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lundi, 21 janvier 2019

La nouvelle normalité : un déclin séculaire avec une croissance intermittente

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La nouvelle normalité : un déclin séculaire avec une croissance intermittente

par Chris Hamilton

Article original de Chris Hamilton, publié le 20 décembre 2018 sur le site Econimica
Traduit par le blog http://versouvaton.blogspot.fr

D’un point de vue macroéconomique, ce dont les États-Unis et les pays développés bénéficient depuis des siècles (des millénaires, en fait), c’est d’une croissance économique séculaire avec des ralentissements intermittents (récessions et parfois des dépressions). Cela a été stimulé par une poussée de la croissance démographique, en particulier depuis 1950, et accru par la technologie, l’innovation, l’énergie peu coûteuse, l’amélioration des soins de santé (prolongation de la durée de vie de plusieurs décennies), etc.

Chaque fois qu’il y a eu un ralentissement économique (cycles économiques à court terme), il y a toujours eu une demande croissante de la part d’une population croissante (cycle macroéconomique)… alors la baisse temporaire des taux d’intérêt et les dépenses ont stimulé l’économie et relancé la croissance économique. Mais à mesure que la croissance organique annuelle de la population ralentissait (là où c’est important, économiquement parlant), des niveaux de plus en plus élevés d’additifs artificiels ont été introduits pour maintenir des taux de croissance anormalement élevés.

Depuis au moins 1990, cette tendance a de plus en plus encouragé la fourniture de crédit bon marché, ce qui a alimenté la création de nouvelles capacités face à la décélération de la demande mondiale. La décélération de la croissance démographique chez les consommateurs potentiels n’a pu absorber la capacité croissante de la production qu’avec un crédit toujours plus important et moins cher (merci à la « mauvaise gestion » des taux d’intérêt par les banques centrales). Il en est résulté une surcapacité mondiale épique et l’accumulation d’une dette qui dépasse nos capacités de remboursement au moment même où le cycle macroéconomique de la population (là où cela compte) devient négatif.

Nous entrons dans une période indéfinie de déclin séculaire. Nous verrons des périodes de croissance occasionnelles avant que la tendance principale de déclin ne reprenne. Cette situation se poursuivra pendant des décennies, sinon plus, et pourrait bien devenir un cycle à la baisse qui se perpétuera si nous continuons sur notre lancée actuelle. Pour éviter les pires scénarios, il est crucial de comprendre cette différence (pour être plus clair, quand vous êtes coincé dans un trou, arrêtez de creuser) !

Qu’est-ce qui a changé ?


Si l’on considère simplement la croissance démographique annuelle des pays disposant de 90% de l’argent (revenu, épargne, accès au crédit) et qui, ce n’est pas un hasard, consomment 90% de l’énergie mondiale (y compris les États-Unis, le Canada, l’UE, le Japon, l’Australie/la Nouvelle-Zélande, la Chine, le Brésil, le Mexique, la Russie… tous ceux dont le revenu annuel par habitant dépasse 4 000 dollars, soit la moitié de la population mondiale, a diminué de 50% depuis les doubles pics atteints en 1969 et 1988, soit 44 millions par an).

Alors que les personnes âgées de 65 ans et plus vivent des décennies de plus que leurs prédécesseurs, les décennies de taux de natalité négatifs se traduisent maintenant par un effondrement de la croissance de la population des 15 à 64 ans actifs, ou plus généralement des personnes âgées de 0 à 64 ans, ce qui est également important. Parmi les pays consommateurs, la croissance de la population âgée de 0 à 64 ans a chuté de 88 % depuis les deux sommets de 1969  et 1988. Le déclin continu et croissant de la population des pays consommateurs en âge de travailler fera qu’à partir de 2021 environ, la croissance  nette de la population viendra des 65 ans et plus (en particulier des 75 ans et plus).

J’ai détaillé, par tranche d’âge, ici, ici, et ici où la croissance démographique ne se trouve pas, et ici où elle se trouve. Le point de vue énergétique est ici.

Quels choix avons-nous ?


