souvent une opinion très dépréciatrice sur les Français, qu'il avait un jour appelé les "cheese-eating surrender monkeys" ("les singes trouillards bouffeurs de fromage"). A la fin du mois d'avril 2002, Goldberg écrivait que "la France était demeurée un pré plein d'ânes de gauche. Les bons résultats de Le Pen n'en ayant qu'augmenter que la variété". Qui plus est, le système politique absurde qui gère la France est un danger pour la démocratie, surtout si les Etats-Unis se permettraient de suivre un modèle aussi grotesque.

Déjà, l'an passé, Goldberg avait constaté, fâché, que les Européens ne suivaient pas inconditionnellement la ligne fixée par la politique extérieure américaine, ce qui prouvait quels types de "jerks" ils étaient (de "benêts"). En utilisant ce concept de slang, explique-t-il, il veut désigner "une coalition d'intellectuels se détestant eux-mêmes et de bureaucrates sans force, qui parce qu'ils ont des problèmes (comme c'est le cas des Allemands), veulent abandonner leurs identités nationales ou utiliser une nouvelle identité européenne en guise de cheval de Troie pour leurs propres ambitions culturelles (ce qui est le cas des Français et des Belges)".

Les Européens, pense Goldberg, ont bien plus de raisons d'avoir honte que les Américains: «L'Amérique n'a vraiment pas un passé colonial comme l'Europe. Certes, nous avons un petit peu rançonné les Latino-Américains, mais cela ne peut à peine se comparer avec une férule administrée à des pays entiers pendant des siècles».

Viktor Davis Hanson, autre plume due la National Review, a exprimé récemment son insatisfaction face à l'inimitié à l'égard des Etats-Unis, que manifestent désormais, à un degré jusqu'ici inégalé, une brochette d'intellectuels européens. D'après Hanson cette inimitié repose sur de l'envie pure; cette envie, et le ressentiment qui l'accompagne, étant l'un des principaux péchés des Européens. Ce ressentiment envieux s'associe à une forme de socialisme, qui se base sur l'idée d'Etat-Providence, et également sur l'incapacité absolue des Européens à comprendre les vertus américaines.

Une rhétorique arrogante, détachée de l'histoire

Les remarques de Hanson trahissent le noyau même de son animosité à l'égard de l'Europe: des millions de soldats américains, écrit-il, sont venus pour mettre un terme à l'épouvantable saignée de la première guerre mondiale; deux décennies plus tard, ils ont été obligés d'intervenir une seconde fois, à cause de l'entêtement des Etats européens. Hanson insiste: "ce n'est que par l'engagement de solides soldats américains, non corrompus, que les pays de l'Europe de l'Ouest ont pu être libérés". Cette façon de présenter les faits est typique de la rhétorique arrogante, détachée de l'histoire, qu'utilise une bonne part de la droite américaine. Implicitement, cette rhétorique injurie les soldats britanniques, français, polonais et autres qui ont combattu à l'époque sur le Front de l'Ouest.

L'hebdomadaire Weekly Standard, qui est très influent, insiste sans discontinuité: il faut subjuguer moralement les Européens, les intimider. Les deux rédacteurs-en-chef, Robert Kagan et William Kristol estiment que la domination américaine en Europe est une nécessité, car les Etats-Unis possèdent une mission morale, celle d'apporter les valeurs démocratiques au reste du monde. Mais en même temps, on caresse une autre démocratie dans le sens du poil: la démocratie israélienne. Le fait que les Européens s'opposent à cette tendance dominatrice des Etats-Unis, est inacceptable selon le Weekly Standard. Fred Barnes tente d'expliquer les divergences entre les Etats-Unis et l'Europe, dans un article récent, intitulé "Pourquoi Bush est vexé de l'attitude européenne". En se plaçant résolument dans le sillage de Kristol, Barnes écrit: «L'Amérique est nationaliste, religieuse et guerrière; face à elle, les Européens sont post-nationalistes, post-chrétiens, et pacifistes. Contrairement à l'Europe pourrie, l'Amérique croit —et surtout le Président Bush— que l'Etat national est l'acteur déterminant sur l'échiquier mondial».

