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vendredi, 12 octobre 2007

Le système éducatif japonais

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Une réussite: le système éducatif japonais

Yannick Sauveur

Hiroshima (6 août 1945), Nagasaki (9 août 1945): deux noms, deux dates, deux villes, deux symboles qui, à près de 50 ans d'intervalle, font encore froid dans le dos.

2 septembre 1945: le Japon vaincu, anéanti, brisé, capitule. Il est occupé militairement et physiquement par ses "Libérateurs" US. Il est dépourvu de toute autonomie politique.

Aujourd'hui, ce même nain politique est devenu la seconde puissance économique du globe et il dispose d'un revenu par habitant identique à celui des Américains. Comment cela a-t-il été possible? Nombreux sont les détracteurs de ce pays en Europe: on se souvient encore des propos malheureux d'Edith Cresson. D'autres portent aux nues et louangent de façon déraisonnable un pays, un peuple qu'ils connaissent souvent mal et dont il serait vain de vouloir transposer les modes et la culture. Aussi, avons-nous voulu y voir plus clair en abordant un aspect particulier: celui de l'éducation.

De tous temps, le Japon a mis l'accent sur l'éducation. Ainsi, déjà à l'époque du système féodal, soit avant 1868, le Japon disposait de milliers d'écoles -TERAKOYA-.

- La première réforme de l'éducation intervient en 1872 avec la création d'un enseignement à filières et la mise en place d'un système d'enseignement primaire obligatoire pour tous, sans-considération de sexe, de statut social ou de fortune (huit ans avant les lois scolaires de Jules Ferry).

- La seconde réforme date de 1947 et régit encore largement l'enseignement actuel, à savoir promulgation de la Loi Cadre et de la Loi scolaire; le système 6-3-3-4 est adopté et l'enseignement obligatoire est porté à neuf années.

Système 6-3-3-4

Primaire: 6 ans
Collège: 3 ans
Lycée: 3 ans
Université: 4 ans

La scolarité est obligatoire jusqu'à l'âge de 15 ans (correspondant à Primaire + Collège). Le taux de scolarisation en secondaire-2ème cycle (lycée, correspondant à 2de, lère, terminale en France) est exceptionnellement élevé: 94% d'une classe d'âge (95% pour les filles, 92, 8% pour les garçons). Le taux d'inscrits en Université et en institut universitaire est lui aussi extraordinairement élevé (plus de 36% des élèves issus du 2d cycle du secondaire entrent à l'Université: 35,1% pour les filles, 37,1% pour les garçons).

L'enseignement privé est quasi inexistant (à peine plus de 1%) pour les établissements relevant de la scolarité obligatoire.

Le gouvernement japonais a opté pour un strict système de carte scolaire. En réalité, beaucoup plus strict qu'en France du fait de l'orientation quasi automatique vers l'enseignement public. Par ailleurs, l'enseignement est réellement décentralisé (participation à 50% de l'Etat et à 50% des pouvoirs locaux) et les écarts de salaires des enseignants selon les régions sont infimes en comparaison de ce qu'on peut constater dans d'autres pays à système éducatif décentralisé.

Horaires

Le Ministère de l'Education détermine le nombre d'heures annuelles requises à chaque niveau (classe) avec modulation selon les niveaux : 850 heures en niveau 1 correspondant au CP, 1015 heures pour les niveaux 4 à 6 et 1050 heures pour les niveaux des collèges. Par comparaison, cette souplesse et cette adaptation à l'enfant sont beaucoup plus intelligentes que la pratique française qui fait que l'élève de cours préparatoire a autant d'heures de cours que son alné de CM2. Ainsi, une école primaire typique de Tokyo fixe à cinq heures par jour le nombre de cours dans ses petites classes du lundi au vendredi.

Discipline et activités extra-scolaires

- Selon la tradition, les écoliers nettoient eux-mêmes leur classe chaque jour. A la fin de chaque trimestre, l'ensemble des enfants coopèrent pour nettoyer de fond en comble leur école. Comme on le voit, cette saine pratique n'est plus qu'un vieux souvenir dans nos pays où le "tag" est devenu une "expression culturelle" (dixit un de nos brillants (!) Ministres de l'Education Nationale).

