samedi, 09 février 2008
La Russie face à l'hégémonie américaine
Pierre MAUGUE:
La Russie face à l'hégémonie américaine
Cet article de notre regretté Pierre Maugué, extrait du n°45 de "Nouvelles de Synergies Européennes", garde une certaine actualité et mérite encore une lecture attentive
Si le démantèlement de l’Union soviétique a soustrait au pouvoir de Moscou d’immenses territoires[1], la Fédération de Russie n’en demeure pas moins le plus grand pays du monde par sa superficie ( 17 075 400 km2 ) [2]. Le nouvel Etat n’a plus toutefois le statut de superpuissance qui permettait à son prédécesseur de parler d’égal à égal avec les Etats-Unis.
En dépit de son immense potentiel de développement, l’économie russe, dans la phase de transition qu’elle traverse, représente à peine 1% de la production mondiale[3]. Si la Russie continue à peser d’un certain poids sur l’échiquier international, c’est en raison de son importance sur le plan géopolitique et de son armement nucléaire qui, en dépit des réductions intervenues, continue à constituer pour les Américains une menace militaire non négligeable.
La Fédération de Russie, comme l’ancienne Union soviétique, ne jouit pas d’une homogénéité ethnique. Des 89 entités qui la composent, 21 sont des républiques ayant une base ethnique, les 68 autres étant de simples régions administratives. L’ethnie russe demeure toutefois largement majoritaire et représente 80% de la population.
Des républiques ethniques virtuellement indépendantes de Moscou
Après la disparition du système planifié et centralisé de l’Union soviétique, une large décentralisation s’est mise en place ; les républiques et régions de Russie ont ainsi obtenu le droit de passer des accords avec des entités étrangères, pour autant que ces accords ne soient pas en contradiction avec la constitution russe. Plusieurs autorités locales ont même obtenu le droit d’établir leur propre consulat à l’étranger. Sur le plan économique, les républiques peuvent aussi participer de manière indépendante au commerce extérieur, et il leur est permis d’exporter et d’importer des matières premières et des produits manufacturés sans autorisation du gouvernement central. Les républiques du Tatarstan et du Bashkortostan se sont ainsi dotées d’une représentation officielle indépendante de Moscou dans des organisations économiques internationales, et l’on peut voir une concurrence se développer entre les différentes républiques et régions de Russie pour attirer les investissements étrangers. Les résultats de cette concurrence sont toutefois très inégaux puisque 90% de tous les investissements étrangers se concentrent dans dix régions ou républiques, la ville de Moscou en attirant à elle seule 70%.
Le panturquisme a le vent en poupe
Mais cette décentralisation très poussée peut aussi avoir des conséquences politiques indésirables. On a pu voir ainsi des représentants des régions du Bashkortostan, Daguestan, Sakha, Tatarstan, Tuva, Khakassia et Chuvashia prendre part en 1998 à une réunion de la communauté pan-turque ; lors de cette réunion a été reconnu officiellement la République turque de Chypre – décision en contradiction avec la position officielle de la Russie sur le conflit cypriote, et de nature à compliquer les relations déjà délicates de Moscou avec la Grèce et la Turquie. De la même manière, avant que la guerre de Tchétchènie n’enflamme le pays, les autorités tchétchènes étaient en train de promouvoir activement la formation d’un marché commun du Caucase afin de stimuler l’intégration économique des pays du nord de la région (faisant partie de la Fédération de Russie) avec ceux du sud (indépendants de la Russie). Enfin, sur la Baltique, les dirigeants de la région de Kaliningrad (anciennement Königsberg) —enclavée entre la Pologne et la Lituanie, et dont une partie de la population est d’origine allemande— souhaiteraient transformer celle-ci en une zone économique à statut particulier, l’objectif étant d’attirer les investissements étrangers et de développer les relations économiques avec la Finlande, l’Allemagne, la Scandinavie et les Etats baltes.
Fractionner pour régner… sur les gisements de gaz naturel
La faiblesse du pouvoir central russe pourrait être pour les Américains une tentation d’attiser les forces centrifuges qui agitent la Russie, de pousser à son démantèlement (comme ils le firent pour l’URSS) et de favoriser la naissance de petits Etats aptes à devenir de nouveaux satellites. Cette tentation pourrait être d’autant plus grande du fait que le territoire russe recèle d’importantes réserves de pétrole et de gaz naturel. Mais la politique du diviser pour régner, qui a si bien réussi aux Britanniques au Moyen-Orient, n’est pas aussi facile à manier à l’égard d’une puissance nucléaire comme la Russie, dont les réactions peuvent être imprévisibles. Elle accentuerait en outre le risque de prolifération des armements nucléaires que favorise déjà l’état de semi-anarchie qui règne actuellement en Russie, et qui constitue un des soucis majeurs des Etats-Unis.
Des mises en garde ont été formulées aux Etats-Unis mêmes, dans des milieux proches du pouvoir, à l’égard d’une politique dont les conséquences pourraient se révéler incontrôlables, et qui risquerait notamment de conduire à un nouveau rapprochement entre la Russie et la Chine. Mais le gouvernement américain n’en a pas moins intérêt, pour des motifs géopolitiques auxquels la question pétrolière n’est pas étrangère, à maintenir un état de tension dans la région du Caucase, ne serait-ce aussi que pour tester la volonté du gouvernement russe de défendre son intégrité territoriale.
Créer des républiques islamistes pour affaiblir le monde slave et orthodoxe
En Tchétchènie, comme en Bosnie et au Kosovo, l’objectif des Américains pourrait être de créer un nouvel Etat islamiste sur les flancs du monde slave et de la chrétienté orthodoxe. Préfiguration de ce qui se passera peut-être demain aux dépens de la chrétienté occidentale (ou de ce qui en reste encore) !
Restaurer le pouvoir de l’Etat central, sans remettre en question le principe d’une décentralisation raisonnable, indispensable au développement de l’économie, faire comprendre aux Etats-Unis et à leurs satellites occidentaux que l’intégrité territoriale de la Russie ne peut d’aucune manière être remise en cause, telle va être la tâche la plus urgente à laquelle Poutine va devoir s’attaquer.
Quant à l’Europe, en s’alignant à chaque fois sur la politique étrangère américaine à l’égard de la Russie et du monde slave orthodoxe, elle se trompe d’adversaire. Pour les Européens, la Russie actuelle n’est un danger ni sur le plan militaire, ni sur le plan économique, ni sur le plan culturel ; elle constitue au contraire un élément indispensable d’une véritable construction européenne, En revanche les Etats-Unis occupent militairement l’Europe sous couvert de l’OTAN, dominent la vie économique par le dollar, et imposent sans vergogne leur langue et leur « culture ».
Privilégier le nouvel impérialisme turc
Comme cela a déjà été démontré, l’Islam sert objectivement les intérêts des Etats-Unis, qui favorisent son expansion aux dépens de l’Europe, notamment dans les Balkans, où ils visent à restaurer le pouvoir de leur allié privilégié, la Turquie. En outre, en s’installant massivement en Europe occidentale, les musulmans y constituent un facteur de déstabilisation qui, comme dans les Balkans, pourra être utilisé par Washington le moment venu.
A la fin du XVII siècle, l’armée turque pénétrait au cœur de notre continent et assiégeait Vienne, mais l’Empire des Habsbourg avait alors la volonté et la capacité de battre l’envahisseur.. Aujourd’hui l’Islam réalise son rêve séculaire et s’installe partout en Europe ; mais à Bruxelles, comme jadis dans Constantinople assiégée, on discute du sexe des anges ! Poids lourd du point de vue économique, l’Europe est devenue un nain politique ; l’hégémonie américaine, s’appuyant sur l’Islam, a encore de beaux jours devant elle.
Pierre MAUGUÉ.
Notes:
(1) Dont l’Ukraine, où se situe la ville de Kiev, qui fut le berceau de la nation russe
(2) La superficie de l’URSS était de 22 400 000 km2
(3) En 1998, le produit intérieur brut (P.I.B.) de la Russie a été de 276.611 millions de dollars, soit 0,96% du total mondial. (28.736.978).A titre de comparaison, les Etats-Unis, avec 8.230.397 millions de dollars, représentent 28,64% de la production mondiale, l’Allemagne, 7,42%, la France, 4,96%, et la zone Euro de la Communauté européenne (donc sans le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark et la Grèce), 23,51%. A lui seul, le Japon représente 13,16 %de la production mondiale et a près de quatorze fois le poids économique de la Russie.00:45 Publié dans Affaires européennes, Eurasisme, Géopolitique, Histoire | Lien permanent | Commentaires (1) | | del.icio.us | | Digg | Facebook
Commentaires
Cher Monsieur Steuckers, votre conférence sur Hergé fut fort intéressante (ça a été une occasion de redécouvrir l'histoire Belge) ainsi que celle sur l'Iran (j'ai surtout apprécié le fait que votre analyse était solidement documentée, argumentée et nuancée). Comme toujours ce fut un réel plaisir de prendre connaissance de vos analyses.
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Écrit par : Rodion Raskolnikov | samedi, 09 février 2008
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