lundi, 28 avril 2008
Tombeau pour Jacques Laurent
Tombeau pour Jacques Laurent
« C’était un combattant », Michel Déon, le 6 janvier 2001.
« Je suis comme Marcel Aymé, contre l’armée, contre les curés, contre le travail, la famille et, bon, je suis de droite »
Jacques Laurent.
Un seigneur s’en est allé le 29 décembre 2000: Jacques Laurent est mort de chagrin quelques semaines après sa femme. Avec lui, tous les amoureux de la littérature et de la liberté perdent un modèle. Libertin et érudit, surdoué et protéiforme, Jacques Laurent-Cély était né en 1919: sa disparition à la fin d’un siècle, oui bien stupide, est grandement symbolique. La discrétion de la « grande presse », à l’exception du Figaro et du Point en dit long aussi sur le climat intellectuel et esthétique que nous autres, ses cadets désolés, devrons affronter sans faiblir. Il est vrai que Jacques Laurent fut toute sa vie un homme libre, subtilement hostile à toutes les formes de sectarisme et de scolastique que la gauche idéologique, aujourd’hui installée au pouvoir, incarne avec une bonne conscience en béton armé. Ayant fréquenté l’Action française dès 1934, il avait été formé à l’école de Maurras (« un nettoyeur de l’intelligence ») et du classicisme français. C’est précisément cette imprégnation classique qui le rendit imperméable au romantisme fasciste, vu comme une démesure à fuir comme la peste. Ceci explique qu’il ne fut pas cagoulard malgré ses liens familiaux avec Eugène Deloncle et son goût du combat même violent: le romantisme de ces conspirateurs l’arrêta. Son engagement à Vichy, au Ministère de l’Information (sous Paul Marion et Philippe Henriot), ses articles dans la presse de la Restauration Nationale réunis en un livre publié en 1944, Compromis avec la colère (sous le nom de Jacques Bostan), puisent leur inspiration dans une volonté de restaurer l’ordre classique. Il est en cela proche de Mounier: « promouvoir le réel, le vivant, l’organique, l’évolutif contre l’abstrait, le géométrique, l’immuable mis en fiche, le général et le totalitaire ».
Il y a quelques années, répondant à un journaliste du Figaro, Laurent définissait la droite comme suit: « La droite interdit à l’humanité d’espérer quelque chose de mieux, de croire, béatement, en un avenir meilleur. La gauche a le rôle de la collection Harlequin ». Ceci fait de lui l’un de nos maîtres, qui nous rappelle le refus des utopies comme fondement de notre attitude. Autre leçon de Laurent: son activité d’éditeur: ses revues Arts, La Parisienne furent dans les années 50 des « oasis de liberté » pour citer Michel Déon. Sous l’apparente frivolité du dandy, Laurent cachait une générosité, un flair et un courage rarement égalés dans la droite d’après-guerre. Il faut relire ses Chroniques de ce temps (rééditées chez B. de Fallois), comme son autobiographie Histoire égoïste (Table ronde), livres à la fois brillants et solides: la quintessence de l’authentique subversion, la subversion classique, alliance parfaite - et rarissime - du style et des idées. Disciple de Stendhal (et du cher Alexandre Dumas), Laurent est enfin le romancier de l’élan vital et du divin imprévu: lire ses chefs d’œuvre Les Corps tranquilles ou Les Bêtises, constitue la meilleure des thérapies face à la morosité hivernale. Pour tous les dissidents, Laurent restera un maître, celui qui nous enseigne «qu’il n’y a pas d’intelligence sans liberté, sans solitude, et sans courage ».
Patrick CANAVAN.
00:11 Publié dans Littérature | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hommage | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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