En termes simples, le monde est devenu si assuré que nous allions croître perpétuellement que « Nous » (comme dans le Nous royal) avons parié notre avenir sur ce postulat … mais cela s’avère être un très mauvais pari (mauvais pour tous sauf pour les rois). Ce mauvais pari se traduit par des taux d’intérêt de plus en plus bas, une dette plus élevée (et non remboursable) et un papier monnaie de plus en plus dilué appelé argent. Nous sélectionnons les politiciens qui nous disent les mensonges que nous voulons entendre (même si nous n’en pensons pas moins) et le populisme parmi les démocraties continuera à augmenter dangereusement… mais la vérité est que « la marée macro économique a maintenant disparu pour toujours et nous sommes tous là, tout nus ».

Le monde va presque certainement continuer dans cette voie et les systèmes économiques et financiers finiront par s’adapter à la réalité… mais c’est à nous de déterminer à quel point la période intérimaire sera douloureuse, désordonnée et confuse. Particulièrement douloureuse si nous continuons à essayer de faire croître artificiellement l’économie et les actifs financiers face à une décélération organique de la demande ou même à une baisse pure et simple de celle-ci. Cela ne fait que rendre encore plus nécessaire l’ajustement ultime imminent (c’est-à-dire, la dépression) . Investissez en conséquence.

Chris Hamilton

lundi, 13 février 2017

Pierre Jovanovic: « Vous assistez à l'effondrement économique »

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Pierre Jovanovic: « Vous assistez à l'effondrement économique »

Sommaire :

0:05 - A propos de Donald Trump
04:56 - Sur le protectionnisme
08:42 - Sur la dette américaine
12:17 - L'UE essaye-t-elle de supprimer les espèces ?
15:49 - Les experts et le « Brexit »
17:33 - L'Euro est-il condamné ?
20:12 - L'UE contre la souveraineté française ?
21:41 - En 2017, quels candidats pour défendre la souveraineté de la France ?
23:52 - Macron, la candidat des banques ?
25:17 - Macron, la candidat des banques ? (Suite) - Aparté sur les « Fake News »
26:05 - Un effondrement économique est-il possible ?
29:55 - Sur la Bretagne

Pierre Jovanovic est un journaliste économique et un auteur très suivi.

Victoire de Trump, « Brexit », élections présidentielles 2017, rôle de l’Union Européenne, Euro, crise économique… Tous les sujets auront été abordés sans tabou par Pierre Jovanovic durant plus de 30 minutes.

mardi, 31 août 2010

Anatomie de l'effondrement des Etats-Unis

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Anatomie de l'effondrement des Etats-Unis

 

La question n'est pas tant de savoir si le système mondial pourra (saura) s'adapter à l'effacement des USA, que de savoir s'il résistera à l'effondrement des USA.

Les stigmates

Certains ont vu dans l'information selon laquelle le FMI travaille sur une « devise mondiale » baptisée bancor destinée à remplacer le dollar, le signe du déclin décisif des USA. (Voir par exemple RAW Story du 5 août 2010) . Les nouvelles de la situation économique des USA, surtout en ce qui concerne le chômage, sont exécrables et ridiculisent les assurances ronflantes des Bernanke, Geithner et Summers du printemps 2009 (Voir le texte de WSWS.org du 7 août 2010, qui constitue une excellente synthèse de cette situation).

Peut-être l'article de Glenn Greenwald, du 6 août 2010, dans Salon.com, titré « A quoi ressemble un empire en train de s'effondrer », est-il encore plus significatif. Selon un article du Wall Street Journal du 17 juillet 2010, décrivant l'évolution de l'infrastructure des USA où l'on casse le bitume dégradé des routes pour le transformer en gravier, l'Empire retomberait à l'âge de pierre, ce Stone Age où le général LeMay voulait renvoyer, par les bombes, le Vietnam récalcitrant. Ce n'est pas le signe du « déclin décisif des USA », c'est le spectacle de l'effondrement en cours des USA.