- En dehors des cours, les enfants sont tenus de participer à de multiples activités scolaires telles que les excursions, les journées sportives, les festivals de musique et de théâtre, diverses activités sportives et des camps d'été. Comme on le voit, on est loin de l'éducation, conçue comme simple et exclusif outil d'acquisition du Savoir. Le but est de développer un fort potentiel permettant la plus forte adaptabilité par la suite. A l'école latine typiquement individualiste et égoïste, s'oppose l'école japonaise communautaire construisant des êtres aptes à vivre en société.

Les lycées

L'enseignement obligatoire se caractérise par un côté très égalitaire voulu et recherché, bien propre à la mentalité japonaise. En classe, les professeurs n'apprécient pas tant les capacités innées que les efforts faits par les élèves. Une enquête internationale fait état des résultats suivants: les variations de niveau entre élèves aux tests scientifiques, dans les établissements japonais, sont très faibles par comparaison avec les autres nations (1). En revanche, la situation est très différente dans les lycées. Dans le cas des établissements d'étude générale, la plupart des préfectures délimitent des zones géographiques assez vastes pour que de nombreux établissements se retrouvent dans une même zone. Aussi, les lycées sont-ils plus ou moins côtés et constate-t-on à l'entrée une intense concurrence.

L'enseignement privé y est cette fois plus représenté (environ 28% des étudiants).

Les cours en première année (niveau 10, ce qui correspond à notre seconde) sont généralement identiques mais les programmes des deuxième et troisième années comportent davantage d'options et diffèrent selon les établissements. Les programmes sont très diversifiés d'un établissement à l'autre et, par là même, induisent déjà pour une large part l'orientation future: université courte ou longue, écoles techniques, vie professionnelle.

Certains lycées, en vue, proposent un cursus destiné à promouvoir la compréhension internationale (voir en annexe 1e programme d'un établissement de ce type). Les objectifs sont les suivants:

- promouvoir la compréhension internationale. Elargir la conscience du monde extérieur des étudiants.

- en parallèle, approfondissement de la connaissance de la langue et de 1a culture japonaise partant du principe qu'une industrie et une culture ne peuvent bien rayonner à l'extérieur que si elles sont bien connues de leurs promoteurs. Nos politiciens feraient bien de méditer cet aspect des choses plutôt que d'accepter béatement l'acculturation américaine.

- doter les étudiants d'une large vision de la situation mondiale.

Résultat de l'occupation américaine, l'anglais domine largement soit comme langue étrangère, soit comme lère langue. Souvent il y est enseigné par un professeur de langue natale anglaise. Certains établissements proposent en deuxième langue des cours d'allemand, de français ou de chinois, mais la presque totalité des lycées publics du Japon n'offrent que des cours d'anglais.

Le bachotage

Sous cette expression familière et un peu facile, nous voulons évoquer un trait spécifique du Japon, à savoir les JUKU ou institutions privées d'éducation à but lucratif. Ceci résulte de ce que l'accès aux cycles supérieurs se fait par une sélection très sévère. L'objectif pour un étudiant est d'entrer dans l'une des meilleures universités du pays, et la concurrence est impitoyable. Une enquête réalisée en 1985 faisait apparaître que 44,5% des élèves des collèges assistaient à des cours d'enseignement général dans le cadre des Juku, ce qui a pour effet d'allonger les horaires des enfants et naturellement d'augmenter le temps en dehors de leur foyer. Souvent, ces cours ont lieu le soir après le repas.

Résultats

Le Japon a toujours été, et l'est encore, attaché à l'éducation en général et à la qualité de son enseignement en particulier. Les sacrifices financiers déployés par les familles japonaises en témoignent aisément ainsi que les résultats obtenus lors des comparaisons internationales dans les disciplines scientifiques et mathématiques.

Actuellement, une troisième réforme éducative est en cours, en vue notamment de répondre aux transformations rapides de la Société. Toutefois, les spécificités culturelles japonaises sont telles qu'il y est difficile de vouloir réformer, voire occidentaliser, le système éducatif. Dans la culture japonaise, le groupe tend à jouer un rôle plus important que l'individu. Ce trait va se retrouver plus tard dans l'entreprise. Aussi, ces tendances fortement ancrées dans la culture japonaise exercent-elles obligatoirement une influence sur les pratiques pédagogiques adoptées à l'école.

