samedi, 28 février 2009
L'économie russe en 1994
Archives de SYNEERGIES EUROPEENNES - 1994
SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Janvier 1994
Michel SCHNEIDER:
ECONOMIE RUSSE: LA LONGUE MARCHE VERS L'INCONNU
Le travail de démantèlement de l'ancien système, essentiellement mené par l'équipe d'Egor GAIDAR de fin 1991 à la fin 1992, et pour partie poursuivi depuis, a été payé par un affaiblissement extrême de l'Etat, par un grand désordre économique, par un accroissement de la corruption administrative et de la criminalité générale, par une stratification sociale séparant désormais une minorité de nouveaux riches et une majorité de nouveaux pauvres. Ce travail était généralement considéré comme indispensable au passage a l'économie de marché, à la multiplication des acteurs économiques privés (10 à 15 % de la population vivrait aujourd'hui dans le secteur privé) et à la prise du pouvoir économique par les chefs d'entreprises, les régions et les municipalités. Sur ces deux derniers points, les résultats sont tangibles.
Lors du conseil des ministres du 4 février 1993, le président YELTSIN déclarait cependant: "Le plan économique pour 1992 a pratiquement échoué... l'économie nationale s'est effondrée".
En cette fin d'année, la situation économique demeure en effet plus que jamais alarmante et les symptômes les plus visibles en sont: la poursuite de l'inflation, de la chute de la production, de la baisse du niveau de vie de la masse de la population (alors que les contraintes d'un déficit budgétaire considérable risquent d'obliger le gouvernement à libérer les quelques prix qui restent sous contrôle de l'Etat ou des municipalités: gaz, électricité, téléphone, loyers, eau, charges locatives... ), l'accroissement exponentiel de la dette interentreprises et de la dette extérieure -et de son service- qui font de la Russie, en réalité, un pays en faillite.
Début juin 1993, dans une déclaration commune, le gouvernement et la Banque Centrale fixait les objectifs de leur politique économique: abaisser le taux d'inflation à 10 °/0 par mois d'ici la fin 1993 et achever la stabilisation des prix en 1994 dans le cadre d'une accélération de l'intégration de l'économie russe au sein de l'économie mondiale. Renforcer le rôle de l'économie de marché. Au niveau des changements structurels (point 5 de la déclaration), le gouvernement entend poursuivre fermement le programme de privatisation, améliorer les bases légales des relations au sein du marché et contribuer au développement des marchés financiers. Le gouvernement soumettra par ailleurs au Soviet Suprême des projets de loi sur les sociétés, un nouveau Code Civil et un nouveau Code du commerce qui assurera la sécurité des contrats. Enfin, le gouvernement travaillera à la levée des restrictions sur la propriété de la terre et il garantira l'exécution de la loi sur les faillites.
Telles étaient donc les dernières résolutions du gouvernement...
Récemment, un institut gouvernemental a donné ses prévisions, qui donnent la mesure du chemin à parcourir. La production industrielle et la production agricole chuteront respectivement de 15 et 5% cette année. Le volume des investissements baissera de 55 à 60% sur les six derniers mois de 1993, contre 45% l'an dernier. Le niveau de vie baissera de 10% au moins et le "revenu de subsistance" devrait atteindre 70.000 roubles par mois en décembre. Début juillet était publié un sondage effectué auprès des "élites" (industriels, commerçants, experts économiques et scientifiques, députés et journalistes) qui reflétait bien le pessimisme de celles-ci: 70% d'entre eux s'attendaient a une détérioration croissante de la situation économique, financière, sociale et politique. Près de 50% se prononçait,aient pour une économie mixte (50% au privé 50% à l'Etat), 28% pour une économie strictement libérale et 19% pour un retour à l'étatisation.
Ce sondage est intéressant car il marque, comme les déclarations et articles de plus en plus nombreux de personnalités, une tendance assez nette à souhaiter des inflexions sensibles dans la politique actuellement poursuivie.
Serguëi GLAZIEV, ministre du Commerce extérieur, reconnait que si la Russie échoue a créer des structures financières et industrielles efficaces d'ici un an ou deux, elle se "désintégrera". Et il préconise des mesures urgentes:
suspendre le chapitre de la loi de privatisation qui permet aux grandes entreprises de privatiser elle-même les unités de production qui les composent, abolir les obstacles infondés à la création de holdings,
3. introduire un certificat de qualité pour les marchandises importées et moduler les tarifs douaniers en fonction des objectifs de la politique industrielle, n'accorder des subventions et la garantie du gouvernement qu'aux importations de marchandises et d'équipements qui ne peuvent être achetés sur le marché national, au lieu d'investir dans des projets locaux, il est nécessaire d'apporter le soutien de l'Etat à des programmes nationaux majeurs qui permettent des changements structurels.