...Il y a aussi les bruits de guerre. Les USA vont-ils se lancer dans une nouvelle guerre (contre l'Iran), ou bien y être entrainés par leurs amis israéliens, ceci pourquoi pas dès ce mois d'août, selon un groupe désormais fameux d'anciens officiers du renseignement ? La folie de la chose serait bien définie par la notion de “somnambulisme”. («Will the summer of 2010 be remembered as the time when we turned into a nation of sleepwalkers?», interroge le professeur de littérature de Yale, David Bromwich le 7 août 2010 sur Huffington.post.  On verra. En attendant, Michelle Obama est en « vacances privées » mais en bonne partie aux frais du contribuable, à Marbella, sur la Costa del Sol. L'escapade conduit la presse conservatrice américaine à une attaque en règle qui nous ferait penser que le couple BHO-Michelle commence à prendre des allures de Sarkozy-Carla. Michelle est comparée à Marie-Antoinette; quant à BHO, ce serait plutôt Néron, la lyre en moins. Appréciez la signification historique des références.

Par ailleurs, aujourd'hui, les USA semblent accepter comme une situation chronique, quasiment structurelle, un état de l'emploi semblable à celle qui existait durant la Grande Dépression. Peut-être y voient-ils une raison logique de se lancer dans une troisième guerre, comme ça, pour relancer la croissance, peut-être pour le fun, ou bien pour avoir trois guerres « à la fois ». (Bromwich, cité plus haut, estime qu'il faut trois guerres « à la fois » aujourd'hui, pour que les USA puissent satisfaire leur besoin de se trouver continuellement en guerre, ou pour continuer sans être interrompus leur marche somnambulique: une guerre pour en sortir, une pour y être embourbés, une pour la commencer, – dans l'ordre mais en même temps, l'Irak, l'Afghanistan et l'Iran).

Un président imperturbable…

Le président Obama est à mi-mandat, toujours aussi calme, aussi distancié, et toujours aussi Afro-Américain nous assure-t-on... Ce président, apparemment imperturbable sourit beaucoup, parle beaucoup, bouge beaucoup, et fait beaucoup son métier de président. Il semble également accepter comme probable une défaite de son parti en novembre prochain, qui lui donnerait un Congrès ingouvernable. Curieuse remarque lorsqu'on y pense, qui laisserait croire que le Congrès actuel à majorité démocrate est « gouvernable », ce qui est l'exact contraire de la réalité. Il est vrai que la défaite démocrate n'est pas acquise, puisque les républicains sont, par moment, aussi mal vus du peuple américain que les démocrates. Il leur reste Ron Paul, Tea Party et ainsi de suite, ou bien les « néo-sécessionnistes » – ou bien tout cela ensemble puisque l'état d'esprit commence à s'équivaloir d'un parti à l'autre.

Et un Pentagone en cessation de paiement

De son côté, le Pentagone (Moby Dick) est en cessation de paiement ou presque. Même les chroniqueurs les plus favorables au Monstre ne voient d'autre solution qu'une solution proche de celle qui a permis de sauver tant bien que mal l'industrie automobile américaine, allant peut-être jusqu'au démantèlement de Moby Dick lequel reçoit encore autour de $1.200 milliards par an pour conquérir le monde. Les chroniqueurs les plus géopoliticiens, pour l'occasion indifférents à la conquête du monde par les USA, constatent, eux, que la reconquête par le Mexique des USA, ou de la partie des USA qui revient historiquement au Mexique, a d'ores et déjà commencé. La réaction, à Washington, est de s'indigner face aux dispositions « xénophobes » de la loi SB 1070 de l'Arizona. Effectivement, le débat passionne les foules bien-pensantes de l'establishment. Elles sont bien les seules à s'indigner. Voilà le niveau de philosophie où se situe l'action politique dans la capitale, où la paille et la poutre tiennent respectivement leurs rôles traditionnels.

Les USA sont-ils en déclin ?

Vont-ils s'effondrer ? A ceux qui se posent la question, il est temps de dire qu'ils retardent. L'empire s'effondre sous notre regard, en général aveugle puisque gavé de virtualisme hollywoodien et incapable de voir les formes et les mouvements qui sont devant nos yeux. L'effondrement s'effectue par dissolution, peut-être avec une certaine discrétion qui ne manque pas de grâce mais dans tous les cas avec une efficacité rarement atteinte. Un jour certes pas très lointain, nous nous retrouverons avec une coquille vide, marquée « Made in USA », dotés d'un gouverneur de l'Arizona directement issu des cartels mexicains de la drogue. La description de la situation par le Wall Street Journal vaut une lecture attentive, selon laquelle les routes anciennement bitumées sont retapées avec du gravier répandu à la volée («Return to the stone Age») parce que le bitume coûte trop cher, ou bien laissées à l'abandon parce qu'on n'a plus d'argent, plus de personnel, plus de moyens, plus rien... La forme organisée de cette structure sublime que prétendaient être les USA est en train de retourner à la substance informe originelle de l'entropie, dans un mouvement naturel de déstructuration. Le pauvre Glenn Greenwald se lamente : «The real question is whether the American public is too apathetic and trained into submission for that to ever happen...»

