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samedi, 29 décembre 2007

Les Sikhs et la Khalsa

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Moestasjrik / ‘t Pallieterke :

Les Sikhs et la Khalsa

 

On discute actuellement au Parlement belge du droit des Sikhs au port de leur dague traditionnelle, le « kirpaan ». Le terme, désignant cette arme blanche, dérive du mot « kripa », qui signifie la « grâce » ; les Sikhs actuels affirment qu’il ne portent cette dague que pour se défendre ou pour protéger les faibles contre toute agression et jamais pour commettre eux-mêmes des agressions. Les Sikhs bénéficient du privilège de porter cette arme, vecteur de paix selon leur tradition, en Inde, leur patrie, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays du Commonwealth. Ce privilège ne découle pas de l’idéologie des Lumières dans sa nouvelle mouture multiculturaliste mais de la position dont jouissaient déjà les Sikhs dans l’Empire britannique car ils s’étaient alliés aux Anglais dès l’époque de la grande révolte des Indes en 1857.

 

La région, d’où les Sikhs sont originaires, venait alors d’être conquise par les Britanniques et les peuples indigènes se souvenaient de la supériorité militaire de leurs conquérants. Les Sikhs ne partageaient pas l’optimisme des autres Indiens qui pensaient pouvoir submerger facilement les Britanniques, peu nombreux, en jetant dans la bataille la masse innombrable de leurs combattants. Ensuite, les insurgés indiens de 1857 avaient élu le dernier « padeshah », ou dernier empereur mogol, comme chef de leur révolte, l’indolent Bahadur Shah Zafar, souverain nominal du résidu d’empire qui était, de fait, sous le contrôle réel des Britanniques. La dynastie mogol était l’ennemie héréditaire des Sikhs : raison pour laquelle ceux-ci choisirent le camp britannique. Les Sikhs sauvèrent la vie d’administrateurs britanniques, de leurs épouses et enfants. Après le rétablissement de la puissance britannique, ils furent récompensés de leur fidélité en pouvant faire carrière dans l’armée coloniale ; ils servirent partout : du Kenya à Singapour et à Hong Kong. Dans l’album de Tintin, « Le Lotus Bleu », on voit des Sikhs dans les unités de maintien de l’ordre de la concession internationale de Shanghai.

 

Les « disciples »

 

Le sikhisme est une école fondée par le gourou Nanak (1469-1539), inspirateur d’un courant dévotionnel à l’intérieur du culte de Vishnou et de ses réincarnations Rama et Krishna. Le terme « Sikh » signifie donc « disciple », en l’occurrence disciple du Maître Nanak. Pendant la vie de ce dernier, le Sultanat de Delhi  -régime d’occupation qui confirme les pires stéréotypes sur l’islam sanguinaire-  fut éradiqué par le conquérant ouzbek Babar, descendant tout à la fois de Genghis Khan et de Timour Lenk (ou « Tamerlan »). Babar fondit en 1526 l’Empire Mogol qui, au départ, poursuivit la politique de terreur du Sultanat de Delhi contre les « incroyants ». Sous le règne du petit-fils de Babar, Akbar, cette politique fut abrogée et remplacée par un régime plus tolérant. Pendant un siècle environ, l’Inde vécut ainsi sous un régime de réelle tolérance jusqu’à ce que le Padeshah Aurangzeb se remit à serrer la vis vers 1668. Toutefois le cinquième gourou des Sikhs connut la mort du martyr en 1606. Il avait compilé un certain nombre de vers pieux de Nanak et d’autres poètes hindous pour un faire une anthologie portant pour titre « Gourou Granth » ; la cour mogol apprit que ce livre contenait quelques propos anti-islamiques. Ce fut considéré comme intolérable : le gourou fut torturé pendant cinq jours jusqu’à ce que mort s’ensuive.

 

Le neuvième gourou des Sikhs fut lui aussi exécuté après qu’il ait refusé de se convertir à l’islam. Son fils, le gourou Govind Singh, décida que de telles exécutions ne pouvaient plus avoir lieu dans l’avenir et constitua en 1699 une milice pour lutter contre le pouvoir musulman. C’est ce que nous rapporte la légende mais, toutefois, il convient de dire que la vérité historique est moins binaire. Les Sikhs eux-mêmes n’avaient jamais cherché la confrontation : ce furent les Mogols qui rompirent l’équilibre et l’entente entre confessions en faisant exécuter les chefs spirituels qu’ils jugeaient « mécréants ». Les Sikhs retrouvèrent assez rapidement les faveurs de la Cour mogol. Plus d’un gourou sikh devint le conseiller ou le confident des empereurs ou des princes héritiers, notamment le père de Govind, avant que celui-ci ne tombe en disgrâce, et Govind lui-même après s’être péniblement extrait de cet état de disgrâce.

 

Malgré ces périodes de connivence, le gourou Govind, au beau milieu de son magistère, entre 1699 et 1705, était bel et bien en conflit avec le régime mogol musulman. La confrontation ne fut pas glorieuse pour lui : il fut poursuivi, chassé, défait ; deux de ses quatre fils tombèrent au combat ; les deux autres furent capturés puis torturés à mort. Govind n’a donc pas eu de postérité biologique directe : il décida que la lignée des gourous sikhs était définitivement achevée et que le seul gourou, dorénavant, devait être le livre « Gourou Granth ». Bon nombre de ses disciples lui tournèrent le dos, à cause de sa direction malheureuse. Finalement, il envoya au Padeshah Aurangzeb une lettre, où il émit quelques critiques  -raison pour laquelle les Sikhs le considèrent comme courageux et appellent sa lettre « Zafar-Nama », la « lettre de la victoire »-  mais, en fin de compte, il y offrit sa soumission. Il devint un courtisan du prince héritier Bahadur Shah. Parce que le gouverneur mogol, qui avait battu Govind, se sentait menacé par l’amitié qui liait ce dernier au nouveau Padeshah, il le fit assassiner en 1708. Govind fut ainsi le troisième gourou à périr d’une main musulmane, ce qui contribua, bien évidemment, à consolider la haine profonde qu’éprouvent les Sikhs à l’endroit des musulmans, une haine qui fut réactivée en 1947 lorsqu’ils furent expulsés en masse du Pakistan, nouvel Etat islamique issu de la décolonisation du sous-continent indien.