Aujourd'hui, le Syndicat des Enseignants Japonais (600.000 adhérents) critique le Ministère de l'Education pour son conservatisme, toutefois ce syndicat lui-même n'a pas abandonné cette conception de l'enseignement centré sur le groupe. Ainsi, la culture, surtout si elle est forte, prend aisément le dessus sur l'idéologie. La réforme de l'éducation japonaise se heurte à une autre difficulté venant, paradoxalement, de l'étranger qui ne tarit pas d'éloges sur le système actuel d'éducatlon. Ainsi, de nombreux chercheurs américains ont déclaré que les diplômés produits par le système d'éducation japonais se rangeaient parmi les plus cultivés du monde (2).

Les concours d'entrée organisés par l'université sont plus ou moins difficiles selon le niveau de l'Université. Le nom de l'Université de laquelle on sort compte davantage que la spécialité choisie.
 Enseignement et vie active

- Le recrutrement

L'année commence au ler avril, date à laquelle on embauche traditionnellement les jeunes diplômés. Les entreprises les plus renommées choisissent les diplômés issus des meilleures universités, et l'étudiant de son côté "choisit" l'entreprise qu'il intègrera "pour la vie". Les meilleurs éléments préfèrent fréquemment la "sécurité" à l'aventure, considérée comme une instabilité, et souhaitent entrer dans l'administration.

- La formation

Elle est permanente et fait partie de la vie de l'entreprise. On distingue l'autoformation, à partir de formations internes et externes, dont le coût est toujours partagé (50-50) par l'entreprise et le salarié (3) (elle correspond à 1% environ de la masse salariale) et la formation sur le tas, assurée par les responsables dont la première mission est d'être les formateurs de leurs collaborateurs. Ils sont d'ailleurs jugés là dessus.

En France, le budget "formation" des entreprises correspond quasi exclusivement à ce qu'on nomme au Japon l'"autoformation". Donc, de ce point de vue, ces dépenses consacrées à des formations y sont plus fortes (du moins dans les grandes entreprises) mais, outre le fait qu'il s'agit trop souvent de suppléer les carences de l'Education Nationale (4), la formatlon sur le tas, à la différence du Japon, y est très faiblement développée, voire quasiment absente.

- Initiation des jeunes dans l'entreprise

Elle se fait essentiellement par une "formation sur le tas" et via un système de parrainage: un ancien s'occupe du nouveau. Parfois, c'est lui qui établit le programme du nouveau. Le stage peut durer un an, le nouvel embauché peut ainsi passer six mois dans un atelier de production.

La mobilité interne professionnelie permet aussi un apprentissage à toutes les fonctions de l'entreprise, et donne au fil des ans la vision complète des nécessités et liaisons de l'entreprise. Par ailleurs, des objectifs sont fixés à tous les salariés, par exemple faire une centaine de suggestions par an par personne.

- La mobilisation

Avant de commencer à travailler le matin, on se réunit 5 à 10 minutes pour voir ce qu'on fait. Une fois par semaine, la réunion est plus importante, par exemple au niveau de l'atelier. Une fois par mois, ce sera une réunion extraordinaire, par exemple au niveau de l'usine. Ces réunions renvoient à l'aspect "festivités", très prisé des Japonais, en tant que mobilisation des énergies. La réunion est plus importante en soi que par son contenu. L'aspect festif au Japon renvoie aussi à la culture japonaise du groupe par opposition au côté individualiste occidental. Les occasions de fêtes sont le ler avril (début de l'année, accueil des nouveaux) ou une remise de médailles ou encore pour célébrer celui qui a apporté beaucoup de suggestions.

Les Japonais ne sont pas a priori et par nature plus disciplinés que nous, ainsi qu'on le croit communément et à tort en Europe. En revanche, la ponctualité est davantage requise qu'en France; il faut arriver cinq ou dix minutes avant un rendez-vous, de même pour une réunion. Il faut la préparer, faire le maximum de choses avant pour que celle-ci soit courte.