L'Amérique est paralysée parce qu'elle semble déjà soumise, déjà consentante à sa chute dans une extraordinaire dissolution. Tout se découvre pour ce qu'il est : une civilisation en carton pâte, un empire en toc, en plaqué or qui veut se faire passer pour de l'or pur... (« The Gilded Empire », pourquoi pas, – de l'expression « Gilded Age », ou l'âge du « plaqué or », ou encore « l'âge du toc », pour désigner la période 1865-1890 des USA, que les Européens ont souvent compris, d'une façon qui traduit bien leur fascination pour l'artefact américain, comme le « Golden Age ».)

Les économistes qui découvrent que le FMI est en train de travailler au remplacement du dollar nous avertissent par conséquent que « le déclin » (l'effondrement) des USA provoquera tout de même un certain remous. Le système mondial devra souquer dur pour s'y adapter... Attendez, de quoi parle-t-on exactement ?

Big Bang et American Dream

La question n'est pas tant de savoir si le système mondial pourra (saura) s'adapter à l'effacement des USA, que de savoir s'il résistera à l'effondrement des USA. D'abord, il y a cette évidence que les USA sont à eux seuls le système mondial, – évidence technique, certes, mais aussi symbolique et psychologique. Les USA sont la modernité, et la modernité c'est le système, – aussi assurément que le signifiait cette phrase terrible du nommé Rouhier, en 1824, qui terrorisa Stendhal et décida l'écrivain à rompre avec le parti moderniste (et pro-américain) devenu « parti de l'industrie » : Les Lumières, c'est désormais l'industrie. (Voir notamment la Deuxième Partie de La grâce de l'Histoire et, en général, les textes de la rubrique La grâce de l'Histoire.

Nous ne sommes pas dans le cas historique « banal » du déclin d'un Empire, d'un changement de puissance, d'un bouleversement d'équilibre. Nous sommes dans le cas explosif d'une civilisation qui a été complètement transmutée en un système mondial de puissance (le système du technologisme), avec la politique de l'« idéal de la puissance » qui va avec ; système mondial parvenu au paroxysme de sa crise, ce paroxysme étant la crise des Etats-Unis eux-mêmes, à la fois identifiés au système mondial et enfants, sinon esclaves de ce système qu'ils crurent avoir créé et crurent dominer à leur avantage.

On connaît également le cas que nous faisons de l'impact psychologique des USA sur le système mondial au travers de cet artefact qu'est la notion d'American Dream. Par conséquent, nous dirions que l'effacement ordonné des USA dans une sorte d'« ordre international » semble extrêmement peu probable parce que qu'on ne retire pas d'une façon ordonné son essence même, sa raison d'être, sa dictature d'influence, à ce qui prétend être une structure ordonnée sans la faire s'effondrer. Par conséquent, la seule issue dans la situation présente est la disparition brutale de la prédominance de l'American Dream par la disparition de sa source, c'est-à-dire des Etats-Unis eux-mêmes, tels qu'ils sont devenus sous la pression du système de l'« idéal de puissance ». Cela conduit à des hypothèses beaucoup plus brutales que le retrait ordonné et la banalisation des USA devenus une « puissance comme les autres » parmi quelques autres puissances.

Pourtant nous ne voyons pas que les USA, – en tant que système de l'américanisme, ou encore l'establishment washingtonien – puissent seulement accepter quelque chose qui ressemble à un déclin, à ne plus être ce qu'on présente comme la “nation exceptionnelle” et la “nation indispensable”. Bien entendu, cela ne suffit pas, ni pour ne pas décliner, ni pour rester « exceptionnel » et « indispensable ». Cela ouvre plutôt la porte à des impasses, des dilemmes, des troubles renouvelés, à des perspectives beaucoup plus radicales.

