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mardi, 28 octobre 2008

Grandes fortunes et dynasties familiales en France

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Grandes fortunes et dynasties familiales en France

 

Analyse: Michel PINCON & Monique PINCON-CHARLOT, Grandes fortunes. Dynasties fami­liales et formes de richesse en France, Payot, 1996, 376 pages, 135 FF.

 

Que de banalités, déjà ressassées, composent cet ouvrage fondé sur l'analyse socio-psychologique des riches, dans la tradi­tion de Bourdieu. Le sociologue P. Bourdieu a développé la notion d'habitus, manière de produire des relations sociales. L'habitus correspond aux acquis personnels d'une vie, dans un milieu social historiquement déterminé. Il s'exprime par des dispositions durables. Il s'agit donc d'un système structuré de règles intériorisées permettant à l'individu d'adapter son comportement aux variations de l'environnement. L'habitus des riches génère tout naturellement des pratiques sociales, des façons de produire des relations sociales.

 

Les pratiques organisationnelles des riches sont un sous-ensemble de pratiques sociales qui, ayant longtemps perduré à l'identique, subsisteraient pour l'essentiel. Est-ce si évident?

- Il y eut le fief, ou l'enracinement rural, dont certaines familles affirment à juste titre qu'il remonte au moyen-âge. Le château “résiduel” est toutefois plus une charge qu'un bénéfice et oblige nombre de descendants à trouver d'autres recettes pour en as­surer l'entretien.

- Il y eut le temps des palaces, des lotissements chics et des beaux quartiers, pour protéger l'environnement de l'intrusion des pauvres. Par exemple: le parc de Maisons-Laffites, la ville nouvelle du Vésinet,... Tous les exemples datent. Que dire des nouvelles castes de riches d'après la marchéisation de l'Occident? Le travail des auteurs s'arrête avant, prudemment.

 

Les pratiques sociales des riches ne sont pas le simple résultat d'un modèle culturel: la “civilisation des mœurs”. Les expé­riences acquises au fil du temps modèlent leur perception du monde ainsi que leurs pratiques. L'habitus intériorise une réci­procité articulée de pratiques (1) qui s'acquièrent aussi dans les écoles privées. Elles ont une fonction d'éducation plus que d'enseignement. Les écoles privées, créées dans la seconde moitié du XIXième siècle en Suisse, peuvent coûter jusqu'à 200.000 francs français par an; écoles polyglottes où l'on apprend les bonnes manières, grâce à l'entre-soi pratiqué par ceux qui appartiennent à un certain monde. Mais de quel monde s'agit-il aujourd'hui? La domination de l'Europe par les mafias “Bible and Business”, l'effacement des populations par les nouvelles colonies de peuplement... sur ces transformations aussi définitives, les auteurs sont, là aussi, d'une discrétion remarquable.

 

Une organisation, dans la perspective de Bourdieu, est un espace social qui produit un système structuré d'habitus spécifique, et qui structure les modalités des pratiques sociales. Les riches entretiennent un ensemble de relations issues des pratiques de chaque acteur, et l'ensemble produit une cohérence autonome. Ainsi, l'analyse des cérémonies, mondanités et rituels im­pose de comprendre le sens que les acteurs donnent à leurs actions: continuité du clan, délimitation des tribus, ajustement des personnes. Le devoir de transmettre, en particulier, est une représentation possédant une certaines cohérence. Cette cohé­rence assure la permanence de l'image de la lignée ou de la tribu, en sélectionnant les éléments assimilables, en ne procédant qu'à des réajustements et à des rééquilibres aussi peu perturbateurs que possible de l'ensemble, en évitant les réorganisa­tions en profondeur de la structure existante des significations. Le représentation du “maillon de la lignée” guide les compor­tements des acteurs et contribue à l'expression symbolique de l'organisation familiale ou tribale dont l'image, véritable arché­type, est irréductible à des perspectives individuelles.

 

D'autres auteurs de psycho-sociologie appliquent le concept de mythe (2) pour caractériser les symboles qui stucturent l'imaginaire individuel au sein d'une organisation quelconque. Le mythe renvoie à la pratique de rites remplissant trois fonc­tions: réunification, régulation, identité.

- La réunification intègre les pratiques différentes.

- La régulation définit implicitement l'acceptable et l'inacceptable.

- L'identité recouvre ce champ des rapports humains où le sujet s'efforce d'opérer une synthèse entre les forces internes et les forces externes de son action, entre ce qu'il est pour lui et ce qu'il est pour les autres.

Les relations d'affaires et les mondanités ne sont pas simplement un lubrifiant aux rapports fonctionnels dans le cadre d'une gestion de fortune. La gestion des grandes fortunes est de plus en plus collective. Le concept de gestion patrimoniale globale est un relais d'identification permettant de vivre le groupe mythique des riches comme un et cohérent dans ses intérêts.

 

Le pouvoir symbolique, destiné à convaincre les acteurs, est incertain, compte tenu de l'environnement culturel de chacun et du fait que tout symbole s'apprécie par rapport à autrui. L'incertitude est clairement reconnue par Bourdieu, pour qui les choix dus à l'habitus sont accomplis sans conscience ni contrainte en vertu de dispositions qui... se sont aussi constituées en dehors de la conscience et de la contrainte. La culture des riches happe l'individu et accroît le rôle du pouvoir symbolique en souli­gnant l'aspect socio-mental de l'organisation en réseaux de relations, en diffusant une idéologie d'emprise inconsciente mar­quée par l'adhésion.

 

Le pouvoir symbolique lié à la richesse s'analyse au total comme un effort pour inculquer la croyance en la valeur sociale des organisations, depuis l'école jusqu'aux localités, des mondanités aux héritiers. L'ensemble est supposé implicitement apte à résoudre un certain nombre de problèmes: convaincre les membres qu'ils désirent légitimement ce que ces organisations sont susceptibles de leur apporter. Affirmer que le riche, à un moment donné et avec le comportement qu'il a, est le meilleur possible, légitime l'état de fait en limitant la possibilité d'imaginer d'autres formes.

 

Mais tous les détenteurs d'un pouvoir ne mobilisent-ils pas, par la culture, des représentations collectives qui favorisent l'acceptation des asymétries de fonctions et de relations prétenduement fondées sur des normes objectives? Ainsi que les va­leurs éveillant et entretenant la croyance en la légitimité des maîtres?

 

Frédéric VALENTIN.

 

Notes:

(1) P. BOURDIEU, Le sens pratique, Ed. de Minuit, 1980; La distinction: critique sociale du jugement, Ed. de Minuit, 1979.

(2) R. REITTER & B. RAMANANTSOA, Pouvoir et politique. Au-delà de la culture d'entreprise, McGraw Hill, 1985.

00:05 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : finances, banques, capitalisme, richesse | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

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