Cette prise de position du ministre va dans le sens d'un certain protectionnisme et du retour à une certaine forme de planification, en tout cas d'un accroissement du rôle de l'Etat, tendances qui se confirment au fil des jours.
Beaucoup dénoncent désormais les effets pervers des instruments traditionnels de la politique de stabilisation (cf. en annexe le tableau dressé par Jacques SAPIR, maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales).
Oleg BOGOMOLOV, directeur de l'Institut d'économie internationale auprès de l'Académie des sciences estime ouvertement que c'est l'aventureuse "thérapie de choc" de M. GAIDAR qui est la principale responsable de la chute continue de la production et de l'inflation. La politique ruineuse du "grand saut" dans l'économie de marche a été inspirée par les économistes de "l'école monétariste de Chicago" et aussi par le FMI, déplore-t-il. Et si cette politique devait être poursuivie, elle conduirait à une situation encore plus grave. En toute hypothèse, il n'y a rien à attendre des deux années qui viennent sauf, prévoit-il, une plus grande détérioration. Pour lui, plutôt que de quémander des prêts, alors que la Russie est en cessation de paiements. le gouvernement devrait attirer les investisseurs étrangers sur des secteurs prioritaires, en créant les conditions légales et fiscales qui font aujourd'hui défaut.
Précisément, dans un rapport rendu public durant l'été 1993, un responsable du Fonds Monétaire International, M. de Groote, en vient à critiquer ses collègues américains et leur "approche fondamentaliste" des réformes fondées sur "un modèle importé qui n'existe nulle part, pas même aux Etats Unis, le seul pays pris comme référence par ces réformateurs de l'école reaganienne". Dans ce rapport, il déplore une libération des prix "prématurée et mal conduite" et préconise la restauration d'un certain contrôle des prix dans la grande industrie et l'agriculture, ainsi qu'un ralentissement des privatisations dans les industries d'Etat et le retour à un minimum de contrôle administratif des processus économiques.
Progressivement, se dessine ainsi les traits d'une politique économique alternative
Dans l'immédiat cependant, la situation est encore aggravée par "l'autonomisme économique", favorisée par les transferts de charges et de responsabilités, initiés par le gouvernement GAIDAR et poursuivis récemment par les concessions de M. ELTSINE aux "sujets" de la fédération. Les conséquences pourraient en être dramatiques pour le pays.
C'est ainsi que beaucoup de régions imposent désormais leurs propres règles de passage à l'économie de marché et tentent de constituer leur propre espace économique, instituant des règles fiscales spécifiques concernant en particulier l'exploitation de leurs ressources naturelles et l'accueil des investisseurs étrangers. Des économistes n'hésitent pas à parler de "désintégration préférentielle" estimant que celle-ci toucherait déjà l/3 du potentiel économique russe. Certaines régions ont cessé de transférer leur quote-part au budget fédéral. C'est ainsi que durant les cinq premiers mois de 1993, pas un rouble n'a été donné au budget de l'Etat par les républiques du Bachkortostan, du Tatarstan, cependant que la république du Sakka (ex-Yakoutie) payait 1% et celle de Carélie seulement 3% des impôts fédéraux, et les cas identiques se multiplient.... C'est tout le budget fédéral qui est menacé d'effondrement par "assèchement".
Le gouvernement, apparemment incapable de garder le contrôle de la situation, a néanmoins soumis au Soviet Suprême des projets de loi visant a alourdir la pression fiscale en créant de nouvelles taxes et en augmentant celles existantes, en particulier la TVA (+4%)
La fuite en avant se poursuit donc, comme les privatisations.
Mais les dernières prévisions gouvernementales n'incitent pas à l'optimisme.
A la fin de cette année, selon le Président de la Banque Centrale, le Produit National Brut sera comme en 1992, en baisse de 18 à 20% et le taux de l'inflation de 1000% ! Le ministre des Finances, M. Boris FIODOROV, prédit pour sa part que le déficit budgétaire atteindra 22 milliards de dollars soit 14% du P.N.B.
00:14 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, russie, économie, crise, déclin économique | | del.icio.us | | Digg | Facebook
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