Au contraire d'une politique de plus en plus apaisée, retenue et en recul, comme on aurait pu croire que l'orientation aurait pu en être prise au début de l'administration Obama, nous observons de la part du système de l'américanisme une réaction de plus en plus tendue, de plus en plus impulsive et de plus en plus chaotiquement agressive, bien que de plus en plus privée des moyens de soutenir cette agressivité. Cette réaction pourrait se produire alors que la puissance américaine est en cours d'effondrement. Dans ce cadre psychologique dégradé, effectivement l'hypothèse d'une attaque contre l'Iran, plus ou moins à la suite d'une machination israélienne, pourrait être envisagée. Actuellement, l'hypothèse d'une attaque est largement évoquée, mais comme une sorte de fatalité, sans aucune justification construite ni raisonnée, sinon, peut-être, avec l'espérance superstitieuse qu'un tel spasme d'affirmation de puissance causerait une sorte de Big Bang stoppant l'actuel effondrement de la puissance.

Mais ce n'est qu'une possibilité, qui se heurte à divers obstacles systémiques, comme la paralysie de la toute-puissante bureaucratie, d'éventuelles actions contradictoires de différents pouvoirs, etc. Surtout, il existe un autre phénomène qui agit dans un autre sens. Il s'agit de la situation intérieure en cours de déstructuration, parallèlement à l'effondrement du système général. Cette situation pourrait agir comme un frein décisif si les dirigeants pensaient qu'une action extérieure provoquerait des tensions insupportables. Mais les dirigeants pourraient croire à l'inverse qu'une attaque rétablirait la cohésion des Etats-Unis. Dans ce cas cependant, le contraire pourrait se produire. Une initiative militaire précipiterait effectivement des tensions internes aboutissant à l'hypothèse de l'éclatement. C'est ce à quoi pensait le « néo-sécessionniste » Thomas Naylor, du Vermont : «There are three or four possible scenarios that will bring down the empire. One possibility is a war with Iran...».

Dans tous les cas nous pensons pour notre part qu'une perte de leur statut de puissance dominatrice ne pourra mener les USA qu'à une issue brutale, quelle qu'en soient les modalités . Cette issue brutale ne signifierait pas des troubles révolutionnaires, mais plutôt une « brutalité » dans la signification et la rapidité des événements. Il s'agira sans doute de l'effondrement du « centre », qui ne résistera pas à cette perte de puissance puisque seule la puissance lui donne sa prétendue légitimité. Le « déclin » ne devrait pas être envisagé sous la forme progressive que nous lui donnons en Europe. Il devrait y avoir effondrement, mais ce serait celui de la structure centrale. Cependant à partir de là, l'entièreté du système général de notre civilisation perdra sa légitimité et se retrouvera lui aussi sur la voie de l'effondrement. On ne peut simplement pas envisager un transfert de puissance d'une puissance à l'autre, puisque les USA sont effectivement l'essence même de la puissance du système mondial, sa forme, sa signification, sa légitimité psychologique encore plus que son poids.

Répétons-le, le monde ne verra pas nécessairement un effondrement « physique » assorti d'un éclatement révolutionnaire ou anarchique, menant à un chaos de la même sorte. Il s'agira d'abord de l'effondrement d'une légitimité, libérant notre psychologie de l'enfermement dans la vision américaniste du monde, c'est-à-dire dans l'American Dream. Cependant, sortant si complètement avec cette hypothèse de notre référentiel ordinaire et conformiste, nous sommes bien incapables de dire quels événements en résulteraient pour le système général de notre civilisation en phase terminale.

Philippe Grasset
09/08/2010
Pour une Europe intelligente – Solidatité et Puissance

Correspondance Polémia – 22/08/2010

samedi, 28 février 2009

L'économie russe en 1994

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Archives de SYNEERGIES EUROPEENNES - 1994

 

SYNERGIES EUROPÉENNES - VOULOIR (Bruxelles) - Janvier 1994

Michel SCHNEIDER:

ECONOMIE RUSSE: LA LONGUE MARCHE VERS L'INCONNU

Le travail de démantèlement de l'ancien système, essentiellement mené par l'équipe d'Egor GAIDAR de fin 1991 à la fin 1992, et pour partie poursuivi depuis, a été payé par un affaiblissement extrême de l'Etat, par un grand désordre économique, par un accroissement de la corruption administrative et de la criminalité générale, par une stratification sociale séparant désormais une minorité de nouveaux riches et une majorité de nouveaux pauvres. Ce travail était généralement considéré comme indispensable au passage a l'économie de marché, à la multiplication des acteurs économiques privés (10 à 15 % de la population vivrait aujourd'hui dans le secteur privé) et à la prise du pouvoir économique par les chefs d'entreprises, les régions et les municipalités. Sur ces deux derniers points, les résultats sont tangibles.