 

Ce n’est donc qu’après la mort de Govind que le sikhisme prit l’initiative militaire de combattre le pouvoir musulman. Banda Bairagi, homme de confiance de Govind, mena une insurrection, qui fut écrasée dans le sang. Mais, sur ces entrefaites, la puissance mogol se vit brisée par un facteur nouveau, venu du sud, les Marathes hindous. L’Empire mogol n’eut plus qu’une existence nominale, tandis que le véritable pouvoir était exercé par les Marathes, qui le tiendront jusqu’à leur défaite de 1818 face aux Britanniques. Dans la région des Sikhs, il y eut donc subitement, à cause de la défaite des Mogols face aux Marathes, un vide de pouvoir, leur permettant  de proclamer leur propre Etat, qui résista à l’avance des Britanniques jusqu’en 1849.

 

Les cinq « K »

 

Malgré ses déboires militaires, le gourou Govind demeurera dans l’histoire pour avoir, en 1699, réorganisé une partie des Sikhs en un ordre militaire, la Khalsa (de l’arabe « khalis », signifiant « pur »). Lors d’un rassemblement, il aurait dit  -mais la narration de cette assemblée date de 1751 et est donc peu fiable-  qu’il avait besoin de quelqu’un qui soit prêt à donner sa vie. Un premier volontaire se présenta : c’était un homme appartenant à la même caste que les dix gourous qui s’étaient succédé depuis Nanak.

 

Ce volontaire s’engouffra dans une tente en compagnie de Govind. Le gourou en sortit un peu plus tard, un sabre ensanglanté à la main. Malgré le suspens pesant sur l’assemblée, un deuxième volontaire se présenta et entra dans la tente, puis un troisième. Après un manège identique avec cinq volontaires au total, le gourou sortit de la tente, avec les cinq volontaires, désormais appelés les « cinq favoris », se tenant par la main, tous bien vivants, rayonnant dans leurs habits et leurs turbans orange. Ils appartenaient à cinq différentes castes et venaient de cinq régions différentes, symbolisant par là même l’unité des Sikhs.

 

Les membres de la Khalsa, qui devinrent l’élite « normante » de la communauté sikh, doivent se tenir à toute une série de règles. Ainsi, ils ne peuvent pas épouser une femme musulmane ni manger de la viande « halal » (c’est-à-dire de la viande pure selon les critères de l’abattage rituel islamique). Cette disposition de la Khalsa pourrait avoir un réel impact sur nos sociétés devenues multiculturelles : nos enfants sont contraints, désormais, de manger de la nourriture « halal », dans les cantines scolaires sous prétexte que cela ne fait aucune différence pour eux, alors que leurs condisciples musulmans, eux, ne peuvent pas manger de viande « non halal ». Mais que doit faire dès lors l’enfant d’immigrés sikhs ? Pour eux, cette nourriture « halal » constitue un interdit alimentaire, quoique de manière inverse : il leur est rigoureusement interdit d’en absorber ! Toute école « progressiste », qui fait de la multiculturalité islamocentrée une obligation absolue à respecter, et qui fait cuire des plats « halal » pour l’ensemble de ses élèves, mais ne prend évidemment pas la peine de faire cuire des plats « non halal » pour les élèves chrétiens ou laïcs, lesquels doivent ipso facto renoncer à leur cuisine traditionnelle, devra à l’avenir, du moins si elle veut respecter les critères pluralistes de la multiculturalité, faire cuire des plats non halal pour d’éventuels élèves sikhs, faute de quoi leurs discours multiculturels apparaîtraient pour de la pure farce ou pour une islamisation déguisée, ce qui serait une option monoculturelle et non plus multiculturelle.

 

Les membres de la Khalsa ne peuvent jamais camoufler leur identité en portant des vêtements banals. Il faut qu’ils soient reconnaissables en portant la barbe et un certain type de turban, en portant également le titre honorifique du guerrier « Singh » (= « lion ») et en respectant la règle des cinq « K » : « Kesha » pour « cheveux », lesquels ne peuvent être coupés ; « Kangha » pour « peigne », afin de pouvoir porter leurs longues chevelures de manière ordonnée et soignée, à la différence de la pilosité désordonnée des ascètes hindous (le sikhisme est contre le renoncement au monde et le célibat monacal) ; « Kara » pour le bracelet d’acier ; « Katchtchiha » pour le pantalon knickerbockers sur le modèle militaire britannique ; et enfin, « Kirpaan », pour la fameuse dague, que les autorités indiennes et britanniques permettent de porter, aujourd’hui encore.

 

Renoncer au port de cette arme blanche est donc inacceptable pour les Sikhs membres de la Khalsa. Etre en mesure de se défendre par les armes est pour eux une obligation.

 

Moestasjrik/’t Pallieterke, 19 décembre 2007 (trad. franç.: Robert Steuckers).

 

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