Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 31 janvier 2008

Jeunes filles porte-bannière

78fe41eee6156ba67405c388b703c386.jpg

Willy FRESON:

SOUS L'EGIDE DE WOTAN: les jeunes filles porte-étendard dans les tribus germaniques

Les démocraties égalitaires contemporaines nous avaient déjà gratifiés de la guerre totale, c'est-à-dire de la guerre pour tous. Depuis peu, en Europe, elles ont peaufiné leur logique maniaque, en étendant aux femmes le douteux 'droit' de porter l'uniforme et les armes.

Y a-t-il là un quelconque souci d'affermir l'institution militaire et policière ? Ou de répondre à une impérieuse nécessité de défense nationale ? En aucune façon, bien sûr. Seules des considérations idéologiques obsessionnelles ont présidé à cette nouvelle et mirifique avancée des 'droits imprescriptibles'. Sur le thème 'Les femmes et la guerre', on lira dans La Nouvelle Revue d'Histoire (n°2, sept-oct 2002) le compte-rendu du livre de l'auteur israélien Martin van Creveld et la table ronde qui lui est consacrée. Les femmes en armes constituent donc un sujet d'actualité qu'on ne saurait ignorer, puisque désormais cet intéressant spectacle s'offre quotidiennement dans nos rues, avec, il est vrai, d'autres réalisations de cette modernité qui fait le charme de la vie urbaine.

Cependant, mon propos ne sera pas d'épiloguer plus longuement sur le présent et l'avenir de la question, mais bien plutôt de saisir le prétexte de ce point d'actualité, pour en évoquer certains aspects anciens. Que peut dire l'historien sur les femmes et la guerre, dans le lointain passé des peuples européens, c'est-à-dire bien avant que le chaos de la 'modernité' ne déstructure ces derniers ? Certes, le champ d'investigation est vaste, mais les sources ne répondent pas toujours à l'attente. Néanmoins, les textes, et plus encore l'archéologie, offrent parfois des ressources inattendues. Par exemple, dans le cas du monde germanique ancien, l'information est d'origine romaine. C'est donc d'abord, par-dessus les épaules des légionnaires, que nous aurons l'occasion de contempler les cadavres meurtris de femmes germaniques tuées au combat, en compagnie de leurs congénères masculins.

Le choc des grandes invasions barbares

Dion Cassius, sénateur romain originaire d'Asie Mineure, écrivit en grec, vers 230 de notre ère, une Histoire romaine, qui constitue une de nos sources principales sur le sujet. Son oeuvre, comme tant d'autres, nous est malheureusement parvenue mutilée par les siècles. C'est dommage, car il y rapportait des événements qui lui avaient été contemporains, entre autres l'épisode fameux connu sous le nom de 'Guerre des Marcomans', premier acte des Grandes Invasions, qui allaient semer le chaos dans l'Empire et mettre à jamais l'Europe en miettes. Cette geste sanglante peut se résumer ainsi: de 166 à 180, les peuples barbares du centre de l'Europe s'ébranlèrent de proche en proche et franchirent en masse les frontières de l'Empire romain, sur le Danube et dans les Carpates. En 170, les Balkans et la Grèce furent razziés. La même année, des bandes germaniques firent même irruption en Vénétie, semant une terreur d'autant plus incontrôlée que l'Italie n'avait plus subi d'invasion étrangère depuis près de trois siècles. Ce passé, lointain déjà, avait été témoin de la ruée des Cimbres et de leurs alliés, premiers Germains à avoir pris d'assaut le monde méditerranéen.

Dans les deux cas, la machine de guerre romaine vint à bout des envahisseurs, mais au prix de combats meurtriers et de lourdes pertes. Dès 171, l'empereur Marc-Aurèle prenait ses quartiers à Carnuntum, sur le Danube -non loin de l'actuelle Bratislava- et ses troupes rejetaient l'ennemi sur l'autre rive. Puis, l'année suivante, les armées romaines franchirent le fleuve et occupèrent le pays des Marcomans et celui des Quades (Moravie et Slovaquie). C'étaient les principaux meneurs de la coalition barbare, qui comprenait une foule de peuples, dont les Lombards, les Vandales, les Hermundures, les Daces 'libres' et les Sarmates. Ce ne fut pas sans mal. Progressant dans l'axe de la 'route de l'ambre', immémoriale liaison entre l'Adriatique et la Baltique, les légions menèrent durant des années une lutte sans merci contre un adversaire féroce, une éreintante guérilla entre monts de Bohème et vallées des Carpates.