Lors du conseil des ministres du 4 février 1993, le président YELTSIN déclarait cependant: "Le plan économique pour 1992 a pratiquement échoué... l'économie nationale s'est effondrée".

En cette fin d'année, la situation économique demeure en effet plus que jamais alarmante et les symptômes les plus visibles en sont: la poursuite de l'inflation, de la chute de la production, de la baisse du niveau de vie de la masse de la population (alors que les contraintes d'un déficit budgétaire considérable risquent d'obliger le gouvernement à libérer les quelques prix qui restent sous contrôle de l'Etat ou des municipalités: gaz, électricité, téléphone, loyers, eau, charges locatives... ), l'accroissement exponentiel de la dette interentreprises et de la dette extérieure -et de son service- qui font de la Russie, en réalité, un pays en faillite.

Début juin 1993, dans une déclaration commune, le gouvernement et la Banque Centrale fixait les objectifs de leur politique économique: abaisser le taux d'inflation à 10 °/0 par mois d'ici la fin 1993 et achever la stabilisation des prix en 1994 dans le cadre d'une accélération de l'intégration de l'économie russe au sein de l'économie mondiale. Renforcer le rôle de l'économie de marché. Au niveau des changements structurels (point 5 de la déclaration), le gouvernement entend poursuivre fermement le programme de privatisation, améliorer les bases légales des relations au sein du marché et contribuer au développement des marchés financiers. Le gouvernement soumettra par ailleurs au Soviet Suprême des projets de loi sur les sociétés, un nouveau Code Civil et un nouveau Code du commerce qui assurera la sécurité des contrats. Enfin, le gouvernement travaillera à la levée des restrictions sur la propriété de la terre et il garantira l'exécution de la loi sur les faillites.

Telles étaient donc les dernières résolutions du gouvernement...

Récemment, un institut gouvernemental a donné ses prévisions, qui donnent la mesure du chemin à parcourir. La production industrielle et la production agricole chuteront respectivement de 15 et 5% cette année. Le volume des investissements baissera de 55 à 60% sur les six derniers mois de 1993, contre 45% l'an dernier. Le niveau de vie baissera de 10% au moins et le "revenu de subsistance" devrait atteindre 70.000 roubles par mois en décembre. Début juillet était publié un sondage effectué auprès des "élites" (industriels, commerçants, experts économiques et scientifiques, députés et journalistes) qui reflétait bien le pessimisme de celles-ci: 70% d'entre eux s'attendaient a une détérioration croissante de la situation économique, financière, sociale et politique. Près de 50% se prononçait,aient pour une économie mixte (50% au privé 50% à l'Etat), 28% pour une économie strictement libérale et 19% pour un retour à l'étatisation.

Ce sondage est intéressant car il marque, comme les déclarations et articles de plus en plus nombreux de personnalités, une tendance assez nette à souhaiter des inflexions sensibles dans la politique actuellement poursuivie.

Serguëi GLAZIEV, ministre du Commerce extérieur, reconnait que si la Russie échoue a créer des structures financières et industrielles efficaces d'ici un an ou deux, elle se "désintégrera". Et il préconise des mesures urgentes:

suspendre le chapitre de la loi de privatisation qui permet aux grandes entreprises de privatiser elle-même les unités de production qui les composent, abolir les obstacles infondés à la création de holdings,

3. introduire un certificat de qualité pour les marchandises importées et moduler les tarifs douaniers en fonction des objectifs de la politique industrielle, n'accorder des subventions et la garantie du gouvernement qu'aux importations de marchandises et d'équipements qui ne peuvent être achetés sur le marché national, au lieu d'investir dans des projets locaux, il est nécessaire d'apporter le soutien de l'Etat à des programmes nationaux majeurs qui permettent des changements structurels.

