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mercredi, 19 novembre 2008

Les nouvelles censures

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« Les Nouvelles Censures/ Dans les coulisses de la manipulation de l'information
Par Paul Moreira

Ex: http://www.polemia.com 

Tout commençait bien.
Tout d’abord, le titre, accrocheur comme une Une de « Marianne ». Et plus encore le sous-titre : « Dans les coulisses de la manipulation de l’information », qui présageait une enquête opportune, une quête obscure, difficile, voire dangereuse. Sur un sujet aussi épineux, cela sentait la prise de conscience salutaire, voire la rébellion ! Et puis même Vladimir de Gmeline dans « Valeurs actuelles » s’était fendu d’un papier élogieux – au point de sentir la commande à 100 mètres. Premier indice.

L’auteur, ensuite, pouvait présenter les garanties nécessaires au traitement du sujet. Son éditeur en fait un « journaliste d’investigation dans la presse écrite, à la radio et à la télévision ». Notamment pour Canal+, comme responsable de l’émission – dite de référence – « 90 minutes ». Deuxième indice.

Nonobstant les appréhensions initiales, la quatrième de couverture, enfin, suscite l’appétence. Il s’agit bien de prendre en compte les dernières techniques de manipulation, les nouvelles manières de formater les pensées. Beaucoup plus efficaces que la bonne vieille censure. Mieux adaptées, surtout, au vacarme médiatique actuel, « devenu le meilleur allié des nouveaux censeurs ». Notre ego s’en trouvait même flatté : « Les techniques de manipulation de l’information quotidiennement employées sous vos yeux sont multiples et extraordinairement intelligentes ». Les déjouer, ce n’est plus de l’intelligence : c’est du talent pur et simple ! Et puis on allait voyager : de l’Irak au Nicaragua en passant par la France, le Timor-Oriental et Abidjan, de Bush à Sarkozy, de l’obésité au sida et enfin de l’insupportable pression au travail à la terreur islamiste, que de contrées et de sujets inédits !
Il ne restait plus qu’à ouvrir les pages…

Tintin au pays de l’infoguerre

Hormis quelques morceaux de bravoure, dans le prologue et le premier chapitre qui mettent (un peu) en perspective le sujet (1), et un chapitrage qui prolonge le titre alléchant (2), on lit en fait un véritable roman, servi par le style propre au genre et un propos superficiel, aussi vain que vaniteux. Et surtout un scénario immuable, applicable de façon universelle et immanente, au manichéisme échevelé : aux quatre coins de la planète (sic), les patrons sont des salauds d’exploiteurs, les pauvres sont tous dignes, les travailleurs exploités, les administrations US complotent contre les libertés tandis que les militants des droits-de-l’homme et autres syndicalistes exotiques sont à la fois des saints et des héros.

Des exemples ? Les sandinistes sont présentés comme de joyeux socio-démocrates et le gouvernement Allende était tout simplement de gauche, pour ne pas dire humaniste, quand l’apartheid était un régime franchement « néo-nazi » et les différentes administrations US – encore elles – sont et seront toujours liberticides, terroristes, voire fascistes. Et ne parlons pas de la France, viscéralement engoncée dans ses « mensonges d’Etat »… Une succession de clichés que l’on pouvait croire, naïvement, éculés.

Hétérotélie de l’antiaméricanisme primaire

Moreira prétend pourfendre le nouvel impérialisme états-unien. Soit. Ce n’est pas très courageux aujourd’hui mais potentiellement fécond pour l’avenir. Le problème est qu’il n’a sans doute pas lu la Constitution des Etats-Unis mais en est passablement imprégné – sans doute pour avoir passé sa jeunesse dans les cinémas de quartier où étaient projetés en boucle les westerns de l’âge d’or d’Hollywood. Pour lui, l’individu, ou même l’attroupement d’individus, détient par essence la vérité et la justice, quand les systèmes, les organisations et les ordres sont, non seulement dépassés, mais dangereux car ontologiquement mauvais. Il est vrai qu’en faisant de Bernstein et Woodward (3) ses figures tutélaires, on ne pouvait s’attendre à une vision renouvelée du « journalisme d’investigation ». Surtout 25 ans après les faits. Et tant de réels scandales depuis. Quel (vrai) sujet gâché !

Bref, pour les plus courageux ou les plus oisifs, il sera donné l’occasion de lire, avec « Les Nouvelles Censures », un mélange pour tout dire nauséeux de dénonciation hystérique, d’empathie démagogique et d’indignation à la fois puérile et stérile. Avec un ton et des arguments puisés dans le Triangle des Bermudes que l’on pourrait situer entre Les Envahisseurs, X-Files et Erin Brockovich (4). Ou, dans un registre plus franco-français, entre José Bové, Besancenot et Le Pen. Avec ce goût manifeste du complot, de la mauvaise foi et de l’approximation géopolitique ou tout simplement historique, il nous est ainsi donné l’occasion de lire le premier roman authentiquement gaucho-lepéniste. Ou plus exactement : lepéno-gauchiste.
Ce n’est pas un cadeau.
Pourvu que personne ne songe à vous l’offrir pour Noël…

G.D.
© Polémia
05/12/07

Paul Moreira, « Les Nouvelles Censures : Dans les coulisses de la manipulation de l'information », Robert Laffont 2007, 285 p., 19 euros.

(1) Pour une appréhension plus robuste d’un tel sujet, à savoir le recyclage des techniques de vente et, pour tout dire, de manipulation dans le champ de la démocratie d’opinion, on pourra se référer à des textes plus utiles, récemment (ré)édités aux éditions La Découverte. Notamment « Storytelling/ La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits », de Christian Salmon et « Propaganda/ Comment manipuler l’opinion en démocratie », d’Edward Bernays, le praticien génial de ces techniques inspirées du marketing et auquel se réfèrent encore tous les consultants du moment (intelligemment préfacé par Normand Baillargeon).
(2) Par exemple : « L’Industrie du consentement » ou « Obésité : l’épidémie cathodique », et surtout les sous-chapitres, secs comme des coups de trique : « Punir », « Décrédibiliser », « Intimider », « Supprimer la source » ou, au contraire, moelleux comme des annuaires du téléphone : « Laisser faire le vacarme », « Séduire », « Acheter », « Contrôler la version officielle »…
(3) Pour mémoire, Carl Bernstein et Bob Woodward sont les deux journalistes du « Washington Post » qui ont révélé le Watergate. La belle affaire…
(4) « Erin Brockovich, seule contre tous », film de Steven Soderbergh sorti en France en avril 2000, mettait en scène Julia Roberts, mère célibataire un peu vulgaire mais héraut au grand cœur des premières Class Action (actions collectives en justice). Un summum facile à décrypter – pour le coup.

 

Polemia

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