L'accusation, portée à l'encontre de tous les Européens, qui consiste à dire que ceux-ci sont des poltrons, va de paire avec un autre reproche: celui d'être des brutes fascistes. Dans les jours qui ont suivi le premier tour des élections présidentielles françaises, à la fin du mois d'avril 2002, lorsque le "nationaliste d'extrême-droite" Jean-Marie Le Pen avait atteint un score inégalé et s'était retrouvé immédiatement derrière Chirac en battant Jospin, tous les éditorialistes conservateurs américains ont éructé contre ces challengeurs de droite, qui, disaient-ils, incarnaient le passé nationaliste de l'Europe. Dans le Washington Post, George Will et Charles Krauthammer accusaient les nationalistes conservateurs européens de créer une atmosphère telle, que des lieux de culte ou des installations appartenant à la communauté israélite en France et en Belgique ont été dévastés.

Boom d'antisémitisme?

Will attirait l'attention de ses lecteurs américains sur le "boom d'antisémitisme" qui sévissait dans le Vieux Monde; «depuis 1945, l'Europe a produit un phénomène étrange: celui d'un antisémitisme sans juifs». Il précisait: «Le populisme antisémite délayé de Le Pen» devait être endigué, de même que toutes les critiques émises par les grands hommes politiques à l'égard de la politique d'occupation menée dans les territoires palestiniens par Ariel Sharon. En émettant toutes ces considérations, Will entendait avertir ses lecteurs du pire: «Les antisémites européens sont mus par leur haine totalement irrationnelle. Ils s'attaquent à Israël, car, avec autant de Juifs concentrés en un seul lieu, il est désormais possible d'éradiquer la judéité mondiale».

Quelques jours auparavant, Krauthammer avait fait les louanges de l'Amérique, parce qu'elle "plaçait la moralité au-dessus de la Realpolitik" et qu'elle refusait de modifier "son soutien de principe à Israël". La France, en revanche, aime les nuances. Ce qui fait dire à Krauthammer: «Ce que nous voyons à l'œuvre, c'est un antisémitisme contenu, l'expression d'une pulsion millénaire, dont Israël est aujourd'hui le déclencheur». Les dernières cinquante années ont été une "anomalie historique" dans l'histoire européenne, parce que l'antisémitisme n'a pas osé s'exprimer, se mettre à l'avant-plan. «La honte, résultant de l'holocauste, a pu maintenir le démon dans la jarre pendant un demi siècle. Mais maintenant le temps de la repentance est passé. L'esprit est ressorti». C'est avec des phrases mélodramatiques de ce type que Krauthammer apostrophe tous ceux qui osent contredire les Américains, qui se sont auto-proclamés les porte-voix de la morale. Insulter les Européens de la droite établie de "nazis" ou de "pacifistes tremblants" est une façon facile d'en finir avec eux, s'ils osent poser des questions sur le sens de la politique étrangère américaine.

La plupart des néo-conservateurs américains font semblant de déplorer la disparition graduelle des Etats nationaux en Europe. Reste à savoir s'ils prennent vraiment cette posture, qui est officiellement la leur, au sérieux. Car ce qu'ils veulent en dernière instance, ce sont des Européens nationalistes. Dans tous les cas de figure, ce nationalisme serait pourtant incompatible avec les intérêts américains. Car, à l'exception des Etats-Unis et d'Israël (et d'une Grande-Bretagne complaisante), les néo-conservateurs craignent et détestent les Etats nationaux. Ils vont jusqu'à pactiser avec la gauche, pour éloigner du pouvoir les conservateurs européens encore animés d'une conscience nationale, surtout ceux qui entretiennent des liens avec les droites critiques à l'égard des immigrations. Non pas parce que le rêve des néo-conservateurs est celui d'un Etat national américain: ce qu'ils veulent c'est un empire américain prêt à livrer bataille. Voilà leur souhait.

Paul GOTTFRIED.

(article paru dans Junge Freiheit, n°29/juillet 2002 - http://www.jungefreiheit.de - Le prof. Dr. Paul Gottfried enseigne la philologie classique et les sciences politiques au Collège d'Elizabethtown, auprès de l'Université de Pennsylvanie).

 

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