Cette prise de position du ministre va dans le sens d'un certain protectionnisme et du retour à une certaine forme de planification, en tout cas d'un accroissement du rôle de l'Etat, tendances qui se confirment au fil des jours.

Beaucoup dénoncent désormais les effets pervers des instruments traditionnels de la politique de stabilisation (cf. en annexe le tableau dressé par Jacques SAPIR, maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales).

Oleg BOGOMOLOV, directeur de l'Institut d'économie internationale auprès de l'Académie des sciences estime ouvertement que c'est l'aventureuse "thérapie de choc" de M. GAIDAR qui est la principale responsable de la chute continue de la production et de l'inflation. La politique ruineuse du "grand saut" dans l'économie de marche a été inspirée par les économistes de "l'école monétariste de Chicago" et aussi par le FMI, déplore-t-il. Et si cette politique devait être poursuivie, elle conduirait à une situation encore plus grave. En toute hypothèse, il n'y a rien à attendre des deux années qui viennent sauf, prévoit-il, une plus grande détérioration. Pour lui, plutôt que de quémander des prêts, alors que la Russie est en cessation de paiements. le gouvernement devrait attirer les investisseurs étrangers sur des secteurs prioritaires, en créant les conditions légales et fiscales qui font aujourd'hui défaut.

Précisément, dans un rapport rendu public durant l'été 1993, un responsable du Fonds Monétaire International, M. de Groote, en vient à critiquer ses collègues américains et leur "approche fondamentaliste" des réformes fondées sur "un modèle importé qui n'existe nulle part, pas même aux Etats Unis, le seul pays pris comme référence par ces réformateurs de l'école reaganienne". Dans ce rapport, il déplore une libération des prix "prématurée et mal conduite" et préconise la restauration d'un certain contrôle des prix dans la grande industrie et l'agriculture, ainsi qu'un ralentissement des privatisations dans les industries d'Etat et le retour à un minimum de contrôle administratif des processus économiques.

Progressivement, se dessine ainsi les traits d'une politique économique alternative

Dans l'immédiat cependant, la situation est encore aggravée par "l'autonomisme économique", favorisée par les transferts de charges et de responsabilités, initiés par le gouvernement GAIDAR et poursuivis récemment par les concessions de M. ELTSINE aux "sujets" de la fédération. Les conséquences pourraient en être dramatiques pour le pays.

C'est ainsi que beaucoup de régions imposent désormais leurs propres règles de passage à l'économie de marché et tentent de constituer leur propre espace économique, instituant des règles fiscales spécifiques concernant en particulier l'exploitation de leurs ressources naturelles et l'accueil des investisseurs étrangers. Des économistes n'hésitent pas à parler de "désintégration préférentielle" estimant que celle-ci toucherait déjà l/3 du potentiel économique russe. Certaines régions ont cessé de transférer leur quote-part au budget fédéral. C'est ainsi que durant les cinq premiers mois de 1993, pas un rouble n'a été donné au budget de l'Etat par les républiques du Bachkortostan, du Tatarstan, cependant que la république du Sakka (ex-Yakoutie) payait 1% et celle de Carélie seulement 3% des impôts fédéraux, et les cas identiques se multiplient.... C'est tout le budget fédéral qui est menacé d'effondrement par "assèchement".

Le gouvernement, apparemment incapable de garder le contrôle de la situation, a néanmoins soumis au Soviet Suprême des projets de loi visant a alourdir la pression fiscale en créant de nouvelles taxes et en augmentant celles existantes, en particulier la TVA (+4%)

La fuite en avant se poursuit donc, comme les privatisations.

Mais les dernières prévisions gouvernementales n'incitent pas à l'optimisme.

A la fin de cette année, selon le Président de la Banque Centrale, le Produit National Brut sera comme en 1992, en baisse de 18 à 20% et le taux de l'inflation de 1000% ! Le ministre des Finances, M. Boris FIODOROV, prédit pour sa part que le déficit budgétaire atteindra 22 milliards de dollars soit 14% du P.N.B.

 

 

00:14 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : histoire, russie, économie, crise, déclin économique | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook