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jeudi, 23 octobre 2008

P; Vial: la Méditerranée n'est pas notre mère

La Méditerranée n'est pas notre mère

Terre & Peuple n°37 : "En mettant sur orbite médiatique son fumeux projet d'Union méditerranéenne, Sarkozy a voulu, bien sûr, réaliser un de ces "coups" de communication grâce auxquels il prétend exister —ou au moins faire semblant. Mais, derrière l'opération politicienne, se situe en fait une opération beaucoup plus importante, de nature idéologique. Il s'agit en effet d'affirmer à la face du monde que le monde méditerranéen est un bloc uni, soudé par une commune appartenance à une ethnoculture unique et voué à s'intégrer, tel quel, à l'Europe. Ou, plus exactement, à cette utopie qu'est l'Eurafrique. En arrière-plan, bien entendu, il s'agit
de justifier l'immigration africaine en Europe comme étant un phénomène, inévitable mais bénéfique, qui va permettre l'installation d'une civilisation métisse, portée par une population au sein de laquelle Européens et Africains vont se fondre en un mélange harmonieux, dont l'exemple est donné par le monde méditerranéen.

Il faut constater, non sans regret (car cette revue a apporté beaucoup au débat idéologique, même si nous ne partageons pas toutes ses opinions) , que le numéro 129 (été 2008) de la revue Eléments s'inscrit dans la même perspective, en publiant un dossier intitulé "Méditerranée notre mère ". Un titre peut-être inspiré de celui que Thierry Maulnier avait donné à son beau livre Cette Grèce où nous sommes nés (Flammarion, 1964). D'autant que dans son éditorial Robert de Herte, c'est-à-dire Alain de Benoist, fait abondamment référence à la Grèce pour exalter les vertus méditerranéennes. En "oubliant" qu'élargir à l'ensemble de la Méditerranée l'apport décisif, evidemment incontestable, de la Grèce à la civilisation européenne est un non-sens historique. Inspiré peut-être par les propos de Danilo Zolo, professeur de droit international à Florence, qui, dans un entretien donné à Eléments, souhaite voir "renaître une Europe enracinée dans sa culture millénaire, avec ses racines méditerranéennes ". Faut-il rappeler à ce distingué universitaire que les racines de l'Europe sont au moins autant celtiques, germaniques et slaves que gréco-romaines ? Et, quand Robert de Herte-Alain de Benoist écrit de la Méditerranée qu'elle "est espace entre les terres, ce qui signifie qu'elle unit autant qu'elle sépare", il introduit forcément l'idée, si les mots ont un sens, que la Méditerranée unit, en un même ensemble, les populations installées, depuis des millénaires, sur les terres baignées par elle : Espagne et Catalogne, Languedoc et Provence, Italie, pays balkaniques, Grèce, Turquie, Syrie, Liban, Israël, Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc. Ce que confirme la présentation du carnet de route d'Ange-Marie Guerrini (intitulé très significativement "De Tolède à Carthage "): la Méditerranée "est un ensemble de peuples, reliés entre eux d'un lien aux accents marins et lumineux".

Or au cours de l'histoire la Méditerranée, loin d'être un trait d'union, un "lien", a été une ligne de front. Même lorsque l'Empire romain fit l'unité politique, provisoire, de ce que les Romains appelaient avec fierté Mare nostrum, ce fut à l'issue de mortels affrontements entre Rome et Carthage sur le plan politique et militaire, Athènes et Jérusalem sur le plan philosophique et religieux. Affrontements opposant des conceptions du monde inconciliables —et qui le sont restées dans un empire romain miné par le poison oriental. Affrontements qui reprirent lorsque l'islam entreprit de soumettre l'Europe à la loi coranique. Comment concevoir qu'appartiennent à un même espace culturel et civilisationnel Rome et Carthage, Athènes et Jérusalem, la Provence et le Maghreb ? Il faut, pour affirmer l'unité culturelle du monde méditerranéen, s'appuyer sur un postulat idéologique qui, comme tous les postulats idéologiques, a été, est et sera contredit, totalement, par le poids des réalités ethniques. Car c'est là le fond du problème : il n'y a pas d'unité ethnique en Méditerranée : il n'y a, depuis toujours, que confrontation ethnique. Les illusions de la période coloniale (avec la trop fameuse "intégration", de Dunkerque à Tamanrasset) ont volé en éclats dans les années 1950-1960, la guerre d'Algérie venant rappeler le poids des réalités ethniques.

C'est au milieu de la Méditerranée que passe la frontière entre deux mondes : le Nord et le Sud. On sait quelle est la thèse des tiers-mondistes (qui comptent dans leurs rangs Alain de Benoist, depuis la partition,en 1986, de son livre Europe, Tiers monde même combat) : le Nord – c'est-à-dire le monde blanc – est responsable des misères du Sud – c'est-à-dire le monde non-blanc. Le Nord doit donc faire repentance et expier ses péchés – en particulier en subventionnant largement et, mieux, en accueillant et en entretenant chez lui les populations du Sud (qu'à son époque la revue Europe-Action appelait très justement non des "sous-développés" mais des sous-capables). Chaque observateur un tant soit peu attentif et lucide sait que le XXIe siècle sera celui de l'affrontement Nord-Sud, bien sûr déjà commencé puisque la frontière méditerranéenne est allègrement violée par l'immigration. Bien sûr, aussi, le camp occidental aligné sur Washington et Tel-Aviv trahit les hommes du Nord en justifiant, par l'idéologie des "droits de l'homme", l'invasion venue du Sud. Raison de plus pour refuser tout ce qui contribue à justifier cette invasion. Par exemple l'exaltation d'un islam qui apporterait les raffinements d'une vraie civilisation aux Barbares du Nord.

Ce cliché idéologique, qui bénéficie d'une large orchestration médiatique –voir le tollé suscité par le solide ouvrage de Sylvain Gouguenheim – a séduit certains intellectuels (c'est-à-dire des gens trop souvent coupés des réalités), depuis le XIXè siècle, en Allemagne ou ailleurs. Ce fut le cas de Nietzsche, à l'autorité duquel fait appel Robert de Herse pour étayer sa position. Nietzsche qui vantait la "merveilleuse civilisation maure d'Espagne"... Comme quoi personne n'est parfait et qu'il est arrivé, même à Nietzsche, d'écrire des âneries – on peut être un grand philosophe et ne pas avoir de solide culture historique. Le pourfendeur du christianisme n'a pas compris, ou pas voulu comprendre, que christianisme et islam sont frères ennemis car issus de la même matrice sémitique, qu'il faut chercher du côté du Sinaï. Quant au Grand Midi nietzschéen, mis lui aussi à contribution par Robert de Herse, il faut rappeler, tout de même, qu'il n'a rien à voir avec le Sud puisqu'il s'inscrit dans une perspective purement spirituelle. Il suffit, pour le savoir, de lire sérieusement l'auteur d'Ainsi parlait Zarathoustra. Ce qui évite de fâcheux contresens, d'autant plus gênants lorsqu'ils sont instrumentalisés pour justifier l'injustifiable."

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