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lundi, 06 octobre 2008

Europe: terre d'empires?

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Europe: terre d'empires?

 

Dans le numéro 14 de notre bulletin, je lisais avec satisfaction une étude, assez longue, de notre ami Lucien Favre, intitulée «Géopolitique, Politique étrangère, sécurité et défense en Eurasie». L'auteur a là une démarche tout-à-fait “synergétiste”: il guide notre réflexion sur les points essentiels de la future puis­sance que nous souhaiterions devenir. Mais l'audace de sa démonstration se fonde, on l'aura senti en la lisant, sur l'usage affirmé du terme “Eurasie”. Mis à part quelques spécialistes de l'histoire diplomatique, quelques officiers des services spéciaux, quelques slavistes qui connaissent le vieux rêve “eurasiste” de certains philosophes, écrivains et publicistes russes, personne, en Occident, ni dans les médias qui ne racontent plus rien d'essentiel, ni a fortiori dans le vaste public, n'est capable de définir correctement cette notion. Ce flou recèle bien des dangers. Ce qui nous oblige à prendre des précautions. Afin qu'il ne soit pas utilisé n'importe comment, ressassé comme une incantation ou une formule magique, comme le prisent les sectaires et les angoissés qui cherchent à tout prix des prétextes pour se rendre intéressants et pour attirer sur eux l'attention de quelques pâles journalistes manipulés et foireux, en mal de copies et désireux de découvrir un nouveau “Grand Satan”.

 

En effet, le mouvement SYNERGIES EUROPÉENNES n'a nullement l'intention de fabriquer un ersatz de romantisme, de manier un leitmotiv pour choquer le public et le prendre à rebrousse-poil. Un séminaire de SYNERGIES décidera cet hiver de l'usage que nous ferons du terme “Eurasie” dans nos discours à con­notations géopolitiques.

 

D'ores et déjà, nous orienterons nos réflexions sur les faisceaux de faits suivants:

 

* Le terme Eurasie est une notion géographique désignant les terres sibériennes, nord-asiatiques et centre-asiatiques où la Russie a exercé sa souveraineté, qui ont été peuplées de Russes. Et où la Russie est sciemment revenue, par la force des armes et par l'audace de ses cosaques, sur des territoires qui avaient été indo-européanisés à un moment ou un autre de l'histoire (Scythes, Parthes, Sakhes, Pré-Indiens, Tokhariens, etc.). La Russie a été la puissance mo­derne qui a sécurisée ces terres, afin qu'elles ne servent plus de tremplin aux invasions turco-mongoles. Personne en Europe n'a d'ailleurs intérêt à ce que cet espace redevienne la zone de rassemblement d'adversaires de notre famille de peuples.

 

* Il existe une institution internationale, garante de l'application des “droits de l'Homme”, qui couvre tout le territoire de l'Eurasie, c'est-à-dire de l'Europe et de l'ancienne URSS: c'est l'OSCE. Il convient de ren­for­cer prioritairement cette institution. François Mitterrand et Jacques Attali avaient naguère appelé de leurs vœux un espace de paix dans cette très vaste région du monde. Attali parlait plus exactement de «Marché Commun Continental» (MCC). Même si leurs visions n'ont pas été suivies d'effets, à cause d'événements comme ceux de Tchétchénie ou du Tadjikistan, il convient de revenir sur leurs discours, de les dépouiller des niaiseries idéologiques qu'ils ont été obligé de prononcer, political correctness oblige et parce qu'ils n'ont pas eu le courage de briser la dictature des médias, de dénoncer leur travail de manipu­lation au profit de la seule superpuissance subsistante. Tout cela pour dire que les spéculations sur l'Eurasie ne sont pas le seul fait de groupuscules “extrémistes”, comme aiment à le faire accroire les con­servateurs atlantistes et les petits journalistes médiocres qui leur servent de relais. L'«Eurasisme» préoccupe les chanceleries. Tout autant que nous.

 

* Récemment, les Presses universitaires d'Oxford en Angleterre ont sorti ou ressorti les ouvrages de l'historien britannique Peter Hopkirk sur le travail incessant des services secrets de tous les pays pour contrôler les masses continentales centre-asiatiques. Russes, Allemands, Japonais, Turcs et Britanniques ont, au moment de la révolution bolchevique, tenté de se rendre maîtres de l'espace turco­phone et des espaces immédiatement adjacents. Les prodigieuses aventures de Ungern-Sternberg, d'Enver Pacha, de Wilhelm Wassmuss, de von Niedermayer, de MacDonnell, etc. hantent toujours les imaginations, depuis John Buchan (Greenmantle)  jusqu'au livre de Jean Mabire sur Ungern-Sternberg. Les puissances ont toujours voulu se rendre maîtresses de la “Route de la Soie”: lors de l'effondrement de l'Empire tsariste, elles ont joué ce que Hopkirk nomme le “Grand Jeu”, afin de s'emparer de cette zone stratégique de première importance. Avec l'effondrement de l'URSS, le “Grand Jeu” peut à nouveau se jouer et bien fol serait celui qui refuserait d'en prendre acte et de tenter d'y avancer ses pions. Inutile de vous dire que les livres de Hopkirk retiendront toute notre attention.

 

* Enfin, comme cette “Route de la Soie” traverse un territoire musulman, les puissances qui tentent de la contrôler, jouent forcément une “carte musulmane”, développent un “discours islamophile”. Dans un tel contexte, une islamologie, fondée sur un sens aigu de la Realpolitik et des impératifs géopolitiques, est indispensable. Et doit impérativement se démarquer de cette islamophilie marginale, maniée par des ser­vices spéciaux tentant de compléter leurs fiches, de repérer les fanatiques niais capables de commettre n'importe quelles bavures et de recruter, si besoin s'en faut, des poseurs de plastic, afin de démontrer aux yeux des masses, qui ignorent tout du “Grand Jeu”, que le Diable est parmi eux. SYNERGIES EUROPÉENNES sera donc très attentive au dis­cours du ministre allemand des affaires étrangères, Klaus Kinkel (cf. Der Spiegel, 45/1995), qui entend développer un “dialogue critique” avec l'Iran et les autres puissances islamiques. Cette notion de “dialogue critique” s'ancre bien dans la logique de l'OSCE et vise à jouer le “Grand Jeu” en gardant la tête froide, en refusant certains a priori idéologiques, en respectant les convictions religieuses des peuples concernés, en apaisant les passions vectrices de chaos. Toute politique de discussion avec l'une ou l'autre puissance musulmane, dont l'Iran, doit s'inscrire dans un cadre aussi rigoureusement dé­fini que celui que nous propose Kinkel, tenir compte de cette institution qu'est l'OSCE. Les politiques de boycott absolu sont des gamineries politiques et géopolitiques, au même titre que tous les discours issus de l'éthique de la conviction, contraire diamétral de l'éthique de la res­ponsabilité. Et tant pis pour les puissances européennes qui n'ont pas la maturité de pratiquer un “dialogue critique”. Elle rateront le train de l'histoire. Et imploseront lamentablement en croyant détenir une vérité, “rationnelle” et “politiquement correcte”.

 

Dans le cadre de SYNERGIES, deux questions se posent: l'Eurasie est-elle une terre européenne et asiatique, est-elle plus vraisemblablement une terre d'Europe incluant la partie asiatique de la Russie, au­quel cas il faudrait parler d'Empire Eurasien? On sent très bien que deux écoles coexistent dans le réseau SYNERGIES: Pour l'une, il n'est pas de bloc européen qui n'incluerait à la fois son Occident et son Orient, de Reykjavik à Vladivostok. L'autre estime que les différences, à tous niveaux, sont telles entre l'Orient et l'Occident de ce vaste espace, qu'elles excluent un avenir maîtrisé conjointement et préfère envisager un continent “bicéphale”, régi par deux blocs impériaux, l'un européen, l'autre russe/eurasiatique, liés en­semble par d'étroits accords culturels, défensifs et économiques.

 

Quoi qu'il en soit, pour tous les “synergétistes”, une chose est certaine: notre avenir réside dans la cons­titution et la consolidation d'un bloc aux dimensions impériales, mais organisé par des structures fédé­rales, maintenant les identités comme ciment cohésif des sociétés, et vivifié par une paedia insufflant des valeurs fortes, garantes de l'indépendance et de la puissance du bloc politique. Ces propositions sont toutes réalisables dans une OSCE, débarrassée des discours larmoyants et obsolètes de l'idéologie soft. Car toujours nous maintiendrons les deux dimensions de notre programme: IMPÉRIUM et SUBSIDIARITÉ.

 

Gilbert SINCYR.

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