Du tumulte de ces combats témoignent les scènes pathétiques de la Colonne Aurélienne, à Rome, et les inscriptions mentionnant nombre de généraux romains tués dans les batailles, et les couches de cendres, dégagées par les archéologues, sur les sites des villages germaniques au nord du Danube. Quant aux sources littéraires, elles sont d'une maigreur déplorable, eu égard à l'importance cruciale de ces événements pour l'histoire subséquente de l'Europe. Sur le sujet, Dion Cassius est un témoin irremplaçable, bien que le récit qu'il fit du règne de Marc-Aurèle ne subsiste plus qu'à l'état de bribes. C'est précisément un de ces fragments que je prendrai comme point de départ, pour introduire quelques réflexions sur un aspect peu connu, mais assez singulier, de la vie sociale des anciens peuples d'Europe.

Des cadavres de femmes en armes

Il s'agit de onze mots préservés par l'abréviateur byzantin Xiliphin (Dion, 71, 3, 2/Boissevain, III, 251) et qu'on peut traduire comme suit: 'parmi les cadavres des Barbares, on trouva même des femmes en armes'. C'est là un des rares témoignages littéraires antiques qui nous présente des femmes combattantes, intégrées dans un groupe de guerriers, ceci dans le contexte des guerres du 2e siècle évoqué plus haut. Manifestement, l'anecdote a été préservée parce qu'elle rapportait un trait curieux, éminemment barbare, qui choquait l'entendement des Anciens. La tradition grecque voyait, d'ailleurs, dans la guerre au féminin un fait exotique propre à distinguer le civilisé du non-civilisé. Elle n'appréhendait le phénomène qu'au travers de la légende des Amazones, fiction littéraire souvent exploitée, mais qui reposait sur une réalité historique mal comprise et enracinée dans le milieu des nomades iraniens (Scythes, Alano-Sarmates).

Une distinction s'impose cependant. Mon propos porte sur les femmes guerrières, c'est-à-dire sur celles qui portaient les armes et participaient aux combats dans les rangs des formations militaires traditionnelles de leurs ethnies, de manière quasi-institutionnelle. Ce phénomène est peu mentionné dans les textes. Ceux-ci sont, par contre, plus prolixes lorsqu'il s'agit de mettre en scène des femmes -mères, épouses ou filles- sortant de leur rôle naturel et participant peu ou prou aux combats, avant tout sous la pression d'événements contraignants. Un cas célèbre est celui des femmes cimbres, dans la plaine du Pô, en 101 avant notre ère. Plutarque et Orose nous les décrivent, hurlantes et gesticulantes, tentant de rétablir une ligne de défense sur le cercle de leurs chariots, alors que les rangs des Cimbres viennent d'être enfoncés par les légions du consul Marius. Le récit de la bataille s'achève sur un massacre général et sur le spectacle des soldats romains lancés au pas de course, qui égorgeant et décapitant les malheureuses, avant d'assister au suicide des survivantes, exécutant leurs propres enfants. L'année précédente, les femmes des Ambrons s'étaient comportées avec une semblable détermination face aux soldats du même Marius. On se rappellera aussi le rôle de soutien joué par les femmes bituriges, lors de l'assaut tenté par les légionnaires de César sur Avaricum (Bourges).

Des guerrières avérées

Tout autre est évidemment le cas des guerrières avérées, qui participent en première ligne et qui, en toute hypothèse, jouent un rôle particulier dans l'organisation des contingents germaniques. Ce rôle n'a sans doute fait que croître à la faveur des grands mouvements de peuples guerriers, qui se déploient en Europe centrale et orientale dès la veille des Guerres Marcomanniques et qui connaîtront leurs paroxysmes au 3e et au 5e siècles. Ainsi, cent ans après la contre-offensive victorieuse de Marc-Aurèle, la situation stratégique de l'Empire romain s'est considérablement détériorée. Durant une bonne part du 3e siècle, un ouragan d'assauts répétés s'est déchaîné sur toute la frontière européenne, depuis la mer du Nord jusqu'au piémont du Caucase. En particulier, la puissante confédération gothique, issue des régions baltiques, s'est établie alors en Ukraine et Roumanie actuelles, lançant, à partir de là, de profondes razzias vers les Balkans, l'Asie Mineure, l'Egée et même la Méditerranée orientale. La situation ne fut rétablie, en partie, que par les puissantes contre-offensives menées par les empereurs Claude 'le Gothique' et Aurélien.

Ce dernier s'illustra, entre autres, par de nombreuses victoires et par un triomphe fameux à Rome, en 274, où figurèrent les rebelles Tétricus et Zénobie, le dernier empereur 'gaulois' et la célèbre reine de Palmyre. Mais surtout, nous rapporte l'Histoire Auguste (Aurélien, 34, 34,1), on fit aussi défiler dix femmes dont il s'était emparé -alors que beaucoup avaient été tuées- tandis qu'elles combattaient, habillées en hommes, parmi les Goths, une pancarte indiquant qu'elles appartenaient à la race des Amazones. Cette mention, plus explicite que celle de Dion, intègre tous les éléments évoqués plus haut: des guerrières combattant avec les hommes dans le même appareil, assimilées aux Amazones -cadre de référence obligé de la culture antique- et présentées comme une curiosité dans le défilé des captifs, avant de finir en anecdote piquante dans les récits de l'historiographie gréco-latine.

Les rumeurs de cette tradition perdureront durant des générations, puisqu'on en retrouve encore l'écho, à la fin du 8e siècle, chez Paul Diacre, qui écrit: On raconte que, lors d'une expédition avec leur roi, les Lombards, arrivés à un fleuve, s'en virent bloquer la traversée par les Amazones et que Lamissio fit le coup de poing avec la plus forte d'entre elles et la tua, se gagnant l'éloge et la gloire et procurant le passage aux Lombards (..). Cette partie du récit ne repose sans doute que sur une vérité bien mince. Tous ceux qui connaissent ces vieilles histoires savent bien que le peuple des Amazones a été détruit bien avant que ces faits aient pu se produire; à moins peut-être que, dans ces lieux mal connus et à peine mentionnés par l'hitoriographie où sont censés s'être déroulés ces événements, n'aient existé jusqu'à cette date des femmes de ce genre. J'ai effectivement, moi aussi, entendu dire qu'un peuple de ces femmes existe encore aujourd'hui dans les profondeurs de la Germanie. (Histoire des Lombards, 1, 15). Rappelons que ces lignes furent écrites par un auteur, lui-même d'origine lombarde, qui était un familier de Charles le Grand, alors que celui-ci menait ses guerres de terreur contre les Saxons demeurés 'païens'.

Des cadavres qui parlent

Si on a vite épuisé les ressources de la tradition littéraire -que je me suis efforcé de replacer dans leur contexte historique-, on se console sans peine avec les données de l'archéologie, laquelle fournit sans conteste le clou de la documentation. Le sol européen a, en effet, livré une catégorie toute particulière de fossiles humains, dans un état de conservation remarquable. Il s'agit de la série dite 'hommes des tourbières' (Moorleichen, Bog peoples, Moseliget), collection impressionnante de cadavres, conservés grâce aux conditions physico-chimiques favorables du milieu des tourbières d'Europe centrale et septentrionale. Un dénombrement, effectué en 1975, arrivait au chiffre de 1.620 cas, mis au jour principalement en Allemagne et au Danemark (4 cas en Belgique). Les découvertes n'ont pas cessé depuis, avec, par exemple, l'homme de Lindow Moss, en Angleterre (un druide, semble-t-il) ou le cas, spécial, de l'homme des glaces, 'Ötzi', au Tyrol. J'ai personnellement le souvenir poignant de la jeune fille de Windeby, que j'ai longuement contemplée au château Gottorf, à Schleswig. De cette collection, une série limitée de cas -mais néanmoins significative- relève de notre propos.

- Il y a tout d'abord trois cadavres de jeunes filles, trouvés dans le Halverder Moor (arr. de Tecklenburg, Westphalie) et qui datent des environs de 350 avant notre ère. Elles reposaient en compagnie de huit jeunes hommes, équipés de boucliers, d'épées et de lances, les filles ajoutant à cet appareil des arcs et des flèches. Les hommes portaient de longs pantalons de laine. Leurs compagnes complétaient cette tenue de vestes sans manches. Les onze corps étaient percés de coups.

- A Spelle, non loin du site précédent, mais en Basse-Saxe (arr. de Lingen), on a découvert seize corps portant des blessures de combat, dont ceux de deux filles âgées de 18 à 20 ans. Les morts reposaient avec leurs épées et des boucliers brisés, les filles avaient en sus des arcs et des flèches. A côté de chacune d'elles gisait une lance doublée d'une hampe fichée verticalement et dont l'extrémité supérieure était pourrie, montrant que les bois avaient été intentionnellement visibles en surface. Les faits datent du tournant de notre ère.

- Dans le Bruchbergmoor, à l'ouest des monts du Harz (Bad Grund, Basse-Saxe), on a exhumé trois hommes et quatre jeunes filles, armées et habillées comme leurs compagnons, dont l'un portait un collier garni d'une pièce d'or à l'effigie d'un empereur romain. Les sept individus avaient succombé à des coups d'épée.

- Le Kapermoor (Gollensdorf, arr. d'Osterburg, Saxe) a livré les corps d'une jeune fille et de deux hommes. Tous trois portaient des pantalons de cuir -la fille avec une veste. Ils avaient des blessures infligées de taille à l'épée. L'étrange demoiselle tenait une lance dans la main droite. Elle portait une épée à la hanche et elle était recouverte d'un bouclier brisé. Le fer de ses armes était incrusté de signes runiques damasquinés d'argent. L'ensemble a été daté du début du 3e siècle.

- Est particulièrement remarquable le corps d'une jeune fille retrouvé à Dätgen l (près de Rendsburg, Schleswig-Holstein) et qui date des environs de l'an 600 de notre ère. La jeune fille, vêtue de cuir, reposait sur un bouclier quadrangulaire aux bords arrondis. Dans sa main, elle portait une lance sur laquelle -fait singulier- avait été fiché un chapeau de feutre. Elle reposait criblée de flèches, aux côtés de six hommes, eux aussi percés de flèches et de coups d'épées.

- Tout aussi insolite est le cas de la jeune fille du Haselmoor (Kochel, arr. de Bad Tölz, Bavière), daté du 7e siècle. Elle tenait des deux mains une forte hampe de bois, présentant sur le haut de profondes entailles et tranchée d'un puissant coup de taille un peu au-dessus de sa tête. L'autopsie minutieuse du corps a révélé un hymen encore intact. La jouvencelle et le jeune homme étendu à ses côtés portaient comme vêtement des pantalons de cuir et des chaussures basses à lacets, complété pour la fille d'une veste de cuir sans manche. Les corps, frappés de coups d'épée, reposaient sur des boucliers tendus de cuir.

- Enfin, signalons le cas de la jeune fille de Linum (arr. de l'Osthavelland, Brandebourg). Elle portait une épée fixée à une ceinture serrant un pantalon de cuir, dans lequel était rentré une longue veste de laine sans manches. Dans sa main, elle tenait un arc. Tout près, un carquois était encore pourvu de quelques flèches. Elle avait été atteinte de plusieurs de ces traits.

Des vierges porte-bannière ?

L'interprétation de cet ensemble de faits bien documentés requiert prudence et nuance. Parmi tous ces corps de jeunes femmes, il faut sans doute faire une différence entre celles qui combattirent en nombre plus ou moins important dans les rangs des hommes, sans qu'on puisse, dans l'état de nos sources, préciser les modalités de leur rôle, et, d'autre part, celles qui semblent avoir exercé individuellement une fonction spécifique dans un cadre, par ailleurs, masculin. Le premier cas se rencontre à des titres divers et dans des contextes variés chez certains peuples, anciens ou non. Le second cas, dont relèvent les trouvailles de Dätgen l et Haselmoor, mérite plus d'attention, car il peut être éclairé par des données nettement plus récentes.

En effet, durant tout le dernier siècle du moyen âge, les Frisons du pays de Wursten, à l'embouchure de la Weser, avaient défendu leurs libertés contre les convoitises des évêques de Brême. La bataille décisive n'avait été livrée qu'en 1517, sur le Wreeder Siel. Le porte-enseigne de l'armée frisonne n'était autre qu'une jeune fille, qui se fit tuer en tentant de préserver jusqu'au bout son enseigne, la heirfona. Ce mot frison signifie 'la fille de l'armée' et désigne aussi bien la porteuse de l'emblème que l'enseigne elle-même. Cette dernière consistait, chez les Frisons du moyen âge, en une hampe de bois surmontée d'un chapeau sur-dimensionné. De tels couvre-chefs ont été retrouvés par deux fois en Frise Orientale et l'expression coutumière appelant au rassemblement du peuple se disait thene hôd upstêta, "dresser le chapeau". On ne s'avancera donc pas trop en concluant que les jeunes filles de Dätgen et de Haselmoor furent, elles aussi, des porte-enseigne de troupes guerrières, la seconde ayant manifestement subi le même sort que la heirfona frisonne: massacrée en cherchant à sauver son enseigne, dont le sommet -avec le chapeau ?- fut tranché par les assaillants.