Les Japonais et l'entreprise

Tous ces aspects sont incompréhensibles si on ne les rattache pas à la culture japonaise d'une part, mais également à l'entreprise japonaise, d'autre part. Celle-ci a plusieurs caractéristiques fondamentales et en particulier l'emploi à vie. L'emploi à vie n'est ni légal ni systématique, mais il correspond à un contrat "moral" entre le salarié et l'entreprise. Le premier s'engage à progresser pour faire réussir l'entreprise et celle-ci lui assure un travail à vie. Quand l'entreprise est en difficulté, le premier remède est la solidarité entre tous les salariés, le licenciement n'étant qu'une situation extrême. L'entreprise qui a été amenée à licencier ne trouve plus de personnel sérieux, elle est déconsidérée. Ceci explique notamment que les meilleurs Japonais n'aillent pas dans les entreprises étrangères. Les sociétés américaines, du fait de nombreux licenciements, ont laissé des traces (5). En parallèle, un salarié qui change trop d'entreprise est considéré comme étant instable.

Les jeunes intègrent la structure par la base et "montent" dans la hiérarchie selon l'ancienneté et 1e mérite. L'évolution se fait en spirale au cours de la carrière. A l'inverse, en France, le jeune est directement intégré au niveau auquel il peut prétendre, son évolution est linéaire et tend à une spécialisation de plus en plus poussée. Aussi, n'est-il pas étonnant que les meilleurs défenseurs de l'entreprise japonaise soient les salariés qui considèrent que "l'entreprise est bonne" par définition.

Les grands vaincus de la dernière guerre mondiale (Japon et Allemagne) sont respectivement aujourd'hui deuxième et troisième puissance économique de la planète. Comment s'en étonner dans le cas du Japon quand on songe au formidable capital de ressources humaines dont ils disposent? Mais il y a fort à craindre hélas que le Japon, à l'instar des puissances européennes, mais plus tard, perde lui aussi son âme et se fonde à terme dans un "melting pot" mondialiste. Le succès de Disneyland à Tokyo illustre tristement notre propos. Gageons que les bouleversements internationaux en cours et à venir seront salutaires pour la renaissance du Japon en tant que vraie puissance politique.

Notes:

 (1) On ne peut, hélas, en dire autant dans nos pays! Songeons simplement qu'un enfant sur deux entrant en 6ème en France ne sait pas lire ou ne sait pas lire correctement. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde et avoir une éducation de qualité, et ce malgré les discours et prières des Kouchner et autres abbé Pierre.

(2) Mais que vaut la comparaison? Le niveau éducatif et l'enseignement y sont tellement bas aux USA; la vision y est tellement américano-centrée qu'un universitaire moyen ne sait pas situer la France sur une mappemonde.

(3) A comparer là aussi avec la pratique (et surtout avec la mentalité) française où le salarié considère presque toujours que tout est dû par l'entreprise. En fait, l'enrichissement de la formation est co-partagé par l'entreprise et le salarié. Est-il agréable pour une entreprise d'investir lourdement en formation pour constater peu de temps après qu'une entreprise concurrente va en bénéficier en récupérant son (ses) employé(s) débauché(s)?

(4) A titre d'exemple, les cours de mise à niveau, rattrappage, perfectionnement, voire d'apprentissage de la langue anglaise dans les grandes entreprises, pour indispensables qu'ils puissent être, ressortent-ils du Budget "formation" stricto sensu? Est-il normal, dans un tel cas de figure, que l'entreprise supplée les carences flagrantes de l'Education Nationale et les faiblesses des individus?

(5) Là encore, on voit toute la différence avec la pratique française où, au contraire, il est de bon ton d'aller dans les entreprises US (IBM, Coca Cola, General Electric, Procter & Gamble...) et ce, malgré un turn over  incomparablement supérieur à ce qu'il est dans les entreprises européennes. Tels sont les "brillants résultats" de l'acculturation et de l'absence de patriotisme européen!
 

[Synergies Européennes, Vouloir = Juin, 1993]

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