Donne-nous la vaillance au combat

Dans tous les cas, il est important de noter qu'il s'agit de très jeunes filles, probablement vierges comme semble le confirmer le rapport médical du Haselmoor. Ce détail oriente plutôt vers une signification religieuse liée au culte de Wotan. Ce dieu, polymorphe et multifonctionnel, avait pris, en effet, depuis les 2e et 1er siècles avant notre ère, un caractère de plus en plus belliqueux, pour apparaître finalement comme le dieu par excellence de la guerre. Les Gefolgschaften, continuant les compagnonnages celtiques, se placèrent tout naturellement sous son égide et les guerriers morts au combat bénéficièrent de toute sa bienveillance. Ainsi, Wotan les accueillait auprès de lui dans le 'Valhalle' et, par ailleurs, ne se privait pas d'intervenir à son gré sur les champs de bataille, pour influer aussi bien sur les destins collectifs que sur le sort des individus. Mais il agissait à distance, par l'intermédiaire de figures féminines, les Valkyries. A l'origine, démons funèbres chargés de 'choisir les morts' (ce que signifie leur nom), ces fidèles du dieu borgne furent, par la suite, perçues comme de jeunes vierges guerrières, soutenant les mortels dans les combats et guidant les héros morts vers le Valhalle, où elles assuraient le service.

Dès lors, la 'militarisation' croissante des sociétés germaniques, durant les siècles de l'Empire romain, a dû entraîner l'incorporation d'un certain nombre de jeunes femmes dans les associations guerrières qui se regroupaient autour de chefs renommés. Héroïnes en herbe, n'est-il pas vraisemblable que ces femmes aient espéré suivre leurs compagnons, par delà la mort, pour rejoindre les banquets tumultueux du Valhalle -et pour devenir de nouvelles Valkyries ? L'hypothèse a toute chance de se vérifier, au moins dans le type de la heirfona dont la virginité avait sans aucun doute valeur sacrée, conférant force et protection à la troupe ainsi vouée au dieu de la guerre. Est en tout cas remarquable la pérennité de cette tradition païenne, jusqu'au sortir du moyen âge chrétien ! Songeons que la heirfona frisonne tomba l'année même où un moine fanatique nommé Luther afficha ses récriminations à Wittenberg, départ de la 'Réforme' et coup bas à la Renaissance !

Sans conteste, la documentation disponible aujourd'hui, toute fragmentaire et énigmatique qu'elle soit, permet de mieux discerner le rôle persistant que joua l'élément féminin dans l'organisation guerrière des peuples germaniques. Ce rôle peut être qualifié d'organique, puisqu'étroitement associé, en toute complémentarité, à la vie politique et religieuse de la communauté ethnique: la guerre restait une affaire d'hommes, mais un ensemble de représentations mentales, dont le détail nous échappe, faisait qu'un certain nombre de femmes étaient amenées -sous des conditions précises- à participer aux activités guerrières. Si maintenant on passe d'une marge de la vielle Germanie à une autre, de la Frise à la Lorraine, on ne pourra pas se retenir d'évoquer l'exemple d'une autre pucelle, apparue comme par enchantement dans 'l'Histoire de France', pour entraîner d'autres bandes armées dans le sillage de son étendard. Insolite dans le cadre chrétien français, Jeanne d'Arc ne pourrait-elle être un avatar occidental de la heirfona germanique, surgissant elle aussi de la plus profonde mémoire européenne ? La question mériterait un examen attentif. Je ne bouderai pas, en tout cas, la secrète jubilation d'entrevoir, derrière la sainte de Domrémy, l'ombre formidable du dieu borgne aux corbeaux, l'Odin des sagas scandinaves.

Willy Fréson

00:10 Publié dans Traditions | Lien permanent | Commentaires (0) | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

Les commentaires sont fermés.